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Introduction

La langue est un élément essentiel de la communication en matière de santé, à la fois pour véhiculer l’échange d’informations et pour favoriser une relation interpersonnelle entre le patient ou la patiente et le ou la prestataire de soins (Santos et al., 2023). La communication étant essentielle à la relation thérapeutique entre les patients et leur médecin (Royal College of Physicians and Surgeons of Canada, s.d.), les barrières linguistiques peuvent être une source d’inégalité en matière de santé pour les minorités linguistiques. Plusieurs études ont montré que la concordance des langues a un impact positif sur les résultats en matière de santé (Diamond et al., 2019; Hsueh et al., 2019; Lor et Martinez, 2020; Ngo-Metzger et al., 2007). Toutefois, pour surmonter les obstacles liés à la concordance des langues, il faut que les prestataires de soins de santé possèdent les compétences linguistiques nécessaires pour dispenser des soins dans la langue minoritaire en question. En particulier, étant donné le large éventail de besoins et de services de santé traités dans les soins primaires (Starfield et al., 2005), la disponibilité de médecins de famille maîtrisant la langue est un élément clé d’un système de soins de santé équitable (Eden et al., 2022). Cette question est particulièrement cruciale (Eden et al., 2022) dans le contexte de la crise actuelle des soins primaires au Canada, où une Canadienne ou un Canadien sur six déclare ne pas avoir de médecin de famille régulier (Flood et al., 2023) et où l’Association médicale de l’Ontario considère « l’accès à un médecin de famille » comme la priorité la plus urgente pour 2023 (Ontario Medical Association, s.d.).

Le Canada a deux langues officielles, le français et l’anglais, mais en dehors du Québec, les francophones constituent une minorité linguistique. L’Ontario est la province la plus peuplée du Canada, qui comporte aussi le plus grand nombre de résidents et résidentes francophones en dehors du Québec, les francophones constituant 4,7 % de la population ontarienne (Gouvernement de l’Ontario, 2019). Bien que la langue officielle de l’Ontario soit l’anglais, les résidents et résidentes francophones bénéficient de droits linguistiques en vertu de la Loi sur les services en français. En analysant les données de l’Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle de 2006 de Statistique Canada sur l’accès et l’utilisation des services de santé, Gagnon-Arpin et al. ont montré que 40 % des francophones de l’Ontario déclarent avoir de la difficulté à recevoir des services de santé en français et que le manque de prestataires de soins francophones est identifié comme la principale raison par 87 % des répondants et répondantes (Gagnon-Arpin et al., 2014).

Des travaux antérieurs de notre équipe ont montré que les francophones peuvent avoir des difficultés à accéder à des soins primaires linguistiquement concordants en raison de la non-correspondance entre la répartition des médecins francophones et celle des personnes résidentes francophones en Ontario. Récemment, Belanger et al. ont constaté que les personnes parlant uniquement le français dans certains quartiers d’Ottawa (Ontario) étaient confrontées à un fardeau de déplacement inéquitable pour accéder à des médecins de famille francophones par rapport à l’accès à des médecins de famille pour la population générale. Ceci suggère que la répartition de ces médecins est inégale par rapport à la population francophone (Belanger et al., 2023). À l’aide des données de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (OMCO) de 2007 et des données du Recensement de 2006, Gauthier et al. ont constaté que, bien que le ratio global de médecins francophones par rapport aux résidentes et résidents francophones soit bien meilleur que le ratio global de médecins par 1 000 personnes résidentes en Ontario, le ratio était plus faible dans le Nord de l’Ontario, qui compte une proportion beaucoup plus élevée de résidents et résidentes francophones, que dans le Sud de l’Ontario (Gauthier et al., 2012). Une étude subséquente utilisant les mêmes données a révélé que le ratio de médecins de famille et de médecins généralistes francophones par rapport aux personnes résidentes francophones était inversement lié au nombre de personnes résidentes francophones dans la communauté. Le ratio était le plus faible dans les communautés rurales comptant 25 % ou plus de personnes résidentes francophones (Timony et al., 2013). Ces deux études ont rapporté des résultats qui identifient des disparités dans l’accès potentiel aux médecins dans des régions géographiques plus vastes. Cependant, compte tenu de leur taille, elles peuvent conduire à surestimer l’accès potentiel à des soins conformes à la langue pour certaines personnes. De plus, elles ne tiennent pas compte de la taille de la population, ce qui a des conséquences sur l’estimation des besoins relatifs en ressources humaines dans le domaine de la santé. L’objectif de notre étude était de décrire l’état actuel de l’accès potentiel aux soins primaires linguistiquement concordants pour les francophones de la province en générant des données à jour sur la répartition des médecins de famille francophones et des francophones en Ontario, en rapportant et en visualisant ces résultats selon une aire géographique plus granulaire et en vérifiant s’il existe des inégalités géographiques dans l’accès potentiel à l’aide d’une approche pondérée en fonction de la population.

