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On ne saurait trop insister sur l’importance de la gestion du territoire par les organisations publiques (Pupion 2017). Institutionnaliser un territoire et favoriser l’émergence d’une identité sociale autour d’un espace délimité reste un enjeu central de l’action publique, en particulier pour les collectivités locales. Dans ce contexte, les décideurs publics ont récemment développé le recours à la cartographie comme moyen de faciliter la compréhension du territoire qu’ils aménagent (Martinais 2007; Le Bourhis 2007). Cette activité, qui consiste à représenter visuellement un territoire, suscite aujourd’hui de vives critiques : partialité, simplification et idéologies politiques la caractérisent. Elle reste cependant un outil de connaissance efficace et utile pour l’action (Besse 2010). S’il serait ainsi contreproductif de se passer de cartes géographiques pour piloter les projets publics, les controverses suscitées par cet outil nous semblent légitimes. Il est aujourd’hui admis que la représentation que les acteurs se font d’un territoire est diversifiée, voire conflictuelle (Di Méo 2002, 2004; Aldhuy, 2007), ce que la carte spatiale ne permet pas de saisir. La construction même du territoire par les acteurs est le fruit de débats, qu’il serait utile de comprendre pour décider de façon plus éclairée.

C’est pourquoi nous proposons dans cet article de dépasser les limites de la cartographie spatiale et d’intégrer cette pluralité des représentations dans le processus décisionnel public. Pour répondre à cet enjeu, nous proposons de représenter le territoire non seulement à travers une carte spatiale, mais aussi à travers une carte cognitive (CC). La littérature sur cet outil est très large, mais nous pouvons citer : Allard-Poesi 1996; Cossette 2004; Verstraete 1996; Eden et Ackermann 2014; Ibrahim et Larsson 2017. La CC se définit comme une représentation graphique des représentations mentales des individus. Elle se compose de concepts reliés entre eux pour former un schéma conceptuel des représentations diversifiées des acteurs. Elle peut produire des informations plus larges que les outils traditionnels au cours d’un processus de construction territoriale et s’avère ainsi utile pour les acteurs publics qui ont en charge le développement, l’aménagement et la valorisation de leur territoire. Il s’agit donc de passer de la représentation du territoire comme espace géographique à la représentation du territoire comme espace social.

Cet outil s’inscrit dans le champ du cognitivisme en gestion (entre autres : Simon 1979; Von Glasersfeld 1992; Munier et Orléan 1993; Munier 1994; Cossette 2004; Laroche et Nioche 2006). Ce courant s’est construit en opposition à une vision purement rationnelle et calculatoire de l’individu. Les cognitivistes ont ainsi déconstruit l’homo oeconomicus, en mettant en avant les préférences instables et les limites calculatoires et informationnelles des acteurs (Simon 1979), en introduisant le hasard au coeur de la mécanique de choix (Cohen, March, et Olsen 1972; Huault 2009), en redonnant leur place aux représentations et aux croyances (Munier 1994; Cossette 2004; Laroche et Nioche 2006) ou en insistant sur le rôle prégnant du contexte, des normes sociales, des conventions, des interactions et des structures de coalitions internes aux organisations (Cohen, March, et Olsen 1972; Weick 1995; Orléan 2002; Cossette 2004; Laroche et Nioche 2006). Dans un contexte où les outils rationalistes sont très largement privilégiés (Thévenot 1995; Hollard et Vion 2006; Cabantous et Gond 2011), nous promouvons l’usage d’un artefact innovant, axé sur les représentations.

Pour tester le potentiel des CC, nous avons mené une Recherche-Intervention, dite RI (David 2000; Moisdon 2015; Aggeri 2016) autour d’un Projet Géothermique (PG) innovant dans une commune des Bouches-du-Rhône, au coeur du Bassin minier de Provence (BMP). La forte identité minière de ce territoire influence les décisions publiques et constitue un objet de débats constants. L’enjeu est fort puisqu’il s’agit d’envisager des politiques énergétiques locales alternatives et durables, un thème qui s’invite de plus en plus dans le débat public (Soldo, Marais, Hernandez 2010; Hernandez et Fiore 2017). Nos résultats mettront en avant l’utilité des cartes pour « mettre en scène » ces débats territoriaux et clarifier les options offertes aux décisionnaires.

