Résumés
Résumé
Au cours de la dernière décennie, les gouvernements fédéral et provinciaux ont conclu trois accords ayant valeur de traité avec les Nisga’a, les Tlicho et les Inuits du Labrador. Ces accords mettent notamment en place de nouvelles institutions gouvernementales autochtones. Cet article étudie la place que ces trois accords octroient aux cultures juridiques et aux langues autochtones dans la production et la diffusion du droit. L’auteur conclut que seul l’Accord inuit manifeste une ouverture audacieuse aux cultures juridiques autochtones et en particulier à la coutume comme source extra-étatique de droit.
L’auteur constate également que les juridictions autochtones créées par les accords sont étroitement alignées sur le modèle étatique du point de vue de leur fonctionnement et entièrement intégrées à la hiérarchie judiciaire étatique. Par conséquent, en l’absence d’un véritable pluralisme judiciaire, l’auteur estime qu’il n’existe pas de garantie que les juges chargés de dire le droit autochtone exercent leurs fonctions dans le respect des cultures juridiques autochtones.
Par ailleurs, après des siècles de répression et de déclin des langues autochtones, celles-ci sont reconnues par les accords et les constitutions autochtones comme de véritables langues juridiques aptes à jouer un rôle de premier ordre dans la production et la diffusion du droit autochtone. Ces langues restent toutefois subordonnées à l’anglais, qui demeure la langue prééminente d’interprétation des traités et des lois fondamentales autochtones.
Au final, à l’exception de l’Accord inuit, les accords étudiés dans cet article n’expriment pas une très grande ouverture formelle à la diversité juridique dans la gouvernance autochtone. Il ne faut toutefois pas sous-estimer la résilience des cultures juridiques autochtones et la capacité des peuples autochtones d’en faire une source matérielle du droit pour les nouvelles entités gouvernementales.
Abstract
Over the course of the last decade, the federal and provincial governments concluded three self-government agreements with the Nisga’a, the Tlicho, and the Labrador Inuit. These agreements notably establish new Aboriginal government institutions. This article studies the role that these three agreements accord to legal culture and Aboriginal languages in the creation and diffusion of law. The author concludes that only the Inuit Agreement manifests an audacious openness towards Aboriginal legal cultures, and in particular towards custom as a non-state source of law.
The author observes that the Aboriginal jurisdictions created by the agreements are closely aligned with the state model in terms of their functioning, and are entirely integrated in the judicial hierarchy of the state. As a consequence, in the absence of true legal pluralism, the author believes that there is no guarantee that the judges charged with articulating Aboriginal law will exercise their functions with respect for Aboriginal legal cultures.
After suffering decades of repression and decline, Aboriginal languages have received recognition in these self-government agreements and in Aboriginal constitutions as legal languages able to play a role of the highest order in the creation and diffusion of Aboriginal law. However, Aboriginal languages are subordinated to English, which remains the primary language of interpretation of the agreements and fundamental Aboriginal laws.
Finally, with the exception of the Inuit Agreement, the agreements studied in this article do not express a strong formal openness to legal diversity in Aboriginal governance. In spite of this, the resilience of Aboriginal legal cultures and the capacity of Aboriginal peoples to use these agreements as an interpretive source of law for future government entities must not be underestimated.
Corps de l’article
Introduction
Le droit est dans une large mesure l’expression d’une culture enchâssée dans une histoire, des institutions et une langue[1]. Par exemple, c’est par la langue, la culture d’origine française et la tradition juridique civiliste que les tenants d’une réforme constitutionnelle ont cherché à définir la différence québécoise dans la loi fondamentale[2]. De même, la Constitution des Nisga’a, rédigée dans la foulée d’un accord historique avec l’État[3], fait reposer sur le trio langue-culture-droit l’existence même de la nation nisga’a, qu’elle définit comme «the collectivity of those aboriginal people who share the language, culture, and laws of the Nisga’a»[4].
Il existe un lien étroit entre la valorisation des cultures juridiques des peuples autochtones et celle de leurs langues. La culture juridique d’une collectivité renvoie à l’ensemble des valeurs, des représentations, des discours, des techniques et des institutions relatives au droit, appréhendé du point de vue multiple de sa nature, de ses sources, de sa fonction et de sa mise en oeuvre. La culture juridique peut être celle d’opérateurs spécialisés du droit, mais elle peut aussi recevoir l’acception plus large de conscience juridique populaire qui détermine la place du droit et du système juridique dans une société donnée[5]. Lorsque la langue d’une culture juridique disparaît, «c’est cette culture juridique qui est menacée de disparaître parce qu’elle est privée de son seul moyen naturel d’expression et, surtout, de communication : sa langue d’origine, sa langue du coeur et de l’esprit»[6]. Créatrice de symboles, de mythes et de concepts, la langue forge le droit[7] et exprime l’altérité dans le droit[8]. Dans le cas où elle exprime la domination, la langue fausse ou déracine le droit de l’autre, tel qu’en atteste, par exemple, la rédaction des «coutumes indigènes» d’Afrique et d’Asie dans l’idiome du colonisateur européen[9].
À partir du constat d’une corrélation entre la diversité des cultures juridiques et la diversité linguistique, cette étude de trois accords d’autonomie gouvernementale conclus au Canada au cours de la dernière décennie vise à vérifier dans quelle mesure ces accords peuvent être considérés comme des instruments de valorisation des cultures juridiques et des langues autochtones[10]. La première partie, la plus substantielle, analyse la place accordée aux cultures juridiques autochtones dans les accords, alors que la seconde partie traite de la reconnaissance des langues autochtones comme véhicules de cultures juridiques distinctives.
I. L’ébauche d’une relative diversité juridique intra-étatique par la mobilisation des cultures juridiques autochtones
Un regard pluraliste sur la réalité du droit admet l’existence et l’effectivité normative de cultures juridiques autochtones en marge de l’ordre étatique. Le pluralisme juridique est à la fois un champ d’étude et un courant théorique qui repose fondamentalement sur la remise en cause du monopole de l’État dans la production du droit[11]. Le pluralisme «postule l’existence simultanée de plusieurs systèmes juridiques, notamment non-étatiques, en relation d’opposition, de coopération ou d’ignorance réciproque»[12]. Au sens strict, il n’y a un véritable pluralisme normatif que lorsque plusieurs ordres juridiques se manifestent simultanément, dans un même espace, pour une même situation et à l’égard des mêmes personnes[13]. Le terme plus général de «plurijuridisme» pourrait également rendre compte de l’existence de plusieurs ordres juridiques, coordonnés ou non, qui s’appliquent simultanément dans un espace donné, mais sans nécessairement viser les mêmes situations et les mêmes personnes[14]. L’analyse plurielle du droit ou des droits, en plus de mettre en évidence les manifestations non étatiques de la juridicité, étudie les problèmes d’internormativité qui en résultent, c’est-à-dire «[l’e]nsemble des phénomènes constitués par les rapports qui se nouent et se dénouent entre deux catégories, ordres ou systèmes de normes»[15].
