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Introduction

L’anglais et le français sont reconnus comme étant les langues officielles du Canada. Au fédéral, la Loi sur les langues officielles encadre l’usage des langues officielles au sein des institutions fédérales pour communiquer avec le public et fournir des services (Commissariat aux langues officielles, 2022). Après le Québec, l’Ontario est la province canadienne comptant le plus grand nombre d’habitants ayant le français comme première langue officielle parlée, avec 592 000 personnes, ou 3,8 % de la population (Statistique Canada, 2022).

Dans cette province, les services provinciaux, tels ceux de la santé, sont assujettis à la Loi sur les services en français. Ceci implique que le gouvernement provincial délègue la responsabilité d’offrir des services en français aux fournisseurs de services de santé (FSS) qui offrent des services pour le compte du ministère de la Santé (MS) ou du ministère des Soins de longue durée (MSLD). La responsabilisation face aux services de santé en français (SSEF) est mise en oeuvre et évaluée selon le processus de la désignation, auquel les fournisseurs de services en région désignée doivent se soumettre. Pour qu’une région soit considérée comme désignée, 5 000 francophones ou 10 % de la population de la région doivent y résider (Gouvernement de l’Ontario, 2022). On compte actuellement 26 régions désignées en Ontario. La ville de Sarnia s’ajoute comme 27e région en 2024 (Gouvernement de l’Ontario, 2021a; Gouvernement de l’Ontario, 2022).

Un cadre légal des services en français est établi pour la province, pourtant la capacité réelle des fournisseurs à offrir des services en français n’a jamais été documentée. Déterminer si la population francophone reçoit réellement les services en français auxquels elle a droit demeure donc un défi.

1.1 Désignation et planification des services de santé en français

En Ontario, on dénombre environ 1 420 FSS qui reçoivent leur financement de Santé Ontario, l’organisme responsable de la planification et du financement des services de santé dans la province. Parmi ces 1 420 FSS, environ 80 sont désignés, 190 sont identifiés et 1 150 sont non identifiés. Chaque fournisseur assume un niveau de responsabilité à l’égard de l’offre des SSEF en fonction de ce statut (Ministère de la Santé et des Soins de longue durée, 2017). Lorsque tous les services financés par Santé Ontario sont désignés, il s’agit d’une désignation complète. Quand seulement une portion des services ou un point de service sont désignés, on parlera d’une désignation partielle.

Pour que la désignation leur soit octroyée par le ministère des Affaires francophones de l’Ontario (MAFO), les fournisseurs désignés doivent pratiquer l’offre active. L’offre active est :

[…] la prestation régulière et permanente de services de santé en français — offerts à une qualité comparable à celle des services fournis en anglais, offerts systématiquement et de manière proactive aux clients francophones tout au long du continuum de soins. Pour assurer une offre active de services de santé en français, les fournisseurs de services de santé doivent mettre en oeuvre une série de pratiques organisationnelles. Ces pratiques sont également des exigences de désignation.

Réseau de services de santé en français de l’Est de l’Ontario, 2022, p. 3

De plus, ils doivent avoir complété et mis en action leur plan de désignation. Ce dernier est basé sur 20 exigences portant sur les thèmes suivants : la gouvernance, les services à la clientèle, l’identité visuelle et les communications, la responsabilisation et les politiques ainsi que la planification relative aux ressources humaines (Ministère des Affaires francophones, 2022). Ainsi, un FSS sera tenu d’avoir en place une politique sur les SSEF et une politique sur les ressources humaines portant sur l’embauche de personnel possédant des capacités linguistiques avancées en français. Il devra s’assurer entre autres que sa documentation à l’intention de la clientèle soit disponible en français, tout comme son site Web et son système de téléphonie automatique.

Par ailleurs, un fournisseur identifié est tenu de développer un plan qui le mènera éventuellement à la désignation en vertu de la Loi sur les services en français. Il a aussi la responsabilité de fournir des SSEF conformément à sa capacité actuelle (Ministère de la Santé et des Soins de longue durée, 2017; OZi, 2021). Il peut arriver qu’un fournisseur soit identifié pour un service particulier. Dans ce cas, l’identification est partielle. À ce jour, il demeure difficile de répertorier de façon standardisée les niveaux de responsabilité pour des services. Le dynamisme du système de santé, ce qui inclut les intégrations ou les transferts de services, complexifie la tâche. L’absence d’une liste formelle de tous les fournisseurs identifiés contribue aussi au défi.

