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Malgré une relative stabilité apparente et les soins apportés pour la conserver, tous les produits alimentaires subissent des altérations. Leur manipulation (transformation, conditionnement, stockage…) éloigne les produits transformés de leur état originel. Pour maintenir l’état souhaité des aliments, certaines pratiques physiques sont utilisables (cuisson sous vide, conditionnement sous atmosphère modifiée…), mais l’emploi d’additifs rajoutés aux préparations est un moyen facile et économique de pallier les évolutions oxydatives, principale cause de dégradation hors celles des micro-organismes. La préférence pour des antioxydants « naturels » pose le problème de leur efficacité.

Avec l’expansion du commerce des plats cuisinés, les services publics de santé autorisent l’ajout croissant d’additifs, en fonction des types d’aliments et d’adjuvants. Si la complexité de l’aliment final ingéré est ignorée, il peut en découler de graves problèmes toxicologiques dus aux synergies ou aux produits dérivés. Ce constat pose le problème de l’évaluation de la présence des additifs en fonction des constituants de l’aliment. Leur utilisation dans les formulations doit apporter une valeur ajoutée aux aliments sans être préjudiciable à la santé humaine.

Dans cette optique, un examen des techniques de dosage appropriées est envisagé afin d’évaluer l’efficacité des antioxydants et de limiter les ajouts aux doses strictement indispensables aux objectifs de préservation à atteindre. Cette étude bibliographique retient des méthodes directes ou indirectes, adaptées ou adaptables à l’évaluation du potentiel antioxydant des additifs.

Teneur en eau, stabilité des produits biologiques et potentiel redox

Un équilibre permanent s’établit entre l’hygrométrie de l’atmosphère et l’eau présente dans le produit. Les composés solubles (sels, sucres, alcools, groupes hydrophiles…) mobilisent l’eau par solvatation. Si la teneur en eau atmosphérique croît, l’adsorption de l’eau se fait par couches successives de degré de liberté croissant avec leur éloignement du support. Les aw (rapport des quantités d’eau libre et totale) tant dans le produit que dans l’atmosphère en équilibre sont égales pour une température θ donnée, d’où :

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soit : aw (toujours comprise entre 0 et 1) = (%) humidité relative/100.

La réactivité d’un produit est lié à son aw. Si l’eau libre est nécessaire pour l’activité biologique, elle inhibe les réactions de composés à caractère hydrophobe strict (lipides), ou la réaction de Maillard[1]. La Figure 1 présente de façon synthétique les diverses évolutions responsables de dégradations en fonction de l’activité de l’eau aw [1].

Figure 1

Risques de détérioration des aliments en fonction de l’activité de l’eau.

Risques de détérioration des aliments en fonction de l’activité de l’eau.

L’activité de l’eau (aw) correspond au rapport entre la pression de vapeur d’eau de l’aliment et la pression de vapeur de l’eau pure à la même température. La valeur de l’aw varie de 0 (produit sec au point que toute l’eau est liée à l’aliment, et donc sans qualité réactive) à 1 (toute l’eau est libre). à une aw de 1 correspond de l’eau pure sans soluté difficile à atteindre et surtout à maintenir (ordonnée de droite en bleu). La courbe en rouge représente les risques oxydatifs : quand l’eau est très liée, l’oxydation est directe ; à partir d’un certain degré de liberté de l’eau, l’oxydation devient enzymatique (que les enzymes soient endogènes ou exogènes, provenant de micro-organismes ou du milieu). La courbe en gris correspond aux réactions de Maillard, non enzymatiques, qui s’opposent pour les humidités intermédiaires au brunissement enzymatique correspondant principalement à une oxydation des polyphénols. Les courbes en vert clair, vert foncé et noir correspondent au domaine d’influence de la bactériologie (respectivement moisissures, levures et bactéries) qui est limité à la présence d’eau libre (d’après [1]).

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L’oxydation a lieu avec ou sans la participation de l’oxygène moléculaire ; elle se définit comme une perte d’électrons, le gain antagoniste correspondant à la réduction. D’après ce concept, un potentiel redox (E°ox/red) peut être affecté à chaque couple oxydant/réducteur impliqué, le couple possédant le potentiel élevé pouvant théoriquement oxyder ceux ayant des potentiels plus faibles. L’E°ox/red d’un système se mesure par rapport au potentiel électrochimique de l’électrode à hydrogène, fixé par convention à 0,0 volt à pH = 0.

Tant lors du stockage, qu’au cours des processus de transformation, le maintien d’une aw intermédiaire satisfaisante (0,2-0,3) ne peut être garanti.

Rappel sur les processus d’oxydation : conséquences et contrôle

Les mécanismes d’oxydations des composés insaturés biologiques (acides gras, caroténoïdes, polyphénols…) sont souvent des réactions radicalaires avec l’oxygène moléculaire [2-4] et présentent trois phases principales.