Conformément à cette grille analytique et méthodologique, cet article fait ressortir dans quelle mesure les accords d’autonomie gouvernementale institutionnalisent, au sein de la sphère étatique, la reconnaissance des cultures juridiques autochtones à travers la reconnaissance des droits autochtones extra-étatiques. L’expression «droit autochtone extra-étatique» renvoie à des règles de droit dont le foyer autochtone de production se trouve entièrement ou substantiellement à l’extérieur des instances de l’État. Par ailleurs, les communautés autochtones peuvent produire, au sein d’organes étatiques, un droit de type «légiféré» dans l’exercice de pouvoirs de réglementation administrative délégués par l’État. C’est le cas, par exemple, des conseils de bande prévus par la Loi sur les Indiens, par lesquels ceux-ci peuvent, sous le contrôle des autorités gouvernementales, édicter des règlements administratifs applicables sur les terres communautaires appelées réserves[16]. Le droit ainsi produit s’arrime alors directement à l’appareil législatif et judiciaire de l’État et ne constitue pas à proprement parler un droit autochtone extra-étatique.
Par ailleurs, le droit autochtone extra-étatique n’est pas nécessairement traditionnel, puisqu’il n’est pas toujours issu d’un lignage précolonial[17]. Cet univers normatif sui generis embrasse simultanément des règles ancrées dans une tradition juridique chtonienne sans cesse revisitée[18] et d’autres qui procèdent de pratiques contemporaines. Ces dernières sont souvent consignées dans des codes rédigés par des juristes formés dans les grandes facultés universitaires et inspirés par ce que les contemporains appellent une lecture actuelle de l’identité juridique autochtone[19]. Ces manifestations du droit autochtone ont en commun d’émerger substantiellement en marge du droit étatique, même si ce dernier les reçoit ultimement, tout en les filtrant ou en les déformant à des degrés variables.
A. Une ouverture prudente aux droits autochtones extra-étatiques
Le droit canadien, après une longue période de refoulement colonial des droits autochtones, s’ouvre avec une évidente circonspection aux cultures juridiques autochtones. Au début de la colonisation européenne du Canada, l’État n’a pu, ni sans doute voulu, imposer le droit occidental aux sociétés indigènes, dont le soutien militaire et commercial était un enjeu déterminant dans la rivalité des couronnes française et anglaise en Amérique du Nord. Cependant, sitôt la domination de la Grande-Bretagne acquise et le mouvement de peuplement exogène massivement enclenché, le colonisateur a continuellement étendu son droit, qu’il considérait supérieur, aux populations autochtones vivant sur les territoires annexés à la couronne. Contrairement aux pratiques observées ailleurs dans l’empire colonial britannique, le colonisateur n’a pas systématiquement reconnu un véritable statut personnel autochtone de droit coutumier relevant de la compétence de tribunaux autochtones ou tribaux encadrés par le droit étatique[20]. Toutefois, malgré la façade moniste du droit officiel, la coutume a continué de régir la vie d’un grand nombre d’autochtones, notamment dans la sphère familiale, tout en s’adaptant au changement[21].
Jusqu’à récemment, exception faite de quelques dispositions législatives éparses incorporant la «coutume» à des fins très spécifiques et limitées[22], l’une des rares manifestations claires d’une réception étatique explicite des droits autochtones «coutumiers» se trouvait dans quelques décisions des tribunaux des Territoires du Nord-Ouest traitant du mariage et de l’adoption[23]. Le fort peuplement autochtone et l’isolement géographique de la zone nordique et arctique du pays, de nature à entraver l’accès aux institutions de droit étatique, expliquent probablement la teneur de ces décisions[24]. Elles n’ont pas d’emblée fait jurisprudence sur l’ensemble du territoire méridional canadien, où se trouve concentrée la population de peuplement exogène. Aujourd’hui, une seule province, la Colombie-Britannique, et deux territoires fédéraux se sont dotés d’une loi donnant effet à l’adoption coutumière autochtone en droit étatique[25].
La réception tardive et partielle d’un ordre juridique autochtone d’origine extra-étatique dans le droit postcolonial, applicable à un faisceau de matières intéressant les communautés autochtones, pourrait toutefois s’accélérer à la faveur de la reconnaissance des droits ancestraux ou issus de traités dans la Loi constitutionnelle de 1982[26]. En effet, la doctrine des droits ancestraux appliquée par la Cour suprême accorde aux droits autochtones extra-étatiques une place, bien que limitée[27], néanmoins réelle. Cette question a toutefois été fouillée dans d’autres articles[28] et il convient de s’attarder ici plus particulièrement aux accords d’autonomie gouvernementale conclus au cours des dernières années. Ces ententes ont permis de réfléchir à la question de la reconnaissance par l’État des droits autochtones extra-étatiques. Au moment de définir les sources du droit autochtone contemporain, le rôle de la coutume a été un enjeu symbolique et pratique de grande importance.
Les accords n’investissent pas tous le référent coutumier de la même charge normative. Ainsi, l’Accord nisga’a mentionne expressément que la coutume nisga’a n’est pas une source formelle de droit[29]. Seule la loi votée par le législateur nisga’a et la législation déléguée qui en découle ont vocation à exprimer le droit nisga’a dans le cadre de l’accord. En revanche, ce dernier confère un rôle de conseil dans le processus législatif à des institutions traditionnelles[30], notamment pour l’interprétation des Ayuuk, lois traditionnelles nisga’a[31]. Ces lois devraient d’autant plus inspirer le législateur que la Constitution des Nisga’a les engage à respecter «the authority of our Ayuuk,and the wisdom of our elders»[32]. Par ailleurs, rien dans l’accord ne s’oppose à ce que la loi nisga’a incorpore la coutume nisga’a par renvoi, dès lors que les dispositions de l’accord sont respectées.
L’Accord tlicho[33] reconnaît quant à lui un rôle aux coutumes du peuple tlicho en certaines matières bien précises. Outre l’adoption de droit coutumier, qui est expressément validée aux fins de la détermination du statut des personnes tlicho[34] et la prise en compte des coutumes dans les affaires relatives à la garde d’enfants[35], la loi tlicho peut prévoir des sanctions compatibles avec «la culture et les coutumes de la Première nation tlicho»[36]. Ces mêmes coutumes doivent être prises en considération dans la poursuite des infractions aux lois tlicho et dans l’application de ces lois par les tribunaux étatiques[37]. Il appert que des principes associés au droit traditionnel peuvent non seulement servir de référence pour élaborer le contenu de certaines lois, mais aussi faire office de droit supplétif dans leur application. Par ailleurs, la culture juridique tlicho peut de manière générale guider la vie constitutionnelle de la Première Nation, puisque la tradition orale porteuse de cette culture sert à l’interprétation de la Constitution tlicho[38].
Cependant, l’affirmation la plus résolue de la vitalité du droit coutumier dans l’ordre juridique autochtone se trouve dans l’Accord inuit[39], qui permet aux Inuits du Labrador de prévoir dans leur constitution «la reconnaissance du droit coutumier des Inuit et l’application du droit coutumier des Inuit aux Inuit concernant toute matière qui relève de la compétence et de l’autorité du Gouvernement Nunatsiavut»[40]. Le constituant inuit s’est prévalu de ce pouvoir pour énoncer que le droit coutumier des Inuits[41] forme le droit commun fondamental des Inuits du Labrador dans les domaines qui relèvent de la compétence du gouvernement du Nunatsiavut[42]. En conséquence, le droit coutumier s’applique aux Inuits en l’absence de loi inuit régissant une situation donnée. Il coexiste avec la loi inuit qui ne lui est pas contraire et prévaut sur la norme législative en cas de conflit, à moins que le législateur inuit n’ait expressément écarté la coutume[43]. Le législateur inuit peut en outre rédiger la coutume dans la langue inuit et lui donner force de loi[44]. Toutefois, en l’absence d’une telle «codification», la coutume s’impose aux autorités administratives et aux juges dès que la preuve de son existence et de son contenu est apportée en tant que question de fait[45]. Il s’agit là de l’un des exemples les plus remarquables d’une volonté de réhabilitation d’une normativité singulièrement autochtone, même si le droit inuit se trouve malgré tout astreint au respect de diverses normes et principes directeurs prévus par l’accord[46].