Pour ce qui est des FSS non identifiés, soit l’ensemble des fournisseurs qui ne sont ni désignés ni identifiés, leurs responsabilités sont limitées. Il leur est recommandé de répondre aux besoins de leur communauté francophone locale en offrant des renseignements sur les services offerts en français dans leur région et en dirigeant les patients ou clients francophones vers des fournisseurs offrant ces services (Ministère de la Santé et des Soins de longue durée, 2017).

Compte tenu des mesures mises en place à l’aide de la désignation, des SSEF sont plus probables d’être offerts chez un FSS désigné que chez un fournisseur partiellement désigné ou non identifié (Savard et al., 2020). En fait, la Loi sur les services en français garantit l’offre des services chez les FSS désignés (OZi, 2021).

Six entités régionales de planification des services de santé en français sont mandatées pour appuyer les multiples FSS de l’Ontario dans leurs démarches vers la désignation (Gouvernement de l’Ontario, 2021b). Par exemple, les entités régionales peuvent conseiller Santé Ontario en vue de l’identification d’un service ou d’un fournisseur. Cette décision se prend selon l’aspect unique du service, c’est-à-dire seul en son genre, ou essentiel, pour une région à population francophone. L’identification tient donc compte de plusieurs facteurs, comme l’ensemble des services offerts dans une région pour la population francophone ainsi que la demande pour ces services. À cet égard, les entités régionales servent donc d’intermédiaires, avec Santé Ontario, entre les FSS et le MS et le MSLD.

1.2 Carences de données

Les écrits sur la santé de la minorité francophone en Ontario se sont penchés sur des aspects variés. On retrouve par exemple l’expérience des patients francophones en Ontario et les nombreuses barrières à l’accès aux SSEF (Muray et al., 2022). On a aussi exploré la pénurie de professionnels pouvant s’exprimer en français (Drolet et al., 2015) et la répartition inadéquate de professionnels de la santé s’exprimant en français, en l’occurrence les médecins de famille et les pharmaciens, selon les régions de la province à forte densité francophone (Timony et al., 2018; Timony et al., 2022). de Moissac et Bowen (2019) ont mis en lumière le manque de qualité des soins en santé et le risque pour la sécurité des patientes et des patients lorsqu’ils sont traités dans une langue qui leur est moins familière. De plus, certains auteurs et certaines autrices ont dénoncé la pénurie de données sur les SSEF. de Moissac et ses collègues (2017) notent que le manque de données sur les professionnels bilingues peut entraîner une sous-utilisation des SSEF. En effet, si la population ignore où est offert un service de santé en français, elle n’en fera pas usage.

Certains secteurs de soins sont plus affectés que d’autres par le manque de données. Le manque de données sur la langue des professionnels de la santé oeuvrant en soins de longue durée (SLD) a été noté (Batista et al., 2021). De plus, on retrouve, au mieux, des données fragmentaires pour les SSEF en santé mentale (Cardinal et al., 2018). Cependant, pour être en mesure de planifier les SSEF basés sur des données à l’échelle de la province et sur les besoins établis par la recherche en francophonie en Ontario, il faudrait aller au-delà des informations parcellaires et pouvoir dresser un inventaire exhaustif des services de santé en français et des ressources humaines bilingues pour l’Ontario.

1.3 Objectif de l’étude

L’objectif de la présente étude est d’établir un état des lieux concernant les SSEF pour l’Ontario à partir d’un projet de collecte de données mandaté et financé par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée (MSSLD; qui est maintenant scindé en deux ministères distincts, soit le MS et le MSLD). Ce projet a été initié en 2014 par le Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario (RSSFE), dans une optique de planification des SSEF. Il a mené à la création d’OZi, une société à but non lucratif indépendante qui oeuvre dans l’habilitation des organisations à l’égard des SSEF, à l’aide de stratégies de données. Le but du projet est de remédier aux carences d’information du système de SSEF en rassemblant en une seule plateforme en ligne, tous les rapports annuels sur les SSEF produits par chacun des FSS financés par Santé Ontario pour l’ensemble de la province. Cet exercice permet de rassembler des données probantes, tel le nombre d’employés bilingues par FSS, par secteur de soins ou par région. Ces données permettent de connaître la capacité à offrir des SSEF et d’harmoniser l’offre et la demande par la planification de futurs SSEF.

La collecte de données a eu lieu pendant trois années et une compilation annuelle a été produite par OZi pour le Ministère chaque année. Notre article se limite à la dernière année de compilation (2019-2020) et à certaines comparaisons avec les années précédentes.

