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Introduction

Au Nouveau-Brunswick, il existe deux réseaux de santé : le Réseau de santé vitalité et le Réseau de santé Horizon. La langue de travail et de l’administration du premier est le français et celle du second est l’anglais. Depuis 2002, les deux réseaux de santé doivent offrir activement les services de santé en français et en anglais conformément à la Loi sur les langues officielles (LLO) (Doucet, 2017; Foucher, 2017)[1]. La notion d’offre active suppose que les services sont offerts dans les deux langues officielles, afin de permettre aux bénéficiaires de choisir la langue dans laquelle ils désirent recevoir leurs services, sans qu’il ait à en faire la demande (Collin et al., 2022; Gouvernement du Nouveau-Brunswick, s.d.). Elle suppose que les services doivent être de qualité égale dans les deux langues officielles. Elle s’applique également à l’affichage, à la signalisation, aux moyens de communication téléphonique et en personne, de même qu’aux moyens électroniques (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2015).

Les données du Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick montrent des disparités importantes entre les usagers qui préfèrent recevoir leurs services de santé en anglais ou en français. En 2016, dans le réseau anglophone Horizon, 42 % des usagers préférant recevoir leurs services en français l’ont reçu dans cette langue, tandis que 80 % des usagers préférant l’anglais ont reçu leurs services dans leur langue dans le réseau francophone Vitalité (Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick, 2017). Entre décembre 2018 et mars 2019, dans un sondage qui portait sur les soins aigus prodigués, le Conseil constate que seulement 36 % des usagers préférant le français ont reçu les services dans leur langue dans le réseau de santé Horizon (Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick, 2020).

Même si la loi rend l’offre active (OA) obligatoire, force est d’admettre que le réseau de santé Horizon ne respecte pas toujours ses obligations en la matière. Les travaux de Forgues et Maillet (2024) ont mis en lumière certaines des raisons de cette lacune. Celles-ci renvoient notamment à l’incompréhension des obligations à l’égard de l’OA par des proportions non négligeables de professionnels de la santé, au sentiment d’être inefficace ou insuffisamment outillés pour la pratiquer et la faible promotion de l’OA par leur organisation. Face aux difficultés qu’éprouvent certaines organisations de santé à mettre en pratique une OA de service dans les deux langues officielles, il s’avère pertinent de repérer des pratiques qui permettent de mettre en place une culture organisationnelle favorable à l’OA.

De fait, après avoir effectué certains progrès à l’égard de l’OA, les hauts dirigeants du Réseau de santé Horizon et les responsables des langues officielles[2] ont constaté vers 2015 que, malgré les mesures mises en place au sein du réseau, ils ne parvenaient pas à obtenir les résultats souhaités en matière d’OA. Le sujet de la langue des services était devenu une source de tension au sein du réseau de santé Horizon. Les manquements du Réseau de santé Horizon concernant l’OA avaient fait l’objet de reportages médiatiques qui ont créé une tension supplémentaire autour de la langue de service (Raiche-Nogue, 2018). De plus, après avoir découvert que de faux patients vérifiaient si l’OA était faite, des employés ont dénoncé cette méthode à l’interne et dans les médias. Craignant de compromettre les progrès qui avaient été réalisés, les hauts dirigeants ont décidé de recourir au service d’une firme de consultants qui se spécialise dans des situations où le dialogue entre des groupes est difficile. Une série d’activités de dialogue a donc été organisée au sein du personnel afin de renforcer la culture de l’OA. L’approche proposée se voulait moins verticale (hiérarchique) et davantage horizontale (en forme de dialogue) afin de permettre aux employés de s’exprimer librement, dans un espace sécuritaire, sur la question de l’OA. À la différence des activités de sensibilisation, d’information et de formation habituelles, cette approche donnait ainsi la parole aux employés.

Ces activités de dialogue se sont déroulées de l’automne 2018 au printemps 2020. Le Réseau de santé Horizon a organisé plus de 300 séances avec plus de 3 400 membres du personnel sur l’ensemble de son territoire (Moncton, St-Jean, Fredericton et Miramichi).

Suivant une approche compréhensive (Gaudet et Robert, 2018; Paillé et Mucchielli, 2016), nous avons cherché à mieux comprendre la conception des activités de dialogue et leurs effets chez les personnes participantes, à savoir si — et comment — cet exercice a permis de réussir là où le rappel de l’obligation juridique et les directives internes dans les établissements de santé ont failli. Nous nous sommes demandé si ces activités de dialogue ont contribué à mettre en place une « culture de l’OA », c’est-à-dire une attitude favorable à l’OA devant se traduire éventuellement dans l’offre de service.

Notre projet se situe au confluent des travaux de Forgues et de collègues sur les facteurs influençant la langue de service (Forgues et al., 2017; 2020) et de Paulin (2017; 2019a; 2019b) sur l’utilisation des instruments délibératifs en contexte public, qui s’inscrivent plus largement dans le champ d’études sur l’OA de service en français (Drolet et al., 2017). Nous avons mené notre étude sous l’angle d’une sociologie des organisations qui analyse le potentiel qu’offre le dialogue dans des organisations dont le fonctionnement repose essentiellement sur des rapports hiérarchiques et des directives émises du haut vers le bas (Detchessahar, 2003; 2019). Notre étude voulait apporter un éclairage complémentaire à celui offert par les travaux de Sylvain Vézina sur la culture organisationnelle de l’OA des services de santé, qui suppose « d’inscrire l’offre active dans les valeurs fondamentales du système de santé » (Vézina, 2017, p. 257).