En somme, bien qu’elles n’accordent pas toutes une place de choix à la coutume vivante, les nouvelles constitutions autochtones en font, à des degrés variables, une source matérielle ou formelle de droit. À la faveur de cette mobilisation d’un droit autochtone d’origine extra-étatique, nous serons certainement témoins de mesures expérimentales de rénovation du droit traditionnel et d’hybridation des droits indigène et occidental. Cette entreprise de construction d’un droit à la fois nouveau et ancré dans la tradition revient au premier chef à la communauté, dont les pratiques et les aspirations contemporaines fournissent la matière normative de base.
S’il survient un conflit sur le sens ou la portée de ce droit coutumier ou inspiré de la coutume et que les voies informelles ne le résolvent pas, il est possible de saisir un organe étatique de règlement des différends. Celui-ci doit être apte à trancher ce différend d’une manière attentive aux cultures juridiques autochtones afin de garantir une démarche respectueuse de la diversité juridique. Il existe, autrement dit, une corrélation fonctionnelle entre le respect des identités juridiques et l’organisation judiciaire. Or, cette corrélation n’est pas clairement mise en oeuvre par les nouveaux accords.
B. Une timide atténuation du centralisme judiciaire étatique
Étienne Le Roy définit ainsi le pluralisme judiciaire : «Le pluralisme judiciaire repose sur l’affirmation qu’à la pluralité des “mondes”, c’est-à-dire des appartenances collectives avec leurs identités propres, correspondent non seulement des normes spécifiques mais aussi, au moins potentiellement, des modes propres de règlement des différends»[47]. Le droit colonial britannique tel qu’appliqué au Canada, différent sur ce point de sa pratique observée en Afrique, n’a jamais formellement reconnu de «justice indigène», c’est-à-dire l’existence et l’autorité d’instances coutumières ou tribales spéciales pour lesquelles les autochtones sont les justiciables exclusifs ou principaux. Sous réserve de quelques dispositions législatives[48] et de certains modes de détermination de la peine réservant un traitement singulier aux autochtones confrontés à la justice de l’État[49], les personnes autochtones évoluent au sein du même système de justice que l’ensemble de la population canadienne et québécoise. Les juridictions étatiques ordinaires sont compétentes à l’égard des autochtones pour l’application de toute loi ou règle de droit issue de l’ordre étatique ou reconnue par celui-ci.
Comme le démontre la jurisprudence relative à l’adoption chez les autochtones, un conflit entre des particuliers mettant en cause une norme coutumière autochtone doit ultimement être porté devant le juge étatique, dans la mesure où les justiciables autochtones veulent se prévaloir d’une décision ayant valeur exécutoire au regard de la loi[50].
L’intervention des juridictions étatiques ou sous tutelle étatique n’est pas sans soulever le problème, emblématique des colonisations juridiques, de la «falsification» du droit autochtone d’origine extra-étatique. Celui-ci subit parfois une captation institutionnelle ou un alignement sur la norme étatique causé par des magistrats peu versés dans les traditions juridiques autochtones et peu sensibles à la diversité juridique. Aux yeux de certains observateurs de l’expérience africaine, le supposé «droit coutumier» résultant de ce processus ne serait plus qu’un «artefact colonial et postcolonial»[51]. Pour rendre compte des altérations propres à la judiciarisation étatique du contentieux coutumier, A.N. Allott propose l’expression «judicial customary law» désignant «the law recognised by the superior courts, and which might differ substantially from the customary law actually followed by the people whose law it was, and who in theory in a customary-law system can alone give legal recognition to a customary rule»[52]. Régis Lafargue traite pour sa part de la «coutume judiciaire» et évoque le rôle des juridictions étatiques dans l’application du droit coutumier en Nouvelle-Calédonie, qu’il définit comme «un droit jurisprudentiel inspiré des normes traditionnelles» ou encore «une “reconstruction” jurisprudentielle du droit traditionnel»[53].
Certes, le monisme judiciaire canadien semble appelé à connaître une timide atténuation à la faveur de l’application des accords d’autonomie gouvernementale, mais il appert que l’expansion du phénomène de la «coutume judiciaire» au Canada ne pourra être évitée. En effet, même si l’Accord nisga’a et l’Accord inuit autorisent les autorités autochtones à constituer, maintenir et organiser des juridictions particulières (la «Cour Nisga’a» et la «Cour inuit») pour l’application des lois autochtones[54], divers procédés utilisés dans ces accords viennent tantôt contenir, tantôt nier l’autonomie du droit judiciaire et de la justice autochtones face au modèle étatique.
Ainsi, les accords imposent à la juridiction autochtone le respect des principes d’indépendance judiciaire, d’impartialité et d’équité[55]. Si les accords s’étaient limités à cet encadrement normatif général, il aurait été possible d’y voir une méthode souple d’harmonisation pleinement compatible avec un certain pluralisme respectueux des cultures juridiques autochtones. Énoncer des principes directeurs communs aux droits étatique et autochtone, tout en laissant aux institutions autochtones une ample latitude dans l’aménagement du régime précis apte à satisfaire ces principes, aurait en effet favorisé une «harmonisation conçue comme un processus de rapprochement de systèmes juridiques qui restent différents»[56].
Or, les accords attribuent de surcroît à l’État le pouvoir de contrôler le respect des principes directeurs, en lui octroyant un veto sur des aspects majeurs de la législation autochtone. Un tel veto permet à l’État, au niveau provincial, d’exiger, si telle est sa position, une large mesure d’unification hégémonique du droit judiciaire par la transposition des normes étatiques dans le droit autochtone. Ainsi, la juridiction autochtone ne peut exercer sa compétence que si le gouvernement provincial approuve sa structure, sa procédure et le mode de sélection de ses juges[57]. De même, les mesures de supervision et les règles de destitution des juges doivent se conformer de manière générale à celles qui s’appliquent aux juges étatiques provinciaux[58]. Par exemple, le législateur inuit ne peut adopter de normes de qualification et de compétence judiciaires autres que celles convenues avec les autorités provinciales[59].
Une telle crispation hiérarchique de la part de l’État étonne, puisque les institutions autochtones prévues par les accords sont de toute manière assujetties à la Constitution canadienne, y compris la Charte canadienne[60], qui garantit le respect de la primauté du droit, de l’indépendance de la magistrature et de la justice fondamentale.
Malgré tout, en supposant un minimum d’engagement pour la diversité juridique de la part des autorités provinciales, certaines normes peuvent être adaptées au particularisme autochtone. Par exemple, les accords ne prescrivent pas d’exigences précises relativement à la formation des juges des tribunaux autochtones en ce qui a trait à leur maîtrise des langues, de la culture et des traditions juridiques autochtones. Hormis le manque de volonté politique, rien ne s’oppose à ce que les autorités provinciales et autochtones s’entendent pour exiger des candidats à la magistrature autochtone, non seulement qu’ils soient membres du Barreau de la province, mais aussi qu’ils possèdent ou s’engagent à acquérir une connaissance suffisante de la langue, de la culture et de la tradition juridique autochtones. Cela paraît d’autant plus impérieux que les idiomes autochtones comptent, tel qu’il sera expliqué plus loin, parmi les langues juridiques officielles des institutions autochtones et qu’il faut donc en principe les connaître pour dire le droit. La nomination des juges étant la prérogative exclusive des autorités autochtones, celles-ci sont à même d’assurer le respect de ces exigences et de ne faire accéder à la magistrature que les individus les mieux qualifiés[61].