Notre question de recherche pour cette étude était la suivante : Comment l’accès potentiel à des soins concordants sur le plan linguistique pour la population francophone de l’Ontario varie-t-il d’une région à l’autre de la province?

Nos objectifs étaient les suivants : i) décrire l’accès potentiel à des soins primaires linguistiquement concordants pour les francophones dans l’ensemble de l’Ontario, et le comparer à l’accès potentiel des anglophones; et ii) voir s’il y a des inégalités géographiques relatives dans cet accès en fonction de la taille de la population résidente.

1. Méthodologie de l’étude

1.1. Conception de l’étude

Nous avons mené une étude transversale qui compare les proportions de médecins francophones par rapport aux proportions de résidents et résidentes francophones de l’Ontario.

1.2 Sources de données

Nous avons utilisé les bases de données administratives liées à la santé conservées à l’ICES, une banque de données indépendante, à but non lucratif et à l’échelle de la population, qui contient un vaste éventail de données sécurisées sur la santé de plus de 14 millions d’Ontariennes et d’Ontariens. Ces ensembles de données ont été reliés à l’aide d’identifiants codés uniques et analysés à l’ICES. Plus précisément, nous avons utilisé les bases de données suivantes : la base de données des médecins de l’ICES (ICES Physician Database, IPDB) pour les renseignements sur la spécialité et la pratique des médecins; la base de données du Régime d’assurance-maladie de l’Ontario pour la facturation des médecins; et l’ensemble de données « 2016 – Profils des régions de recensement de l’Ontario – Langue » (adapté de Statistique Canada, Recensement de la population de 2016) pour les données démographiques et sur la population selon l’aire de diffusion (AD), définie comme « une petite unité géographique relativement stable […] avec une population moyenne de 400 à 700 personnes » et la plus petite région géographique standard pour laquelle toutes les données du recensement sont diffusées (Statistique Canada, 2022). Nous avons utilisé l’ensemble de données de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (OMCO), dont le jumelage a été approuvé par l’ICES, pour les données sur le profil de la pratique saisies lors de l’enregistrement et des enquêtes annuelles de renouvellement obligatoire pour tous les médecins exerçant en Ontario.

1.3 Population étudiée

Nous avons utilisé la base de données OMCO pour identifier tous les médecins enregistrés en Ontario en 2016. Nous avons utilisé la base de données IPDB pour exclure ceux qui n’ont facturé aucun service en 2016 et ceux dont le lieu d’exercice n’a pas été identifié.

1.4 Variables

Nous avons utilisé la base de données IPDB pour identifier la spécialité des médecins, catégorisée comme médecine familiale par rapport aux autres spécialités (seuls les médecins de famille ont été retenus). Nous avons utilisé la base de données OMCO pour vérifier la compétence déclarée des médecins à exercer dans une langue : anglais uniquement; anglais et français; anglais et autre(s) langue(s); anglais, français et autre(s) langue(s). Ainsi, tous les médecins sont considérés comme compétents pour exercer en anglais. Nous avons défini les médecins francophones comme étant ceux qui ont déclaré être compétents pour exercer en français. Nous avons utilisé le code postal le plus récent pour déterminer le lieu d’exercice principal.