D’abord, en nous appuyant sur une conception cognitiviste des organisations, nous définirons le territoire comme un espace construit et pensé par ses acteurs, qui s’en font tous une représentation idiosyncrasique. Puis, nous démontrerons le potentiel de l’outil « carte cognitive » pour représenter graphiquement cette diversité cognitive et construire de l’identité territoriale. Ensuite, nous décrirons la méthodologie de RI qui a été mise en oeuvre. Nous présenterons alors notre cas et nos résultats, qui montrent comment la carte facilite la modélisation du débat autour de l’identité territoriale et favorise un processus démocratique délibératif. Enfin, nous discuterons l’utilité de cet outil cognitiviste et ses apports managériaux.

Le territoire : espace pensé, espace disputé

Il s’agit ici de délimiter notre objet, le territoire. Nous proposons de le penser de façon processuelle, à travers la territorialisation et la construction d’une représentation sociale par ceux qui l’habitent et s’y identifient. Après avoir présenté le cadre cognitiviste dans lequel s’inscrit notre recherche, nous proposerons de définir le territoire comme un espace pensé et construit par ses acteurs. Puis, nous montrerons comment cette construction identitaire passe par des conflits de représentations qui participent au processus de territorialisation.

Les apports d’une conception cognitiviste en gestion

Notre étude s’inscrit dans le champ du cognitivisme en gestion (par exemple : Simon 1979; Von Glasersfeld 1992; Munier et Orléan 1993; Munier 1994; Cossette 2004; Laroche et Nioche 2006). Les sciences cognitives s’inscrivent dans une grande variété disciplinaire, épistémologique et théorique.

Le tournant cognitiviste dans l’étude des organisations s’est déployé à partir des recherches du prix Nobel d’économie Herbert Simon (Simon 1979; Lorino 2019). Par opposition à la vision rationnelle traditionnelle des économistes, il propose le concept de rationalité limitée, puis de rationalité procédurale, pour analyser les mécanismes décisionnels. Il s’intéresse de près à la cognition, c’est-à-dire aux mécanismes computationnels de l’esprit humain. Il met en relief les limites de notre capacité calculatoire, telles que nos préférences instables, notre accès limité à l’information ou encore l’inscription de la décision dans la temporalité.

Par la suite, le cognitivisme computationnel de Simon a été largement critiqué (Lorino 2019), car il évacuait entre autres l’importance des interactions sociales et du contexte dans son modèle, mais aussi parce qu’il restait ancré dans une épistémologie positiviste impropre à la compréhension des processus organisationnels complexes. Cossette (2004), en s’inscrivant dans une perspective constructiviste, fonde ainsi le cognitivisme sur le postulat que les lois sociales universelles n’existent pas. Elles ne peuvent donc pas être « découvertes ». L’objet de la science consiste alors à étudier la façon dont les humains construisent la réalité avec laquelle ils interagissent. Ils la décrivent, la discutent, la construisent pour qu’elle fasse sens pour eux. La réalité sociale, imprévisible et en constante évolution, ne peut ainsi pas être abordée, en tant qu’objet, comme on le ferait en biologie des organismes vivants ou en physique des phénomènes naturels. S’il n’existe pas de lois, il n’est pas possible de prévoir, et il devient alors nécessaire d’envisager un autre modèle de la science. Il s’agit dès lors plutôt de prendre connaissance du système référentiel à partir duquel les individus agissent. Le travail du chercheur revient à étudier en profondeur le réseau de significations qui guide les membres des organisations (Von Glasersfeld 1992).

L’utilité d’une approche cognitive des organisations a été largement démontrée par le passé. Nous pouvons synthétiser l’apport de ces recherches en mettant en avant trois arguments majeurs : (1) En étudiant la façon dont les individus pensent, nous replaçons le jugement des décideurs au centre du processus décisionnel (Cossette 2004; Laroche et Nioche 2006). S’intéresser à leurs croyances (Munier 1994; Weick 1995), à leurs intuitions (Bertolucci et Pinzon 2015), à leurs préférences, à leurs motivations ou encore aux biais qui peuvent influencer leurs décisions (Laroche et Nioche 2006) permettra de saisir la nature complexe du processus décisionnel. (2) Les acteurs pensent et agissent en fonction de ce qu’ils croient que les autres croient. Cette analyse prend en compte la façon dont nos pensées peuvent être influencées par notre environnement social : les normes, les règles, les institutions ou encore les conventions (Orléan 2002) déterminent alors ce que nous considérons comme acceptable ou non de croire. Nous nous appuyons sur les opinions que nous observons chez autrui pour construire notre propre raisonnement et argumentation (Munier 1994). (3) L’environnement est considéré, dans cette perspective, comme fondamentalement complexe (Le Moigne 1990; Weick 1995; Cossette 2004; Laroche et Nioche 2006). La réalité telle que nous la percevons n’est pas une donnée extérieure au sujet mais une construction de l’esprit, qui simplifie la complexité à laquelle il est confronté pour pouvoir la saisir.

