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Introduction

Plusieurs initiatives gouvernementales visent à tirer profit des technologies de l’information et de la communication pour soutenir le déploiement de services de santé numériques afin d’améliorer la prestation de soins de santé et de réduire les inégalités d’accès aux soins au Canada (Inforoute Santé Canada, 2018; Association médicale canadienne, 2019). Dans ce contexte se développent divers services reposant sur des technologies telles que la télémédecine, la télésanté ou la santé mobile en utilisant des applications mobiles de télésuivi ou des objets connectés (Labrique et al., 2018). Le développement de ces technologies de santé ouvre de nombreuses opportunités tant pour les patients, leurs familles que pour les professionnels de la santé et apparaissent comme étant des solutions à plusieurs défis que doit relever notre système de santé, par exemple la hausse de la prévalence des maladies chroniques ou encore le vieillissement de la population. Cependant, de nombreuses chercheuses et de nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales soulignent le décalage qui existe entre le développement de ces technologies et leur réelle intégration dans l’offre de soins (Gaglio et Mathieu-Fritz, 2018; Shaw et al., 2018). Il est reconnu que les technologies numériques de santé peuvent générer de nouvelles inégalités sociales de santé qui dépendent plus de facteurs sociaux qu’individuels (Mayère, 2017; Weiss et al., 2018). Par ailleurs, l’enthousiasme technodéterministe dominant en faveur de ces technologies tend à reléguer au second plan une réelle prise en compte des dimensions sociales et culturelles dans leur conception et développement (Lupton, 2014; Pols, 2012). Une technologie numérique de santé refusée par une partie de la population, abandonnée ou contestée par une autre, pointe une réalité courante dans le domaine des innovations technologiques, celle de leur accessibilité et acceptabilité (Terrade et al., 2009; Greenhalgh et al., 2010; Gupta et al., 2011).

Aborder la question de l’accessibilité et de l’acceptabilité de ces technologies, c’est aussi prendre en compte leurs contextes d’usage afin de comprendre leur intégration dans le monde social et culturel des utilisateurs (Mayère, 2018). Or, à l’heure actuelle, il existe peu d’information sur l’utilisation que font les francophones en situation minoritaire de services de santé numériques (Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario, 2020). Les usages de ces technologies tant par les patientes et les patients que par les professionnels de la santé nécessitent d’être mieux documentés afin de comprendre la manière dont les personnes s’approprient et utilisent ces technologies pour accéder à des soins ou prendre en charge leur maladie à la maison (del Rio Carral et al., 2017; Grosjean et al., 2020). L’objectif de cet article est donc de débuter ce travail de documentation des usages des technologies numériques de santé par les francophones de l’Ontario.

1. Santé numérique et soins virtuels : des défis pour les francophones vivant en milieu minoritaire

Dans le cadre du développement de la télésanté, de nombreuses agences gouvernementales utilisent les termes « santé numérique[1] » ou « soins virtuels » pour parler de l’usage des technologies de santé dans l’offre de prestation de soins. C’est le terme « soins virtuels » qui a été adopté par la province de l’Ontario pour parler des services de santé offerts par l’utilisation de technologies de santé. Dans le cadre de cet article, nous allons donc privilégier l’usage du terme soins virtuels qui renvoie à

toute interaction entre les patients et/ou les membres de leur cercle de soins, se produisant à distance, en utilisant toutes formes de technologies de communication ou d’information, dans le but de faciliter ou de maximiser la qualité et l’efficacité des soins aux patients[2].

Cette définition est intéressante, car elle met l’accent sur les interactions – synchrones ou asynchrones – qui sont rendues possibles à distance entre un patient et un prestataire de soins ou entre les prestataires de soins eux-mêmes (Jamieson et al., 2021; Shaw et al., 2018).

1.1 Les « soins virtuels » et la stratégie de l’Ontario

C’est en 2019 que l’Ontario fait l’annonce de sa stratégie « Priorité au numérique pour la santé » (Gouvernement de l’Ontario, 2019) dans l’objectif de moderniser son système de santé et de soutenir une approche centrée sur le patient. Cette stratégie s’articule autour de cinq objectifs fondamentaux : 1) offrir plus d’options de soins virtuels et tirer les avantages de différentes technologies de santé, 2) offrir un meilleur accès à la prise de rendez-vous en ligne, 3) améliorer l’accès aux données pour les patients (dossier de santé sécurisé), 4) offrir des outils performants et interreliés pour les prestataires de soins primaires et 5) développer l’usage de données en santé pour soutenir l’analyse prédictive. Dans ce contexte, la pandémie de COVID-19 a été un accélérateur au déploiement d’une gamme variée d’outils numériques en Ontario comme ailleurs pour soutenir l’offre de soins virtuels à l’échelle de la province. L’objectif affiché de la province est alors d’offrir des « modèles de soins virtuels novateurs » (Gouvernement du Canada, 2022) visant à améliorer l’accès aux soins et l’expérience des patients.

En mars 2022, l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) produisait un rapport décrivant les tendances à l’accès aux soins virtuels dans cinq provinces, dont l’Ontario. Le constat : les patients ont été plus nombreux à recevoir des soins virtuels. En Ontario, 35 % des 18-64 ans et 25 % des 65 ans et plus ont eu accès à des services de santé sous forme virtuelle entre avril 2020 et mars 2021 (ICIS, 2022). L’Ontario compte la plus importante communauté francophone[3] minoritaire au Canada, et le RSSFE soulignait en 2021 qu’aucune cible ou exigence en matière de services de soins virtuels en français pour la communauté francophone n’était mentionnée dans la stratégie de l’Ontario (RSSFE, Mémoire sur la santé numérique en français en Ontario, 2021). Ce constat est inquiétant, car le déploiement de ce nouveau mode de prestation de soins va en s’accélérant, sans réelle évaluation des besoins des francophones vivant en contexte minoritaire. Mais alors, qu’en est-il des besoins de la population francophone et de son accès à des services de soins virtuels, en français?