Nous avons utilisé les données du recensement pour identifier la langue des résidents et résidentes de l’Ontario sur la base de la variable « première langue officielle parlée » (PLOP) en utilisant une approche standard (Corbeil et Lafreniere, 2010; Lachapelle et Lepage, 2006). En bref, les personnes qui déclarent « français seulement » et 50 % de celles qui déclarent « anglais et français » comme PLOP sont catégorisées comme francophones, et les personnes qui déclarent « anglais seulement » et 50 % de celles qui déclarent « anglais et français » sont catégorisées comme anglophones. Nous avons utilisé les catégories de Statistique Canada pour décrire la proportion de résidents et résidentes francophones par rapport à la population. Les catégories sont définies comme suit : s.o. (c.-à-d. aucune donnée disponible), 0 %, <5 %, 5 à <10 %, 10 à <25 %, 25 à <50 % et >50 % (Páez Silva, 2019).

1.5 Définitions géographiques

Nous avons utilisé les 20 159 aires de diffusion (AD) de l’Ontario comme unité géographique d’analyse. Nous avons exclu les AD pour lesquelles les données de recensement de la population étaient manquantes. Afin d’assurer des tailles de population adéquates dans chaque région, nous avons utilisé ArcGIS pour regrouper les AD en 1 643 ADA (qui sont des regroupements d’AD dont la population se situe entre 5 000 et 15 000 personnes résidentes, dans la mesure du possible) (Statistique Canada, 2021). Nous avons inclus les ADA qui contenaient des données pour au moins une AD, ce qui signifie que certaines ADA ne contiennent pas de données pour une ou plusieurs AD.

1.6 Analyses

Pour chaque ADA de l’Ontario, nous avons utilisé des statistiques descriptives (c.-à-d. fréquence et proportions) pour décrire les populations de personnes résidentes et de médecins de famille. Nous avons utilisé ces distributions pour calculer le nombre de médecins de famille concordants sur le plan linguistique par 1 000 résidents et résidentes pour les francophones et les anglophones, et nous avons comparé les ratios moyens de ces deux groupes dans les ADA selon les catégories de la proportion de personnes résidentes francophones. Nous avons déterminé le ratio provincial global de médecins de famille francophones par rapport aux personnes résidentes francophones et nous avons utilisé ce ratio pour mesurer l’iniquité géographique relative dans l’accès potentiel à des soins linguistiquement concordants dans la province en calculant le nombre de médecins de famille francophones requis dans chaque ADA pour atteindre ce ratio (Bhattacharjee et al., 2021). Nous avons créé des cartes choroplèthes à l’aide d’ArcGIS pour visualiser nos résultats dans l’ensemble de la province ainsi que dans trois régions très peuplées de l’Ontario : a) le Grand Toronto, b) Ottawa et c) London. Les cartes choroplèthes facilitent la transmission de données spatiales complexes et permettent de comparer côte à côte les tendances et les relations entre les données.

1.7 Éthique

L’utilisation des données dans le cadre de ce projet est autorisée en vertu de l’article 45 de la Loi sur la protection des renseignements personnels sur la santé (LPRPS) de l’Ontario et ne nécessite pas d’examen par un comité d’éthique de la recherche.

2. Résultats

En 2016, Statistique Canada a divisé l’Ontario en 20 159 AD. Les AD sont des sous-ensembles géographiques des ADA. Après exclusion des 264 AD (1,3 %) pour lesquelles il manquait des données sur la population, nous avons utilisé une conversion dans ArcGIS pour effectuer une jointure spatiale des AD, nous laissant 1 643 ADA pour l’analyse (figure 1).

Figure 1

Diagramme d’inclusion des aires de diffusion (AD) et des aires de diffusion agrégées (ADA)

Diagramme d’inclusion des aires de diffusion (AD) et des aires de diffusion agrégées (ADA)

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2.1 Distribution de la population francophone

Parmi les 13 306 020 résidents et résidentes de l’Ontario vivant dans les 1 643 ADA incluses, 550 280 (4,1 %) étaient francophones, 12 434 160 (93,4 %) étaient anglophones et 321 580 (2,4 %) ne parlaient ni l’anglais ni le français. Le tableau 1 montre la variation de la proportion de personnes résidentes francophones dans les ADA de l’Ontario, selon les catégories de proportion de personnes résidentes francophones de Statistique Canada. Ces données sont présentées visuellement dans la Figure 2, avec des cartes en médaillon des régions A) du Grand Toronto, B) d’Ottawa et C) de London. Dans la majorité des ADA (83,4 %), où réside 86,5 % de la population totale, la proportion de personnes résidentes francophones se situait entre >0 % et <5 %, les 192 038 personnes résidentes francophones de ces ADA constituant 34,9 % de la population francophone totale de l’Ontario. La proportion de résidents et résidentes francophones était >50 % dans seulement 0,8 % des ADA, toutes situées dans le Nord-Est et l’Est de l’Ontario. Malgré leur grande superficie, elles ne comptent que 80 745 personnes résidentes francophones, soit 14,7 % de la population francophone totale de l’Ontario. On note que 4,7 % des ADA ne comptent aucun résident ou résidente francophone.

