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Quels sont les enjeux de l’intégration des enseignants non permanents (ENP) dans les universités françaises ? Malgré un intérêt récent de la communauté scientifique en management public et en ressources humaines pour la gestion des carrières à l’université, peu d’études traitent de l’intégration des ENP sous un angle humain ou organisationnel.

Les lois successives offrent aux universités une typologie variée de contrats et d’emplois en réponse à la nécessaire flexibilité de la gestion de leurs ressources humaines (Masou, 2018) qui amplifient la précarité (Slaughter et Leslie, 1997; Rhoades, 1996, 1998; Le Saout et Loirand, 2020). Elle place des personnes surdiplômées dans des situations personnelles et professionnelles indignes puisqu’elles sont obligées de supporter des conditions de travail néfastes (P.E.C.R.E.S, 2011) qui vont à l’encontre de leur intégration professionnelle.

Plusieurs travaux dénoncent les situations d’insécurité importantes vécues par la plupart des ENP (Soulié, 1996; Castel, 2009; Bresson, 2016). Leurs conditions de travail sont marquées par une multiplicité d’accrocs à leurs droits sociaux. Imprévisibilité, limite des renouvellements, cumul d’employeurs et dépendance à leur égard, absence de prime, ou retard dans les rémunérations forment leur quotidien. Plusieurs rapports et études d’associations (Sauvons la recherche, 2003; Sauvons l’université, 2007) relèvent également ces conditions.

En revanche, peu de recherches évoquent comment la précarité peut influencer l’intégration en termes de sentiments, de relationnel et d’implication organisationnelle; pourtant les enjeux se déploient sur plusieurs dimensions. En effet, l’insécurité de l’emploi s’accompagne de conséquences néfastes sur la santé avec l’émergence d’attitudes professionnelles négatives, voire la manifestation de troubles relationnels avec l’organisation (Sverke, Hellgren et Näswall, 2002).

Les relations entre titulaires et non-titulaires se dégradent de plus en plus, elles sont marquées par « le sentiment d’impuissance ou les abus de pouvoir des premiers, le ressentiment des seconds » (P.E.C.R.E.S 2011, p.11).

Etudier l’intégration des ENP est un enjeu majeur aux corollaires directs ou indirects. L’observation des relations interpersonnelles permet de déterminer dans un premier temps les conséquences sur les individus eux-mêmes et la manière dont celles-ci impactent leurs pratiques pédagogiques et de recherches qui sont les gages de qualité à l’université. Dans un deuxième temps, cette observation permet de déterminer le niveau d’implication organisationnel au sein des départements et laboratoires.

Nous explorons dans cette étude les enjeux de l’intégration en termes de sentiments, de relationnel et d’implication organisationnelle des ENP. Cette recherche s’appuie sur une démarche méthodologique de nature qualitative et une approche inductive. Elle utilise la triangulation de trois sources de données collectées dans des universités françaises à travers une observation participante, des entretiens semi-directifs et un questionnaire en ligne.

Sur le plan conceptuel, cette recherche établit le lien entre les enjeux de l’intégration et l’implication organisationnelle des ENP. Sur le plan pratique, elle apporte principalement deux contributions. La première permet de mettre en exergue les enjeux de l’intégration des ENP au travers de leur ressenti, de leurs relations avec l’équipe et de leur implication. La seconde permet à l’université de développer les pratiques managériales concernant une partie importante de son personnel (ENP). En effet, les pratiques managériales peuvent jouer un rôle primordial clarifiant les enjeux directs et indirects du bien-être et de l’intégration des ENP.

L’article est construit comme suit : nous commençons par mobiliser la revue de littérature autour du processus d’intégration sociale et professionnelle, de l’idiosyncrasie des sentiments et des perceptions relationnelles, de l’implication organisationnelle et enfin des politiques intégratives dans le cadre universitaire français. Ensuite, nous présenterons la méthodologie, la collecte avec l’analyse des données et les résultats que nous discuterons.

Revue de littérature

L’intégration sociale et professionnelle des enseignants non permanents

L’emploi contingent est considéré comme tout emploi pour lequel la personne ne bénéficie pas d’un contrat de travail de longue durée explicite ou implicite (Polivka et Nardone, 1989), et dont le volume horaire peut varier de façon aléatoire (Manville, 2008). Faisant partie des agents contingents, les enseignants non permanents se trouvent confrontés à plusieurs défis concernant leur intégration professionnelle au sein de leur organisation.

Dans un contexte professionnel, l’intégration est définie comme l’accompagnement du nouveau salarié vers un processus de socialisation organisationnelle (Van Maanen et Schein, 1979 cités dans Dufour et Lacaze, 2010). La construction identitaire et l’équilibre social (Baudelot et Gollac, 2003), facilités par les échanges entre les nouveaux arrivants et les employés expérimentés, sont présentés comme des occasions aidant à la socialisation et à la reconnaissance (Louis, 1980; Reichers, 1987). Les procédures d’intégration sont multiples. Elles peuvent être individuelles ou collectives, formelles ou informelles, séquentielles ou non séquentielles, fixes ou variables, en séries ou disjointes d’investissement ou de désinvestissement (Van Maanen et Schein, 1979).

Ces procédures d’intégration devront être accompagnées de conditions de travail favorables, d’attitudes coopératives, d’identification de règles et d’un suivi de l’intégration pour favoriser celle-ci (Garcia, 2016). Dans le contexte universitaire, le travail collaboratif et le partage d’expériences par la communauté ou les membres du laboratoire s’avèrent particulièrement importants pour les enseignants. En effet, la coopération renforce le sentiment d’appartenance qui offre un répit dans un travail difficile et pousse l’individu à progresser et à s’impliquer davantage grâce à la motivation induite par la reconnaissance du groupe (Farrell, 2011).