La collecte de données a consisté à effectuer une recension des documents produits par le Réseau de santé Horizon sur l’exercice de dialogue et à mener des entretiens semi-structurés auprès des organisatrices et des animatrices des séances de dialogue. Nos analyses ont porté sur les évaluations qui ont été faites par les personnes participantes à la suite des séances de dialogue. Celles-ci étaient invitées à remplir un questionnaire et à formuler des commentaires sur l’activité. On leur demandait si les séances leur avaient permis de partager leurs idées et d’obtenir des informations sur l’OA, si elles avaient permis de mener des discussions significatives, si les animatrices encourageaient toutes les personnes présentes à participer aux échanges, si la personne a pu y exprimer ce qui lui importait et si elle a pu entendre ce qui importait pour les autres personnes. Enfin, les personnes pouvaient partager d’autres commentaires. Au total, 1339 personnes participantes ont formulé des commentaires. Ces données qualitatives ont fait l’objet d’une analyse dans le but de cerner les perceptions des personnes répondantes sur le déroulement de cet exercice et sur l’OA.

Par ailleurs, nous avons réalisé des entretiens réalisés auprès de personnes (N=8) qui ont organisé et animé ces séances de dialogue. Ces entretiens ont porté sur les objectifs des séances de dialogue, leur organisation, leur format et leur déroulement, et sur les défis rencontrés, les conditions les facilitant et l’atteinte, selon leurs perceptions, des objectifs. L’analyse des entretiens nous a permis de comprendre la conception et le déroulement de ces séances, de même que les expériences des personnes qui les animaient. L’analyse des documents et des entretiens retranscrits a été réalisée avec l’aide du logiciel MaxQDA (Kuckartz et Rädiker, 2020), qui permet de découper les extraits pertinents, puis de les regrouper dans des catégories prédéterminées et émergentes au fil de l’analyse.

1. La conception des séances de dialogue

L’idée d’organiser des activités de dialogue au Réseau de santé Horizon a germé dans un contexte où l’obligation de pratiquer une OA de service dans les deux langues officielles devenait source de tension entre les responsables des langues officielles et les employés. Le climat de travail est devenu tendu lorsque les employés ont découvert que de faux patients (clients mystères) vérifiaient si l’offre de service se faisait activement dans les deux langues officielles. Cette mesure a été dénoncée par les employés et a rendu plus difficile le travail des promoteurs de l’OA au sein du Réseau. Cette façon de faire qui rappelait, avec insistance, l’obligation de mettre en pratique l’OA, ne semblait plus appropriée et ne permettait plus de faire progresser la mise en pratique de l’OA. Ses promoteurs faisaient face à une résistance de la part de certains employés qui les percevaient comme une « police de la langue ». En réponse à cette dynamique organisationnelle, la haute direction et les responsables des langues officielles au sein du Réseau de santé Horizon ont décidé de changer leur approche afin de promouvoir une culture organisationnelle de l’offre active. Plutôt que de simplement exiger des employés d’effectuer l’OA, on a exploré l’option de les inciter différemment à la mettre en pratique. Ce changement de culture devait passer par un changement de perception des employés par rapport à l’obligation de pratiquer une OA. Pour y parvenir, la décision fut prise d’organiser des séances de dialogue entre employés, de même qu’entre ces derniers et les animatrices des séances, afin de permettre un échange de points de vue. Les responsables des langues officielles voulaient leur donner la parole, les entendre, puis faire comprendre en retour la raison d’être de l’OA. L’un des objectifs était d’améliorer leur relation avec les employés.

Comme nous l’avons mentionné, les dialogues ont été conçus par des spécialistes dans des situations où les relations entre des groupes sont difficiles. Au départ, l’idée était de recourir à leurs services pour former des personnes qui allaient ensuite assurer l’animation des séances de dialogue auprès des employés. Même si plusieurs employés du Réseau ont pourtant animé ces séances, cette voie s’est avérée à la longue peu fructueuse. La charge de travail préalable de ces employées, converties occasionnellement en animatrice de groupe, venait compliquer cette initiative. Le Réseau de santé Horizon a donc décidé de créer un poste exclusif, consacré à l’animation et à la coordination de ces séances.

1.1. Objectifs des dialogues

L’approche par des dialogues visait à produire un changement de culture à l’égard de l’OA, c’est-à-dire à favoriser des changements sociocomportementaux à long terme, de même qu’à obtenir de meilleurs résultats et à offrir de meilleurs services. Un Guide de l’animation a été créé dans ce but. Les objectifs de cette stratégie y sont présentés :

  1. développer une attitude positive envers l’OA en discutant notamment des forces de l’organisation et des occasions à saisir, tout en permettant de discuter des tensions et des conflits au sujet de l’OA;

  2. faire une place aux émotions en encourageant le partage d’expériences personnelles;

  3. permettre aux employés de faire partie de la solution et les inviter à en proposer;

  4. créer un espace ouvert, transparent, inclusif où les personnes participantes peuvent partager librement et en toute sécurité leurs expériences;

  5. créer des indicateurs de succès en ce qui concerne l’OA;

  6. appuyer le leadership qui se manifeste au sein de l’organisation dans cette stratégie de dialogues (Réseau de santé Horizon, 2017).

Pour souligner le fait qu’il s’agit d’une nouvelle démarche qui se distingue de la précédente, et qui marque une rupture évidente avec l’ancienne approche, on peut lire dans un autre guide d’animation : « There will be NO audits – because staff told us these were really uncomfortable and made them feel like they were being watched to catch them doing something wrong. Executive Leadership Team has endorsed this approach […] (Réseau de santé Horizon, s.d.).  » Ces propos étaient par ailleurs tenus aux personnes participantes au début de chacune des séances de dialogue par les responsables de l’animation.