2. Méthodologie

Cette étude utilise une approche quantitative de type exploratoire avec une visée descriptive. Ce devis a été choisi à la fois pour examiner des données et mettre en évidence les tendances observées. La visée descriptive permet de mieux comprendre le sujet de l’offre des services de santé en Ontario. Ce devis a donc été adopté selon la finalité, soit les besoins de planification des services de santé en français dans le système ontarien (Mialaret, 2004). Plus précisément, les besoins ont été déterminés par l’entremise d’une collaboration entre les partenaires impliqués.

2.1 Contexte

Les résultats s’insèrent dans un contexte de grands changements au sein du système de santé. Au moment de la collecte de données, la structure du système de santé était assurée par les Réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS). Par conséquent, bien que ces structures soient maintenant remplacées par Santé Ontario, les résultats sont présentés selon les RLISS. Notons aussi que durant la collecte de données, il existait 34 exigences de désignation, qui ont maintenant été réorganisées en 20 exigences (MAFO, 2022).

2.2 Population à l’étude

Tous les FSS financés par les RLISS (environ 1 420) ont été sollicités pour mieux comprendre l’offre des SSEF du domaine public en Ontario. Pour ce faire, le MS et les RLISS ont joué un rôle crucial dans la démonstration de l’importance de la participation des FSS dans la collecte des données pour les responsabiliser à l’égard des rapports de SSEF. Ils ont donc assuré le respect du dépôt des rapports et des suivis auprès des FSS. Les entités de planification des services de santé en français ont quant à elles soutenu les FSS dans le processus par l’entremise d’appui et d’accompagnement.

2.3 Collecte et source de données

Pour concevoir la plateforme bilingue OZi, le MSSLD et le RSSFE se sont appuyés en partie sur le formulaire de désignation disponible pour les FSS. La création d’une plateforme Web a donc permis de rassembler et standardiser trois types d’informations importantes dans la planification des SSEF : 1) toutes les données et documents nécessaires pour qu’un FSS en Ontario puisse faire une demande afin d’obtenir la désignation selon la Loi sur les services en français; 2) tous les documents et données nécessaires pour qu’un FSS désigné ou identifié en Ontario puisse maintenir ses informations à jour et ainsi favoriser le maintien de son niveau de responsabilité quant aux SSEF en Ontario; 3) tous les documents et données nécessaires pour que les instances gouvernementales puissent avoir les informations adéquates afin de mieux planifier l’offre de services de santé en français.

Les données ont été recueillies par l’entremise d’une plateforme déployée par OZi sur une période de trois ans, soit de 2017 à 2020. Elles étaient conservées en ligne, où les FSS devaient mettre leurs informations à jour annuellement. La plateforme créée spécifiquement pour cette intention était disponible gratuitement aux FSS ainsi qu’aux RLISS et nécessitait la création d’un compte pour y accéder. Pour mieux orienter les résultats de cette étude, les données ont été organisées selon quatre grandes sections, soit : la répartition géographique de l’offre des services de santé en français; le continuum de soins; les exigences de la désignation; et les ressources humaines.

2.4 Analyse des données quantitatives

Les données ont été analysées à l’aide de statistiques descriptives. Des nombres et des pourcentages ont été utilisés afin d’illustrer les fréquences et pour mieux comparer les variables. Les variables qui ont été mises en relation sont les suivantes : le secteur de soins, la localité et la géographie telle que définie par les RLISS, le niveau de responsabilité à l’égard des SSF, la période durant laquelle les rapports ont été produits et les ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français. Des tableaux ont été utilisés afin de faciliter la présentation des résultats.

2.5 Considérations éthiques

Aucune approbation éthique n’a été nécessaire pour cette étude, puisque l’information demeure du domaine public et correspond aux normes du respect de la vie privée (Groupe en éthique de la recherche, 2019).

3. Résultats

Les résultats qui suivent portent sur la participation des FSS désignés, identifiés et non identifiés aux collectes de données. Pour 2017 à 2018, 1 351 FSS, ou 94 %, des FSS ont participé. Pour l’année suivante, de 2018 à 2019, 1 428 FSS, ou 94 %, des FSS ont participé. De 2019 à 2020, 1 418 FSS, ou 94 %, des FSS ont participé à la collecte de données.

3.1 Répartition géographique de l’offre des services en français

La capacité à offrir des SSEF sur le territoire ontarien se définit par le niveau de responsabilité d’un FSS, son emplacement physique et le secteur de santé auquel il appartient. Comme proposés par les RLISS, les cinq secteurs utilisés dans la présente analyse couvrent le continuum de soins, c’est-à-dire les hôpitaux, les services de santé mentale et dépendances (SMD), les SLD, les services de soutien communautaire (SSC) et les centres de santé communautaire (CSC).

