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Le concept d’une « protéine infectieuse »
L’idée qu’une protéine puisse être infectieuse a émergé en 1967 des études réalisées par T. Alper et J. Griffith sur la tremblante, une encéphalopathie spongiforme transmissible (EST) du mouton [1]. En 1982, Stanley Prusiner tente de purifier l’agent infectieux responsable de la tremblante. Sa composition essentiellement protéique lui inspire le terme de proteinaceous infectious element, en abrégé: prion. C’est cette hypothèse d’une protéine seule responsable des EST (protein only hypothesis) qui lui a valu le prix Nobel de médecine en 1997.
Or, si de nombreux arguments sont venus renforcer cette hypothèse, l’existence de protéines infectieuses n’a toujours pas été confirmée. Le rôle essentiel de la protéine prion des mammifères, la PrP, dans les EST, a été démontré par l’obtention de souris délétées de ce gène et devenues résistantes envers cette maladie [2]. Cependant, les tentatives utilisant la PrP recombinante (produite dans E. coli) pour induire l’apparition de la tremblante sont restées sans succès [3]. Ces résultats n’excluent pas que la protéine PrP puisse être l’agent infectieux des maladies à prions des mammifères et, d’ailleurs, aucun autre candidat n’a pour l’instant été identifié.
Les études génétiques effectuées dans les micro-organismes sont venues confirmer l’existence d’une hérédité protéique. En 1994, Reed Wickner démontre que les éléments de génétique non mendélienne [URE3] et [PSI] de la levure Saccharomyces cerevisiae se comportent comme des prions [4]. Il établit alors les critères génétiques permettant d’identifier un caractère héréditaire lié à la présence d’un prion dans les micro-organismes.
Sur la base de ces critères, le groupe de Joël Bégueret a alors identifié l’élément particulier [Het-s] du champignon filamenteux Podospora anserina comme étant un prion [5]. Le caractère [Het-s] est infectieux car il se transmet par simple contact à une souche normale appelée [Het-s*]. Le caractère [Het-s] peut apparaître spontanément et il se propage alors rapidement à tout le champignon. Comme pour les prions de la levure, le caractère [Het-s] peut être « guéri » de façon réversible par certains traitements. De plus, [Het-s] est strictement sous la dépendance de l’expression du gène codant pour la protéine HET-s dont la surexpression induit systématiquement l’émergence du caractère infectieux [Het-s].
La démonstration formelle qu’une protéine peut être infectieuse
La preuve ultime du caractère infectieux d’une protéine peut être obtenue si l’introduction de la protéine recombinante purifiée dans un organisme est suffisante pour propager le caractère infectieux [6].
Nous avons purifié la protéine recombinante HET-s et testé différentes méthodes pour l’introduire dans Podospora. L’avantage de la technique de la biolistique, décrite sur la Figure 1, est de permettre l’introduction de molécules dans des mycéliums entiers. En effet, le mycélium des champignons filamenteux présente une continuité cytoplasmique favorisant la propagation d’éléments infectieux. Ainsi, même si l’introduction de la protéine recombinante est un événement rare, l’apparition de la forme infectieuse [Het-s] dans un article (cellule non cloisonnée du mycélium) doit se transmettre à la protéine HET-s endogène et envahir rapidement tout le champignon (Figure 1). Grâce à cette continuité cytoplasmique, l’essai biolistique s’est montré très efficace: l’introduction de la protéine recombinante HET-s a permis d’induire le caractère infectieux [Het-s] dans presque 100 % des souches neutres [Het-s*] [7]. Nous avons ainsi démontré clairement le caractère infectieux de la protéine recombinante HET-s de Podospora et, par là même, confirmé l’existence de protéines infectieuses ou prions.
Seuls les agrégats amyloïdes sont infectieux
Les protéines prions présentent une propriété commune aux protéines amyloïdes: celle de former des agrégats in vivo, et des fibres amyloïdes in vitro. Dans la levure et Podospora, l’acquisition du caractère infectieux semble corrélée à l’agrégation de la protéine prion in vivo [1, 8].