  • La phase de déclenchement où se forme un premier radical libre. L’arrachement du proton est facilité tant par la chaleur (agitation moléculaire) que les rayonnements ou les catalyseurs (métaux tels que Cu, Fe, Co, Mn, Ni…).

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  • La phase de propagation où l’oxygène fixé donne un radical peroxyle qui réagit avec une autre molécule et conduit à un néoradical libre et un hydroperoxyde.

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Les hydroperoxydes instables se scindent en composés plus courts [2].

  • La phase de terminaison, où se recombinent différents radicaux formés.

Globalement, ce processus conduit à des hydrocarbures, des aldéhydes, des cétones, des acides, des esters, des peracides, des peroxydes, mais aussi à des produits de polymérisation. Sous son effet, l’aliment accuse une perte de qualité nutritionnelle ou organoleptique (rancissement, changement de couleur…).

Pour limiter l’oxydation, l’industrie agroalimentaire peut baisser le taux d’oxygène (immersion, vide, atmosphère sous azote), ralentir les réactions par réfrigération ou congélation, détruire les enzymes d’oxydation (polyphénol oxydases) par blanchiment, et user d’antioxydants inhibant l’oxydation induite par l’oxygène moléculaire.

En limitant les risques de radicaux libres, la présence d’antioxydants, combinée à d’autres techniques, est indispensable à la stabilité des produits. Si l’oxydation résulte uniquement d’une réaction avec l’oxygène, l’antioxydant est alors un antioxygène.

Rôle et principaux types d’antioxydants alimentaires

L’antioxydant alimentaire idéal, et facilement incorporable et efficace à faible dose, est non toxique, n’entraîne ni coloration, ni odeur, ni saveur indésirable. Résistant aux processus technologiques, il est stable dans le produit fini.

Les molécules à bas E°ox/red aptes à ralentir, retarder ou prévenir les processus d’oxydation [5] sont en fait des agents de prévention ou de terminaison capables d’éviter ou de piéger les radicaux libres. L’action préventive bloque l’initiation en complexant les catalyseurs, en réagissant avec l’oxygène ou en déviant de l’aliment des effets de lumière ou des rayonnements.

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En tant qu’agents de terminaison (piégeage de radicaux), les antioxydants transforment les radicaux en composés plus stables et bloquent la phase de propagation. Un tel effet résulte d’une structure de donneurs de H souvent aromatique, cas des dérivés du phénol (tocophérols, polyphénols, flavonoïdes…).

De nombreux polyphénols d’origine végétale : vitamine E (d-tocophérol), flavonoïdes et flavones, caroténoïdes et vitamine C (acide L-ascorbique) sont des antioxydants naturels disponibles (Figure 2) [6]. Certains d’entre eux (β-carotène, lycopène…) sont utilisés comme colorants.

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D’autres composés phénoliques de synthèse comme le BHT (3,5-ditertiobutyl-4-hydroxytoluène), le BHA (3-tertiobutyl-4-hydroxyanisole), le TBHQ (tertiobutylhydroxyquinone) et le PG (gallate de propyle), sont autorisés dans certains aliments.

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Évaluation de l’efficacité antioxydante d’un additif

La mesure du potentiel antioxydant et le suivi des processus d’oxydation sont abordés globalement en déterminant des produits résultant de l’oxydation ou en évaluant l’aptitude à piéger des radicaux de modèles réactionnels.

Le premier mode, plus ancien, nécessite une connaissance préalable des composés issus de l’oxydation. En effet ces méthodes recherchent certains groupements fonctionnels (aldéhydes, cétones, dicarbonylés…) dans les dérivés des constituants d’origine. Le second relie la quantité de radicaux piégés à celle d’antioxydant utilisé.

Évaluation de produits résultant de l’oxydation

L’efficacité des antioxydants (traduite en rapport d’inhibition, IR) correspond à :

     IR (%) = [(a-b) / (a-c)] x 100

a,b,c sont les concentrations en dérivés oxydés respectivement, sans antioxydant et en présence de l’antioxydant à tester après incubation et sans antioxydant avant incubation. Le dosage des produits formés (en particulier des hydroperoxydes) est effectué par des techniques photométriques plus ou moins directes (Tableau I).

Tableau I

Techniques d’évaluation des produits résultant de l’oxydation.

Techniques d’évaluation des produits résultant de l’oxydation.

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Figure 2

Principaux composés naturels (ou synthétisés) possédant des propriétés antioxydantes.

Principaux composés naturels (ou synthétisés) possédant des propriétés antioxydantes.

La vitamine E est abondante dans les germes de blé, les légumes verts, les corps gras. Les flavones et flavonoïdes sont retrouvées dans les fruits, le vin, le thé. Les caroténoïdes sont présents dans les carottes, les fruits rouges et jaunes, les légumes verts (β-carotène), les tomates (lycopène). La vitamine C est abondante dans les agrumes, les fruits rouges, les pommes de terre primeur, les brocolis.