Ceci nous invite à considérer que les acteurs publics construisent le territoire à travers un réseau d’interactions sociales. La complexité du réel amène les individus à se le représenter de façon simplifiée et idiosyncrasique. En amenant chaque décideur à mieux comprendre ce qui se joue dans l’esprit des autres, le collectif d’acteurs pourra se construire une représentation plus partagée du territoire. Nous nous appuierons sur la géographie sociale pour comprendre le territoire. En effet, celle-ci propose de le définir comme un objet entre représentation et action, et enrichit la vision cognitiviste que nous proposons.

Du territoire à la territorialisation : comment se construit l’identité territoriale

Le territoire, en tant qu’objet de gouvernance publique, s’impose comme un enjeu essentiel pour l’acteur public (Raulet-Croset 2014). La gouvernance territoriale désigne un « processus de confrontation et d’ajustement tout à la fois de systèmes de représentations et d’actions de groupes d’acteurs proches géographiquement mais pouvant être issus de champs organisationnels et institutionnels différents en vue de la réalisation d’un projet local de développement » (Mendez et Mercier 2006, p.6). Le territoire apparaît ainsi comme un lieu de jeux d’acteur politiques et émerge comme objet de gestion publique. Une telle compréhension du territoire permet d’orienter les décisions publiques en faveur d’une meilleure coordination des acteurs, d’un meilleur partage des ressources et d’une meilleure organisation de l’espace.

Nous nous appuyons sur la géographie sociale (entre autres : Frémont 1976; Soja 1980; Di Méo 2002, 2004; Aldhuy 2007; Bédard 2017) pour définir le territoire comme un objet entre représentation et action. Concrètement, « Les représentations sont l’ensemble des connaissances, croyances, opinions, convictions, tantôt personnelles, tantôt collectives. » (Di Méo 2004, p. 4) Elles sont donc une construction (Von Glasersfeld 1992, Cossette 2004). Elles se constituent au travers d’un effort de communication et d’action et émergent dans l’interaction. Les représentations sociales sont collectivement forgées et partagées (Di Méo 2004; Cossette 2004; Guirou 2017) et reflètent le système de valeurs commun aux membres d’un même groupe. Nous pensons ainsi le territoire comme un rapport à l’espace (Stock 2007; Bédard 2017) qui pose des problèmes cognitifs (les pratiques de l’espace, le rapport à l’environnement ou le sens que l’on donne à « l’habiter », au territoire, etc.). « L’objet de la géographie sociale est l’étude des relations entre rapports sociaux et rapports spatiaux » (Di Méo 2004 p. 1). L’organisation de l’espace est un produit social, qui émerge de pratiques sociales intentionnelles (Soja, 1980). L’objet « territoire » se pense et s’aménage à partir des significations que nous lui prêtons et des usages que nous en faisons (Bédard 2017). Il ne s’agit pas d’un espace objectif, extérieur à nous, mais d’un espace contextuel, fondé socialement (Lefèbvre 1970; Soja 1980). Cela invite à l’envisager non pas comme un résultat mais comme un processus : la territorialisation (Aldhui 2007). L’espace est sans cesse créé et vécu par les groupes sociaux qui entretiennent un rapport avec lui (Frémont 1976; Stock 2007). Il s’agit là d’éviter une réification du territoire (Lefèbvre 1970; Soja 1980; Bédard 2017) en le pensant dans sa temporalité.

Le processus de territorialisation produit par ailleurs efficacement de l’identité collective. L’identité peut être définie comme le phénomène de reconnaissance individuelle et sociale par lequel nous entrons en relation avec le territoire et nous lui donnons sens. Elle naît de constructions conscientes, volontaristes et historiquement datables (Thiesse 2001). L’identité des personnes, des communautés ou des collectivités comporte une forte condition territoriale (Bédard 2017). L’identité territoriale prend la forme d’un ensemble de références géographiques mobilisées par les individus (Stock 2007). De la même manière que pour la territorialisation, l’identité doit être comprise de façon processuelle. Elle s’inscrit dans une temporalité longue, généalogique. Di Méo définit ainsi l’identité comme « la dynamique évolutive par laquelle l’acteur social donne sens à son être en reliant le passé, le présent et l’avenir » (2002, p. 1). Cette identité s’appuie sur des mythes fondateurs. Par l’identification, les groupes se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité. L’identité collective, liée à des lieux, des espaces chargés de sens, constitue ce par quoi les individus se reconnaissent comme appartenant à un même groupe social (Bédard 2017).