1.2 Des défis pour les communautés francophones minoritaires à ne pas négliger

Au Canada, un rapport publié en 2017 par le Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO) souligne des nuances dans les usages de technologies de santé chez les Canadiens et les Canadiennes : « Les Canadiens qui utilisent des applications mobiles ou des objets connectés pour suivre leur santé ou leur bien-être sont généralement de jeunes adultes (41 %), employés (59 %), diplômés universitaires (55 %) […] et en bonne santé » (Paré et al., 2017, p. 6). Par ailleurs, les Canadiennes et les Canadiens ayant un statut de santé autoévalué comme « pauvre » et/ou ceux ayant une ou plusieurs maladies chroniques sont moins susceptibles de suivre leur santé en utilisant un appareil intelligent, comme une application mobile (Paré et al., 2017). Les études menées sur les inégalités sociales de santé des francophones vivant en milieu minoritaire au Canada montrent que cette population se déclare en moins bonne santé et est plus touchée par les maladies chroniques (Bouchard et al., 2009), ce qui pose la question du risque de fracture numérique et de non-usage des technologies de santé par cette population.

Les soins virtuels devraient permettre aux patients francophones de la province de l’Ontario d’obtenir des services de santé dans la langue de leur choix, qu’ils vivent en milieu rural, en région éloignée ou en zone urbaine (OTN, 2023). Or, bien que les soins virtuels aient le potentiel d’accroître l’accès aux soins médicaux et de santé, ils peuvent également exacerber les inégalités d’accès aux soins (VCTF, 2022). Il est donc nécessaire d’avoir, comme le mentionnait déjà en 2018 le Commissariat aux services en français de l’Ontario, une stratégie de développement des soins virtuels qui tienne compte des différences culturelles et linguistiques des collectivités francophones. D’ailleurs, une des recommandations du Commissariat aux services en français de l’Ontario (2018) était d’encourager la mise en oeuvre d’une stratégie de développement des soins virtuels qui tienne compte des différences culturelles et linguistiques des collectivités francophones. Par conséquent, une meilleure compréhension des déterminants sociaux et culturels de l’appropriation de ces technologies s’avère nécessaire.

De plus, avoir une meilleure compréhension des déterminants sociaux et culturels de l’appropriation de ces technologies par les francophones vivant en milieu minoritaire est essentiel pour guider et encadrer le développement de ce type d’offre de services et encadrer le développement de technologies de santé qui répondent aux besoins de la communauté francophone vivant en milieu minoritaire. Par conséquent, les conditions d’usages et d’acceptabilité des technologies numériques de santé pour soutenir l’offre de soins virtuels en Ontario se doivent d’être mieux documentées et comprises.

2. Méthodologie

2.1 Objectif du projet et échantillon

Nous allons présenter une étude[4] réalisée en 2021-2022 et qui s’attache à répondre à la question de recherche suivante : quels usages des technologies numériques de santé sont jugés accessibles et acceptables par les francophones de l’Ontario? Cette étude a été réalisée auprès de la population francophone ontarienne. Les critères d’inclusion étaient les suivants : a) être une personne francophone, être âgé(e) de 18 ans ou plus, et c) être résident(e) de la province de l’Ontario au Canada. Nous avons utilisé la nouvelle définition inclusive du terme « francophone » selon laquelle les francophones sont les « personnes pour lesquelles la langue maternelle est le français, de même que les personnes pour lesquelles la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, mais qui ont une bonne connaissance du français comme langue officielle et qui utilisent le français à la maison » (Ministère des Affaires francophones). Le recrutement s’est fait par une campagne de diffusion sur les réseaux sociaux (Twitter et Facebook) et les médias (Radio-Canada) ainsi que des courriels ciblés envoyés aux réseaux des centres de santé francophones en Ontario ou associations francophones de l’Ontario.

2.2 Méthode de collecte de données

Nous avons mené une enquête en ligne en deux parties auprès d’un échantillon de francophones vivant en Ontario : a) un questionnaire comprenant une série d’énoncés visant à connaître l’opinion des personnes répondantes sur trois technologies de santé et b) une enquête narrative reposant sur la méthode du récit à achever – Story Completion Method (Lupton, 2020; 2021). Le questionnaire comprenait trois sections : a) une première section visant à mesurer les usages actuels des technologies par les ’personnes répondantes, b) une deuxième section évaluant l’opinion des personnes répondantes sur trois technologies numériques de santé, et c) une dernière section collectant des données sociodémographiques. Dans la deuxième section, trois technologies soutenant une offre de soins virtuels (téléconsultation, télésoins à domicile, applications mobiles de santé) étaient évaluées sur une échelle de Likert selon cinq dimensions mesurant le niveau d’accessibilité et d’acceptabilité de ces technologies. Les cinq dimensions utilisées pour construire le questionnaire (tableau 1) sont tirées de travaux menés sur la notion d’acceptabilité et représentent une synthèse des dimensions prises en compte dans différents travaux définissant la notion d’acceptabilité (Bobillier Chaumon, 2016; Nielsen, 1994; Terrade et al., 2009; Venkatesh et al., 2012; Torbjørnsen et al., 2019; Koelle et al., 2020).