1.2. Déroulement prévu des séances

Désignées comme des « mentores », les animatrices devaient créer un environnement favorable à la discussion afin d’encourager la conversation en ce qui a trait aux préoccupations et aux hésitations vis-à-vis de l’OA. Chaque séance était principalement composée de quatre (4) activités :

  1. Qu’est-ce que l’OA?

    L’activité Six word story consistait à développer en six mots une représentation mentale de ce qu’est l’OA et à expliquer son importance. S’inspirant de l’histoire attribuée à Ernest Hemmingway (For sale : baby shoes, never worn), cette activité se déroulait en groupe de trois ou quatre personnes. Avant de la débuter, l’animatrice partageait à titre d’exemple l’histoire en six mots qu’elle avait elle-même développée pour l’OA : « Exceptional care. Every person. Every day ». Les personnes participantes étaient ensuite invitées à partager leurs histoires rédigées en six mots, lesquelles étaient affichées au mur.

  2. Appuyer le changement et comprendre des points de vue différents

    Cette activité visait à faire adopter un point de vue différent au moyen d’un jeu de rôle où chacune, chacun, tour à tour, prenait la place du soignant et du patient. Le but était de faire en sorte que les personnes participantes puissent explorer différentes perspectives, dont celles des patients.

  3. Partager nos expériences

    Le cercle socratique était la méthode employée pour stimuler le partage d’expériences personnelles. Deux cercles étaient formés, l’un renfermant l’autre (inner circle et outer circle). Les personnes participantes assises à l’intérieur se prêtaient à la discussion, alors que celles prenant place dans le cercle extérieur gardaient le silence. Les rôles étaient échangés après une période définie.

  4. Trouver des solutions

    En groupe de quatre ou cinq (les employés d’un même département étaient encouragés à accomplir cette activité ensemble), une séance de remue-méninge (brainstorm) était tenue. Les idées et les solutions exprimées étaient destinées à être utilisées pour mettre en place un plan d’action au niveau départemental. En ce qui concerne les suggestions qui s’appliquaient à l’ensemble du réseau, elles étaient quant à elles également prises en considération et ultimement relayées aux responsables des langues officielles.

Avant d’en présenter les résultats, nous mettons toutefois de l’avant, dans la section suivante, les éléments d’analyse obtenus au moyen des entretiens menés auprès des organisatrices et des animatrices de ces séances de dialogue.

2. Le déroulement des séances de dialogues selon les organisatrices et les animatrices

Les animatrices devaient animer la discussion, fournir des informations et recueillir les recommandations pour les transmettre aux responsables des langues officielles du Réseau de santé Horizon. Les animatrices étaient tenues de recevoir une formation de trois jours. La formation s’avérait nécessaire pour atteindre les objectifs, mais aussi pour animer des séances ou diriger des échanges verbaux qui pouvaient se montrer ardus. Une animatrice a précisé que lorsque des personnes participantes exprimaient des frustrations ou des préoccupations, son rôle consistait à les écouter, sans juger ni proposer des solutions.

Les animatrices interviewées ont constaté qu’une partie des personnes participantes faisaient preuve d’une attitude fermée envers l’exercice au début des séances de dialogue, mais lorsque celles-ci réalisaient en quoi consistait la nouvelle approche, elles se montraient plus ouvertes. La manière dont les séances étaient structurées et dont les questions étaient posées invitait les personnes participantes à partager leurs points de vue, mais également leurs expériences et comment elles s’étaient senties dans certaines situations. Ce partage d’informations permettait une compréhension approfondie de la notion de l’OA, et ce, à la lumière de diverses perspectives.

Un des objectifs était néanmoins d’amener les personnes participantes à envisager la situation au-delà de sa dimension linguistique.

This has nothing to do with language and everything to do with people. And when you finally get that perspective and people finally start thinking of it in that way that you’re not dealing with a French person, you’re dealing with a person. [...]. I think a lot of people came away from the sessions seeing that, you know, yes, this is part of patient care. It’s a larger issue than just French versus English.

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De plus, les échanges dans les séances de dialogue pouvaient comporter une composante émotionnelle. Par effet d’empathie, le partage d’expériences aurait contribué à mieux faire comprendre certaines situations.

So hearing those experiences from others and sharing those experiences, you could see the softened view: “OK, all right, it’s not just the laws out there that’s making my life uncomfortable. This has real people, real emotions, real experiences attached to that”.

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Les séances de dialogue ont aussi permis à des participants et à des participantes d’utiliser cet espace de parole pour exprimer leur mécontentement et leurs frustrations à l’égard de l’OA. Malgré le défi que représentaient ces séances particulières, les animatrices devaient s’assurer que ces personnes ne monopolisent pas la parole et de maintenir un espace respectueux où tout le monde peut s’exprimer librement, sans être jugé :

So we had to work to ensure that we have to respect all. We reiterate it and came back to the values and the safe space that this was a safe space for all to express their opinions. And “we’ve heard from your opinions, now we’re going to hear from others”. So we had to work harder. In relation to ensuring the space was safe, […] we were not there to judge or to say you’re wrong. That wasn’t the whole point, and that’s what I think made the sessions work because there was no judgment.