Le territoire est ainsi l’espace tel que les collectifs se le représentent et à travers lequel ils construisent leur identité collective. Mais cela conduit à interroger le processus de construction du territoire lui-même. Si le territoire se construit grâce à une diversité d’acteurs aux intérêts et représentations diversifiées, alors il semble naturel que le territoire se structure autour de la conflictualité.

Le conflit au coeur du processus de territorialisation : entre prescription et construction territoriale

Le territoire se présente d’abord comme un outil utile pour masquer les conflits et les contradictions sociales (Aldhuy 2007). Il porte en lui une intention unificatrice, par le biais notamment du processus d’identification. Pourtant, le territoire est un enchevêtrement de niveaux d’action et de conflits (Raulet-Croset 2014). Il est par essence conflictuel, car il sert avant tout à délimiter l’espace, et donc à diviser. Il pose une frontière, et ainsi il sépare. Bédard (2017) parle de « l’Autre » et du « Même ». L’identité, définie précédemment, est précisément ce qui singularise et sépare les entités sociales. Ainsi, les conflits territoriaux structurent l’espace social. Par ailleurs, il existe une tension entre la territorialité individuelle et le territoire politique décrété, parfois imposé. L’espace est politique, idéologique et stratégique (Lefèbvre 1970). Les élus l’institutionnalisent, à la fois comme espace électoral délimité et comme espace où projeter leur vision, mais aussi comme outil pour les valoriser au rang de leader. Cette institutionnalisation peut être définie comme un processus de prescription territoriale (Frémont 1996). Raulet-Crozet (2014) décrit une double logique : (1) descendante : le territoire prescrit, défini par l’action publique (2) ascendante : le territoire construit, qui émerge des usages, pratiques, appropriations par les acteurs locaux. C’est de l’interaction entre ces deux logiques que résulte la dynamique territoriale. Ainsi, Thiesse (2001) montre comment, en Europe, un vaste chantier de prescription territoriale a construit les identités européennes au cours du XIXème siècle. Enfin, l’évolution des modes de gestion, avec en particulier le développement de formes de gouvernances très ouvertes, impliquent des acteurs multiples, aux objectifs et intérêts parfois très diversifiés, dans les projets d’aménagement territoriaux. La gouvernance prend ainsi la forme d’un processus de négociations et de compromis qui permet la construction du territoire. Il a été démontré que les différences et les congruences perceptuelles pouvaient avoir des effets importants sur les processus d’innovation publics (Berthinier-Poncet, Grama-Vigouroux et Saidi 2017). Il semble donc essentiel de les identifier.

Or, c’est à travers les débats, c’est-à-dire les discours contradictoires, que l’on peut saisir ces conflits. En effet, le débat prend la forme d’argumentations et de prédictions qui révèlent les représentations des individus (Weick, 1995). On peut donc décrire le territoire comme un espace sans cesse débattu, dans un processus constant de déconstruction et de reconstruction. Dans ce contexte, « plusieurs visions coexistent, que les différents acteurs cherchent à légitimer voire à imposer » (Mendez et Mercier 2006, p. 258). La tension inhérente entre territoire prescrit et construit est donc nécessaire à son évolution. Se saisir du conflit, le gérer, l’utiliser comme moteur d’activité territoriale, s’avèrerait précieux. En faisant vivre les débats autour du territoire, nous contribuerions à le construire collectivement. Les acteurs publics auraient donc tout intérêt à disposer d’outils susceptibles de les aider à comprendre la complexité des représentations liées au territoire dont ils ont la charge.

C’est pourquoi nous nous proposons de faire vivre le débat en cartographiant les représentations diversifiées et idiosyncrasiques des acteurs.

Cartes spatiales et cartes cognitives : intérêts, limites et complémentarité

Cartographier l’espace est une pratique si courante qu’elle fait partie intégrante de la société. Nous utilisons sans cesse des cartes, pour nous repérer dans l’espace, mais aussi comme outil de gestion pour aménager et penser le territoire. Les CC sont d’un usage moins familier, en particulier pour représenter un territoire. Nous allons ici mettre en lien ces deux pratiques cartographiques et mettre en exergue leurs intérêts réciproques pour l’action publique.

