Corps de l’article
Les érythrocytes sont incapables d’endocytose. Comment donc les parasites du genre Plasmodium, dont une partie importante du cycle parasitaire se déroule à l’intérieur des globules rouges, réussissent-ils à pénétrer dans ces cellules ? C’est là la question fondamentale que se sont posé les auteurs d’un article récent du groupe de K. Haldar [1]. Avant de discuter les travaux décrits dans cet article, il est important de rappeler que, dans le globule rouge dans lequel il a pénétré, le parasite ne séjourne pas directement au contact du cytoplasme érythrocytaire, mais à l´intérieur d’une vacuole dite «vacuole parasitophore» (VP). Des études ultrastructurales et biochimiques suggèrent que la VP résulte d’une invagination de la membrane plasmique des érythrocytes. Le groupe de K. Haldar avait montré antérieurement [2] que la VP contient certaines protéines retenues à la membrane par une liaison glycosyl phospatidyl inositol (GPI). Ces protéines sont localisées dans les fractions enrichies en «radeaux» résistants aux détergents (DRM, detergent-resistant membrane), alors que d’autres protéines de la membrane plasmique érythrocytaire, qui ne sont pas associées à ces radeaux, sont exclues de la VP. Une observation qui a retenu l’attention des auteurs était l’inclusion dans la VP de certains membres de la famille des protéines G hétérotrimériques, comme la sous-unité Gαs, alors que d’autres (par exemple Gαq) en sont exclues. Les protéines G hétérotrimériques forment une famille de molécules membranaires, bien conservée chez les eucaryotes supérieurs, capables de lier le GTP, et dont le rôle dans la transduction intracellulaire de nombreux signaux extracellulaires est primordial. Il était donc licite de se demander si Gαs, par sa présence dans la VP, était impliquée dans le processus d’invasion de l’érythrocyte par le parasite ? Le récent article de T. Harrison et al répond à cette question [1].
Gαs transmet le signal en se liant soit au récepteur β2-adrénergique (β2-AR), soit aux récepteurs de l’adénosine. L’identification de β2-AR dans la VP était donc tout à fait compatible avec l’hypothèse selon laquelle une signalisation impliquant le couple Gαs/β2-AR jouerait un rôle dans l’infection du globule rouge par le parasite. Pour tester cette hypothèse, les auteurs ont utilisé des peptides capables d’inhiber l’interaction entre Gαs et β2-AR, interrompant ainsi la voie de signalisation. Le traitement de cultures par de tels peptides entraîne une chute considérable du taux d’invasion des globules rouges par le parasite (13 % du taux observé dans des cultures non traitées), alors que le même traitement n’affecte en rien le développement du parasite une fois qu’il est à l’intérieur de l’érythrocyte. Le test utilisé pour quantifier l’invasion ne permet toutefois pas de déterminer si l’effet observé après traitement par les peptides est dû à une inhibition de l’entrée dans la cellule hôte, ou à un blocage du relargage des parasites par les cellules infectées à l’issue du processus de schizogonie. Afin de distinguer ces deux possibilités, les auteurs ont alors eu recours à l’utilisation de peptides rendus fluorescents par marquage à l’isothyocyanate de fluorescéine (FITC). L’examen en microscopie à fluorescence à permis de montrer que le prétraitement (avant que le test d’inhibition ne soit effectué) de cellules infectées ne résulte pas en une inhibition de l’invasion, et que la fluorescence n’était associée qu’aux formes très jeunes (anneaux) des parasites, donc aux érythrocytes fraîchement infectés. Sur la base de ces observations, les auteurs concluent que les peptides n’ont accès à leurs molécules-cibles (Gαs et β2-AR) que durant le processus d’invasion lui-même, c’est-à-dire durant la formation de la VP.