Tableau 1

Résidents et résidentes francophones en proportion de la population totale, par aire de diffusion agrégée (ADA) de l’Ontario, 2016

Résidents et résidentes francophones en proportion de la population totale, par aire de diffusion agrégée (ADA) de l’Ontario, 2016

Adapté de Statistique Canada, Recensement de la population, 2016. Cela ne constitue pas une approbation de ce produit par Statistique Canada.

i. Pourcentage de la population totale

ii. Pourcentage de la population francophone

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Figure 2

Proportion de résidents et résidentes francophones de l’Ontario par ADA, 2016

Proportion de résidents et résidentes francophones de l’Ontario par ADA, 2016

Adapté de Statistique Canada, Recensement de la population, 2016. Cela ne constitue pas une approbation de ce produit par Statistique Canada.

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2.2 Répartition des médecins de famille francophones

En 2016, 8 199 médecins de famille exerçaient en Ontario, dont 1 169 (14,3 %) étaient francophones. La figure 3 illustre la répartition inégale des médecins de famille francophones en Ontario, avec des cartes en médaillon des régions A) du Grand Toronto, B) d’Ottawa et C) de London (voir le tableau supplémentaire A1 pour plus de détails). Il n’y avait aucun médecin de famille en exercice dans 33,8 % des ADA et aucun médecin francophone dans 38,5 % des ADA. La répartition de ces deux groupes d’ADA par catégories de proportion francophone était très similaire à celle des pourcentages comportant des médecins de famille francophones. On comptait entre 1 et 5 médecins de famille francophones dans 25,4 % des ADA, entre 6 et 10 médecins de famille francophones dans 1,3 % des ADA et plus de 10 médecins de famille francophones dans 0,9 % des ADA.

Figure 3

Répartition des médecins de famille francophones en Ontario par ADA, 2016

Répartition des médecins de famille francophones en Ontario par ADA, 2016

Adapté de Statistique Canada, Recensement de la population, 2016. Cela ne constitue pas une approbation de ce produit par Statistique Canada.

Source : Statistique Canada, OMCO

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2.3 Ratios médecins de famille francophones/résidents et résidentes francophones

Pour l’ensemble de l’Ontario, on comptait 2,12 médecins de famille francophones pour 1 000 personnes résidentes francophones, comparativement à 0,66 médecin de famille anglophone (tous) pour 1 000 personnes résidentes anglophones. La figure 4 montre le nombre de médecins de famille francophones par 1 000 résidents et résidentes francophones dans les ADA de l’Ontario, avec des cartes en médaillon des régions A) du Grand Toronto, B) d’Ottawa et C) de London. On note que 4,7 % des ADA ne comptaient aucun résident ou résidente francophone et 67,6 % ne comptaient aucun médecin de famille francophone (voir le tableau supplémentaire A2), 11,1 % comptaient moins de six médecins de famille francophones pour 1 000 personnes résidentes francophones, et 16,6 % en comptaient six ou plus. De nombreuses ADA situées dans des régions où la proportion de résidents et résidentes francophones est élevée, comme le Nord-Est et l’Est de l’Ontario, avaient un ratio beaucoup plus faible que certaines ADA du Sud-Ouest de l’Ontario (p. ex., dans la région de London), où la proportion de personnes résidentes francophones est faible.

Figure 4

Nombre de médecins de famille francophones en Ontario pour 1 000 résidents et résidentes francophones par ADA, 2016

Nombre de médecins de famille francophones en Ontario pour 1 000 résidents et résidentes francophones par ADA, 2016

Adapté de Statistique Canada, Recensement de la population, 2016. Cela ne constitue pas une approbation de ce produit par Statistique Canada.