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Les animatrices ont donc déployé des efforts pour maintenir un espace de parole « sécuritaire » afin que chacune, chacun se sente à l’aise de s’exprimer librement et de partager ses expériences, sans avoir à dissimuler son émotion et sans crainte d’être jugé. Selon elles, la formation d’un espace sécuritaire était une condition au succès de cette activité. Le respect des opinions de toutes les personnes participantes était d’ailleurs un principe qui guidait le travail d’animation. Notons qu’un des principaux objectifs des dialogues était de connaître le point de vue des employés.

So we wanted to get their feeling, their feedback, what was working well with regards to active offer, what wasn’t working well and what do you think we should or could do to help? So it was an information seeking project.

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Pour cela, il était essentiel que chaque personne participante se sente à l’aise de s’exprimer, d’où l’insistance du maintien d’un espace de parole sécuritaire. De plus, en encourageant les participants et les participantes à exprimer librement leurs idées à l’égard de l’OA, les animatrices pouvaient accéder aux idées erronées et tenter de les corriger.

We wanted to know their opinions, their thoughts, their ideas. We felt that there was a lot of myths out there and we wanted to debunk those myths. We wanted to set the record straight.

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Par exemple, il était important de faire comprendre que pour mettre en pratique l’OA, l’employé ne doit pas nécessairement être bilingue.

Nous avons diffusé un message qui recadrait la pratique de l’OA : accueillir avec Hello/Bonjour démontre simplement une offre de service bilingue, qui n’exige pas de parler en français, mais seulement de rechercher le soutien nécessaire et en aviser le bénéficiaire.

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À la question de savoir si les séances de dialogue ont favorisé la mise en place d’une culture organisationnelle entourant l’offre active au sein du Réseau de santé Horizon, une organisatrice de ces séances soutient qu’un tel objectif s’apparente à un horizon lointain. Les animatrices ne croient pas que les dialogues aient permis de changer les perceptions de toutes les personnes participantes, bien qu’elles aient pu constater que certaines d’entre elles parvenaient à mieux comprendre l’OA. Les animatrices sont aussi conscientes que des employés demeurent résistants à l’OA, même après avoir participé à une séance de dialogue. Toutefois, cette activité a pu contribuer à un changement de culture organisationnelle favorable à l’OA.

Un autre objectif des séances de dialogue était d’établir sur une autre base la relation entre l’équipe qui fait la promotion de l’OA et les employés qui doivent la pratiquer. En créant un espace qui se voulait sécuritaire, au sens où les employés pouvaient s’exprimer sans subir de reproches, on a permis à la communication de se rétablir, et aux relations entre ceux-ci et les promoteurs de l’OA de s’améliorer.

Une fois que les gens ont la chance de se vider le coeur, après ça, on peut un peu expliquer notre vision, notre perspective, puis notre approche qui n’est pas nécessairement comme les gens la perçoivent, comme la police. On n’est pas « the language police ».

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Les commentaires écrits des personnes participantes lors de l’évaluation de cette activité nous permettent d’accéder à leurs réactions immédiates et d’observer par le fait même les effets qu’ont pu engendrer les dialogues sur leurs perceptions à l’égard de l’OA. La section qui suit met l’accent sur ces commentaires.

3. La perspective des personnes participantes

3.1. Les aspects positifs du processus

L’approche des dialogues a surpris positivement plusieurs personnes participantes qui n’étaient pas habituées à être consultées. Le changement d’approche quant à la promotion de l’OA, la valorisation et le respect de perspectives différentes et le fait de faciliter les interactions ont été appréciés par plusieurs. L’objectif de créer un espace de parole sécuritaire afin de rendre les personnes participantes à l’aise de s’exprimer semble également avoir été atteint. Certaines personnes ont jugé favorable le caractère moins autoritaire de cette approche, qui est contraire à celle mise de l’avant dans le passé, et ont estimé qu’elle encourageait la discussion au lieu d’alimenter la crainte et le ressentiment. La décision d’abandonner les vérifications à l’improviste a été unanimement appréciée, et la crainte de subir un contrôle, atténuée.

Si la possibilité de s’exprimer a été soulignée positivement, celle d’entendre les autres points de vue l’a été également. L’importance accordée aux interactions a donc été jugée appropriée par plusieurs personnes participantes.

3.2. Les aspects négatifs du processus

Comme nous l’avons vu précédemment, la liberté de s’exprimer a également été l’occasion pour certaines personnes participantes de ventiler leurs frustrations. Certaines séances ont donné lieu à des discussions acrimonieuses à propos de l’OA, ce qui a amené les animatrices à resserrer davantage le déroulement de ces échanges afin de permettre l’expression de points de vue plus équilibrés. D’autres personnes participantes ont aussi déploré le fait que lors des séances, il n’était pas possible de discuter de certains aspects de l’OA qu’elles jugeaient problématiques.

Des personnes participantes ont souligné l’inconfort ressenti lors du jeu de rôle qui exigeait de se mettre à la place d’une personne en train de pratiquer l’OA. Cet embarras venait parfois d’un désaccord avec le principe même de l’OA. Qui plus est, nous remarquons qu’un certain scepticisme se dégage sur l’utilité des séances de dialogue et de leur efficacité en termes de changements concrets.

3.3. Perceptions de l’OA en fin de séances

Révélant une certaine incompréhension des objectifs des séances de dialogue et peut-être parce qu’elles étaient habituées à des séances de nature informative et formative, des personnes participantes ont mentionné qu’elles n’avaient pas obtenu de nouvelles informations sur l’OA. Certains répondants et répondantes se sont posé la question sur la pertinence de ces séances pour des personnes qui, comme elles, n’éprouvent pas de difficulté avec l’OA.

