Corps de l’article

Les rétinopathies pigmentaires, qui affectent 40 000 personnes en France, font partie d’une large liste d’affections orphelines jusqu’ici incurables. Chez les personnes atteintes, les bâtonnets sont détruits et, en conséquence, les premiers signes cliniques sont une cécité nocturne et un champ visuel qui se rétrécit en périphérie. Le champ visuel diminue progressivement jusqu’à rendre la vision « tubulaire », traduisant la perte secondaire des cônes qui assurent non seulement la vision colorée, mais aussi la vision à contraste élevé, l’acuité visuelle et toutes les fonctions visuelles en atmosphère lumineuse normale. À mesure que la maladie progresse, la vision centrale se réduit, menaçant le sujet de cécité.

L’hétérogénéité génétique des rétinopathies pigmentaires (http://www.sph.uth.tmc.edu/Retnet) et le mode autosomique dominant de certaines formes représentent une limitation importante à la thérapie génique corrective. Nous avons privilégié une approche par neuroprotection des cônes, plus à même d’être généralisable à de nombreux gènes et modes de transmission.

Les mutations décrites depuis 1990 dans les dystrophies héréditaires rétiniennes humaines affectent, dans une très grande proportion, des gènes codant pour des protéines localisées dans le segment externe des bâtonnets [1]. Le lien entre la perte des bâtonnets et la raréfaction des cônes a été étudié sur un modèle murin, la souris rd1, qui porte une mutation sur le gène codant pour la phosphodiestérase des bâtonnets [2]. Il s’agit d’une forme récessive de dégénérescence séquentielle bâtonnets-cônes retrouvée chez l’homme

Nos travaux ont montré que, lorsque des couches pures en photorécepteurs étaient transplantées dans l’espace sous-rétinien de souris rd1 âgées de 5 semaines (à cet âge, il reste très peu de bâtonnets [< 0,02 %] mais encore la plupart des cônes), le transplant induit la survie d’un nombre de cônes significativement supérieur (en moyenne 40 %, p < 0,001) à celui relevé dans la rétine de l’oeil congénère, non traitée [3]. Cet effet trophique, constaté à distance du transplant, suggérait l’existence de facteurs diffusibles libérés par les cellules greffées. Des tests effectués in vitro par coculture de rétines rd1 et de rétines normales, ont confirmé cette hypothèse [4, 5]. Des travaux de purification partielle ont montré que l’activité de viabilité est de nature protéique [6]. Ces facteurs protéiques présomptifs ont été désignés sous le nom de rod-derived cone viability factors (RdCVF) [7]. La dégénérescence des bâtonnets chez la souris rd1 - et probablement chez les humains souffrant de rétinopathie pigmentaire - aboutirait à la raréfaction de ces facteurs de viabilité et ainsi, progressivement, à la perte des cônes.

Pour identifier les RdCVF, nous avons développé une approche systématique par clonage d’expression fondée sur un test de viabilité des cônes (Figure 1) [8]. Le modèle utilisé est une culture de cellules rétiniennes d’embryons de poulet, cultivées à faible densité et en l’absence d’agents inducteurs, ce qui conduit à une différenciation en photorécepteurs par défaut de signal [9]. Ces photorécepteurs sont majoritairement des cônes, contrairement à ce qui est observé dans des cultures de cellules de mammifères. Une dégénérescence des cellules post-mitotiques est observée sur une période de plusieurs jours, dégénérescence qui est ralentie lorsque ces cultures sont réalisées en présence de milieu conditionné préparé à partir d’explants rétiniens de souris normales. Une banque d’expression de rétines de souris a été construite. Les plasmides de cette banque ont été transfectés dans des cellules COS et les milieux conditionnés issus de ces cellules transfectées ont ensuite été récoltés et transférés dans les puits des cultures de cônes dont la viabilité a été mesurée. Un clone qui présentait le plus grand effet a été isolé ; il contenait une phase codante correspondant à une nouvelle protéine sécrétée de 109 acides aminés, que nous avons nommé rod-derived cone viability factor [8].

Figure 1

Procédure du clonage par expression, utilisée pour mettre en évidence le rod-derived cone viability factor (RdCVF).

Procédure du clonage par expression, utilisée pour mettre en évidence le rod-derived cone viability factor (RdCVF).

Les cellules rétiniennes d’embryons de poulet, cultivées à faible densité et en l’absence d’agents inducteurs, se différencient en photorécepteurs par défaut de signal. Ces cellules sont majoritairement des cônes, contrairement à ce qui est observé dans des cultures de cellules de mammifères. En quelques jours, une dégénérescence des cellules post-mitotiques est observée, dégénérescence qui est ralentie en présence de milieu conditionné préparé à partir d’explants rétiniens de souris normales. Une banque d’expression de rétines de souris a été réalisée et les plasmides transfectés par ensembles de 100 clones dans des cellules COS. Les milieux conditionnés issues de ces cellules transfectées ont été ensuite récoltés et transférés dans les puits des cultures de cônes. Après huit jours, la viabilité des cellules a été mesurée par des sondes fluorescentes grâce à une plate-forme de comptage automatisé. Les ensembles (100 clones) présentant une activité de survie ont été divisés en sous-ensembles de 10 clones, testés à nouveau. Dans un troisième temps, les clones individuels ont été testés afin d’identifier l’ADNc responsable de l’effet de survie observé. Cette procédure a conduit au criblage de 210 000 clones individuels ; elle a permis d’isoler un clone qui contenait une phase codante correspondant à une nouvelle protéine sécrétée, le rod-derived cone viability factor (RdCVF).

-> Voir la liste des figures

RdCVF présente une homologie avec la famille des thiorédoxines. Le polypeptide isolé est un variant d’épissage d’un nouveau gène (Txnl6), tronquée dans le motif thiorédoxine et ne possédant pas l’activité thiol-oxydoréductase [10]. L’expression du messager de RdCVF, qui est restreint à la rétine, est perdue après la perte des bâtonnets. La protéine est retrouvée dans les segments externes des bâtonnets et dans l’espace extracellulaire entourant les photorécepteurs. À plus haute résolution, un marquage plus intense, colocalisant avec la surface des cônes, suggère l’existence d’un site d’affinité pour RdCVF à la surface des cônes [8]. Sur le plan fonctionnel, l’injection de RdCVF purifié dans l’espace sous-rétinien de souris rd1 après dégénérescence des bâtonnets, aboutit à une protection significative des cônes, sur une période d’une quinzaine de jours. In vitro, l’élimination par immunodéplétion de RdCVF résulte en une forte diminution de l’effet protecteur induit par le milieu conditionné.

RdCVF possède les caractéristiques d’un facteur sécrété par les bâtonnets, nécessaire à la survie des cônes, et représente une nouvelle piste thérapeutique pour les rétinites pigmentaires. RdCVF est le second membre d’une famille de protéines représentant des formes tronquées des thiorédoxines avec les caractéristiques des facteurs de croissance [11]. Il semble que, durant l’évolution, le motif protéique thiorédoxine, une protéine sécrétée, ait évolué pour assurer de nouvelles fonctions de communication intercellulaire.