L’Accord nisga’a autorise par ailleurs la cour autochtone à recourir aux services d’aînés pour agir comme assesseurs afin de favoriser le respect des valeurs et des méthodes traditionnelles dans le processus de jugement ou de détermination de la peine[62]. En outre, dans la mesure où les principes d’impartialité et d’équité sont respectés, les lois autochtones peuvent édicter des règles de preuve modulées en fonction du contexte culturel propre à la gouvernance autochtone[63]. Un régime sui generis a d’ailleurs été prévu dans la Constitution inuit pour l’admission et l’administration de la preuve de la coutume inuit[64].
Néanmoins, en dépit d’une certaine ouverture à leurs cultures juridiques, les juridictions autochtones demeurent entièrement intégrées à l’organisation judiciaire du pays. Elles y occupent d’ailleurs un échelon inférieur par rapport aux juridictions étatiques ordinaires telles que les cours supérieures et les cours d’appel. Les affaires initialement tranchées par un juge autochtone peuvent donc se retrouver par la suite devant des magistrats étatiques habilités à dire le droit autochtone, y compris le droit coutumier, sans nécessairement connaître les langues ni les cultures juridiques autochtones[65]. Le système juridictionnel conserve de la sorte un caractère essentiellement unitaire propice au développement d’une variante canadienne du «droit coutumier judiciaire», cette espèce juridique hybride issue d’un dialogue entre la juridiction autochtone et le juge étatique.
La capacité des peuples autochtones de mobiliser leurs cultures juridiques peut par ailleurs être renforcée par la protection et la promotion des langues qui en sont le véhicule. Les accords d’autonomie gouvernementale abordent cette question.
II. Vers une revalorisation des langues autochtones comme langues juridiques
Les langues autochtones énoncent la conception de ces peuples des rapports sociaux, de leur relation à l’environnement, aux autres cultures et au cosmos. Elles sont donc une clé d’accès aux cultures juridiques autochtones :
Integral to the legal medium for passing down culture, Aboriginal languages generate the essence of the distinctive cultures. Expressive of the Aboriginal people’s spiritual relationship with nature, with others, and with their Creator, they are central to Aboriginal identity, family, bonding, and kinship ties. They are as significant for profound insights into the Aboriginal culture and cognition as they are central to legal skills such as negotiating and reaching consensus.
Non-Aboriginal scholars and courts may study Aboriginal heritage and jurisprudence, but only those who have been taught within the system itself and in its language can really comprehend it[66].
Quand les langues européennes et autochtones se rencontrent dans le champ juridique, comme lors de la négociation de traités, leurs univers de sens se confrontent parfois aux limites de l’irréconciliable[67].
Les peuples autochtones ont historiquement connu une longue répression linguistique aux conséquences incalculables sur leur capacité de préserver et de renouveler leurs cultures juridiques. Il est aujourd’hui de plus en plus question de protéger, de promouvoir et même de revivifier le patrimoine linguistique autochtone[68]. Cet enjeu juridico-culturel a refait surface de manière singulièrement douloureuse lors du contentieux, des ententes hors cour et des excuses officielles engendrées par le traitement de générations d’enfants autochtones dans les pensionnats fédéraux[69].
A. La répression historique des langues autochtones
Dans l’histoire canadienne, le sort réservé aux nombreuses langues originellement présentes sur le territoire est l’un des avatars les plus sinistres du colonialisme assimilateur. À l’image de ce qui advint souvent des peuples leur ayant donné vie, les langues autochtones ont longtemps été refoulées et marginalisées.
L’ancienne politique fédérale en matière d’éducation des autochtones reflète de manière exemplaire cette mentalité colonialiste[70]. Dès la mise en place du régime fédéral, le système d’éducation réservé aux «Indiens» démontre une volonté de les assimiler et de les fondre dans le groupe majoritaire dominant. Ainsi, au fil des décennies, des mesures gouvernementales clairement assimilatrices sont mises en place : éducation des jeunes «Indiens» dans des contextes complètement étrangers à leur culture, c’est-à-dire dans une langue étrangère (l’anglais ou le français), dans un milieu véhiculant les valeurs majoritaires dominantes et souvent dans des institutions situées en dehors de leur communauté. À certains moments, l’État fédéral a adopté des mesures d’intégration des jeunes «Indiens», qui n’étaient en fait qu’une forme amoindrie d’assimilation, en acceptant que les provinces jouent un rôle dans l’éducation des autochtones. Par conséquent, plusieurs enfants autochtones ont été éduqués dans les mêmes écoles que celles des majorités anglophone et francophone du pays.
Cette politique d’assimilation des Premières Nations par le réseau scolaire a été un échec relatif, car il n’en a jamais résulté une complète assimilation de toutes ces communautés. Certaines langues autochtones s’en sont trouvées gravement affectées, alors que d’autres ont résisté un peu mieux, en grande partie en raison de l’isolement géographique de leurs communautés[71]. Certains idiomes autochtones ont donc survécu et s’il n’est plus question aujourd’hui d’en interdire l’usage, le défi de leur préservation et de leur revitalisation est dans la plupart des cas titanesque.
Selon le recensement de 2006, il y aurait plus de soixante langues autochtones encore parlées sur le territoire canadien, mais la majorité de ces langues ne sont pratiquées que par de très petites communautés de mille locuteurs ou moins. Les langues autochtones comptant le plus de locuteurs sont le cri (87 285), l’inuktitut (32 000), l’ojibway (30 225), l’oji-cri (12 435) et la langue innue, l’innu aimum (11 080)[72]. Ce sont aussi à ces langues que les spécialistes accordent le plus de chances de survie[73]. À l’exception de celles-ci, la diversité linguistique du Canada disparaît peu à peu. Toujours selon les données du recensement de 2006, 69 pour cent des Inuits, 29 pour cent des personnes issues des Premières Nations et 4 pour cent des Métis ont déclaré pouvoir parler une langue autochtone[74]. En considérant la population autochtone dans son ensemble, celle-ci a donc très fortement été assimilée au plan linguistique. Il faut toutefois noter l’usage persistant des idiomes indigènes parmi les autochtones vivant sur le territoire traditionnel de leur communauté. Par exemple, dans le cas des Premières Nations, en moyenne 51 pour cent de la population des réserves parle une langue autochtone, comparativement à 12 pour cent de la population hors réserve[75]. La proportion de locuteurs de la langue ancestrale atteint la presque totalité de la population dans certains territoires communautaires.
Aucune langue autochtone n’est élevée au rang de langue officielle de l’État et ne bénéficie d’une protection particulière au niveau de l’État fédéral ou provincial. Certains textes infra-constitutionnels à vocation régionale, régissant la gouvernance de certaines parties septentrionales du territoire canadien, accordent toutefois un statut privilégié à quelques langues autochtones. Ainsi, la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut inclut les langues autochtones régionales parmi les langues officielles des institutions territoriales, garantissant leur usage dans le fonctionnement de ces institutions et dans leurs relations avec les citoyens, sans toutefois leur conférer une parfaite égalité de statut avec l’anglais et le français[76]. La législation en vigueur dans le territoire du Yukon est similaire[77].