Curieusement, des agonistes de β2-AR et du récepteur de l’adénosine, qui auraient dû logiquement stimuler l’invasion, n’ont qu’un effet très modeste. Ceci peut paraître surprenant compte tenu de l’efficacité de l’inhibition de l’invasion, proche de 90 %, qu’entraîne le blocage de la signalisation par Gαs. Une explication proposée par les auteurs est que la faible abondance des récepteurs à la surface des érythrocytes favorise l’inhibition de la signalisation par les peptides, mais pas sa stimulation par les agonistes. Il est important de noter que le traitement par les agonistes cause également un doublement de la concentration d’AMP cyclique (AMPc) dans les érythrocytes infectés, suggérant que la stimulation de l’invasion implique la voie de l’AMPc. Nous avions précédemment montré que, dans les érythrocytes infectés, la PKA (protéine kinase A) a une activité dépendante de l’AMPc supérieure à celle d’érythrocytes non infectés, et que, in vitro, H-89, un inhibiteur de la PKA-AMPc, empêchait la progression de l’infection [3].Il est intéressant de noter que ces derniers travaux [3] ont démontré la présence de PKA-AMPc endogène dans les globules rouges en dehors de toute infection, et que cette enzyme de l’hôte paraît subir des modifications après une infection parasitaire. L’expression de la PKA-AMPc parasitaire est maximale dans les stades tardifs (schizontes) du cycle érythrocytaire asexué. Il serait donc intéressant de savoir si les concentrations d’AMPc mesurées par T.Harrison et al. l’ont été dans des globules rouges à des stades précoces (anneaux) ou tardifs (schizontes) de l’infection, ce qui n’est pas explicité. En effet, ceci permettrait de déterminer si les agonistes des récepteurs stimulent l’activation de la PKA-AMPc de l’hôte, ou celle du parasite. Puisque l’effet des peptides est observé aux stades précoces de l’infection (donc au moment où la PKA-AMPc parasitaire est faiblement exprimée, ou même avant qu’elle n’apparaisse), il est probable (mais cela n’est pas formellement démontré) que le traitement par les agonistes stimule la PKA-AMPc de la cellule hôte, et que l’activation de cette kinase aboutisse à la réorganisation du cytosquelette érythrocytaire essentielle au processus d’invasion.
Finalement, les auteurs montrent que les mêmes peptides bloquants qui sont actifs in vitro le sont aussi in vivo dans des souris infectées par Plasmodium berghei. Ils en concluent que les récepteurs β2-AR et les récepteurs de l’adénosine sont probablement activés lors d’infections in vivo, une production accrue de catécholamines par l’hôte, réponse habituelle à une infection par un Plasmodium, ou alors la production par le parasite lui-même de molécules apparentées à la catécholamine, pouvant être à l’origine de cette activation. Cette idée séduisante n’explique toutefois pas comment les premiers événements d’invasion sont possibles tout au début de l’infection de l’hôte vertébré, avant que les concentrations de catécholamine de l’hôte (ou celles de molécules parasitaires apparentées) n’aient pu augmenter en réponse à l’infection. Il serait passionnant de rechercher à la surface des mérozoites des ligands (pour l’instant hypothétiques) qui seraient capables d’activer directement la production d’AMPc et ainsi favoriser leur propre incorporation par l’érythrocyte auquel ils se sont liés lors de l’attachement spécifique qui constitue la première phase du processus d’invasion.
Parties annexes
Remerciements
Je tiens tout particulièrement à remercier Christian Doerig - Inserm U.511 team, Wellcome Centre of Molecular Parasitology, The Anderson College, 56, Dumbarton Road, Glasgow G11 6NU, Scotland, UK - pour la relecture critique de ce texte.
Références
- 1. Harrison T, Samuel BU, Akompong T, et al. Erythrocyte G protein-coupled receptor signaling in malarial infection. Science 2003; 301: 1734-6.
- 2. Lauer S, VanWye J, Harrison T, et al. Vacuolar uptake of host components, and a role for cholesterol and sphingomyelin in malarial infection. EMBO J 2000; 19: 3556-64.
- 3. Syin C, Parzy D, Traincard F, et al. The H89 cAMP-dependent protein kinase inhibitor blocks Plasmodium falciparum development in infected erythrocytes. Eur J Biochem 2001; 268: 4842-9.