Le Tableau 1 illustre la répartition des fournisseurs de services par niveau de responsabilité et secteur. On remarque que la proportion de foyers de SLD désignés et identifiés est considérablement inférieure (9 %) lorsqu’elle est comparée aux autres secteurs de soins. Comparativement, les hôpitaux démontrent la plus forte proportion (48 %) de fournisseurs désignés et identifiés de tous les secteurs de soins.

Tableau 1

Répartition provinciale des services par niveau de responsabilité et secteur

Répartition provinciale des services par niveau de responsabilité et secteur
Reproduction libre : OZi, 2021

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Le Tableau 2 est un examen de la proportion de secteurs, pour lesquels les SSEF sont offerts par RLISS et par niveau de responsabilité. Il donne un portrait en termes de capacité à l’offre des SSEF. Dans ce tableau, chacun des cinq secteurs pourrait être représenté autant chez les fournisseurs désignés que chez les fournisseurs identifiés. La colonne « désignés » est donc indépendante de la colonne « identifiés », ce qui explique pourquoi il n’y a pas de colonne « total ». On constate qu’il y a deux RLISS pour lesquels chacun des cinq secteurs compte au moins un FSS désigné : le RLISS de Champlain et celui du Nord-Est. Pour les autres RLISS, l’absence de FSS identifié ou désigné démontre les carences à offrir des services de santé en français dans plusieurs secteurs. Par exemple, dans huit des 14 RLISS, les SSEF ne sont pas garantis, car il n’y a pas de FSS désigné, pour aucun des secteurs.

Tableau 2

Proportion de secteurs pour lesquels les services de santé en français sont offerts par RLISS et par niveau de responsabilité

Proportion de secteurs pour lesquels les services de santé en français sont offerts par RLISS et par niveau de responsabilité
Reproduction libre : OZi, 2021

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3.2 Continuum de soins

Les centres fonctionnels de coûts (CFC) sont des codes utilisés par les systèmes de gestion dans les organismes de santé du Canada qui correspondent aux activités de base menées par les FSS et à leur financement (par exemple par les RLISS). Les CFC peuvent aussi être associés à un secteur de soins particulier, à un poste ou au niveau de responsabilité du fournisseur. De plus, le croisement des CFC financés par fournisseur avec leur niveau de responsabilité envers les SEF permet d’examiner l’offre de SSEF sur le continuum de soins. En se limitant aux CFC uniques qui sont en lien avec les soins directs et en les représentant selon leur statut (désignés, identifiés ou non identifiés), une illustration du continuum de soins dans la province et par RLISS se dégage. Le Tableau 3 présente la répartition provinciale de services directs financés par les RLISS selon le niveau de responsabilité et le secteur. Il démontre que pour l’Ontario, 48 % des services directs financés sont désignés, c’est-à-dire que le FSS est tenu de les offrir en français. En revanche, pour 52 % d’entre eux, leur accessibilité en français n’est pas garantie, car ils sont soit identifiés, soit non identifiés.

Tableau 3

Répartition provinciale de services directs financés par les RLISS selon le niveau de responsabilité et le secteur

Répartition provinciale de services directs financés par les RLISS selon le niveau de responsabilité et le secteur
Reproduction libre : OZi, 2021

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Par ailleurs, le Tableau 4 dresse la liste des localités désignées pour lesquelles les services ne sont offerts que par un FSS non identifié. Une localité est une des 76 sous-régions des RLISS qui servent à la planification des services, au financement et à l’organisation des services. On considère qu’une localité est désignée si elle correspond à une des 26 régions désignées (OZi, 2021). On observe une lacune dans au moins un secteur de soins dans 23 des 37 localités désignées. Qui plus est, 10 de ces 23 localités ne fournissent pas de services désignés dans au moins 3 secteurs de soins. Ceci implique qu’il n’y a pas d’offre de SSEF assurée par un fournisseur dans les secteurs mentionnés, alors que la population francophone établie devrait le justifier.