B. La place des langues autochtones dans les accords d’autonomie gouvernementale
Indépendamment de tout accord d’autonomie gouvernementale, le droit constitutionnel collectif[78] d’un peuple autochtone à l’usage, à la préservation et à l’autorégulation de sa langue ancestrale trouve un fondement constitutionnel dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[79]. Celui-ci reconnaît et confirme les droits ancestraux des peuples autochtones en tant que composantes intégrales de leurs cultures distinctives[80]. L’usage et la préservation de la langue autochtone comptant parmi les manifestations les plus incontestables de l’héritage culturel précolonial d’un peuple[81], il fait peu de doute que l’utilisation et l’enseignement de cette langue constituent des droits ancestraux reconnus par la Constitution, auxquels les autorités étatiques ne peuvent porter atteinte de manière arbitraire[82].
Les traités peuvent également confirmer l’existence d’un droit ancestral linguistique et en préciser certaines modalités d’exercice. Une volonté de protéger l’usage des langues autochtones dans les administrations locales ou régionales cries, inuits et naskapies était d’ailleurs déjà présente dans le premier traité moderne que fut la Convention de la Baie-James et du Nord québécois[83] et dans sa législation de mise en oeuvre[84]. Les récents accords d’autonomie gouvernementale viennent donner une protection constitutionnelle accrue au rôle des langues autochtones dans la production du droit autochtone.
Conformément aux pouvoirs qui leur sont attribués et reconnus par l’Accord inuit[85], les Inuits du Labrador se sont donné une constitution qui fait de l’inuttut et de l’anglais les langues officielles de l’entité autonome[86]. Ainsi, toutes les lois, politiques et décisions des autorités inuits doivent être publiées dans ces deux langues[87]. Cette constitution précise que l’inuttut est «the [p]rimary [l]anguage of Nunatsiavut» et elle constitue donc le véhicule privilégié du droit coutumier formant le socle de l’ordre juridique inuit. En outre, les membres des institutions inuits ont le droit d’utiliser l’inuttut dans le cadre de leurs fonctions, tous les Inuits ont le droit de communiquer avec les institutions inuits en inuttut et les publications officielles, y compris les projets de lois, doivent comporter une version en inuttut[88].
Les autres accords d’autonomie gouvernementale étudiés contiennent également des dispositions qui permettent de faire de la langue autochtone une des langues officielles au sein des institutions autochtones[89]. Toutefois, même si les constitutions adoptées dans la foulée de ces traités confèrent aux langues nisga’a et tlicho un statut officiel et comportent elles-mêmes une version en langue autochtone[90], elles sont moins exigeantes que celle des Inuits du Labrador et elle s’abstiennent notamment d’énoncer une liste aussi précise de droits linguistiques. Cette différence tient peut-être au fait que l’inuttut est encore une langue politique[91] parlée quotidiennement par une proportion non négligeable de la population[92], contrairement aux langues nisga’a et tlicho. La Constitution nisga’a exige tout de même du gouvernement nisga’a qu’il respecte et favorise l’usage de la langue autochtone, ce qui autorise la mise en place de mesures spéciales visant sa promotion et sa revitalisation[93]. Les constitutions ne vont toutefois pas jusqu’à nier le statut prééminent de l’anglais en tant que langue juridique[94].
En somme, les langues autochtones étant fortement minoritaires au pays et historiquement fragilisées, l’affirmation de leur rôle dans la production et la diffusion du droit répond à la question politique fondamentale de leur légitimité dans la sphère juridique. Toutefois, une simple garantie constitutionnelle formelle ne pourra, à elle seule, en assurer la pérennité dans la vie sociale, économique et juridique des autochtones.
Conclusion
Les accords d’autonomie gouvernementale de la dernière décennie marquent une ouverture prudente aux droits autochtones extra-étatiques. Ils se montrent plutôt accueillants aux langues ancestrales, sans pour autant renoncer au bilinguisme juridique ni remettre en cause la primauté officielle de l’anglais dans l’interprétation des lois fondamentales autochtones.
La vie politico-juridique des nouvelles institutions ne fait toutefois que commencer, ce qui interdit toute conclusion hâtive quant à leur aptitude à mobiliser les cultures juridiques autochtones dans l’exercice de leurs fonctions attribuées par les accords. Les juridictions autochtones n’ont même pas encore vu le jour et il faudra sans doute attendre quelque temps avant qu’elles puissent effectivement administrer les lois autochtones, compte tenu des importantes ressources requises pour leur mise en place et leur fonctionnement.
La marginalisation juridique et linguistique ayant fait son oeuvre, les espoirs de revitalisation et de pérennisation des cultures juridiques autochtones demeurent incertains, malgré l’évolution récente du droit canadien en ce sens. En effet, plusieurs langues et cultures juridiques autochtones sont presque éteintes et il faudra plusieurs années avant qu’un nombre important de collectivités accède à un véritable ordre de gouvernement doté de compétences économiques et culturelles substantielles en vertu des mécanismes des accords d’autonomie gouvernementale. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la résilience des cultures juridiques autochtones, qui ont survécu à ce jour sans et malgré l’État, ni tenir la forteresse du monisme colonial pour durablement inexpugnable. N’est-ce pas du moins l’espoir qui transparaît, par exemple, de l’affirmation remarquable d’un droit commun coutumier dans la nouvelle constitution du Nunatsiavut ?
Parties annexes
Remerciement
L’auteur tient à exprimer sa gratitude aux évaluateurs anonymes, dont les commentaires judicieux ont permis d’améliorer une version initiale de cet article.
Notes
-
[*]
Cette étude a été réalisée avec le soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. La sous-section II.A. a été réalisée avec l’aide d’Alexandre Bérubé, candidat à la maîtrise en droit de l’Université Laval.
-
[1]
Voir Pierre Legrand, Le droit comparé, 2e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 2006 aux pp. 3-11.
-
[2]
Voir Canada, Rapport du consensus sur la Constitution : Charlottetown, le 28 août 1992 : texte définitif, Ottawa, Gouvernement du Canada, 1992, art. 2(1)(c), reproduit dans André Tremblay, La réforme de la constitution au Canada, Montréal, Thémis, 1995 à la p. 463.
-
[3]
Accord définitif Nisga’a, Nation Nisga’a, Sa Majesté la Reine du chef du Canada et Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie-Britannique, 27 avril 1999, en ligne : Affaires indiennes et du Nord Canada <http://www.ainc-inac.gc.ca/al/ldc/ccl/fagr/nsga/nis/nis-fra.pdf> (entrée en vigueur : 11 mai 2000, Loi sur l’Accord définitif nisga’a, L.C. 2000, c. 7) [Accord nisga’a].
-
[4]
Constitution of the Nisga’a Nation, (octobre 1998), art. 1(1), en ligne : Centre national pour la gouvernance des Premières Nations <http://www.fngovernance.org/pdf/constitutions/Nisga’a_Constitution.pdf> [Constitution nisga’a].
-
[5]
Voir André-Jean Arnaud et al., dir., Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1993, s.v. «culture juridique».
-
[6]
Alain A. Levasseur, «La Louisiane : un vaisseau à la dérive ?» dans Jean-Louis Bergel, dir., Le plurijuridisme, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2005, 257 à la p. 276.
-
[7]
Voir Jean Carbonnier, Sociologie juridique, 2e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 2004 à la p. 53 (le lien entre l’évolution linguistique et le «décollage» du droit).
-
[8]
«La langue dans laquelle s’exprime “le droit” et le droit qui est ainsi exprimé dans “sa langue” sont des phénomènes culturels, donc représentatifs de tout un éventail de valeurs, politiques, économiques, philosophiques, humaines [...] qui définissent et caractérisent une société donnée».