A l’inverse, un manque de coopération entraîne des attitudes d’isolement et de vulnérabilité (Callahan, 2018). Les enseignants isolés qui ne partagent pas leurs expériences avec autrui seraient plus enclins à quitter la profession de manière prématurée (Hong, 2010).

La revue de littérature explique l’intégration professionnelle efficiente à travers quatre éléments (Fisher, 1986; Ostroff et Kozlowski, 1992; Chao et al., 1994; Bauer et al., 1998) : la maîtrise de son emploi (apprendre les règles et les procédures, créer ses propres schémas cognitifs), l’intégration sociale (connaître les membres de l’université, du laboratoire, leurs valeurs, les relations de pouvoir, les codes comportementaux, se créer un réseau de soutien social), la connaissance de l’organisation (dans ses aspects formels et informels, culture, valeurs, normes), et la clarté du rôle (comprendre et accepter ses responsabilités vis-à-vis des membres de l’équipe de recherche et les parties prenantes).

En complément de ces éléments intégrateurs, les pratiques managériales qui représentent les activités, les comportements et les fonctions (Stewart, 1998) s’avèrent indispensables, bien qu’elles diffèrent en fonction des départements, des laboratoires, de la constitution des équipes et de leurs domaines d’activités (Youngs, 2017).

Les auteurs (Bolden et al., 2008; Bolden et Petrov, 2014) relèvent cinq dimensions constitutives de ces pratiques au sein des universités qui sont en elles-mêmes des agrégations d’actions individuelles et collectives (Nicolini, 2012) à savoir : les dimensions personnelles, sociales, culturelles, contextuelles et en référence au développement. Ainsi, en tant que supérieurs hiérarchiques directs, les enseignants titulaires tiennent un rôle actif de manager qui consiste à soutenir, informer, encourager, rassurer et accompagner les ENP (El Akremi et al., 2014). Leurs contributions s’intègrent dans un processus de socialisation complexe avec des synergies relationnelles, organisationnelles, individuelles et collectives multiples.

Au niveau organisationnel, les communautés de pratiques aident à créer des conditions propices au travail collaboratif (Davison et al., 2013) entre le personnel académique, les agents administratifs et les laboratoires qui contribuent au processus de socialisation et d’intégration au sein des universités (El Akremi et al., 2014).

A l’inverse, une intégration devient « non assurée », selon trois typologies (Paugam, 2007), à savoir l’intégration incertaine (le salarié précaire travaille dans de bonnes conditions, il est entouré par ses collègues et supérieurs, néanmoins il risque de perdre son emploi), l’intégration laborieuse (le salarié travaille par nécessité avec des conditions de travail pénibles et de mauvaises relations avec les collègues et les supérieurs, pourtant l’emploi peut être garanti), et l’intégration disqualifiante (l’intégration au sein d’un groupe et de l’entité est actée mais comme un membre de statut inférieur, l’identité de l’individu est menacée).

L’intégration de l’individu est donc grandement caractérisée par un besoin de visibilité sociale et d’estime positive de sa juste valeur par les diverses parties prenantes (Callahan, 2018). Faut-il le préciser, la manière dont la socialisation est gérée est primordiale, car elle aura des effets sur l’implication organisationnelle, la satisfaction au travail (Jones, 1986; Lacaze, 2005), les perceptions des relations et les sentiments des ENP.

L’idiosyncrasie des sentiments des ENP et les perceptions relationnelles

Dans le cadre de cette étude, la théorie de la reconnaissance (Honneth, 2000) et la théorie de la justice (Rawls, 2020) sont mobilisées pour évaluer les sentiments perçus au travail. Il s’agit d’analyser l’adéquation entre le désir des individus et les apports de leur environnement de travail (Paillé, 2008).

Alors que les doctorants expriment leurs difficultés à se situer dans l’université et à se faire entendre (Durat et Brunet, 2014), la demande de reconnaissance devient une composante essentielle de la vie au travail (Brun, 2013). Les individus doivent trouver un sens à leur contribution à l’oeuvre productive avec une reconnaissance matérielle et symbolique de leur travail. Ils ont besoin d’avoir accès à la protection sociale qui en découle pour tendre vers une stabilité de l’emploi afin de planifier leur avenir (Paugam, 2007).

La reconnaissance comprend quatre dimensions (Brun, 2013). La première s’intéresse à l’individu, la personne que l’on salue ou intègre aux réunions et décisions, la deuxième concerne l’investissement dans un projet, la troisième porte sur la pratique professionnelle, c’est-à-dire la manière d’exécuter le travail en faisant appel aux qualités et aux compétences de l’individu et enfin, la quatrième vise les résultats sur le travail accompli.