Pour d’autres, les discussions et les jeux de rôle semblent les avoir aidés à mieux comprendre ce qu’est l’OA. Pour certaines personnes, le fait d’adopter d’autres perspectives, comme celle d’un patient francophone, a joué un rôle positif envers l’OA. D’autres personnes participantes mentionnent le rôle positif que semble avoir joué le partage de témoignages personnels pour mieux faire comprendre l’importance de l’OA.

Many valued opinions, information provided and that was new to me, able to expand on each other’s views.

They provided stories to make it more meaningful of why we need bilingual services.

Par ailleurs, lorsque nous examinons les commentaires émis à propos de l’OA, nous constatons que ce principe rencontre toujours une résistance chez plusieurs, et ce, même après leur participation à la séance. Plusieurs excluent ou n’accordent que peu d’importance à l’intégration de la langue de choix du patient, de la patiente dans la qualité des soins offerts. 

We should respect and care before we focus on just language.

Manifestement, pour plusieurs personnes participantes, il importe de reconnaître les qualifications professionnelles d’abord, et les capacités langagières francophones par la suite. À plusieurs reprises, ces dernières font valoir l’importance des compétences détenues par les infirmières qui possèdent de l’ancienneté et de l’expérience.

It’s all about medical experience and skills. Language will never save a life.

Sur le plan des ressources financières allouées à la mise en oeuvre de l’OA, les propos deviennent particulièrement critiques. Les préoccupations quant à l’attribution des fonds pour l’OA se font parfois vives. Plusieurs personnes participantes voient les efforts et les ressources pour promouvoir l’OA comme un gaspillage d’argent.

I don’t disagree with the AO but with the $$$ wasted on this topic.

Des personnes participantes critiquent l’application uniforme de la LLO à toutes les régions néo-brunswickoises sans tenir compte des réalités linguistiques démographiques.

Apply this as a blanket policy to all areas of Horizon will most likely result in pushback from various areas as each area has varying exposure to the public hanging down to zero exposure, therefore the active offer has no use.

De plus, certaines personnes participantes considèrent que l’OA a pris de l’ampleur pour des raisons politiques qui ont peu à voir avec la pratique sur le terrain.

Tell the government to worry more about health care instead of language. You have smart personnel working for you, language is only a government issue.

Feels Active Offer is just to be politically correct blown out of proportion by politics.

L’obligation de pratiquer l’OA est devenue une source de tension qui ne permet plus, selon certains, de tenir compte du « bon sens » des employés.

I think AO has created negativity. Unfortunately, it seems that we are not trusted to have common sense to speak/seek out their preferred language as needed.

Teamwork is stressed when issues are contentious – Eng vs. French.

En ce qui concerne l’OA, certains employés souhaitent que l’on fasse appel à leurs connaissances et à leurs expériences. Les exercices de dialogue ont en effet mis à découvert un désir d’engagement de la part des employés dans leur compréhension des enjeux que représente l’OA et l’élaboration de pistes de solution qui répondent mieux à leurs réalités, d’après leur évaluation des besoins et des ressources disponibles.

3.4. Bilinguisme, confusion, insécurité d’emploi et discrimination

Les conséquences des exigences liées au bilinguisme sur les pratiques d’embauche et les critères de promotion expliqueraient l’animosité entourant le choix de la langue de service. Plusieurs commentaires témoignent de la persistance d’une perception selon laquelle les exigences du bilinguisme pour des postes compromettent l’avancement professionnel des employés. L’affichage des postes bilingues provoque une insécurité d’emploi, vécue par plusieurs personnes participantes unilingues comme une forme d’injustice. L’impression selon laquelle l’expérience et l’ancienneté professionnelles sont supplantées par l’exigence du bilinguisme dans les postes bilingues s’accompagne de tensions linguistiques.

I don’t mind saying Hello/Bonjour. What I don’t appreciate is that all the jobs are going to bilingual candidates, and this is where the animosity lies.

I strongly feel casual employees that are not being able to apply for jobs that are posted bilingual and going year after year without ever becoming part time or full-time employees is strongly unfair. These people went to school just like French people! This needs to change!

L’insécurité d’emploi préoccupe certaines personnes participantes, dont une en particulier, qui, par ses propos, exprime bien la perception voulant que les exigences de l’OA viennent contrecarrer les ambitions relatives à l’avancement professionnel :

Need to find a way to separate the concept of offering language of choice to patients from bilingual requirements in hiring. Staff are frustrated with job security and they relate it to Active Offer.

De nombreux commentaires dénoncent ce qu’elles perçoivent comme une forme de discrimination linguistique à l’endroit des anglophones unilingues au sein du Réseau de santé Horizon, ce qui contribue à alimenter du ressentiment.

Horizon discriminates against unilingual English staff as you can’t change jobs based on knowledge or experience due to French requirements.

La perception selon laquelle les exigences de bilinguisme pour certains postes constituent un obstacle à l’avancement professionnel engendre un sentiment d’injustice pour les employés unilingues, et les séances de dialogue ne semblent pas avoir réussi à l’éliminer.

3.5. Insécurité linguistique

Certaines personnes participantes unilingues ont partagé leur crainte de devoir interagir avec des interlocuteurs et interlocutrices francophones sur les lieux de travail.

Many staff note that there are a lot of people not making eye contact with the members of the public wandering around the hospital for fear they will be caught in the situation of not being able to speak the language of that person’s choice. So staff now avoid people. Others say they will not answer a phone for fear they will be put in that position as well.

Cette crainte est liée à une certaine forme d’insécurité linguistique, alors que les employés se sentent obligés d’utiliser une langue qu’ils ne maîtrisent, voire ne connaissent pas.