Levasseur, supra note 6 à la p. 261 -
[9]
Voir John Gilissen, dir., «La rédaction des coutumes dans le passé et dans le présent» dans Centre d’histoire et d’ethnologie juridiques, La rédaction des coutumes dans le passé et dans le présent, Bruxelles, Éditions de l’Institut de sociologie, Université Libre de Bruxelles, 1962 à la p. 56.
-
[10]
Accord nisga’a, supra note 3 ; Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale, entre le Peuple Tłicho, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Canada, 25 août 2003, en ligne : Affaires indiennes et du Nord Canada <http://www.collectionscanada.gc.ca/webarchives/20071125050645/http://www.ainc-inac.gc.ca/pr/agr/nwts/tliagr2_f.pdf> (entrée en vigueur : 4 août 2005, Loi sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale du peuple tlicho, L.C. 2005, c. 1) [Accord tlicho] ; Accord sur les revendications territoriales entre les Inuit du Labrador, Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve-et-Labrador et Sa Majesté la Reine du chef du Canada, en ligne : Affaires indiennes et du Nord Canada <http://www.ainc-inac.gc.ca/al/ldc/ccl/fagr/labi/labi-fra.pdf> (entrée en vigueur : 1 décembre 2005, Loi sur l’accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, L.C. 2005, c. 27) [Accord inuit].
-
[11]
Voir notamment Denis Alland et Stéphane Rials, dir., Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 2003 aux pp. 1158-62 ; John Gilissen, dir., Le pluralisme juridique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1972 ; John Griffiths, «What is Legal Pluralism ?» (1986) 24 J. Legal Pluralism 1 ; Norbert Rouland, «À la recherche du pluralisme juridique, le cas français» (1998) 36 Dr. et Cult. 217 ; Norbert Rouland, Anthropologie juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 1988 ; Jacques Vanderlinden, «Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique» (1993) 18 R.R.J. 573 ; Arnaud et al., supra note 5, s.v. «pluralisme juridique» et «pluralisme juridique en anthropologie du droit» ; Andrée Lajoie et al., dir., Théories et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Montréal, Thémis, 1998 ; Etienne Le Roy, dir., Les pluralismes juridiques, Paris, Karthala, 2003. Voir aussi le numéro spécial de la Revue canadienne droit et société intitulé «Le pluralisme juridique», sous la direction de Jean-Guy Belley : (1998) 12:2 R.C.D.S.
-
[12]
Alland et Rials, ibid. à la p. 4, s.v. «acculturation juridique».
-
[13]
Voir Vanderlinden, supra note 11.
-
[14]
Voir généralement Bergel, supra note 6.
-
[15]
Arnaud et al., supra note 5, s.v. «internormativité» ; Jean Carbonnier, «Les phénomènes d’inter-normativité» dans B.-M. Blegrad, C.M. Campbell et C.J. Schuyt, dir., European Yearbook in Law and Sociology, La Haye, Martinus Nijhoff, 1977, 42. Voir aussi Jean-Guy Belley, dir., Le droit soluble : Contributions québécoises à l’étude de l’internormativité, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1996.
-
[16]
Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. I-5.
-
[17]
«Les droits traditionnels sont ceux que pratiquaient les autochtones avant la colonisation».
Norbert Rouland, L’anthropologie juridique, 2e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 1995 à la p. 93 -
[18]
Pour une présentation analytique de la tradition chtonienne, voir H. Patrick Glenn, Legal Traditions of the World, 2e éd., Oxford, Oxford University Press, 2004 aux pp. 59-89.
-
[19]
Voir par ex. les «codes électoraux» rédigés par les avocats, ayant valeur de coutume électorale aux fins de l’application de l’art. 2 de la Loi sur les Indiens, supra note 16.
-
[20]
Pour un rappel de la pratique coloniale britannique en Afrique, voir notamment A.N. Allott, «What Is to Be Done with African Customary Law ? : The Experience of Problems and Reforms in Anglophone Africa from 1950» (1984) 28 J. Afr. L. 56.
-
[21]
Voir par ex. les constatations d’un groupe de travail relativement à l’ampleur du phénomène des adoptions coutumières au Québec : Québec, Ministère de la Justice, «Pour une adoption québécoise à la mesure de chaque enfant : Rapport du groupe de travail sur le régime québécois de l’adoption» (2007), en ligne : Ministère de la Justice <http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/pdf/adoption-rap.pdf>.
-
[22]
Pour les fins de la détermination du statut d’Indien, la Loi sur les Indiens définit le terme «enfant» comme comprenant «les enfants adoptés selon la coutume» (supra note 16, art. 2). De même, le «conseil de bande» comprend dans certains cas les dirigeants choisis «selon la coutume de la bande» (ibid.). Dans ce contexte, le terme «coutume» n’exprime pas nécessairement l’ancienneté, ni l’oralité d’une norme, mais simplement son caractère consensuel au sein de la communauté. Voir Ghislain Otis, «Élection, gouvernance traditionnelle et droits fondamentaux chez les peuples autochtones du Canada» (2004) 49 R.D. McGill 393 aux pp. 402-03.
-
[23]
Norman K. Zlotkin, «Judicial Recognition of Aboriginal Customary Law in Canada: Selected Marriage and Adoption Cases» (1984) 4 C.N.L.R. 1.
-
[24]
Sébastien Grammond, Aménager la coexistence : Les peuples autochtones et le droit canadien, Bruxelles, Bruylant, 2003 aux pp. 288-89.
-
[25]
Cindy L. Baldassi, «The Legal Status of Aboriginal Customary Adoption Across Canada: Comparisons, Contrasts, and Convergences» (2006) 39 U.B.C. L. Rev. 63.
-
[26]
Constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
-
[27]
Voir par ex. Nigel Bankes, «Marshall and Bernard: Ignoring the Relevance of Customary Property Laws» (2006) 55 U.N.B.L.J. 120.
-
[28]
Voir Ghislain Otis, «Les sources des droits ancestraux des peuples autochtones» (1999) 40 C. de D. 591 ; Ghislain Otis, «L’autonomie personnelle au coeur des droits ancestraux : sub qua lege vivis ?» (2007) 52 R.D. McGill 657 [Otis, «L’autonomie personnelle»]. Telle qu’interprétée par la Cour suprême, la notion de droit ancestral ne signifie pas que les ordres juridiques hérités des ancêtres précoloniaux sont reçus dans l’ordre étatique en tant que sources formelles du droit actuellement applicable aux autochtones. Le droit ancestral est en effet une catégorie étatique autorisant l’exercice contemporain de pratiques sociales issues de la culture ancestrale des autochtones ou la jouissance de maîtrises foncières, dont les conditions d’existence et les attributs de base sont définis par le droit étatique. Il revient toutefois au groupe autochtone lui-même de réglementer l’exercice par ses membres d’un droit ancestral à l’intérieur des balises définies par le droit étatique. À la faveur de ce processus d’autorégulation résiduelle, le régime normatif communautaire devient la loi applicable aux membres de la collectivité titulaire du droit ancestral.
-
[29]
En fait, la définition du terme «loi» contenue dans l’Accord nisga’a précise «qu’elle ne comprend pas les Ayuukhl Nisga’a ou les Ayuuk», qui sont les pratiques et les lois traditionnelles de la nation nisga’a. Voir Accord nisga’a, supra note 3 à la p. 10. Voir aussi Constitution nisga’a, supra note 4, art. 62.