Tableau 4

Liste des secteurs de services directs financés par les RLISS offerts seulement par des fournisseurs de services non identifiés selon les localités désignées

Liste des secteurs de services directs financés par les RLISS offerts seulement par des fournisseurs de services non identifiés selon les localités désignées
Reproduction libre : OZi, 2021

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3.3 Exigences de la désignation

En se penchant sur le taux de conformité aux exigences de désignation, la capacité d’offrir des services de santé en français peut être évaluée. Le taux de conformité est calculé selon les exigences satisfaites. Par exemple, si un fournisseur a satisfait à 17 des 34 exigences, il obtient un taux de conformité de 50 %. Chez les FSS désignés, plus le niveau de conformité aux exigences de désignation est élevé, plus la capacité à offrir des SSEF se voit maintenue. Pour les FSS identifiés, leur niveau de conformité aux exigences représente leur état d’avancement de l’identification vers la désignation. Le Tableau 5 illustre le taux de conformité moyen aux exigences de la désignation par niveau de responsabilité, à la troisième année de collecte de données. Il démontre que les FSS identifiés se trouvent surtout au début de leur processus de désignation avec des taux qui varient de 24 % à 80 %. Pour leur part, les taux de conformité aux exigences des FSS désignés sont plus élevés. Ceux-ci se situent entre 68 % et 100 %.

Tableau 5

Taux de conformité moyen aux exigences de la désignation par niveau de responsabilité

Taux de conformité moyen aux exigences de la désignation par niveau de responsabilité
Reproduction libre : OZi, 2021

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Le Tableau 6 présente l’évolution de la conformité aux exigences sur les trois années de collecte de données. Comme la valeur calculée est une moyenne des taux, le nombre de fournisseurs par RLISS influence le pourcentage. De plus, il est normal de constater que lors de nouvelles identifications, le pourcentage diminue étant donné que le travail sur les exigences ne fait que débuter. Lorsque les taux de conformité aux exigences de désignation sont comparés entre la dernière année de collecte et les précédentes, on observe une avancée globale (voir Tableau 6). Pour les FSS identifiés, l’avancée a été observée pour 10 RLISS tandis que pour les FSS désignés, on note une avancée dans deux RLISS. Seul un RLISS montre une décroissance importante dans le taux de conformité.

Tableau 6

Taux de changement de conformité moyen aux exigences de la désignation par niveau de responsabilité

Taux de changement de conformité moyen aux exigences de la désignation par niveau de responsabilité
Reproduction libre : OZi, 2021

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En comparant les mêmes données dans le temps, c’est-à-dire sur les trois périodes de collecte de données, le rythme de progression vers la désignation est visible. Le Tableau 7 présente le taux moyen de conformité aux exigences de la désignation par niveau de responsabilité par période et en illustre l’amélioration pour les FSS désignés et des FSS identifiés.

Tableau 7

Taux moyen de conformité aux exigences de la désignation par niveau de responsabilité par période

Taux moyen de conformité aux exigences de la désignation par niveau de responsabilité par période
Reproduction libre : OZi, 2021

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3.4 Ressources humaines capables d’offrir les services en français

Pour pouvoir offrir des SSEF, il est essentiel d’employer une main-d’oeuvre présentant les compétences linguistiques requises. Selon les exigences du MAFO, un employé détient les compétences linguistiques pour servir la population francophone lorsque son français est évalué au niveau « avancé moins » à « supérieur » (MAFO, 2022). Les données suivantes portent précisément sur ces employés. Notons toutefois que certains fournisseurs ont seulement indiqué les postes désignés au sein de leur agence, tandis que d’autres ont indiqué le nombre total de postes. Ainsi, les données recueillies ne nous permettent pas de fournir le chiffre total d’employés pour les tableaux 8, 9 et 10. La majorité des ressources humaines ayant la capacité à servir la population francophone oeuvre au sein des FSS désignés (63 %). Il existe aussi une certaine proportion de personnel bilingue dans les FSS identifiés (17 %) et non identifiés (20 %). La présence de personnes employées possédant des compétences linguistiques requises en français témoigne d’une occasion de renforcer la capacité au sein de ses FSS. Le Tableau 8 montre la répartition provinciale des ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français par niveau de responsabilité.

Tableau 8

Répartition provinciale des ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français par niveau de responsabilité

Répartition provinciale des ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français par niveau de responsabilité
Reproduction libre : OZi, 2021

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Lorsqu’on examine la distribution des données sur les ressources humaines selon le secteur et le niveau de responsabilité (voir Tableau 9), on observe une plus forte proportion de personnes employées possédant les capacités linguistiques au sein des hôpitaux désignés (81 % ou n = 8 212). Lorsqu’on examine ceci chez les FSS non identifiés, le secteur des SLD possède le plus grand nombre (n = 1 876) et le plus haut taux (44 %) de ressources humaines ayant la capacité d’offrir des SSEF.