En résumé, le questionnaire utilisé comportait un total de 88 questions et énoncés. Dans ce nombre étaient inclus : 1 question d’admissibilité, 5 questions à choix multiples concernant l’usage actuel de technologies de santé par les personnes répondantes et 70 énoncés à échelle Likert de concordances divisées selon l’utilité perçue, la facilité d’utilisation, le degré d’intégration, les risques perçus, la valeur sociale et la valeur éthique, comme mentionné dans le Tableau 1. Une valeur plus élevée correspond à un plus grand accord (1 – Pas du tout d’accord; 2 – Plutôt pas d’accord; 3 – Ni d’accord, ni pas d’accord; 4 – Plutôt d’accord; 5 – Tout à fait d’accord). Par la suite, 3 histoires à compléter ont été incluses, pour terminer avec 10 questions démographiques.

Tableau 1

Dimensions utilisées pour chaque technologie et exemples d’énoncés

Dimensions utilisées pour chaque technologie et exemples d’énoncés

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L’enquête narrative était construite selon la méthode du récit à achever (Lupton, 2020). C’est une forme d’enquête narrative en ligne visant à susciter des mises en récit dans des situations hypothétiques (Braun et al., 2019). L’objectif de cette méthode est de s’éloigner des expériences individuelles pour examiner les significations sociales partagées, les hypothèses et normes exprimées dans les récits. Notre objectif était donc d’identifier des valeurs, des normes, des discours dans les histoires générées par les participantes et les participants. Pour ce faire, nous avons créé trois histoires présentant les usages de trois technologies : télédétection des chutes, télésoins à domicile et agent conversationnel virtuel. Nous ne détaillerons pas cette partie de notre enquête, car cet article présente les résultats du questionnaire afin de faire ressortir les usages qui sont jugés acceptables par les francophones de l’Ontario.

2.3 Analyse des données

Les données ont été collectées avec le logiciel Qualtrics et ont été exportées avec Microsoft Excel pour ensuite traiter les données organisées avec logiciel SPSS (version 28). Au total, 100 réponses ont été collectées. Suivant un premier survol de ces données, 40 réponses étaient incomplètes et n’ont pu être intégrées à l’analyse. Autrement dit, 40 personnes participantes n’étaient pas admissibles pour l’étude ou n’avaient pas rempli le questionnaire suffisamment pour pouvoir fournir de l’information utilisable. Ces personnes participantes ont donc été complètement supprimées de l’échantillon de données. Ainsi, une fois les données raffinées, l’analyse comprenait 60 cas. De plus, la dispersion des données n’était pas normale, ce qui indique que l’échantillon n’était pas représentatif de la population francophone ontarienne. À cet effet, les résultats ne sont que préliminaires et représentent une vision large de la population, ne permettant pas les généralisations. Des analyses descriptives utilisant les procédures de fréquence donnant la mesure de tendance centrale de moyenne ainsi que la mesure de dispersion et d’écart type ont été utilisées pour identifier les caractéristiques démographiques de l’échantillon. De plus, des méthodes d’analyses descriptives de fréquences ainsi que la procédure de tabulation ont aussi été utilisées pour explorer diverses interactions entre les données, mais n’ont pas donné de valeur ajoutée aux analyses[5]. L’équipe de recherche a ensuite utilisé ces résultats pour arriver à diverses conclusions reliées aux thèmes divisant le questionnaire, c’est-à-dire utilité perçue, facilité d’utilisation, degré d’intégration, risques perçus, valeurs sociales et valeurs éthiques.

3. Résultats

3.1 Caractéristiques des répondantes et des répondants

Sur les 60 personnes répondantes intégrées dans notre analyse finale, la majorité était des femmes caucasiennes, de nationalité canadienne, scolarisées, d’âge moyen et parlant français à la maison et avec les professionnels de la santé (Tableau 2).

Tableau 2

Caractéristiques des personnes répondantes

Caractéristiques des personnes répondantes

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Parmi les personnes répondantes, une proportion importante représentait les régions d’Ottawa et de Toronto. Néanmoins, plusieurs régions sont représentées, comme l’illustre la Figure 1. De plus, une grande partie des personnes répondantes ont rapporté vivre dans une grande ville (64 %), une banlieue (19 %) ou une municipalité (13 %).

Figure 1

Répartition géographique des répondantes et des répondants en Ontario

Répartition géographique des répondantes et des répondants en Ontario
Source : alPHa – Association of Local Public Health Agencies

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3.2 Utilisation des technologies par les répondantes et les répondants

La première partie du questionnaire a permis d’établir une base de référence afin de mieux comprendre l’utilisation des technologies par nos personnes répondantes au quotidien ou pour gérer leur santé (Tableau 3).

Tableau 3

Technologies utilisées par les répondantes et les répondants et niveau de compétence

Technologies utilisées par les répondantes et les répondants et niveau de compétence

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Comme le montre le Tableau 3, l’attitude des personnes répondantes face à la technologie est globalement très favorable (48,3 %). Le choix de la télémédecine pour gérer sa santé n’est pas surprenant compte tenu de l’usage important fait de cette technologie par les professionnels de la santé pendant la pandémie de COVID-19. Les montres connectées et les applications mobiles font aussi partie du paysage technologique des personnes répondantes. En revanche, une préférence marquée apparaît pour l’usage du téléphone ou du courrier électronique lors de communications avec un professionnel de la santé.

3.3 Accessibilité et acceptabilité des technologies de santé

Pour chaque technologie évaluée, nous avons pu identifier des résultats significatifs. Nous présenterons d’abord, en détail, ces résultats, et les discuterons ensuite. Ces derniers nous permettront d’identifier, dans un premier temps, des problèmes d’acceptabilité propres aux francophones vivant en milieu minoritaire, puis, dans un second temps, de faire émerger des hypothèses de travail pour des recherches futures.