Les notions de justice et d’injustice se rencontrent au quotidien dans les rapports au travail et à l’emploi (Dejours, 2010) comme les répartitions inéquitables des tâches entre les Maîtres de Conférences, les Professeurs des Universités et les précaires (Durat et Brunet, 2014). Ainsi, ces mêmes auteurs révèlent chez les ENP toute une série de sentiments négatifs comme des inquiétudes, de la démotivation et du mal-être. Les recherches précédentes sur les jeunes précaires dans le secteur public ont mis en exergue des perceptions négatives ou de « sous-catégorisations » dans les organisations (Eme, 2005; Gaboriau, 2019). Des situations d’angoisse, de désarroi et de déclassement immérité sont observées par le sociologue Eme, (2005) malgré « le sentiment d’être à la hauteur des tâches » à accomplir, parfois selon des « critères d’excellence » « — identique à celui des personnes statutaires — ». Il souligne l’accroissement du sentiment d’injustice « du fait des contradictions ou des incompatibilités entre les appréciations de la hiérarchie de proximité et les décisions des systèmes de gestion » où « chaque nouvelle situation de travail est ressentie comme une épreuve pour une embauche définitive » (p.64).

En plus du sentiment d’injustice, les auteurs Kezar et Sam, (2014) confirment l’instabilité des enseignants occupant des postes précaires. Ils ne bénéficient d’aucune protection de l’emploi et sont généralement exclus de la gouvernance académique. Dans les universités, il existe un clivage fort en fonction des statuts, renforcé par le cloisonnement entre composantes et les difficultés de communication (Durat et Brunet, 2014).

Plus précisément, la position ambivalente des doctorants ressemble à celle des apprentis mais, contrairement aux métiers de l’artisanat, les candidats à la thèse ont peu de chance d’être recrutés sur place après leur soutenance, même si celle-ci est la reconnaissance par la communauté de leurs capacités professionnelles (Lanciano-Morandatt, 2006, cité dans Barré, 2007). Ils souffrent d’un « mépris social » accentué par le manque de transparence vis-à-vis de leur insertion statutaire et du changement fonctionnel (Honneth, 2000).

Les relations et les sentiments perçus par les ENP relèvent donc des aspects négatifs, il est intéressant de savoir dans quelle mesure l’implication organisationnelle sera impactée.

L’implication organisationnelle des enseignants non permanents

La question de l’implication des agents non permanents a été évoquée par plusieurs études (Polivka et Nardone, 1989; Paugam, 2000; Palmade, 2003; Barbier, 2005; Hennequin, 2010; Drucker-Godard et al., 2012; Zeller et Serval, 2012; Stromboni et al., 2014). Pour aborder la notion d’implication, nous nous référons à la définition de Thévenet (1992, p.144) : « L’implication est une notion qui traduit et explicite la relation entre la personne et l’entreprise. (…) Il y a interaction entre l’individu et l’entreprise pour que se développe cette implication ». C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’importance des interactions entre les ENP et leur collègues permanents qui influencent leur implication. En effet, l’implication organisationnelle définit le comportement et les attitudes de l’individu, elle exprime une forte croyance dans les buts et les valeurs de l’organisation (Mowday et al., 1982). Elle est également une marque d’engagement des individus avec une volonté de fournir des efforts significatifs pour rester membre de l’organisation (Meyer et al., 2002). Dans cette perspective, elle représente l’un des atouts le plus important à la fois pour les organisations et pour les individus.

L’implication organisationnelle est basée d’après Allen et Meyer (1996) sur trois dimensions attitudinales : affective « attachement émotionnel et identification envers l’organisation », calculée « connaissance qu’a l’individu des coûts associés à son départ de l’organisation » et enfin normative « sentiment d’obligation de rester travailler dans l’organisation par devoir moral, loyauté, ou pour achever un projet dans lequel la personne se considère engagée » (Prat dit Hauret, 2006, p.9).

Dans cette perception de l’implication, la précarisation a un impact significatif sur l’investissement des ENP. En effet, la situation de précarité mobilise des processus mentaux impliquant des émotions, des pensées et des valeurs. Elle peut être soit source d’opportunités, d’enrichissements et d’évolutions, soit, à l’inverse, elle peut entraîner une détérioration chez l’individu (Parkes, 1971; Gaboriau, 2019).

Dans le cas des enseignants non permanents à l’université, la précarité représente à la fois une source d’opportunité et une cause de détérioration. L’acceptation de la précarité est nécessaire à la préparation de leur avenir, l’important au départ étant d’intégrer une équipe et un département (Bernard et al., 2014). En contrepartie, cette précarité rend difficile l’intégration des ENP au sein de l’équipe pédagogique. Pourtant, les individus s’impliquent car ils souhaitent être membres du groupe de référence qui les attire et, par conséquent, y maintenir des relations positives (Kelman, 1958).

Pour les nouveaux ENP le niveau d’exigences, les attentes des pairs et/ou de l’organisation semblent croître de manière exponentielle. Les auteurs Dufour et Lacaze (2010) soulignent les attentes implicites des organisations que sont l’implication au travail, un comportement responsable et professionnel et la capacité à gérer de multiples tâches, parfois davantage que les titulaires, ou un comportement responsable et professionnel.

La revue de littérature témoigne de plusieurs études abordant les effets néfastes de la précarité, notamment le manque de reconnaissance, l’injustice, l’isolement et la souffrance (Honneth, 2000; Dejours, 2010). En revanche, peu d’études abordent les impacts de cette précarité sur l’intégration des ENP en termes relationnel et d’implication organisationnelle. L’objectif de cette recherche est de combler ces lacunes à travers une étude qualitative interrogeant les principales parties prenantes, à savoir les ENP et les EP dans les universités françaises.

Politiques d’intégration dans les universitaires françaises : mise en contexte

Le recours aux non-permanents dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche Publique (ESRP) en France n’est pas un phénomène récent. La précarisation des emplois, qui est récurrente depuis 1992, continue d’augmenter au regard des choix politiques exprimés à travers plusieurs réformes récentes dans les universités. Les réformes les plus significatives remontent à la loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités de 2007 (LRU), à la loi de Responsabilités et Compétences Elargies de 2009 (RCE), à la loi sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche de 2013 (ESR) et plus récemment à la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) de 2020.