Source : Statistique Canada, OMCO

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Le tableau 2 compare le ratio moyen des médecins de famille francophones par rapport aux personnes résidentes francophones (« ratio francophone ») au ratio moyen de tous les médecins de famille par rapport aux personnes résidentes anglophones (« ratio anglophone ») dans l’ensemble des ADA, selon les catégories de proportion de résidents et résidentes francophones de Statistique Canada. Ces données montrent que plus la proportion de francophones augmente, plus l’accès potentiel à des médecins de famille francophones diminue. Dans les ADA où les francophones sont minoritaires (proportion de francophones <50 %), le ratio francophone est supérieur au ratio anglophone, alors que dans les ADA où les francophones constituent la majorité de la population (proportion de personnes résidentes francophones >50 %), l’accès potentiel aux médecins de famille d’expression française est relativement faible.

Tableau 2

Ratios moyens des médecins de famille de l’Ontario pour 1 000 habitants et habitantes, par catégorie de proportion de francophones ADA, 2016

Ratios moyens des médecins de famille de l’Ontario pour 1 000 habitants et habitantes, par catégorie de proportion de francophones ADA, 2016

Adapté de Statistique Canada, Recensement de la population, 2016. Cela ne constitue pas une approbation de ce produit par Statistique Canada.

* L’OMCO identifie tous les médecins comme étant compétents pour exercer en anglais.

Source : Statistique Canada, OMCO

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2.4 Inégalité géographique relative dans les ratios médecins/personnes résidentes en fonction de la taille de la population

La figure 5 montre le nombre de médecins de famille francophones supplémentaires qui seraient nécessaires dans chaque ADA pour répondre à la moyenne globale d’accès potentiel à des soins primaires conformes à la langue pour les francophones de l’Ontario. Un chiffre positif indique que l’ADA en question affiche un « déficit » relatif de médecins, tandis qu’un chiffre négatif indique un « surplus » relatif. Dans 83,8 % des ADA, on observait un surplus ou un déficit de moins de 1 médecin (voir le tableau supplémentaire A3), tandis que 9,7 % des ADA affichaient un excédent d’un ou plusieurs médecins (indiqué par -1 ou moins), et 6,5 % affichaient un déficit de plus d’un médecin (indiqué par 1 ou plus). Les déficits en nombre de médecins de famille francophones étaient les plus importants dans le Nord-Est et l’Est de l’Ontario, où huit ADA (0,5 %), six dans l’Est de l’Ontario et deux dans le Nord-Est de l’Ontario, avaient besoin de plus de 10 médecins de famille francophones pour atteindre le ratio provincial global.

Figure 5

Excédent ou déficit de médecins francophones par ADA de l’Ontario, 2016

Excédent ou déficit de médecins francophones par ADA de l’Ontario, 2016

Adapté de Statistique Canada, Recensement de la population, 2016. Cela ne constitue pas une approbation de ce produit par Statistique Canada.

Source : Statistique Canada, OMCO

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3. Discussion et conclusion

L’objectif de cette étude était de décrire l’accès potentiel à des soins primaires linguistiquement concordants pour les francophones de l’Ontario. Bien que l’accès potentiel global dans la province soit plus grand pour les francophones que pour les anglophones, nous avons constaté un déséquilibre entre les lieux de pratique des médecins de famille francophones et la population francophone. Nous avons également observé qu’une grande proportion de ces médecins exerçaient dans des ADA du Sud-Ouest de l’Ontario, où la proportion de personnes résidentes francophones était faible, alors que dans les régions à forte proportion de francophones, comme dans le Nord-Est et l’Est de l’Ontario, on comptait de plus petites proportions de médecins francophones par rapport aux besoins. Nous avons observé qu’il faudrait une augmentation importante du nombre de médecins francophones dans ces régions pour atteindre un nombre égal à la moyenne provinciale d’accès potentiel global à des soins concordants sur le plan linguistique pour les francophones.