-
[30]
Selon l’art. 27 de la Constitution nisga’a, ibid., un Conseil des anciens est constitué et composé des chefs héréditaires (Simgigat), des matriarches héréditaires (Sigidimhaanak) et d’aînés jouissant du respect de la communauté.
-
[31]
Accord nisga’a, supra note 3, c. 11, art. 9(i).
-
[32]
Constitution nisga’a, supra note 4, art. 2(c).
-
[33]
Supra note 10.
-
[34]
Ibid., art. 1.1.1, s.v. «peuple tlicho», «tlicho» et «votant admissible».
-
[35]
Ibid., art. 7.6.2.
-
[36]
Ibid., art. 7.4.6(c).
-
[37]
Ibid., art. 7.6.3-7.6.4.
-
[38]
Tlicho Constitution, art. 18.1, en ligne : Tlicho <http://www.tlicho.ca/sites/tlicho/files/tlicho_constitution.pdf> [Constitution tlicho].
-
[39]
Supra note 10.
-
[40]
Ibid., art. 17.3.4(e).
-
[41]
Labrador Inuit Constitution, (janvier 2002), art. 9.1.1, en ligne : Nunatsiavut Government <http://www.nunatsiavut.com/pdfs/Constitution.pdf> [Constitution inuit]. L’article définit le droit coutumier des Inuits du Labrador dans les termes suivants : «The customs, traditions, observances, practices and beliefs of the Inuit of Labrador which, despite changes over time, continue to be accepted by Labrador Inuit as establishing standards or procedures that are to be respected by Labrador Inuit are the customary laws of the Labrador Inuit and are referred to as Labrador Inuit customary law». Selon l’art. 9.1.2, le droit coutumier constitue «the underlying law of the Labrador Inuit and of Nunatsiavut» (ibid.).
-
[42]
Voir Accord inuit, supra note 10, art. 17.3.4(e). Constitution inuit, ibid., art. 9.1.2.
-
[43]
Constitution inuit, ibid., art. 9.1.4.
-
[44]
Ibid., art. 9.1.5.
-
[45]
Ibid., art. 9.1.6(b).
-
[46]
Parmi les contraintes les plus notables, mentionnons celle qui exige le respect de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 26 [Charte canadienne]. Voir Accord inuit, supra note 10, art. 2.18.1.
-
[47]
Étienne Le Roy, Les Africains et l’Institution de la Justice : Entre mimétismes et métissages, Paris, Dalloz, 2004 à la p. 260 [Le Roy, Les Africains et l’Institution de la Justice].
-
[48]
Voir par ex. Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 718(2), relatif aux principes de détermination de la peine, qui énonce : «Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants : [...] l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones».
-
[49]
S’inspirant des conceptions autochtones traditionnelles de la justice, les juridictions pénales recourent souvent aux cercles de guérison pour conseiller le juge dans la détermination de la peine. Ces cercles, composés principalement de membres de la communauté autochtone dont le condamné est issu, incarnent la dimension communautaire et consensuelle de la justice au service de l’État. Voir Mylène Jaccoud, «La justice pénale et les Autochtones : D’une justice imposée au transfert de pouvoirs» (2002) 17 C.J.L.S. 107 ; Maureen Linker, «Sentencing Circles and the Dilemma of Difference» (1999) 42 Crim. L.Q. 116 ; Jean-Paul Lacasse, «Autonomie gouvernementale et justice pénale innue» (2002) 32 R.G.D. 809.
-
[50]
En présence d’un droit ancestral, le groupe a le pouvoir d’aménager l’exercice intra-communautaire de la décision. Ce pouvoir doit comprendre la faculté de régler des conflits entre les membres de la communauté revendiquant ce droit ancestral, d’où la possibilité d’un recours aux mécanismes communautaires préalablement à la saisine du juge étatique. Toutefois, ces mécanismes ne peuvent évincer les prérogatives des cours supérieures étatiques garanties par la Constitution. Voir Otis, «L’autonomie personnelle», supra note 28 aux pp. 668-69.
-
[51]
Le Roy, Les Africains et l’Institution de la Justice, supra note 47 à la p. 112.
-
[52]
Allott, supra note 20 à la p. 60.
-
[53]
Régis Lafargue, La coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie : aux sources d’un droit commun coutumier, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2003 à la p. 27.
-
[54]
Accord inuit, supra note 10, art. 17.31 ; Accord nisga’a, supra note 3, c. 12, art. 30. S’agissant de la sphère extrajudiciaire, l’art. 17.31.16 de l’Accord inuit autorise le gouvernement nunatsiavut à établir un processus de règlement des différends auquel les parties peuvent recourir sur une base volontaire.
-
[55]
Accord inuit, ibid., art. 17.31.2(a) ; Accord nisga’a, ibid., art. 33(a).
-
[56]
Mireille Delmas-Marty, Le pluralisme ordonné, Paris, Seuil, 2006 à la p. 99.
-
[57]
Accord inuit, supra note 10, art. 17.31.5-17.31.6 ; Accord nisga’a, supra note 3, c. 12, art. 34-35.
-
[58]
Voir Accord inuit, ibid., art. 17.31.2(c), qui parle de règles «raisonnablement comparables à ce que prescrit la Provincial Court Act, 1991» et Accord nisga’a, supra note 3, c. 12, art. 33(b), qui prévoit que les juges nisga’a relèvent du Conseil de la magistrature de la Colombie-Britannique.
-
[59]
Accord inuit, ibid., art. 17.31.2(b).
-
[60]
Supra note 46.
-
[61]
Accord inuit, supra note 10, art. 17.31.7 ; Accord nisga’a, supra note 3, c. 12, art. 37.
-
[62]
Accord nisga’a, ibid., c. 12, art. 41(d).
-
[63]
Accord inuit, supra note 10, art. 17.31.3. L’Accord nisga’a (ibid.), ne mentionne pas expressément les pouvoirs relatifs à la preuve, mais ceux-ci font partie du pouvoir général de créer une cour nisga’a pour l’administration des lois nisga’a.
-
[64]
Voir Constitution inuit, supra note 41, art. 9.1.7-9.1.8.
-
[65]
Voir Accord inuit, supra note 10, art. 17.31.21-17.31.22 ; voir aussi Accord nisga’a, supra note 3, c. 12, art. 45, 48.
-
[66]
James Youngblood Henderson, First Nations Jurisprudence and Aboriginal Rights : Defining the Just Society, Saskatoon, Native Law Center, 2006 à la p. 127.
-
[67]
Parmi les grandes controverses juridico-linguistiques de l’histoire coloniale, nous retrouvons celle qui perdure en Nouvelle-Zélande autour des mots «sovereignty» et «rangatiratanga» utilisés dans les versions anglaise et maori du Traité de Waitangi. Voir Claudia Orange, The Treaty of Waitangi, Wellington (N.-Z.), Allen & Unwin, 1987 aux pp. 40-41.
-
[68]
Voir Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones, «Le début d’un temps nouveau : Premier rapport en vue d’une stratégie de revitalisation des langues et des cultures des Premières Nations, des Inuit et des Métis» (2005) à la p. 21, en ligne : Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones <http://www.aboriginallanguagestaskforce.ca/pdf/foundrpt_f.pdf>.
-
[69]
Voir Paulette Regan, «An Apology Feast in Hazelton: Indian Residential Schools, Reconciliation, and Making Space for Indigenous Legal Traditions» dans Law Commission of Canada, Indigenous Legal Traditions, Vancouver, University of British Columbia Press, 2007 à la p. 40.