L’idée principale de ces réformes est de renforcer la gestion basée sur les résultats (Mazouz et al., 2008), l’autonomie des universités et d’accorder plus de pouvoir aux présidents en matière de recrutement et de type de contrats à proposer. Les réformes redéfinissent les relations entre l’Etat et les universités. L’Etat est conscient de la contribution des universités à la société, mais il est tenté en même temps de réduire sa participation dans leur financement (Mouline, 2020).

Qualifiés de main-d’oeuvre à bas prix (Le Saout et Loirand, 2020), les enseignants non permanents (ENP) permettent aux universités d’avoir une meilleure maîtrise de leur masse salariale, dont la gestion reste l’un des grands défis de l’autonomie (Masou, 2018). En conséquence, le nombre des enseignants précaires a augmenté de façon exceptionnelle en France dans la période récente puisqu’ils représentent environ un quart de l’effectif (Note de la DGRH, 2019, 2020).

Les ENP révèlent une diversité de situations qui dépend autant des universités que des statuts particuliers des composantes. Certains contrats relèvent du droit public, d’autres du droit privé, avec une volonté affichée de maintenir cette précarité au sein des structures.

Précisons toutefois que si les ENP sont soumis à des règles difficiles à vivre pouvant apparaître comme dérogatoire au droit commun (Bresson, 2016), ils restent indispensables à la pérennité des enseignements, leur implication étant nécessaire à la continuité du service. Ils se sentent pourtant marginalisés par l’incertitude et l’absence de perspective professionnelle (Saglio, 2005; Bresson, 2016). Selon eux, cette situation est inacceptable et en contradiction avec les normes sociales. Or, cette tendance s’accentue avec la LPPR (2020) qui ouvre aux universités des champs supplémentaires de liberté de recrutement avec de nouveaux profils de contractuels.

Les ENP ont été distingués en neuf catégories : les doctorants contractuels avec service d’enseignement ou sans service d’enseignement, les moniteurs, les Attachés Temporaires d’Enseignement et de Recherche (ATER), les enseignants associés, les enseignants invités, les lecteurs et répétiteurs, les maîtres de langues, les contractuels sur emplois du second degré et les contractuels de droit privé dit « L 954-3 » créés avec la LRU (2007). Ils sont tous chargés d’enseignements vacataires ou considérés comme des agents temporaires vacataires (Note de la DGRH, 2019). Il faut préciser que si les neuf catégories partagent le même statut d’ENP, ils n’ont néanmoins absolument pas les mêmes attentes et perspectives de carrière. Les raisons du recours à chacune des catégories semblent être également différentes selon la structure universitaire et les attentes induites.

Notons ici que le statut des ENP relève de plusieurs paradoxes. A la fois sélectionnés parmi les meilleurs candidats pour dispenser des enseignements exigeants et de qualité, ces chargés temporaires d’enseignement seront pourtant perçus comme un sous-groupe du personnel universitaire.

Dans ce contexte, les politiques d’intégration ou de non-intégration des ENP dans les universités françaises sont porteuses de pratiques managériales contradictoires et de situations à la limite du supportable pour le personnel concerné. Des conséquences psychologiques dues à la surcharge de travail, à la réalisation des tâches ingrates ou moins prestigieuses et au manque de considération par les titulaires sont signalées dans les travaux menés par Le Saout et Loirand (2020) sur les chargés d’enseignement vacataires. Ils doivent assurer davantage d’heures d’enseignement alors qu’ils sont débutants dans le métier, ce qui représente une source d’isolement individuel et collectif : « situation originale que celle où l’on demande à un personnel débutant, disposant de peu de temps nécessaire pour préparer ses cours, de dispenser des enseignements fondamentaux » (ibidem, p. 133).

Afin de comprendre les enjeux de l’intégration des ENP, il convient de développer les éléments méthodologiques qui ont permis de collecter les données de l’étude.

Méthodologie et collecte de données

La volonté d’explorer les enjeux de l’intégration des enseignants non permanents au sein de l’ESRP a conduit à privilégier une démarche méthodologique qualitative et à adopter une logique inductive. En effet, les témoignages des ENP et leurs collègues ont permis de définir ultérieurement ces enjeux sous un angle humain et organisationnel, en termes de sentiments et de relations professionnelles et de leur répercussion sur l’implication organisationnelle.

L’enquête sur le terrain a visé principalement à identifier les enjeux de l’intégration à travers la manière dont les ENP et leurs collègues perçoivent leurs conditions de travail et la façon dont ils qualifient les conséquences de celles-ci en termes relationnel et d’implication organisationnelle.

La collecte de données est fondée sur la triangulation de trois sources issues d’une observation participante (pendant un mois et demi), des entretiens semi-directifs (14 entretiens) et un questionnaire en ligne (42 retours exploitables). Tous les participants ont été recrutés via un réseau professionnel, au sein des universités de tailles moyennes en région parisienne et en province (environ 20000 étudiants). Le consentement des participants a été libre et éclairé et plusieurs participants nous ont remercié de la réalisation de cette étude. Le matériel empirique a été collecté et enregistré en respectant les processus d’anonymisation.