I panic when the client requires French and I can’t speak it.

I believe anxiety surrounding not speaking French makes staff not as comfortable with the Active Offer.

Un sentiment d’infériorité paraît aussi caractériser un état d’esprit partagé par certaines personnes interrogées en raison d’une connaissance ou d’une maîtrise insuffisante de la langue française.

We are made to feel inadequate if we can’t speak French.

Chez plusieurs personnes participantes unilingues anglophones, l’exigence de faire l’OA engendre des craintes et un sentiment d’être inadéquat pour faire l’OA. Ces sentiments peuvent s’accompagner d’un sentiment d’injustice contribuant à un climat de travail tendu autour de l’OA. L’un des intérêts des dialogues pour les responsables des langues officielles est d’avoir pu prendre connaissance des perceptions et des sentiments de ces groupes d’employés à l’égard de l’OA. Un autre intérêt est de les avoir incités à proposer des solutions, comme nous allons le voir dans la prochaine section.

3.6. Pistes de solutions et suggestions partagées par les personnes participantes

Une partie des séances de dialogue était consacrée à la formulation de solutions et de partage de suggestions pour favoriser l’OA de service dans les deux langues officielles, dont un nombre important a été suggéré. Voici les principales idées qui ont été exprimées.

3.6.1. Formation de français

De l’ensemble des suggestions apportées lors des séances, ressort la demande d’avoir la possibilité de suivre des cours de français. Des cours dont le lexique cible spécifiquement le vocabulaire du domaine médical sont par ailleurs réclamés. Il semble en effet que certaines personnes, bien qu’elles soient en mesure de communiquer en français, rencontrent des difficultés à recourir à la terminologie médicale dans cette langue.

Afin de soutenir l’apprentissage de la langue, des personnes participantes proposent de mettre en oeuvre des pratiques conversationnelles sur les lieux du travail. Selon plusieurs, la pratique régulière du français est essentielle au maintien des connaissances langagières de la langue seconde.

3.6.2. Traduction et plurilinguisme

L’usage de nouvelles technologies de traduction pour surmonter la barrière de la langue constitue une autre piste de solution abondamment mentionnée. L’accès à une ligne téléphonique qui offre un service de traduction est également proposé par plusieurs[3]. Plusieurs personnes participantes croient qu’avec ce type de service, les anglophones unilingues ne seraient plus empêchés d’obtenir des postes auxquels ils n’ont pas accès en raison de leurs compétences linguistiques non satisfaisantes en français. Ce type d’outil et de service réduirait la crainte du personnel unilingue de ne pouvoir gravir les échelons professionnels au sein du Réseau.

You need more translator within the facility. This will allow experienced people and skills to continue to move on into positions they’re currently restricted from due to language and doesn’t allow them growth.

Rather than trying to make all staff bilingual, have a translation department responsible for translating for all departments. Much more cost effective.

Par ailleurs, plusieurs participants voient dans la communication d’une liste de personnes-ressources une mesure pour soutenir l’OA. Cette liste comprendrait le nom des employés de chaque département parlant le français — et d’autres langues — et serait mise à jour quotidiennement. Certains participants et certaines participantes proposent de créer une liste de personnes qui peuvent être aussi contactées « en urgence », advenant l’impossibilité de trouver dans l’immédiat une personne bilingue ou francophone.

En matière de ressources, les employés bilingues sont assurément indispensables. Cependant, des personnes participantes ont réalisé que la charge de travail des employés bilingues augmente lorsque les collègues leur demandent de l’aide pour traduire.

We are really struggling for French-speaking resources. Having someone designated to help unilingual staff so we don’t feel we are bothering our bilingual staff would help me feel more comfortable in providing excellent care.

L’alourdissement de la charge de travail à laquelle les employés bilingues sont exposés en raison de leur connaissance du français demeure une préoccupation. Par conséquent, des personnes participantes proposent d’appuyer également les employés bilingues.

Plusieurs personnes participantes ont dit souhaiter qu’un plan de contingence et des outils soient spécifiquement élaborés et mis en oeuvre pour faire face aux situations où personne n’est disponible pour offrir les services en français.

Before implementing process should have the necessary tools to incorporate into contingency plan. Why is it up to me to travel around the hospital and inquire with people and don’t know if they have any French personnel that I could list on my plan?

Plusieurs personnes participantes souhaitent la mise en place de services voués à aider le personnel de santé unilingue à pratiquer l’OA. La forme que prendrait ce type de service reste à préciser, et sa faisabilité à évaluer, mais on peut comprendre qu’aux yeux des répondants et des répondantes, son principal avantage serait de simplifier la manière de pratiquer l’OA. Les employés unilingues pourraient se tourner rapidement vers ce service face à une patiente, un patient qui choisit le service en français.

3.6.3. Favoriser un meilleur encadrement

Il est également suggéré de mieux appuyer moralement les employés. On demande de ne pas supposer automatiquement que le personnel est fautif si un problème est signalé. Ce type de remarque, assez fréquente, montre que les employés ne comprennent pas qu’on leur reproche certains manquements à l’égard de l’OA. Plusieurs personnes participantes souhaitent plutôt une approche qui mise sur le renforcement positif, que ce soit pour encourager l’apprentissage de la langue française ou pour souligner les efforts déployés pour l’intégration de l’OA dans la pratique professionnelle.

Plusieurs membres du personnel souhaitent de même que les bonnes pratiques déjà intégrées soient reconnues. De nombreux commentaires font état d’un désir chez les employés d’être davantage soutenus et reconnus dans leur travail, rompant ainsi avec une approche punitive où l’on réprimande les employés s’ils ne pratiquent pas l’OA.