-
[70]
Voir généralement François Trudel, «La politique des gouvernements du Canada et du Québec en matière de langues autochtones» dans Jacques Maurais, dir., Les langues autochtones du Québec, Québec, Conseil de la langue française, 1992, 151.
-
[71]
Voir Barbara Burnaby, «Language Policy and the Education of Native Peoples: Identifying the Issues» dans Paul Pupier et José Woerhling, dir., Langue et droit : Actes du Premier Congrès de l’Institut international de droit linguistique comparé, Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, 279.
-
[72]
Statistique Canada, Peuples autochtones du Canada en 2006 : Inuits, Métis et Premières nations, Recensement de 2006, Ottawa, Ministre de l’Industrie, 2008, No. 97-558-XIF [Statistique Canada, Peuples autochtones].
-
[73]
Mary Jane Norris, «Langues autochtones au Canada : nouvelles tendances et perspectives sur l’acquisition d’une langue seconde» dans Tendances sociales canadiennes, Ottawa, Ministre de l’Industrie, 2007, No. 11-008-XIE, 21, no 83, produit no 11-008 au catalogue de Statistique Canada.
-
[74]
Statistique Canada, Peuples autochtones, supra note 72.
-
[75]
Ibid.
-
[76]
Les langues autochtones reconnues sont le chipewyan, le cri, l’esclave du Nord, l’esclave du Sud, l’inuinnaqtun, le gwich’in, l’inuktitut, l’inuvialuktun et le tåîchô [tlicho]. Voir Loi sur les langues officielles, L.R.T.N.-O. 1988, c. O-1, art. 4, reproduit dans la Loi sur le Nunavut, L.C. 1993, c. 28, art. 29. Voir aussi Loi sur les langues officielles, ibid., art. 8-15. Une fois adopté, le projet de loi P.L. 6, Loi sur les langues officielles, Nunavut, 2008, abrogera et remplacera cette loi. La nouvelle loi imposera des exigences en matière de langues officielles aux institutions territoriales, y compris à l’Assemblée législative, au gouvernement du Nunavut, à la Cour de justice du Nunavut et à d’autres organismes judiciaires et quasi-judiciaires et organismes publics du Nunavut. Actuellement, seuls l’anglais et le français doivent impérativement être utilisés dans tous les actes législatifs. Voir Loi sur les langues officielles, ibid., art. 8.
-
[77]
Languages Act, L.Y. 1988, c. 13.
-
[78]
Le droit constitutionnel individuel d’une personne appartenant à un peuple autochtone de s’exprimer publiquement dans la langue de ses ancêtres n’est nulle part énoncé. Il découle toutefois de l’interprétation que la Cour suprême du Canada a faite de la garantie de la liberté d’expression énoncée à l’art. 2(b) de la Charte canadienne, supra note 46. La Cour suprême a en effet statué, dans l’affaire Ford c. Québec (P.G.) que la liberté de s’exprimer comprend le libre choix de la langue d’expression, y compris dans le cadre d’activités comme l’affichage commercial ([1988] 2 R.C.S. 712, 90 N.R. 84). Toute interdiction ou restriction substantielle de la capacité des autochtones de parler leur langue maternelle dans la sphère publique violerait donc leur liberté d’expression et serait déclarée inconstitutionnelle, puisqu’un tribunal ne trouverait guère de justification à une telle atteinte à ce droit dans une société libre et démocratique. Une contrainte linguistique visant ou affectant plus particulièrement les autochtones serait en outre discriminatoire et a priori inconstitutionnelle en vertu de l’art. 15 de la Charte canadienne (ibid.) et de l’art. 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q. c. C-12). Les normes internationales d’égalité peuvent aussi servir à promouvoir l’usage des langues autochtones. Voir par ex. la décision du Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans l’affaire Diergaardt c. Namibie : Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Doc. off. Comité des droits de l’homme NU, 69e sess., Annexe, Doc. NU CCPR/C/69/D/760/1997 (2000).
-
[79]
Supra note 26.
-
[80]
Depuis sa décision dans l’affaire R. c. Van der Peet, la Cour suprême établit un lien important, bien que fluctuant, entre la substance des droits ancestraux et la représentation que se font les juges de la culture distinctive des autochtones ([1996] 2 R.C.S. 507, 200 N.R. 1). La Cour semble de plus en plus consciente du risque de dérive essentialiste que comporte une telle approche. Voir R. c. Sappier, 2006 CSC 54, [2006] 2 R.C.S. 686, 274 D.L.R. (4e) 75.
-
[81]
Fernand de Varennes, «L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la protection des droits linguistiques des peuples autochtones» (1994) 4 N.J.C.L. 265.
-
[82]
Dans l’affaire R. c. Sparrow, la Cour suprême a statué qu’il est loisible à l’État de limiter ou de restreindre l’exercice des droits ancestraux ou issus de traités pour assurer la réalisation d’un objectif gouvernemental impérieux. Les moyens choisis pour réaliser cet objectif doivent toutefois être justes et honorables ([1990] 1 R.C.S. 1075, 70 D.L.R. (4e) 385).
-
[83]
Convention de la Baie-James et du Nord québécois et conventions complémentaires, Québec, Publications du Québec, 2006 [CBJNQ]. Par exemple, ses art. 10.0.12-10.0.14 affirment le droit à l’usage de la langue crie dans les communications avec les autorités locales cries et le droit d’être servi dans la langue crie. Voir aussi Convention du Nord-Est québécois, 31 janvier 1978, art. 8.4, (entrée en vigueur : 1978, Loi approuvant la Convention du Nord-Est québécois, L.R.Q. c. C-67.1) (qui reconnaît les mêmes droits aux Naskapis à l’égard des autorités locales naskapies).
-
[84]
Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, L.C. 1984, c. 18, art. 32(1) (qui permet que les règlements administratifs des autorités locales cries et naskapies aient une version en langue autochtone de valeur égale à celle de la version française ou anglaise). L’art. 31 de cette même loi autorise la tenue des réunions du conseil dans les langues autochtones, alors que l’art. 80 permet l’usage des langues autochtones dans les assemblées publiques et lors des référendums. De même, la Charte de la langue française, L.R.Q. c. C-11, art. 95-96, autorise l’usage des langues crie, inuit et naskapie par les organismes dont la création est prévue par la CBJNQ (ibid.).
-
[85]
Supra note 10, art. 17.8.1.
-
[86]
Constitution inuit, supra note 41, art. 1.6.1.
-
[87]
Ibid., art. 1.6.2.
-
[88]
Ibid., art. 1.6.3.
-
[89]
Accord nisga’a, supra note 3, c. 11, art. 41 ; Accord tlicho, supra note 10, art. 7.4.4(a)-(b).
-
[90]
Constitution tlicho, supra note 38, art. 1.3 ; Constitution nisga’a, supra note 4, art. 4(1).
-
[91]
Sur la dialectique entre langue politique et langue juridique, voir Levasseur, supra note 6 à la p. 262.
-
[92]
Selon les données du recensement de 2006, 27 pour cent des Inuits du Nunatsiavut parlent couramment l’inuttut, mais la proportion est plus élevée parmi les personnes vivant sur les territoires communautaires et parmi les aînés. Voir Statistique Canada, Peuples autochtones, supra note 72 à la p. 29.
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[93]
Constitution nisga’a, supra note 4, art. 4(2).
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[94]
Voir Constitution nisga’a, ibid., art. 64(2) : «If there is a conflict between different versions of this Constitution, the English language version will prevail». Voir aussi Constitution inuit, supra note 41, art. 13.2.5.