Dans un premier temps, une observation participante a été réalisée pendant un mois et demi à raison de quatre jours par semaine, six heures par jour dans une structure universitaire en tenant en permanence un cahier de notes et consignant dans le détail aussi bien les observations objectives que les sentiments individuels et les sensations personnelles à des moments réservés dans la journée (Aktouf, 1987). La posture d’un membre interne d’une unité de recherche a été adoptée, ce qui a permis de passer, lorsque c’était nécessaire, d’une observation participante à une observation intervenante et poser des questions complémentaires pour enrichir les notes d’observation.

Dans un deuxième temps, des entretiens approfondis ont été menés auprès de quatorze acteurs enseignants-chercheurs (sept permanents et sept non-permanents). Cette répartition a été réalisée dans un souci de représenter les deux catégories d’enseignants afin de comprendre les enjeux de l’intégration de différents points de vue. Interviewer les EP a permis de voir les enjeux sous de nouveaux angles. La taille d’échantillon a été considérée suffisante lorsque la saturation des données a été obtenue, autrement dit, un entretien supplémentaire n’amènerait plus de nouvelle information (Blais et Martineau, 2006). Les ENP interviewés avaient un profil d’enseignant-chercheur et ils avaient l’ambition de faire une carrière universitaire. Ces acteurs ont été interrogés dans le cadre d’entretiens semi-directifs oscillant entre quarante et soixante minutes, à l’aide d’un enregistreur et d’un guide d’entretien élaboré pour chaque catégorie (permanent ou non-permanent). Leurs caractéristiques sont présentées dans le tableau n° 1. Les entretiens se sont déroulés à l’intérieur de l’établissement des interviewés afin de restituer « le contexte de travail » de la manière la plus fiable possible.

Tableau 1

Profil des personnes interviewées

Profil des personnes interviewées

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Dans un troisième temps, afin d’affiner les résultats obtenus de l’observation participante et des entretiens, un questionnaire en ligne sur les conditions de travail des agents de l’ESRP a été diffusé avec deux questions ouvertes. L’une sur la perception des relations entre agents (« Si vous le souhaitez, explicitez vos réponses aux questions précédentes portant sur votre perception des relations entre agents au sein de la structure ») et la deuxième en clôture du questionnaire sur la perception par les répondants de la situation des non-permanents (« L’espace ci-après est laissé à votre libre expression. Nous vous invitons notamment à répondre, en quelques mots, à la question suivante : Comment percevez-vous aujourd’hui la situation des non-permanents [contractuels et vacataires] dans l’ESRP ? »).

Au total, 42 retours exploitables ont été récupérés sur les 157 questionnaires envoyés durant quatre semaines. Cette collecte repose sur un échantillon de réponses (dont 26 EP Maîtres de Conférences ou Professeurs des Universités, issus de plusieurs disciplines et de plusieurs universités, 16 ENP vacataires, doctorants, ATER).

L’analyse a débuté de manière très ouverte et s’est concentrée progressivement sur des catégories principales. Les codes issus des notes écrites de l’observation participante, des entretiens transcrits et des réponses aux questions ouvertes du questionnaire ont été effectués selon un codage multithématique ouvert réalisé par l’une des auteurs. Le codage a consisté à examiner des sections cohérentes de notre matériel empirique — un paragraphe, une page — et à les étiqueter avec un mot ou une courte phrase qui résume son contenu (Linneberg et Korsgaard, 2019). Nous avons commencé par multiplier les codes à attribuer aux unités de sens. Puis, progressivement, nous avons cherché à regrouper ces codes en catégories, avant d’identifier des liens entre ceux-ci et les catégories ou au sein des catégories elles-mêmes (Point, 2018). Le matériau a été découpé et les unités de sens ont été regroupées par thème, ce qui a permis de quadriller le matériau par des séries thématiques que nous avons incluses dans notre analyse qualitative (Ayache et Dumez, 2011).

En respectant la démarche inductive, les thèmes issus des analyses sont basés principalement sur les retours des participants. Dans une restitution thématique, le codage a permis de sélectionner les parties pertinentes à inclure dans la section dédiée aux résultats (Linneberg et Korsgaard, 2019). Ceux-ci sont présentés de façon neutre et distanciée et illustrés de citations (verbatim) (Gioia et al., 2013).

Pour l’analyse des résultats, nous avons combiné les relevés d’observation, la transcription des entretiens et les verbatim récupérés des questionnaires en ligne. L’ensemble fait un corpus total de près de 27970 mots, soit respectivement 25490 mots pour la retranscription des entretiens, 2170 mots pour les verbatim et 310 mots des relevés d’observation.

Résultats

Dans l’objectif de tirer profit de l’approche qualitative et d’illustrer la richesse des témoignages des participants, les éléments clés du verbatim recueillis de la part des ENP et de leurs collègues permanents sont synthétisés sous forme de tableaux. Il s’agit de caractériser la perception de leur intégration à travers les sentiments (tableau n° 2), les relations (tableau n° 3) et l’implication organisationnelle (tableau n° 4).

Perceptions de la situation par les ENP et leurs collègues

À travers cette analyse, nous pouvons remarquer dans le tableau n° 2 ci-dessous que les répondants partagent principalement trois sentiments, à savoir l’injustice, l’inquiétude et la solitude.

Tableau 2

Caractérisation des sentiments concernant les ENP*

Caractérisation des sentiments concernant les ENP*

* Les légendes Q, j-xx désignent les extraits de verbatim récupérés du questionnaire en ligne et le Exx, j-xx désignent les extraits des entretiens.