3.7. Les suites des dialogues

De nombreuses personnes participantes ont souligné le fait que les séances de dialogue ont fourni l’occasion de présenter plusieurs solutions prometteuses et demandent que les idées exprimées lors de ces exercices mènent à des actions et à des changements concrets. Ces séances ont ainsi suscité des attentes concernant les préoccupations (à prendre en compte) ou les suggestions (à retenir) qui ont été exprimées.

I hope that in having all horizon employees take this session that management + government listens to front line workers concerns and puts some suggestions into action!

Certaines personnes souhaitent connaître les actions qui découleront de ces suggestions. Aussi, est-il demandé à quelques reprises que des résultats tangibles résultent de ces séances de discussion dans lesquelles des suggestions étaient faites, de manière à pouvoir suivre l’avancement des actions et des changements mis en oeuvre.

Des personnes participantes recommandent de poursuivre cette entreprise de communication et de partage des idées. La fréquence des verbes « continue to », « keep engaging » et « keep listening » est élevée. Le désir de prendre part aux solutions concernant l’OA est d’ailleurs souvent exprimé. Le personnel soignant estime être le mieux placé pour apporter des réponses au problème de l’OA.

3.8. Les séances de dialogue : un bilan 

Ces derniers extraits expriment justement l’appréciation faite par les personnes participantes du fait qu’on leur donne la parole et qu’on les écoute. Cette approche, que plusieurs souhaitent voir perdurer, fait place au savoir-faire des employés qui doivent mettre en pratique l’OA, et ces derniers souhaitent que la direction s’en remette à leur jugement quand vient le temps de se conformer à cette exigence légale. Cela montre que les dialogues ont généré des attentes chez des employés.

Plusieurs personnes participantes ont exprimé le besoin d’être mieux soutenues et mieux reconnues dans leur mise en pratique de l’OA. On apprécie cette nouvelle approche plus collaborative, fondée sur une stratégie dialogique, dans laquelle les employés font partie de la solution. Ainsi, il ne s’agirait plus de pointer du doigt des employés, mais de reporter la responsabilité de l’OA sur l’ensemble de l’établissement qui se doit de les outiller pour la mettre en pratique.

Même si les dialogues ont réussi à mieux faire comprendre l’OA à un certain nombre de personnes participantes, une proportion d’employés unilingues demeure mal à l’aise de la mettre en pratique, car ils se sentent dépourvus face à des patients, des patientes qui choisissent de communiquer en français. Il est possible que cela reflète une incompréhension persistante de l’OA. Cependant, les animatrices ont rappelé, lors des séances, que l’OA peut se pratiquer tout autant par les employés anglophones unilingues. L’OA peut se faire en employant une ou deux phrases en français. Par exemple, après avoir fait l’accueil en disant « Hello/Bonjour », si le patient continue en français, il suffit de lui dire « un moment s’il vous plaît », le temps d’aller chercher un collègue en mesure de s’exprimer en français. Toutefois, il est aussi possible que ce malaise à faire l’OA reflète une difficulté, dans les faits, de recourir à des collègues bilingues, parce que ces derniers sont surchargés ou sont indisponibles. Les employés peuvent être mal à l’aise de les déranger dans leur travail.

On constate aussi que plusieurs employés continuent de résister à l’offre active et remettent en question la manière de l’exécuter. Des commentaires laissent transparaître du ressentiment ou de la frustration, car l’OA demeure associée à une exigence de bilinguisme pour certains postes; un critère qui, d’après eux, limite les possibilités d’avancement professionnel.

Conclusion

Les séances de dialogue ont pris fin au printemps 2020, et ce, même si plusieurs personnes participantes y voyaient des avantages, notamment de pouvoir partager leurs points de vue et leurs expériences. Plusieurs d’entre elles auraient d’ailleurs souhaité qu’elles se poursuivent. Elles auront permis à environ le tiers du personnel du Réseau de santé Horizon d’exprimer leurs idées et de partager leur expérience concernant l’OA. Il s’agissait par ailleurs d’un des objectifs principaux de ces séances, c’est-à-dire recueillir les perceptions des employés à l’égard de l’OA. Ainsi, les responsables des langues officielles ont pu constater, par exemple, jusqu’à quel point les employés pouvaient se faire des idées erronées sur l’OA et sur la manière de la pratiquer, occasionnant alors des réserves, voire une fervente opposition à son égard. Dans le cadre de ces activités de dialogue, il était possible de réfuter ces idées et de mieux faire comprendre l’OA, la manière de la pratiquer et son importance. L’analyse du déroulement des dialogues et des évaluations qui en a été faite a permis aux responsables des langues officielles et aux dirigeants du Réseau de santé Horizon d’implanter de nouvelles mesures pour la mettre en pratique. Par exemple, on semble avoir compris l’importance d’établir une relation engageante avec le personnel avant que des situations problématiques se produisent. En effet, depuis les activités de dialogue, on demande aux promoteurs de l’OA de créer d’abord un lien qui se veut avenant avec les employés, plutôt que d’établir des rapports autoritaires qui les font passer pour la « police de la langue ».