3.3.1 Téléconsultation

La téléconsultation était généralement perçue positivement, et 83 % jugent que cette technologie leur permettrait d’améliorer l’accès à un professionnel de la santé francophone (Figure 2).

Figure 2

Utilité perçue et intention d’usage de la téléconsultation

Utilité perçue et intention d’usage de la téléconsultation

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Il est toutefois intéressant de noter que pour l’énoncé « La téléconsultation répondrait à mes besoins en matière de soins de santé », 29 % étaient plutôt en désaccord ou d’avis incertain. Certaines personnes participantes ont d’ailleurs ajouté des commentaires à cet effet en précisant qu’une généralisation de la téléconsultation pour tout type de soins n’est pas envisageable, notamment pour ce qui touche à la santé mentale : « Mes réponses dépendent du type de service ou de soins (ex. : dermatologie serait différent d’un service en psychologie) ». Pour d’autres, la téléconsultation peut être utilisée de manière ponctuelle lorsque l’on ne peut pas se déplacer (« J’utiliserais la téléconsultation uniquement si je ne peux pas me déplacer. Sinon, je préfère voir mon médecin en face à face »), ou si le problème de santé n’est pas trop complexe (« Mes problèmes de santé ne peuvent pas être traités uniquement par téléconsultation »). Il est donc important de nuancer les résultats et de considérer que l’acceptation de l’usage de la téléconsultation varie selon le contexte, tant médical que social, de la personne qui va l’utiliser.

La majorité des personnes répondantes (97 %) estiment disposer des compétences requises pour recourir à la téléconsultation. Notre enquête s’étant déroulée entre 2021 et 2022, ces résultats ne surprennent pas sachant que 60 % des Ontariens et des Ontariennes de plus de 18 ans ont eu accès à des services de santé sous forme virtuelle entre avril 2020 et mars 2021 (ICIS, 2022). Ensuite, 95 % ont rapporté (« plutôt d’accord » et « tout à fait d’accord ») qu’il serait facile d’apprendre à utiliser un système de téléconsultation. Ainsi, la majorité des personnes répondantes jugent ce type de technologie facile à utiliser, ce qui n’est pas un frein à son accessibilité.

En ce qui concerne le degré d’intégration (Figure 3) de cette technologie dans la prise en charge de leur santé, 80 % sont en accord avec l’affirmation « La téléconsultation serait un service facilement accessible pour recevoir des soins de santé en français ». Cependant, lorsqu’on demande si la téléconsultation permettrait de mieux prendre en charge leur santé, les réponses sont plus dispersées et mitigées (sachant que 17 % ont indiqué être plutôt pas d’accord et 24 % ni d’accord, ni pas d’accord avec cette affirmation). Même si cette technologie semble porteuse d’espoir quant à l’accès à des services en français, son impact sur la prise en charge de sa santé semble plus relatif et moins évident. Fait intéressant à regarder plus en détail dans la Figure 3 : l’impact de cette technologie sur la communication avec les professionnels de la santé. Les résultats sont moins tranchés, à savoir que 62 % sont en accord avec le fait qu’elle peut améliorer la communication, mais 20 % sont indécis et 12 % sont en désaccord. Ces réponses doivent donc attirer notre attention sur le fait que même si la téléconsultation semble pouvoir offrir un accès plus facile à un professionnel de la santé, la qualité de la relation et de la communication avec les professionnels reste un élément à considérer à l’avenir pour que cette technologie soit acceptée. D’ailleurs, certains commentaires soulèvent des problèmes de communication qu’il ne faudra pas négliger à l’avenir, par exemple : « Ça peut être difficile de trouver une pièce tranquille sans être entendue par d’autres. Aller en personne chez un professionnel me permet d’être à l’aise de poser des questions que je ne veux pas que la famille entende. » Des questions liées à l’intimité ou à la relation de confiance ne devront pas être négligées.

Figure 3

Degré d’intégration de la téléconsultation

Degré d’intégration de la téléconsultation

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Nos personnes répondantes soulèvent dans leurs réponses quelques inquiétudes relativement à des considérations éthiques. Même si 65 % considèrent la téléconsultation comme fiable et sécuritaire, il semble que les considérations éthiques pourraient faire partie des risques perçus et des barrières à l’utilisation de la téléconsultations (Figure 4). Pour les énoncés, « La téléconsultation protège ma dignité » et « La téléconsultation est confidentielle et protège mes informations personnelles », les réponses sont plus mitigées, avec 33 % et 23 % des personnes répondantes respectivement incertaines. Certains commentaires nous permettent d’identifier des problèmes en termes d’éthique et de respect de la vie privée qui pourraient s’avérer des barrières à l’usage de la téléconsultation, comme l’illustre le commentaire suivant :

Les rencontres avec mon médecin sont les seuls éléments qui restent hors de portée du regard intrusif de mon assureur (Sun Life), et en utilisant systématiquement la téléconsultation, je crains qu’ils en viennent à exiger d’en obtenir les enregistrements. Mon réflexe est de croire que le contenu des échanges avec un médecin est confidentiel, mais en souscrivant à une assurance privée, on s’expose aux exigences qui s’y rattachent et en l’occurrence, devoir renoncer à cette confidentialité.
Autrement, les technologies de télécommunication utilisant la vidéo offrent un degré variable de sécurité et certaines sont suffisamment fiables pour protéger le contenu. Des services comme Skype et Zoom cependant ont fait l’objet de la démonstration de leur vulnérabilité face au hacking.