Tableau 9

Répartition provinciale des ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français par secteur et niveau de responsabilité

Répartition provinciale des ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français par secteur et niveau de responsabilité
Reproduction libre : OZi, 2021

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L’examen par RLISS de la proportion des ressources humaines ayant la capacité d’offrir des services de santé en français révèle que pour plus de la moitié des RLISS (n = 8) la plus grande proportion se retrouve dans les FSS non identifiés. Le Tableau 10 présente la répartition des ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français par niveau de responsabilité et RLISS.

Tableau 10

Répartition des ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français par niveau de responsabilité et RLISS

Répartition des ressources humaines capables d’offrir des services de santé en français par niveau de responsabilité et RLISS
Reproduction libre : OZi, 2021

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4. Discussion

La présente étude fait un état des lieux de l’offre des services de santé aux francophones en Ontario en mettant en lumière la répartition provinciale des FSS et du continuum de soins, des exigences de la désignation et des ressources humaines. Elle répond donc à plusieurs besoins soulevés par la littérature, notamment concernant l’exercice d’une collecte de données systématique (Tremblay, 2012/2014). La revue des publications scientifiques récentes permet de croire qu’il n’existerait pas d’autres publications scientifiques étayant un portrait de l’état des SSEF aux niveaux régional et provincial en Ontario.

4.1 Accès et planification des SSEF

L’analyse des données permet d’établir un portrait concernant l’offre des services de santé publics aux francophones en Ontario. À l’aide des données sur les niveaux de responsabilité, les CFC et les ressources humaines, ce portrait permet de cibler des écarts de services dans différentes régions de la province ainsi que dans certains secteurs de soins. Par exemple, on observe une absence de FSS désigné dans 8 régions désignées du Centre et du Sud de l’Ontario. Ceci concorde avec les résultats de Warnke et Bouchard (2013) qui ont aussi identifié des inégalités quant à l’accès aux professionnels de la santé entre la minorité de langue officielle et la majorité linguistique dans ces régions.

Les résultats indiquent également qu’entre 33 % et 46 % des CFC sont uniquement financés au sein de FSS non identifiés dans les secteurs des SLD, SSC, CSC et SMD. De plus, entre 20 % et 44 % des ressources humaines ayant la capacité linguistique d’offrir des SSEF dans ces secteurs opèrent au sein de FSS non identifiés. Au total, c’est 3 642 ressources humaines, soit environ 20 % de la totalité des ressources humaines pouvant offrir des SSEF qui n’ont pas de responsabilités à cet effet. Lorsqu’on s’intéresse plus particulièrement au secteur des SLD, près de la moitié des 4 239 employés (1 876) pouvant offrir des SSEF dans ce secteur n’ont pas d’obligations ou de structure en place pour ce faire. À l’échelle provinciale, la capacité des ressouces humaines oeuvrant dans le secteur des SLD à offrir des SSEF représente environ 23 % du total de la capacité. Lorsqu’on s’intéresse au niveau de responsabilité par secteur dans toute la province, seulement 9 % (56/604) des FSS du secteur des SLD sont identifiés et/ou désignés. À titre comparatif, ce taux varie de 22 % à 32 % pour les secteurs de SMD, SSC et CSC, alors qu’il s’élève à 48 % dans le secteur hospitalier. On observe donc un écart de responsabilisation et d’accès significatif dans le secteur des SLD, considérant que la capacité d’offrir des services de santé en français varie et dépend de la capacité en ressources humaines (Van Kemenade et al., 2021; Tremblay, 2012/2014).

Comme le développement de ressources humaines ayant la capacité linguistique nécessaire pour offrir des SSEF repose sur un ensemble de mesures et d’interactions qui dépassent le milieu de la santé (Savard et al., 2017), on peut considérer les ressources humaines comme une ressource limitée. Ainsi, ceci exige une configuration et une planification de services qui dépassent les silos organisationnels et qui impliquent davantage une organisation régionale de la navigation des SSEF. Bien que le Gouvernement de l’Ontario priorise le secteur des SLD à l’aide de la Loi de 2021 sur le redressement des soins de longue durée, les changements risquent de prendre des années avant d’être observables sur le terrain, la mise en oeuvre efficace des politiques et des lois demeurant toujours déficientes (Bouchard et al., 2021). De plus, même si des efforts supplémentaires sont déployés pour relocaliser ou inciter ces professionnels à occuper des postes au sein de services ou fournisseurs identifiés ou désignés (Tremblay, 2012/2014; Savard et al., 2017; de Moissac et Drolet, 2017; Bouchard et al., 2017), ceux-ci demeurent souverains du choix de leur poste et environnement de pratique.