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Évaluation de l’aptitude du composé à piéger des radicaux libres

La capacité du produit à piéger les radicaux libres et donc à ralentir ou inhiber, aussi bien les phases d’initiation que de propagation, implique la création de radicaux. Dans la méthode TEAC (Trolox equivalent antioxidant capacity), l’activité antioxydante totale d’une molécule est déduite de sa capacité à inhiber le radical ABTS•+, obtenu à partir de l’ABTS (sel d’ammonium de l’acide 2,2’-azinobis-(3-éthylbenzothiazoline-6-sulfonique)) comparativement à un antioxydant de référence : le Trolox® (acide 6- hydroxy-2,5,7,8-tétraméthylchroman-2-carboxylique), dont la structure moléculaire cyclique est similaire à celle de la vitamine E. L’obtention du radical cation résulte du contact de l’ABTS avec une enzyme de peroxydation (peroxydase metmyoglobine [23] ou horseradishperoxidase) [24] en présence de H2O2 ou d’un oxydant (dioxyde de manganèse [25, 26] ou persulfate de potassium [27]). Le radical ABTS•+, en contact avec un donneur de H conduit à l’ABTS+(Figure 3) et à la décoloration à 734 nm de la solution [28]. D’autres auteurs utilisent l’acide 2,2’-azinobis-(3-éthylbenzothiazoline-6-sulfonique), ou ABTS•-, à la place de son sel d’ammonium et analysent l’inhibition du radical ABTS•-, produit par un initiateur de radicaux thermolabiles, l’ABAP (2,2’-azobis-(2-amidinopropane)HCl) [29]. La cinétique de réaction de l’antioxydant étudié doit être examinée préalablement pour déterminer la fin de réaction. La capacité antioxydante en équivalent Trolox® (TEAC) correspond à la concentration (mmole/l ou mg/l) de Trolox® ayant la même activité qu’une même concentration unitaire de substance à tester, jus de fruit par exemple [23]. La littérature fournit le TEAC de certains antioxydants, respectivement pour la vitamine C et le β-carotène : 0,99 mM [23] et 1,9 mM [26]. Un kit des Laboratoires Randox (Paris, France) permettant l’analyse en routine du statut antioxydant total du sérum humain est adaptable aux aliments.

Figure 3

Formation et piégeage du radical ABTS•+ par un antioxydant donneur de H.

Formation et piégeage du radical ABTS•+ par un antioxydant donneur de H•.

Le radical ABTS•+ (absorbant à 734 nm) est formé par arrachement d’un électron e- à un atome d’azote de l’ABTS. En présence de Trolox (ou d’antioxydant donneur de H), l’atome d’azote concerné piège un H, conduisant à l’ABTS+, ce qui entraîne la décoloration de la solution [28].

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D’autres méthodes sont également utilisées comme la méthode automatisée ORAC (oxygen radical absorbance capacity) [30-33], la méthode utilisant le radical stable DPPH (2,2-diphényl-1-picrylhydrazyle) [20, 34-37], la mesure de l’aptitude à réduire Fe3+ en Fe2+ [38], et la méthode spectroscopique par résonance électronique (ESR) [38, 39].

Conclusions

Les principales méthodes d’évaluation du potentiel antioxydant d’un produit pur ou de mélanges ont été examinées et regroupées selon leurs principes. Elles sont fondées sur la détermination de produits résultant de l’oxydation ou, au contraire, mesurent l’efficacité d’une substance à piéger des radicaux, souvent en donnant une forme H.

Parmi les méthodes d’évaluation, celles comparant l’aptitude du produit à celle du Trolox® (la méthode TEAC en particulier) sont intéressantes. En effet, elles mesurent directement la réactivité d’un composé donneur de H, sans examen d’un produit de dégradation. L’examen au laboratoire de la méthode du TEAC a montré qu’elle était applicable dans différents solvants (diméthylsulfoxide, méthanol, éthanol ou tampon phosphate) quelle qu’en soit l’hydrophilie ou l’hydrophobie. La méthode automatisée ORAC diffère de celle du TEAC et du DPPH [40] en évaluant l’activité antioxydante de manière dynamique avec des radicaux actifs sur le plan pathologique.

Disposant de méthodes d’évaluations diversifiées il devient possible, d’une part, de suivre l’évolution des substances naturelles présentes dans les matières premières jouant un rôle d’antioxydant et éventuellement d’envisager un enrichissement pour atteindre l’objectif qualitatif souhaité et, d’autre part, de tester comme conservateurs différentes molécules employées pour d’autres usages (colorants alimentaires par exemple). Dans ces conditions « l’adjuvance antioxydative », fruit d’une collaboration entre technologues et nutritionnistes, peut devenir beaucoup plus précise, tout en étant aussi efficace à moindre risque.

À défaut de disposer d’une électrode électrochimique accédant directement au niveau et à l’importance de la protection contre l’oxydation, les différentes méthodes présentées permettent, en fonction des milieux alimentaires étudiés, une évaluation optimale et ciblée du potentiel antioxydant. Elles sont complémentaires les unes des autres, sans que l’une puisse être établie en tant que référence fondamentale.