Comparativement aux études antérieures de Gauthier et Timony (Gauthier et al., 2012; Timony et al., 2013), nos résultats montrent qu’au cours des dix dernières années, le nombre de médecins de famille en Ontario a diminué de 25,2 % (30,1 % pour les médecins francophones), alors que la population a augmenté de 10,7 % (10,8 % pour les francophones). Bien que nos méthodes de calcul des populations francophones et anglophones diffèrent légèrement de ces études, ces changements ont entraîné une réduction d’environ 30 % du ratio médecin/personne résidente, tant pour les francophones que pour les anglophones. Notre constatation selon laquelle l’accès potentiel à des médecins de famille francophones diminue à mesure que la proportion de la population francophone augmente est conforme à ces études. Nous avons également été en mesure d’identifier la variation de l’accès potentiel à une échelle géographique plus restreinte, ce qui nous a permis de mieux comprendre la situation dans des milieux urbains tels qu’Ottawa et Toronto. Nous avons également utilisé une approche pondérée en fonction de la population pour estimer le nombre relatif de médecins francophones en surplus ou en déficit dans l’ensemble de l’Ontario, ce qui est particulièrement utile, puisque la majorité des ADA ne comptaient pas de médecins de famille francophones, mais des nombres significativement différents de personnes résidentes francophones. Cette approche nous a permis d’identifier les régions spécifiques qui bénéficieraient le plus de l’ajout de médecins de famille francophones et de déterminer que 107 ADA auraient besoin de plus d’un médecin de famille francophone pour atteindre le ratio global de l’Ontario pour les francophones.

Bien que les résultats de cette étude soient importants pour comprendre les variations dans l’accès potentiel à des soins primaires concordants sur le plan linguistique, il faut tenir compte de certaines limites. Tout d’abord, nous avons utilisé la moyenne globale de l’accès potentiel aux soins primaires linguistiquement concordants pour les francophones de l’Ontario comme point de référence pour la comparaison. Étant donné la proportion importante et croissante d’Ontariens et Ontariennes qui n’ont pas accès aux soins primaires en Ontario (Ontario College of Family Physicians, 2023), cette mesure pourrait sous-estimer les besoins en médecins. Ensuite, l’utilisation de limites statistiques telles que les ADA ne permet pas de mesurer l’accès réel aux soins de santé, puisque les personnes résidentes peuvent traverser les limites pour accéder aux services (Rosenthal et al., 2005; Van Meter et al., 2010), bien que cela puisse être plus difficile pour les personnes résidentes des grandes ADA, comme celles du Nord de l’Ontario, qui sont susceptibles de parcourir des distances plus longues pour accéder aux soins de santé. Ainsi, aux fins de planification des ressources humaines, des études complémentaires seraient nécessaires, entre autres des études comparant le temps de déplacement moyen pour l’accès à des soins linguistiquement concordants pour les anglophones et les francophones. Enfin, notre agrégation des données de l’ADA a entraîné l’absence totale de 42 ADA et l’absence de certaines données pour d’autres ADA.

Malgré ces limites, les résultats de cette étude peuvent aider à la planification des ressources humaines pour viser l’élimination des barrières linguistiques et la promotion de soins conformes à la langue pour les minorités linguistiques. La méthode utilisée pourrait aussi être appliquée dans d’autres régions et pays. L’utilisation d’une mesure pondérée en fonction de la population pour observer la répartition relative des médecins donne une image plus claire des disparités dans l’accès potentiel à des soins linguistiquement concordants pour les populations linguistiques minoritaires. Cette approche est pratique, car elle utilise des chiffres absolus pour représenter les déficits en médecins, et évolutive, car elle permet d’agréger facilement les résultats de régions géographiques plus petites pour obtenir des résultats pour n’importe quelle région géographique plus grande.

En notant les disparités dans la répartition des médecins francophones et en identifiant les régions qui ont le plus besoin d’un meilleur accès à des soins primaires linguistiquement concordants, les résultats de cette étude mettent en évidence les obstacles auxquels les communautés francophones minoritaires de l’Ontario peuvent être confrontées pour accéder à des soins primaires linguistiquement concordants. En plus de nos résultats, d’autres études ont également souligné que les médecins ont besoin de soutien pour surmonter les obstacles à la prestation de services aux populations minoritaires francophones de l’Ontario, notamment en augmentant les possibilités de formation médicale et de perfectionnement professionnel en français dans les régions où la proportion de francophones est élevée (Timony et al., 2016). Nous croyons que cette étude offre des perspectives qui peuvent informer les décideurs, les organismes de soins de santé et les intervenants et intervenantes en éducation médicale sur les régions qui bénéficieraient le plus de politiques et de programmes visant à recruter et à maintenir en poste des médecins de famille francophones dans ces régions.