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Le sentiment d’injustice était amplement lié au paiement tardif pour les vacataires, aux modalités de recrutement qui ne sont pas à la hauteur des compétences et à la rigidité en cas de fautes professionnelles par rapport aux permanents, au risque de ne pas obtenir de reconduction de contrat. Le sentiment d’inquiétude s’inscrit principalement dans l’angoisse d’un non-renouvellement et d’une non-titularisation. Le sentiment de solitude a été cité à plusieurs reprises, particulièrement dans les entretiens. Il est corrélé au manque d’informations « basiques », pour reprendre le terme utilisé par l’un des interviewés, sur l’institut ou la matière enseignée, au manque d’écoute, d’assistance, de dialogue et de reconnaissance.

La perception des relationnels au sein des équipes pédagogiques

Selon les répondants, plusieurs caractéristiques marquent leur expérience relationnelle tels que le manque de coordination, d’intégration, de considération et de légitimité. A cela, s’ajoute la pression hiérarchique et la distance relationnelle que nous synthétisons dans le tableau n° 3 ci-dessous.

Le manque de coordination s’articule autour de plusieurs éléments clés. Les énoncés relèvent principalement un manque d’association aux démarches pédagogiques, des difficultés liées à la distance géographique — privés d’un espace de travail attitré, les ENP viennent uniquement pour dispenser leurs cours — et le manque d’informations pour collaborer entre les responsables de cours et les chargés de travaux dirigés (TD).

Tableau 3

Caractérisation de la perception des relations professionnelles entre les ENP et les EP

Caractérisation de la perception des relations professionnelles entre les ENP et les EP

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Le manque d’intégration des ENP dans la vie de la collectivité découle à la fois du manque de reconnaissance de la part de l’équipe de travail permanente et par leur « valeur » ou « non-valeur », c’est-à-dire leur importance dans l’institut.

Les répondants ont exprimé le manque de considération à travers plusieurs déterminants comme par exemple l’absence de service offert par l’université pour les vacataires, le fait de ne pas avoir a minima un courriel universitaire et le manque de respect car ils se sentent plutôt « utilisés ».

Le manque de légitimité a été corrélé ici au manque de communication du côté du département et également par rapport au statut. De fait, les ENP relient la légitimité à la titularisation. La pression hiérarchique a été rattachée à l’obligation de rendre des comptes aux responsables de matière ou de formation. Cette pression a été dénoncée auparavant par le rapport collectif du P.E.C.R.E.S (2011), les EP sont les employeurs directs et « se retrouvent pris dans des logiques managériales à l’origine de malaises réciproques et de conflits » (p. 81). Le fait de ne pas être titulaires place les ENP (quels que soient les diplômes et la nature des tâches effectuées) dans un rapport de subordination avec l’ensemble de leurs collègues statutaires (ibidem.).

La distance relationnelle entre les responsables des cours, souvent « permanents », et les chargés de TD, souvent « non-permanents », déconnecte les deux catégories et influence l’implication organisationnelle et affective des ENP. Citons ici un relevé d’observation qui confirme cette distance « un MCF rentre dans la salle des vacataires en disant : Elle est où la grande blonde qui fait avec moi le cours de xx, elle s’appelle comment… » O, 3.

La perception de l’implication organisationnelle des ENP

Les caractéristiques utilisées par les répondants pour qualifier l’implication des ENP ont été partagées entre quatre éléments que nous présentons dans le tableau n° 4 ci-dessous. Tout l’implication affective qui suppose un choix professionnel par amour du métier, ensuite l’implication calculée qui témoigne de la difficulté de partir ailleurs par manque de postes et enfin l’implication normative qui atteste de leur loyauté envers le métier en général et non spécifiquement envers l’établissement. Leur implication est surtout liée à l’espoir de réussir à obtenir un poste d’enseignant-chercheur permanent.

Bien que la majorité des personnes interviewées nous ait indiqué qu’il n’existe pas de différence en termes d’amour pour le métier entre les statuts de permanents et de non-permanents, une bonne partie des enseignants a néanmoins indiqué que le type de contrat peut influencer non pas leur choix d’enseigner dans le supérieur, mais bien leur investissement dans les institutions. Les formes d’implications organisationnelles se font en fonction de la volonté de s’engager vers des métiers d’enseignants-chercheurs permanents. La majorité des ENP sont engagés affectivement dans leur organisation et sont attachés à leur emploi temporaire dans une perspective d’obtenir un poste permanent.

Tableau 4

Caractérisation de la perception de l’implication organisationnelle des ENP

Caractérisation de la perception de l’implication organisationnelle des ENP

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Concernant la question de l’implication organisationnelle, les ENP affichent un certain manque d’engagement qui est, selon eux, parfois volontaire (implication calculée et implication normative). Ils l’expliquent par le manque de « visibilité sociale » accordée à leur égard par l’institution. Leur implication organisationnelle « normative » dans la vie de la collectivité a été également mise en question concernant leur participation aux réunions administratives et aux événements pédagogiques : « (…) non je ne les ai jamais vus, dans les journées portes ouvertes et les réunions administratives il y a que des permanents (…). » E1, j-10.

En conclusion de l’implication organisationnelle, nous relevons une dualité intrinsèque. Les ENP sont dans une obligation de s’impliquer pour prétendre à un futur poste par amour de ce métier ou par implication affective. En outre, ils sont confrontés à des périodes d’incertitudes, de doutes et d’angoisses qui amenuisent leur niveau d’investissement, ce qui les amène parfois à une implication calculée. Suite à l’analyse des résultats, la partie suivante traite des conséquences possibles sur les universités.