Le fait de créer un espace sécuritaire où les employés pouvaient s’exprimer librement, sans crainte d’être jugés, a certes été apprécié de ceux-ci. En les questionnant, d’une part, sur ce qui achoppait dans l’OA, il a été possible de prendre connaissance des obstacles rencontrés, tant ceux qui relevaient de l’environnement de travail que ceux se rattachant à certaines perceptions. En invitant, d’autre part, le personnel à proposer des solutions, les responsables des langues officielles ont pu non seulement bénéficier des idées de mesures concrètes, mais ont favorisé l’adoption d’une attitude positive à l’égard de l’OA. C’était d’ailleurs un des objectifs du jeu de rôle dans lequel les personnes participantes devaient se mettre à la place d’un professionnel de santé face à une patiente, un patient francophone et vice versa. Cet exercice incitait ainsi les personnes participantes à mieux comprendre les raisons de mettre en pratique l’OA et à développer une perspective favorable à son endroit.

La décision de mettre fin aux séances de dialogue s’éloigne toutefois de la volonté de l’organisation d’adopter une approche de gestion plus horizontale qui engage les employés dans la recherche de solutions. Ces derniers n’ont pas été informés des suivis qui ont été effectués à la suite des exercices de dialogue, ce qui a pu en décevoir certains qui appréciaient le fait que leurs connaissances et leurs expériences du terrain soient reconnues. Plusieurs chercheurs mentionnent l’importance des mécanismes de suivi, afin de tenir compte de l’avancement du processus décisionnel, mais également pour informer, voire engager les personnes participantes vis-à-vis des résultats (outputs) découlant de tels exercices démocratiques (Rowe et Frewer, 2004).

Les données montrent qu’il y a encore une proportion d’employés unilingues qui éprouvent du ressentiment à l’égard de l’OA, craignant que les exigences linguistiques reliées à certains postes les limitent dans leur avancement professionnel. Jugeant la charge de travail associée à l’OA trop lourde dans les conditions actuelles, ils proposent des solutions qui consistent à implanter des services d’appui (une équipe mobile ou un service de traduction, par exemple) qui les aideraient à pratiquer l’OA. Ils tentent ainsi de redéfinir les règles du jeu entourant l’OA à leur avantage, de sorte que leur unilinguisme ne serait plus un obstacle à leur avancement professionnel. Une proportion de personnes participantes sépare par ailleurs les compétences techniques des compétences linguistiques, souhaitant que ce soient ces premières qui soient d’abord reconnues. Selon elles, leurs compétences linguistiques insuffisantes en français ne devraient pas compromettre leur avancement professionnel.

Ces constats rejoignent ceux qu’avait faits Vézina (2017), qui relevait une certaine confusion entre l’OA et le bilinguisme. Alors que les employés unilingues doivent aussi sentir qu’ils contribuent à l’effort collectif pour pratiquer l’OA, Vézina avait observé que ces derniers ne se sentaient pas à l’aise de la pratiquer parce que la formule Hello/Bonjour envoie, selon eux, un faux message aux patients francophones. Ainsi, « l’accent mis sur le bilinguisme est souvent perçu par les personnes unilingues comme une menace à l’équilibre des forces au sein du système entraînant, le plus souvent, de la résistance envers toute mesure favorable à l’offre active » (Vézina, 2017, p. 255). Quelques années plus tard, nos analyses montrent que l’exercice des dialogues n’a pas suffi à modifier ce sentiment d’inconfort de la part du personnel unilingue.

Selon Killian (2008), les études sur le changement organisationnel soulignent généralement l’apport des changements dans les structures et les procédures, alors qu’elles ignorent l’importance de la culture organisationnelle en tant que catalyseur de changement à long terme, incluant les pratiques de gestion et d’élaboration de politiques publiques. Si la prise en compte de la culture dans la conduite des changements organisationnels est souhaitée, cette dimension organisationnelle demeure complexe. Comme le souligne Killian, elle comporte une charge émotionnelle et une dimension symbolique qui renvoient à des schémas de croyance et des perceptions partagées par les membres d’une organisation. Elle incorpore une mémoire qui donne un sentiment de continuité dans l’organisation, tout en étant sujette à des transformations. Ce qui importe de retenir, c’est que la culture organisationnelle peut être porteuse ou inhibitrice de changement.

L’exercice du dialogue constitue une parenthèse de 18 mois dans l’histoire du Réseau de santé Horizon. Nous pouvons nous questionner sur la portée réelle de cet exercice. Est-ce que, pour un membre du personnel, une seule séance de dialogue peut suffire à stimuler un changement d’attitude favorable à l’OA? Nous sommes d’avis que le maintien de l’exercice, notamment pour les nouveaux employés, aurait plus de chance de produire des résultats durables et développer une culture organisationnelle de l’OA.

Il faut cependant rappeler que cet exercice a eu lieu dans une organisation qui propose plusieurs autres activités pour sensibiliser les employés à l’OA et parfaire leurs compétences en français (formation linguistique, activités de socialisation, etc.), qui met en place des outils pour communiquer en français (guides, textes avec phrases clés, conseils divers, etc.), et qui prévoit, dans sa planification départementale en matière de ressources humaines, l’embauche d’un personnel bilingue pouvant soutenir des employés unilingues.

Il serait par ailleurs pertinent d’analyser les effets à plus long terme de cet exercice de dialogue ainsi que les effets qu’a pu engendrer l’interruption de cet exercice, au regard des attentes qu’il a pu susciter. Le Réseau de santé Horizon a toutefois récemment développé une activité de formation sur l’OA destinée aux gestionnaires, à partir, entre autres, des informations recueillies lors des séances de dialogue; une initiative qui serait également intéressante à étudier afin de pouvoir identifier ses effets à venir. Nous croyons que l’offre active verra ses chances de véritablement faire partie de la culture organisationnelle lorsqu’une série de mesures, voire une stratégie globale, seront mises en oeuvre dans toute l’organisation.