4.2 Performance de la désignation

Il existe très peu de littérature ayant pour objet l’état et le progrès de la désignation des services de santé en Ontario. L’étude spéciale du Commissariat aux services en français de l’Ontario (2018) avait permis d’observer certaines données fournies par le RSSFE quant à la désignation. Ces données avaient été récupérées à l’aide d’une distribution de chiffriers formatés pour les périodes de 2014 à 2017. Toutefois, celles-ci concernaient seulement des FSS désignés et identifiés situés dans 5 régions de la province. Au total, 149 FSS désignés et identifiés ont participé. Comparativement, la présente étude a permis la collecte auprès d’environ 10 fois plus de participants et de participantes provenant des 14 régions (RLISS) de l’Ontario.

Les résultats indiquent des lacunes de mise en oeuvre des mécanismes d’offre active auprès de FSS ayant déjà obtenu leur désignation. Par exemple, on observe que le taux moyen de conformité aux exigences de la désignation pour les fournisseurs désignés est de 85 % dans les régions désignées. Toutefois, on constate une amélioration des taux de mise en oeuvre de ces mécanismes chez les fournisseurs désignés et identifiés, suivant les collectes de données annuelles successives. Par exemple, le taux moyen de conformité aux exigences a augmenté de 22 % pour les fournisseurs désignés et de 14 % chez les fournisseurs identifiés sur une période de 3 années. Il est possible que l’exercice de collecte de données en soi provoque une responsabilisation accrue des FSS envers l’offre et le maintien des SSEF, ou que ce phénomène soit influencé par une meilleure compréhension des processus et des informations requises. Il est aussi possible que cette variation soit influencée par les pratiques d’accompagnement des entités de planification et de certains RLISS auprès des FSS désignés et identifiés. À cet effet, OZi va au-delà d’une simple collecte de données : il favorise aussi la collaboration et le développement des SSEF. On observe un progrès similaire dans les résultats de l’étude spéciale du Commissariat aux services en français de l’Ontario (2018). Par exemple, le nombre de participantes et de participants a évolué de 12 pour la période 2014-2015, à 70 pour 2015-2016, puis finalement à 149 pour 2016-2017. De plus, ce rapport illustre à l’aide d’un exemple de cas d’un FSS désigné un progrès d’environ 12 % de conformité aux critères de désignation (soit de 17,65 % à 29,41 %).

Somme toute, on peut considérer que le déploiement de la plateforme OZi est le successeur des chiffriers du RSSFE dans le cadre de l’exercice de collecte des données, mais à envergure provinciale. Ceci semble impliquer que mesurer annuellement et systématiquement la performance de la mise en oeuvre de la désignation à l’aide d’indicateurs et de processus constants, conviviaux, efficaces et soutenus par les bailleurs de fonds contribue à l’amélioration de la conformité aux exigences de désignation chez les fournisseurs désignés et identifiés. Il est aussi possible que l’habitude à l’exercice de collecte de données sur les SSEF normalise l’expérience et diminue la barrière à la participation. À notre connaissance, il n’existe pas d’étude portant sur les effets des fréquences de collectes de données quant aux comportements d’appropriation des données ou d’habilitation des SEF dans une perspective de mesure de rendement. Toutefois, nous sommes d’avis que la fréquence des collectes de données au regard des SSEF ne devrait pas être moins d’une fois par an, car elles servent à appuyer des décisions concernant un système en constante transformation. Quoi qu’il en soit, ces observations offrent une opportunité d’explorer davantage les impacts qu’aura eus le déploiement de la plateforme OZi en Ontario.

4.3 Limites

Le fait que l’ensemble des données recueillies reposent sur un format prédéfini par le Gouvernement de l’Ontario dans un contexte autorapporté constitue la limite principale de la présente étude. Les données s’inscrivent néanmoins dans le cadre conceptuel de la désignation et, par extension, d’une interprétation de l’offre active. Les résultats de cette étude permettent tout de même d’observer de grandes tendances et une mise en oeuvre de la Loi sur les services en français, loi qui contribue à l’avancement des connaissances quant à la planification des services de santé en français, en Ontario.

Afin de minimiser les erreurs et incohérences, une procédure de validation a été mise en place. La validation des données demeure un moyen efficace et largement connu pour déceler des sources d’erreurs (Statistique Canada, 2015). Plus précisément, les rapports soumis par les FSS durant la collecte ont été revus par les entités de planification et les RLISS respectifs. Bien loin de l’audit, ceci a permis des révisions basées sur des connaissances locales des FSS. Par exemple, si certaines données semblaient hors de l’ordinaire, l’entité ou le RLISS approprié vérifiaient les informations soumises auprès du FSS en question (OZi, 2021). D’ailleurs, cette procédure aura permis de comprendre que des FSS nouvellement identifiés dans les régions du Nord-Est et de Simcoe-Nord Muskoka contribuent à la variation négative en matière de conformité moyenne aux exigences de désignation pour ces régions.