Discussion : Vers une « caractérisation » des conséquences sur l’établissement

Les éléments évoqués lors de l’étude de terrain tels que le manque de reconnaissance, l’injustice ou l’isolement ralentissent voire nuisent à l’intégration des ENP. Ils ont des effets néfastes sur leur bien-être et par conséquent sur à la fois leur implication organisationnelle et leur intégration professionnelle. Dans une perspective stratégique, étudier les enjeux de l’intégration permet d’améliorer les pratiques managériales qui soutiennent l’intégration des ENP au sein des universités.

Cette étude confirme les recherches précédentes sur le statut d’emploi précaire et l’implication organisationnelle (Pearce, 1993; McDonald et Makin, 2000; Feather et Rauter, 2004). Les enseignants non permanents se trouvent confrontés à plusieurs défis concernant leur intégration professionnelle au sein de leur organisation. Les résultats de notre échantillon s’inscrivent dans la continuité des recherches montrant que les non-permanents sont moins impliqués dans l’organisation que les permanents (Van Dyne et Ang, 1998; De Gilder, 2003). Le recours massif aux non-permanents peut engendrer des conséquences défavorables sur la mission des universités au travers d’un manque d’investissement dans la collectivité, d’un manque d’initiatives pour développer des nouvelles formations ou encore d’un manque de perspectives de carrière.

L’intégration professionnelle des ENP

L’analyse des verbatim fait ressortir un sentiment dominant d’injustice. Ce sentiment se confirme au quotidien à travers les rapports au travail et à l’emploi (Dejours, 2010, Rawls, 2020). Les auteurs Chambel et Castanheira (2006, cités dans Manville, 2008) montrent que les salariés en contrat court ne s’intéressent pas seulement à la relation économique illustrée par les gratifications monétaires mais s’intéressent aussi à la justice du traitement dans l’organisation dans laquelle ils exercent, ce qui peut influencer leur intégration professionnelle.

L’étude de terrain montre que les enjeux de précarité ont un impact sur l’intégration professionnelle des ENP dans l’organisation. Ils souffrent de cette insécurité et il leur semble difficile, dans ce contexte, de motiver les étudiants dans la réalisation de leur projet d’avenir quand eux-mêmes ressentent des difficultés dans leur évolution professionnelle et ne se sentent pas reconnus à leur juste valeur. Les marques de reconnaissance telles que des gestes, des regards ou paroles sont inexistantes de la part des collègues. De ce manque de relations découle des sentiments d’insatisfaction et de dépréciation de valeur.

La théorie de l’intégration professionnelle à travers ses trois composantes (incertaine, laborieuse et disqualifiante selon Paugam, 2007) peut expliquer la relation entre les ENP et leurs collègues et les émotions citées auparavant, en particulier l’injustice, la distance et le manque de reconnaissance (Honneth, 2000). La perception de ces sentiments au sein de l’université provoque des difficultés d’intégration sur un plan organisationnel (Van Maanen et Schein, 1979). Nos résultats confirment ceux de Jones, (1986) et Lacaze, (2005) évoquant les conséquences du manque d’informations des ENP sur l’implication organisationnelle et les effets avérés sur l’intégration.

Selon notre échantillon des ENP constitués d’ATER, de doctorants et de Maîtres de Conférences contractuels, le manque de socialisation, de communication, de collaboration (à titre d’exemple, ils ne sont pas conviés aux réunions) et la distance relationnelle entre les enseignants permanents et non-permanents sont les éléments flagrants qui ont un impact sur leur intégration et par conséquent sur la qualité de leur enseignement par manque de cohésion vis-à-vis des étudiants. En effet, cette distance relationnelle accentue le décalage entre les responsables de cours magistraux et ceux qui sont chargés de TD. De ce fait, les interactions et « le moment relationnel » n’existent pas toujours dans le cercle professionnel entre les deux groupes d’enseignants. Rappelons que l’intégration correspond à un besoin de visibilité sociale (Callahan, 2018) qui passe à travers le relationnel, la communication et la collaboration.

Or, ce problème semble rentrer dans les habitudes de fonctionnement de certains établissements dans lesquels les ENP perçoivent des difficultés d’intégration et ne se sentent pas investis au niveau fonctionnel et organisationnel.

L’implication organisationnelle des ENP

Nos résultats montrent que l’implication organisationnelle des ENP est influencée par la distance physique, psychologique et relationnelle. La distance physique est imposée par la nature de leur contrat, car les ENP ne sont présents que le temps de leurs cours et n’ont souvent pas un bureau attitré pour leurs activités. Cette distance est associée à un décalage psychologique issu de la nature des relations entre les ENP et EP. Il s’avère qu’une distance relationnelle trop importante peut avoir des effets néfastes, soit au niveau du bien-être, soit au niveau de l’implication organisationnelle affective (Carrier Vernhet et al., 2015).

Cette distance est accentuée par le manque d’interactions entre les ENP et EP. En effet, l’interaction avec les ENP ne semble pas être une priorité pour les enseignants chercheurs permanents interviewés, qui d’ailleurs se sentent plus chercheurs qu’enseignants. Ils accordent davantage d’importance au travail de recherche indispensable à leur avancement de carrière selon les indicateurs de publications évalué par le HCERES (Haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur). Les enseignants chercheurs permanents sont plus fidèles à leur laboratoire qu’à leur composante d’enseignement, ce que confirme Fave-Bonnet, (2002) par l’insuffisance dans l’évaluation des enseignements dispensés, notamment le fait que seule la recherche est prise en compte au détriment de la qualité des cours dispensés.