Figure 4

Risques perçus

Risques perçus

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En bref, la téléconsultation semble représenter une valeur pratique importante : bonne utilité perçue, facilité d’apprentissage et degré d’intégration encourageant. Nos personnes répondantes reconnaissent qu’elle pourrait faciliter l’accès à des services de santé en français dans certaines conditions qu’il conviendra de discuter. Toutefois, l’application réelle de la téléconsultation pourrait être entravée par des problèmes de communication relatifs à la qualité de la relation et des interactions avec les professionnels de la santé, et des questions éthiques liées à la confidentialité et la préservation de la vie privée.

3.3.2 Télésoins

Les résultats montrent que les télésoins sont généralement bien acceptés pour l’obtention de soins de santé en français (Figure 5), 84 % considèrent en effet que les télésoins permettraient d’améliorer l’accès à un suivi médical en français. De plus, les personnes participantes semblaient généralement encouragées vis-à-vis du potentiel que représente cette technologie pour leur permettre de recevoir des soins de santé en français, et 81 % d’entre elles jugent cette technologie acceptable. Également, une grande majorité des personnes participantes (en moyenne 84 %) rapportent être plutôt d’accord ou tout à fait d’accord avec les quatre énoncés concernant l’utilité des télésoins. Il est toutefois intéressant de noter que 20 % n’étaient ni d’accord, ni pas d’accord avec l’affirmation disant que « Les télésoins répondraient à des besoins en matière de soins de santé ». Donc, la même conclusion apportée pour la téléconsultation s’applique ici. Les personnes répondantes semblent considérer que les télésoins seuls ne pourraient pas répondre à leurs besoins. À ce sujet, ils soulèvent dans leurs commentaires des questions quant à la capacité du système de santé à intégrer ces technologies aux services et pratiques existantes. Mais aussi des inquiétudes quant à la tentation de considérer la technologie comme un substitut au manque d’accès à des ressources en français : « Le système de santé n’est pas adapté pour utiliser ces technologies. Qui va lire les données? Qui va communiquer avec moi si je l’utilise sachant que les infirmières sont surchargées? »; « Je ne voudrais pas que les télésoins compensent pour le manque de professionnels de la santé qui parlent français. Le critère doit être la santé et non compenser les incapacités linguistiques ».

Figure 5

Utilité perçue et intention d’usage

Utilité perçue et intention d’usage

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En ce qui concerne la facilité d’utilisation de cette technologie (Figure 6), la majorité se dit capable d’apprendre à l’utiliser, ce qui n’est pas surprenant compte tenu du niveau d’éducation de nos personnes répondantes.

Figure 6

Facilité d’apprentissage

Facilité d’apprentissage

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En revanche, 63 % d’entre elles considèrent qu’il leur est nécessaire d’avoir une version disponible en français pour considérer utiliser cette technologie. C’est une information non négligeable qui soulève ici des problèmes quant à la conception de ces technologies et leur accès à des versions en français. Par ailleurs, des différences entre les personnes répondantes recevant des soins de santé en français et celles les recevant en anglais sont apparues. La même chose fut observée en ce qui concerne la langue parlée à la maison lorsque les personnes participantes ont rapporté qu’elles acceptaient d’utiliser les télésoins malgré l’absence d’une version en français. En effet, comme le montre la Figure 7, il y a une distinction assez claire entre la langue parlée à la maison (français ou anglais), indiquant que pour les personnes parlant le français à la maison, une version en français est nécessaire (c.-à-d. 84 % étant plutôt d’accord ou tout à fait en accord). Similairement, les personnes recevant des soins de santé en français ou de façon bilingue (c.-à-d. autre) étaient beaucoup plus enclines à répondre « plutôt d’accord » ou « tout à fait d’accord » que celles recevant leurs soins de santé en anglais (70 %). Ceci indique très clairement que la disponibilité de cette technologie en français ainsi que des services d’appui en français sont nécessaires, voire une condition essentielle pour que les francophones envisagent d’utiliser le télésoins à l’avenir.

Figure 7

Langue parlée à la maison et acceptabilité des télésoins

Langue parlée à la maison et acceptabilité des télésoins

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Les personnes répondantes démontrent aussi leur optimisme quant à l’intégration du télésoins dans leur quotidien (Figure 8). 75,5 % en moyenne sont plutôt d’accord ou tout à fait en accord avec la facilité d’intégrer les télésoins aux soins de santé. D’un autre côté, un niveau d’incertitude moyennant 15,25 % aux quatre énoncés sur le degré d’intégration indique que celui-ci pourrait dépendre de facteurs comme la disponibilité et la communication avec les professionnels de la santé. Cela est démontré par le 21 % qui marquent une indécision en réponse à l’énoncé « Les télésoins permettraient d’améliorer la fréquence et la qualité des interactions avec des professionnels de la santé ».

Figure 8

Degré d’intégration des télésoins

Degré d’intégration des télésoins

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En ce qui concerne les risques perçus, 46,5 % (indécis ou plutôt pas d’accord) expriment des inquiétudes en ce qui a trait à la fiabilité et la sécurité de ces technologies (Tableau 4).

Tableau 4

Risques perçus – Les technologies de télésoins sont fiables et sécuritaires

Risques perçus – Les technologies de télésoins sont fiables et sécuritaires

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Comme pour la téléconsultation, les personnes répondantes étaient incertaines quant à l’habileté des technologies de télésoins de protéger leurs données. Résultats qui se retrouvent confirmés par des commentaires des personnes répondantes soulevant des problèmes en termes de protections des données : « Je ne sais pas comment les données recueillies seraient acheminées et protégées pour qu’elles demeurent confidentielles »; « Il existe toujours la possibilité que les données recueillies soient piratées. C’est toujours un risque que l’on prend quand on utilise la technologie, peu importe les circonstances ».