Aussi, la pratique d’évaluation de la capacité linguistique en français des ressources humaines en Ontario n’est pas sujette à une méthode unifiée. Par exemple, certains FSS misent sur l’autodéclaration, d’autres sur une approche d’évaluation interne ou par un tiers parti externe. Ainsi, il existe un degré d’incertitude concernant la validité des résultats sur les ressources humaines provenant des FSS.

Enfin, l’utilisation de certaines données pose un problème de représentation. Par exemple, les CFC ont été utilisés pour extrapoler des résultats sur le continuum de soins alors qu’ils ne sont pas une indication directe de l’organisation des services étant donné leur interdépendance, surtout lorsqu’on les observe sous la lentille de la désignation. Une organisation peut tout de même offrir un service en français, même s’il n’est que partiellement désigné, identifié ou non identifié, à l’aide d’interprètes, par exemple. Toutefois, il semble plus probable qu’un service offert dans un organisme non identifié ne soit pas offert en français, surtout lorsqu’on considère que même des fournisseurs et des services désignés ont de la difficulté à assurer une offre ou un accès continu à des SSEF (Savard et al., 2020). Néanmoins, il ne semble pas exister de méthodologie indiquée ou précise quant à l’utilisation des CFC dans une perspective de planification des services. Même si l’analyse des résultats se voit limitée à des observations de tendances plutôt qu’à des analyses statistiques poussées, l’utilisation originale de ces indicateurs est tout de même proposée. Tout compte fait, l’exploitation des CFC dans une perspective de planification ou d’organisation des services demeure à explorer. Par exemple, les CFC pourraient être transformés, cartographiés et publiés ouvertement afin de faciliter l’amélioration et soutenir la navigation des SSEF par les patients et les professionnels de la santé. Il faudra toutefois s’assurer qu’une structure ou des mécanismes sont en place, permettant l’appropriation ainsi que la mise à jour régulière des informations pour favoriser une navigation en temps réel.

Conclusion

La présente étude révèle les résultats d’un projet de collecte de données provinciale au sujet des SSEF, auprès d’environ 1 420 FSS. Plus précisément, les données concernent diverses mesures d’offre active découlant du cadre provincial de la désignation ainsi que les ressources humaines ayant une capacité linguistique d’offrir des SSEF. Cet exercice aura permis aux instances régionales de santé (RLISS) de colliger des informations concernant les mêmes indicateurs, ce qui n’était pas le cas auparavant. De surcroît, ces informations normalisées permettent de dessiner, pour la première fois, un portrait provincial normalisé de SSEF, et donc d’établir une base de référence dans les régions administratives du milieu de la santé et dans les différents secteurs de soins. Ceci met en évidence l’importance des processus de collecte des données soutenus par des critères clairs qui offrent une distribution factuelle des SEF afin d’assurer la concordance linguistique. Dans l’ensemble, ce projet a permis d’obtenir des données difficilement accessibles (Vézina et Robichaud, 2011) ainsi que de soutenir des décisions éclairées en matière de planification des SSEF. Enfin, l’utilisation de ces données dans une optique de navigation et de référence devra être explorée.

Les résultats qui concernent les ressources humaines, les taux de mise en oeuvre de l’offre active (désignation), la capacité des organisations et des différents secteurs de soins à offrir de SSEF permettent de soutenir l’amélioration continue aux niveaux micro (individu), méso (organisation) et macro (politique) (Savard et al., 2017). En ce sens, les carences possiblement identifiées dans les continuums de soins et dans les secteurs de soins indiquent des lieux possibles d’intervention et d’amélioration continue afin d’assurer aux patientes et aux patients francophones l’accès à des services sécuritaires dans la langue officielle avec laquelle ils sont plus à l’aise de recevoir leurs soins.

Enfin, les résultats concernant la performance de la désignation auront permis de mettre en lumière le progrès de celle-ci à travers les années de collecte. Bien que ceci peut être influencé par plusieurs facteurs, les variations positives se traduisent en une responsabilisation accrue envers l’offre des SSEF. Ces facteurs nécessitent davantage d’exploration afin de déterminer l’impact d’OZi.

Somme toute, la présente étude permet d’observer la contribution d’OZi dans l’établissement d’un premier portrait provincial en Ontario des SSEF. En outre, OZi aura ouvert la porte à une collecte de données standardisée et systématique des SSEF.