Assurément, en se focalisant sur le nombre de publications, les procédures d’évaluation adoptées par le HCERES accentuent en quelque sorte ce manque de communication entre les deux catégories. Emery et Giauque, (2005) soulignent l’importance d’intégrer des objectifs transversaux et de qualité dans la définition des missions de chacune des organisations, à côté des objectifs de productivité. De cette manière, les activités inter-organisationnelles seront facilitées et encouragées par une reconnaissance de la coopération vers une logique d’implication organisationnelle des différents statuts.

Politique d’intégration dans les universités françaises des ENP

Notre étude souligne l’enrichissement et la valeur ajoutée qu’apportent les enseignants non permanents malgré les difficultés en matière d’intégration. Notons qu’il faut rester attentif à la généralité des conclusions, ainsi qu’aux contingences locales car le recours aux ENP dans les universités ne constitue pas une pratique homogène. Cependant, et malgré cette diversité, nous pensons que développer quelques pratiques managériales, comme assurer un service d’accueil auprès des ENP au sein des établissements et fournir un système d’accompagnement, pourrait faciliter leur intégration. En effet, les mesures prévues pour l’accompagnement des ENP sont dispersées selon chaque université. Jusqu’à présent, il n’existe pas une démarche formelle d’accompagnement unifiée au niveau national, celle-ci relevant de l’initiative de la DRH ou des responsables de matière ou de formation. A noter ici qu’aujourd’hui, les EP et responsables de formation se trouvent dans un état de surcharge professionnelle en raison de la stabilisation des postes, du recours important aux non-permanents et du surcroît de charges administratives diverses (recherches de financements, montages de projets, pénurie de personnels de services des supports à l’université, etc.). Nos interviewés citent quelques démarches spontanées mises en oeuvre afin d’améliorer la communication, la qualité de la formation et la coordination au sein des équipes pédagogiques comme « un conseil de coordination pédagogique » et autre « comité de perfectionnement ».

Nous pensons que l’officialisation des pratiques managériales, à l’instar des démarches d’accompagnement des ENP — par ailleurs déjà engagées dans certains établissements (livret, guide, réunion, journée d’accueil, etc.) — demeurent parmi les points qui nécessitent encore d’être développés.

Conclusion

Cette recherche avait pour objectif d’explorer les enjeux de l’intégration des ENP dans les universités françaises. Ces enjeux ont été étudiés en termes de sentiments et de relations professionnelles et de leur répercussion sur l’implication organisationnelle.

Ce travail met en exergue plusieurs éléments importants. D’un point de vue académique, le lien entre la théorie de l’injustice, la théorie de la reconnaissance et la théorie de l’intégration a été établi pour examiner les conséquences de la gestion d’une proportion importante de non-permanents en termes d’analyse de sentiments des concernés, le côté relationnel et les effets sur l’implication organisationnelle tridimensionnelle (affective, calculée et normative). L’importance du processus de socialisation et de la « visibilité sociale » ont été mis en avant pour soutenir l’intégration des ENP.

D’un point de vue empirique, cette recherche a permis d’explorer les difficultés en matière d’intégration des ENP. Le sentiment dominant d’injustice, la distance relationnelle entre les ENP et les EP et le manque de reconnaissance ont des effets négatifs sur l’implication organisationnelle et par conséquent sur la qualité de l’enseignement et les missions scientifiques de l’université.

Dans une perspective managériale, nos observations permettent de formuler des propositions destinées aux enseignants permanents en tant que supérieurs hiérarchiques directs des ENP. Le rôle managérial joué par les EP semble être très important pour soutenir, accompagner les ENP et faciliter leur intégration. Nos propositions sont également destinées aux directions de ressources humaines car les pratiques managériales doivent être accompagnées par des conditions de travail favorables. Les services RH devraient injecter de nouvelles pratiques managériales appropriées aux ENP en mettant en avant les dimensions sociales afin de mieux définir les modalités d’accueil, d’accompagnement et de considération des ENP.

Dans une certaine mesure, nous pouvons déjà mettre en évidence quelques axes d’amélioration des pratiques managériales, comme par exemple envisager d’homogénéiser et d’officialiser les démarches d’accompagnement à l’aide de livrets et de guides pour les personnels non permanents ou encore créer un environnement favorisant les interactions avec le personnel permanent, comme des réunions ou des séminaires d’intégration.

Comme toute étude, cette dernière n’est pas exempte de limites. Poursuivre cette recherche sur un profil d’ENP et EP à plus grande échelle auprès d’universités françaises de tailles différentes permettrait d’avoir une observation étendue des pratiques managériales en cours. La mobilisation du cadre théorique renforcée par des études de type sociologique, la relation d’accompagnement ou encore la montée des incertitudes liée au travail peuvent être de potentielles pistes intéressantes à développer.

Cette étude montre que malgré les efforts méritoires de la gestion des ressources humaines de l’ESRP, et contrairement aux résultats escomptés, les différents ressentis au niveau de l’implication organisationnelle par les ENP annoncent de potentielles difficultés en matière d’intégration, de démobilisation ou de retrait volontaire. La question qui se pose aujourd’hui est de connaître la possibilité d’aborder les enjeux de précarité des enseignants non permanents dans une meilleure définition des démarches d’accompagnement et d’intégration et surtout de savoir comment ces améliorations s’intègrent dans le débat actuel à propos des valeurs du secteur public.