Il est intéressant de s’arrêter sur les résultats concernant la valeur sociale que les personnes répondantes accordent aux télésoins (Figure 9). C’est une dimension importante pour ces technologies – contrairement à la téléconsultation où la valeur sociale n’est plus contestée après l’usage accru qui en a été fait durant la crise de la Covid-19 –, car une technologie représentant une valeur sociale forte est plus susceptible d’être acceptée par une communauté. Les technologies de télésoins ne sont pas porteuses de connotations négatives (ex. : peur du jugement des autres) et la perception de la technologie par les autres est considérée comme positive. Deux éléments qui ne sont pas considérés comme des barrières sociales à l’usage de cette technologie de santé. Les personnes répondantes ont globalement une attitude positive vis-à-vis des télésoins et accordent une valeur non négligeable dans le potentiel que ces technologies offrent en ce qui concerne leur santé. Par exemple, 86 % considèrent que les informations recueillies par les technologies de télésoins pourraient améliorer la prise en charge de la maladie. Donc, l’utilité des informations recueillies est claire et semble potentiellement apporter une valeur ajoutée significative lorsqu’il s’agit de prendre en charge sa maladie et de gérer les symptômes d’une maladie autre.

Figure 9

Valeur sociale des télésoins

Valeur sociale des télésoins

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En bref, les télésoins semblent être acceptés comme un moyen de recevoir des soins de santé en français. En effet, leur utilisation est perçue comme pouvant ajouter une valeur à l’accès aux soins de santé en français, mais aussi à la prise en charge de la maladie par la personne et son équipe médicale. Cependant, malgré les attitudes positives à l’égard de la valeur sociale, quelques inquiétudes ressortent quant à leur utilisation, notamment en ce qui concerne les risques liés à la sécurité des données partagées et la capacité de ces technologies à préserver la confidentialité. Tout de même, les télésoins restent une option viable pour les francophones en situation minoritaire dans le système de santé ontarien, même si certains problèmes éthiques (confidentialité, protection des données) et organisationnels (ressources humaines, interactions avec les professionnels de santé) sont à prendre en considération pour l’avenir.

3.3.3 Applications mobiles de santé

Globalement, l’attitude des personnes répondantes envers les applications mobiles est relativement positive (Figure 10), en effet, 84 % les utiliseraient si ces technologies leur étaient offertes.

Figure 10

Utilité perçue et intention d’usage des applications mobiles de santé

Utilité perçue et intention d’usage des applications mobiles de santé

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Cependant, les personnes répondantes sont plus sceptiques quant à la capacité de cette technologie d’offrir des services en français, ce qui pourrait expliquer l’ambiguïté plus importante que pour les télésoins ou la téléconsultation. En effet, 22 % sont incertaines de la capacité des applications mobiles à améliorer l’accès à des soins de santé en français, contrairement à 9 % et 12 % pour les télésoins et la téléconsultation respectivement. D’ailleurs, les personnes participantes vont commenter leurs réponses en précisant :

Il me semble que ces outils de communication sont acceptables pour recevoir des soins de santé en français, mais seulement dans la mesure où on a encore accès à des services en français « en personne » aussi. Il ne faudrait pas que ces outils de langue française « remplacent » l’accès direct aux professionnels de la santé. Ex. : que les anglos aient des rendez-vous en personne avec un spécialiste, tandis que les francos sont envoyés à la maison avec une appli pour téléphone.

Ils pointent ici un problème fondamental qui est le risque de surutilisation de ces technologies pour répondre à la pénurie de professionnels de la santé francophones et le risque que ces technologies se substituent à des services existants « en personne ». Les personnes répondantes sont ouvertes à l’idée d’utiliser ces technologies, à la condition qu’elles soient un complément à une offre existante et non qu’elles se substituent à d’autres offres. De plus, le commentaire précédent souligne aussi le risque qu’il y a d’accentuer les inégalités d’accès entre francophones et anglophones, ce qui est un point non négligeable.

Les applications mobiles semblent généralement bien perçues quant à leur potentiel d’améliorer l’accès à des soins de santé en français, et ce malgré l’incertitude plus accrue, comme mentionné ci-dessus. 71 % ont tout de même indiqué être plutôt d’accord ou tout à fait d’accord avec le fait que les applications mobiles permettraient d’améliorer l’accès à un suivi médical en français. Cependant, les personnes répondantes démontrent une plus grande polarisation devant l’énoncé concernant l’accessibilité d’une version en français des applications mobiles (Figure 11).

Figure 11

Langue parlée à la maison et acceptabilité des applications mobiles de santé

Langue parlée à la maison et acceptabilité des applications mobiles de santé

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Les francophones qui parlent français à la maison démontraient un plus grand désir pour des versions en français. Ajouté à cela, les personnes participantes ont indiqué qu’une interface qui n’est pas disponible en français comprendrait des risques qu’ils n’étaient pas prêts à prendre. De plus, cette importante source de différences pourrait mieux expliquer les résultats plus ambigus énoncés plus tôt en ce qui a trait à la capacité de cette technologie d’offrir des services en français.

Concernant le degré d’intégration des applications mobiles (Figure 12), nous avons noté quelques différences dans les réponses qui permettent d’apporter des nuances.

Figure 12

Degré d’intégration des applications mobiles

Degré d’intégration des applications mobiles

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80 % sont plutôt d’accord et tout à fait d’accord avec l’affirmation que les applications mobiles pourraient facilement s’intégrer à la routine quotidienne et 79 % sont tout à fait d’accord et plutôt d’accord avec l’affirmation qu’une application mobile de santé permettrait plus d’autonomie et encouragerait à être en contrôle de sa santé. En revanche, les personnes répondantes se montrent plus tempérées lorsqu’il s’agit de considérer que les applications mobiles permettraient d’améliorer la fréquence et la qualité des interactions avec les professionnels de la santé. Il y a donc ici un point important qui est soulevé par les personnes répondantes, à savoir l’intégration de cette technologie dans une offre de soins et son impact sur la relation qu'une personne établira avec son prestataire de soins. C’est un élément d’inquiétude qui a aussi été relevé dans le cas des deux autres technologies. Puis, cela renvoie à la question concernant la capacité du système de santé à pouvoir intégrer ces technologies à l’offre de soins ainsi qu’à disposer de ressources humaines en nombre adéquat pour accompagner l’usage de ces technologies.