Dans notre essai biolistique, la forme infectieuse de la protéine recombinante HET-s est strictement associée à son état insoluble (Figure 2). La protéine HET-s soluble isolée par ultracentrifugation n’induit pas l’apparition du phénotype infectieux [Het-s]. Les agrégats de la protéine HET-s utilisés en biolistique ont été identifiés comme des agrégats amyloïdes [9]. Visualisés par microscopie électronique, ces agrégats sont essentiellement composés de fibrilles. Les fibres amyloïdes sont connues pour résister à la digestion par les protéases. Nous avons observé que les agrégats de HET-s restent infectieux même après traitement à la protéinase K. L’introduction de la protéine recombinante HET-s dénaturée (par la chaleur ou par l’acide) n’induit pas l’apparition du caractère [Het-s]. Lorsque la protéine HET-s est dénaturée, elle forme des agrégats amorphes en microscopie électronique et ceux-ci semblent alors dépourvus de pouvoir infectieux.
En définitive, nos résultats montrent que les fibres amyloïdes produites in vitro sont capables de servir de modèle à la réplication du prion in vivo. De plus, nous avons observé que les agrégats de la protéine HET-s native (formés dans le champignon) sont capables de convertir la protéine HET-s recombinante soluble en agrégats amyloïdes [7]. Ces résultats suggèrent que des agrégats amyloïdes peuvent exister in vivo [10, 11].
Les données corrélant l’agrégation amyloïde et le caractère infectieux des protéines prions s’accumulent, confirmant que ces deux phénomènes sont intimement liés. Cependant, la nature moléculaire du matériel infectieux in vivo reste encore à préciser.
Le protocole expérimental décrit ici, constitue un essai biologique très sensible qui pourrait nous permettre de tester d’autres protéines ou des peptides potentiellement infectieux. Cet essai biolistique utilisant le champignon pourrait également être appliqué à la caractérisation des protéines prions provenant d’autres espèces, et en particulier à la PrP des mammifères.
Parties annexes
Remerciements
Nos recherches sont soutenues par le Cnrs, la Fondation pour la Recherche Médicale, et le Ministère de la Recherche (GIS prion).
Références
- 1. Wickner RB, Taylor KL, Edskes HK, Maddelein ML, Moriyama H, Roberts BT. Prions in Saccharomyces and Podospora spp.: protein-base inheritance. Microbiol Mol Biol Rev 1999; 63: 844-61.
- 2. Bueler HM, Aguzzi A, Sailer A, et al. Mice devoid of PrP are resistant to scrapie. Cell 1993; 73: 1339-47.
- 3. Caughey B. Transmissible spongiform encephalopathies, amyloidoses and yeast prions: common threads? Nat Med 2000; 6: 751-4.
- 4. Wickner RB. Evidence for a prion analog in S. cerevisae: the [URE3] non-Mendelien genetic element as an altered URE2 protein. Science 1994; 264: 566-9.
- 5. Coustou V, Deleu C, Saupe S, Bégueret J. The protein product of the het-s heterocaryon incompatibility gene of the fungus Podospora anserina behaves as a prion analog. Proc Natl Acad Sci USA 1997; 94: 9773-8.
- 6. Liautard JP, Alvarez-Martinez MT, Féraudet C, Torrent J. La protéine prion: structure, dynamique et conversion in vitro. Med Sci 2002; 18: 62-9.
- 7. Maddelein ML, Dos Reis S, Duvezin-Caubet S, Coulary-Salin B, Saupe S. Amyloid aggregates of the HET-s prion protein are infectious. Proc Natl Acad Sci USA 2002; 99: 7402-7.
- 8. Coustou-Linares V, Maddelein ML, Bégueret J, Saupe S. In vivo aggregation of the HET-s prion protein of the fungus Podospora anserina. Mol Microbiol 2001; 42: 1325-35.
- 9. Dos-Reis S, Coulary-Salin B, Forges V, Lascu I, Bégueret J, Saupe S. The HET-s prion protein of the filamentous fungus Podospora anserina aggregates in vitro into amyloid-like fibrils. J Biol Chem 2002; 277: 5703-6.
- 10. Uptain SM, Sawinicki GJ, Caughey B, Lindquist S. Strains of [PSI(+)] are distinguished by their efficiencies of prion-mediated conformational conversion. EMBO J 2001; 20: 6236-45.
- 11. Speransky VV, Taylor KL, Edskes HK, Wickner RB, Steven AC. Prion filament networks in [URE3] cells of Saccharomyces cerevisiae. J Cell Sci 2001; 153: 1327-36.