Tout comme pour les technologies de télésoins, les personnes participantes soulèvent des risques d’incompréhension ou pour leur santé quant à l’utilisation d’applications mobiles de santé qui ne seraient pas offertes en français (Figure 13). Il est intéressant de voir que la question de l’accès à une interface en français est importante pour 38 % et que 24 % en sont incertains. Ces résultats nous interpellent sur le fait que le design de ces technologies doit se faire en incluant des francophones vivant en contexte minoritaire. En effet, ne pas avoir une interface en français peut être une barrière à l’accès, mais aussi poser un risque pour les utilisateurs et faire qu’ils soient peu enclins à les utiliser pour prendre en charge leur santé.

Figure 13

Risques perçus pour les applications mobiles

Risques perçus pour les applications mobiles

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En ce qui concerne la valeur sociale des applications mobiles (Figure 14), 75 % ont une attitude positive vis-à-vis de ces technologies et 73 % jugent que les applications mobiles de santé seraient un moyen acceptable pour suivre et prendre en charge sa santé. L’intégration de ce type de technologies dans la société en général fait aussi que les applications mobiles de santé sont bien acceptées par les personnes répondantes. De plus, aucune barrière sociale ou liée à une connotation négative ne pourrait entraver l’usage de ces technologies qui globalement sont très bien perçues et les personnes répondantes se sentent à l’aise de les l’utiliser (ex., pas de gêne, pas de peur d’être jugé).

Figure 14

Valeurs sociales des applications mobiles

Valeurs sociales des applications mobiles

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Pour terminer, les applications mobiles, bien que généralement bien perçues, créent plus de scepticisme comparé aux technologies de téléconsultation et télésoins. Cela est possiblement dû au fait que les personnes participantes ont rapporté être moins convaincues de l’apport de ces applications à la qualité des interactions et communication avec les professionnels de la santé, aux risques liés à la sécurité et la fiabilité des applications, mais surtout à la nécessité de disposer d’interface en français. L’accès à des applications mobiles en français est un facteur important à considérer pour les personnes répondantes francophones et un facteur non négligeable dans le processus d’acceptation.

4. Discussion et pistes de réflexion

Les résultats de notre enquête montrent que l’accessibilité et l’acceptabilité des technologies de santé pour soutenir l’offre de soins virtuels chez les francophones de l’Ontario dépendent de plusieurs facteurs liés à :

a) leur utilité perçue (moyen acceptable pour accéder à des services de santé en français)

b) la valeur de ces technologies et leur intégration dans des usages existants (améliorer la qualité et la fréquence de la communication avec les professionnels de la santé)

c) l’offre des technologies en français quant à leur interface ou le support offert pour en accompagner leurs usages.

Ainsi, nous pouvons avancer plusieurs hypothèses et pistes de réflexion pour l’avenir. Tout d’abord, la langue est, dans notre cas, un facteur non négligeable à prendre en compte lorsqu’il s’agit d’évaluer l’accessibilité et l’acceptabilité des technologies de santé en Ontario. En effet, il y a une hésitation exprimée par les personnes répondantes quant aux usages à venir de ces technologies si elles ne sont pas offertes en français, et ce, même si la valeur sociale et l’utilité perçue de ces technologies sont jugées très favorablement. De plus, les résultats de cette enquête exploratoire tendent à souligner que les usages des technologies de santé ne peuvent pas faire abstraction du contexte organisationnel dans lequel elles vont être implantées ainsi que des services de soins préexistants dans lesquels elles s’insèrent (Gaglio et Mathieu-Fritz, 2018; Nicolini, 2006). Par exemple, l’intégration d’une offre de télésoins pour les francophones vivant en milieu minoritaire doit s’inscrire dans une offre de soins préexistante et non pas se substituer à celle-ci (comme le soulignent nos personnes répondantes dans leurs commentaires). Même si l’offre de services de santé reposant sur des technologies comme la télémédecine ou le télésoins comporte la possibilité de réduire la distance entre les patients et les professionnels de la santé et de répondre à des problèmes d’accès auxquels peuvent être confrontés les francophones vivant en contexte minoritaire, cela ne veut pas dire que c’est le seul facteur pouvant jouer un rôle dans la réduction des inégalités d’accès. L’adoption de systèmes de télésoins ou de téléconsultation dépend aussi d’une intégration réussie dans l’organisation même des services de santé offerts aux francophones vivant en milieu minoritaire. De nombreux travaux en sociologie ont d’ailleurs souligné la nécessaire intégration de cette offre de soins à la structure organisationnelle existante (Haschar-Noé et al., 2020; Mathieu-Fritz et Esterle, 2013). Également, il est reconnu que l’usage des technologies de santé telles que la téléconsultation ou les télésoins participe d’un « processus d’extitution[6] » (Gaglio et Mathieu-Fritz, 2018) qui s’accompagne aussi d’une nouvelle « géographie des responsabilités » (Oudshoorn, 2011). Autrement dit, une délégation de tâches et de responsabilités aux patients et patientes qui assument une part importante de leur propre surveillance en utilisant des technologies de télésoins ou de télésuivi à domicile (Pols, 2012, Oudshoorn, 2008). Or pour ce « travail du patient » (Strauss et al., 1982; Trupia et al., 2021), celui-ci se doit d’être accompagné, guidé, épaulé; et cela nécessite, pour les francophones de l’Ontario, un accès facilité à des ressources en français.

De nombreux travaux ont d’ailleurs démontré par le passé que les francophones vivant en milieu minoritaire font face à des défis liés à l’accès aux services de santé dans leur langue (Bouchard et Desmeules, 2011). Il est donc compréhensible de voir s’exprimer un doute, même une inquiétude, quant à la capacité du système de santé à s’adapter, voire se réorganiser autour de cette offre de soins virtuels afin d’en favoriser l’accès aux francophones de l’Ontario. De plus, il ne faut pas négliger le risque de voir apparaître de nouvelles inégalités générées par les technologies de la santé (Mayère, 2017), comme le montre une récente étude sur l’usage des soins virtuels en Ontario (Brual et al., 2022). Cette étude souligne qu’au sein de la population immigrante âgée, la langue a été un facteur non négligeable dans le taux d’utilisation des soins virtuels tout au long de la crise de la Covid-19. Ces auteurs montrent que le recours aux soins virtuels était systématiquement plus faible chez les personnes immigrantes qui ne parlaient que le français.

Le recours à des technologies de santé dans l’offre de soins virtuels contribuera à transformer l’organisation du travail de soins de différentes manières. Dans un contexte linguistique minoritaire, cela doit nous amener à nous interroger sur les transformations de tout un ensemble d’activités et de pratiques professionnelles, mais aussi sur la conception même de ces technologies. Notre étude soulève la question du risque de non-utilisation des technologies de santé par les francophones si le service n’est pas offert dans leur propre langue. Nous savons que la concordance linguistique entre la patiente ou le patient et le prestataire de soins est essentielle pour une communication efficace, qu’elle a un grand impact sur la qualité des soins et qu’elle a été identifiée comme la cause première d’événements indésirables ou d’isolement social (Seale et al., 2022; de Moissac et Bowen., 2019; Beogo et al., 2021). Une étude suggère que les interventions de télésanté dites « disconcordantes » sur le plan linguistique pourraient avoir un impact négatif sur l’état de santé des personnes, par exemple non-suivi du plan de traitement, incompréhension des conseils de santé (Machen et al., 2021). Autant de travaux qui, mis en parallèle avec les inquiétudes exprimées par nos personnes répondantes lors de l’enquête, doivent nous alerter quant à l’importance d’offrir une gamme d’outils technologiques (télésoins, télésuivi, applications mobiles de santé), qui sont conçus pour et par des francophones vivant en contexte minoritaire. Faire des francophones vivant en milieu minoritaire des acteurs centraux dans le processus de conception et de déploiement de ces technologies de santé afin de soutenir l’offre de soins virtuels est essentiel pour l’avenir des soins des francophones en Ontario. Il est alors nécessaire de penser la participation des communautés francophones au développement de cette offre de services et de prendre en compte leurs besoins et attentes spécifiques. Il s’agit d’identifier les principales stratégies de soins virtuels qui aideront le système de santé à atteindre des objectifs spécifiques pour les communautés francophones minoritaires en Ontario. Cela devrait impliquer une collaboration entre une série de parties prenantes pour identifier des stratégies de soins virtuels accessibles, acceptables et sécuritaires, et soutenir la conception et le développement de technologies de santé accessibles en français et conçues pour et par les communautés francophones.

En résumé, les résultats de notre enquête nous invitent à proposer quelques pistes de réflexion et hypothèses d’analyse qui tournent autour de questions à la fois communicationnelles, organisationnelles et éthiques qu’impliquent les usages des technologies de santé visant à soutenir l’offre de soins virtuels pour les francophones de l’Ontario (Tableau 5). Par exemple, une des hypothèses de travail à l’avenir est la question de la concordance linguistique et l’accès à des technologies conçues et développées en français. Nous avançons aussi l’hypothèse que les technologies de santé seront d’autant plus acceptées par les francophones en milieu minoritaire si, d’une part, elles s’intègrent dans une offre de services existante et si, d’autre part, les services se réorganisent autour de cette offre de soins virtuels (par exemple, en favorisant l’accès à ces technologies, en proposant des services de soins intégrés appuyés par ces technologies, etc.).

Tableau 5

Défis et pistes de réflexion soulevés par l’enquête

Défis et pistes de réflexion soulevés par l’enquête

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Conclusion

Pour conclure, notre enquête révèle que les francophones de l’Ontario sont globalement favorables à l’usage de technologies de santé afin de soutenir l’offre de soins virtuels. Cependant, certains résultats doivent nous inciter à être vigilants pour l’avenir afin de prendre en compte les enjeux qui ont pu être soulevés notamment sur le plan de l’organisation des soins et du maintien d’une offre de services en français. Mais aussi des enjeux de communication, surtout en ce qui a trait à la concordance linguistique qui ne doit plus se limiter à la dyade patient-médecin, mais aussi intégrer la dyade patient-technologie de santé. Les technologies développées doivent « parler » la même langue que le patient. Les personnes répondantes de notre enquête ont pu à cet égard exprimer leurs craintes concernant la qualité des soins ainsi que leur accessibilité. Nous pensons que des recherches devraient être menées à l’avenir afin de mieux comprendre la manière dont l’organisation des soins est transformée, voire doit s’adapter à cette nouvelle offre de services afin d’intégrer au mieux les besoins et attentes des francophones. Mais, il ne faut pas aussi négliger les enjeux liés à la concordance linguistique et intégrer cette dimension importante dans la conception et le développement de ces technologies.