Limites et avantages de la carte spatiale : une analyse d’un point de vue cognitiviste

Si elle est de plus en plus mobilisée comme outil dans les politiques publiques (Martinais 2007), par exemple pour établir les règles de construction dans les zones inondables (Le Bourhis 2007) ou des risques industriels, la Carte Spatiale (CS), qui consiste à représenter l’espace sous la forme d’une image, a soulevé de nombreuses critiques ces dernières décennies, au point qu’elle est devenue un objet fondamentalement douteux (Besse 2010). L’auteur résume ce scepticisme en trois points :

  1. La CS est inexacte : il lui est impossible de représenter le territoire totalement, sinon elle devient identique à lui et n’est plus une carte. Elle est par essence une simplification du réel. Le cartographe, ne pouvant saisir la complexité de la réalité, se livre à une sélection des données qu’il souhaite mettre en avant. En ce sens, l’intention du cartographe biaise la CS (Besse 2010; Martinais 2007).

  2. La CS est une opération rhétorique : selon l’usage qu’il veut en faire, le cartographe influence celui qui la lit en ne lui montrant qu’un aspect de la réalité. La carte représente donc un certain discours sur le territoire et oriente la représentation que s’en fera le lecteur.

  3. La CS est un objet de pouvoir (Martinais 2007). On peut citer l’exemple célèbre de la carte dite « de Mercator », la mappemonde la plus utilisée en occident, alors qu’elle minore la taille de l’Afrique. Cette carte est devenue un symbole de la pensée colonialiste et impérialiste occidentale et est fortement critiquée car elle donne le sentiment que l’Afrique a un rôle mineur sur le plan international.

Cependant, il est possible de dépasser ces doutes en envisageant la CS sous un angle cognitiviste. La CS est un objet cognitif : une construction en vue de l’action (Besse 2010; Martinais 2007). Il est alors possible d’évaluer sa performance non pas dans l’absolu mais en fonction des buts que s’est fixé celui qui l’a réalisée. Ainsi, lorsqu’on conçoit la CS dans le but de mieux connaître un certain aspect du territoire, elle devient utile comme objet de connaissance (Besse 2010). Selon cette vision de la CS, nous comprenons que celle-ci reste tout à fait légitime à représenter l’espace territorial, et qu’elle est même nécessaire à l’acteur public qui s’occupe de l’aménager. La carte Mercator, en son temps, fut conçue dans le but de faciliter les déplacements des voyageurs, et en ce sens elle a accompli sa mission.

Néanmoins, sans retirer à aucun titre sa valeur à la cartographie spatiale, nous nous permettons ici de relever qu’elle reste insuffisante à représenter l’identité territoriale telle que nous l’avons décrite. En effet, elle ne permet pas d’établir la diversité des représentations, divergentes ou partagées, des acteurs qui habitent et construisent le territoire. Il s’agirait donc ici de compléter la cartographie spatiale du territoire par une cartographie cognitive.

La carte cognitive : un modèle complémentaire à la carte spatiale ?

Les CC permettent de représenter ce qui, dans le territoire, n’est pas spatial : l’identité, les relations, la culture, les projets, les acteurs, etc. Elle se présente donc comme un modèle complémentaire à la CS. Elle est une autre vision, destinée elle aussi à aider à décider. Nous retrouvons d’ailleurs les mêmes questionnements quant à sa légitimité, son exactitude et son intention.

La CC se compose de concepts reliés entre eux, de façon hiérarchisée ou non. Cette carte se présente comme une représentation graphique, au même titre que la carte spatiale, mais elle représente autre chose (les représentations) et d’une autre manière (sous forme de réseaux de concepts). Cossette (2004, p. 137) définit ainsi la CC : « une représentation graphique de la représentation mentale que le chercheur se fait d’un ensemble de représentations discursives énoncées par un sujet à partir de ses propres représentations cognitives, à propos d’un objet donné ». Il y a donc corrélation entre la représentation graphique et la croyance de l’individu, mais les deux ne sont pas identiques, de la même façon qu’une carte spatiale n’est pas identique au territoire qu’elle représente (Laroche et Nioche 2006). Pour commencer, le chercheur insère ses propres représentations et structure la pensée de l’acteur d’une façon inédite. Mais surtout, il existe un écart évident entre le discours et la pensée : nous avons toujours des choses à cacher, à nous-mêmes ou aux autres; les normes sociales nous empêchent d’exprimer certaines choses ou nous forcent à en exprimer d’autres. C’est pourquoi Laroche et Nioche (2006) disent que ces cartes ont vocation à être des simplifications, de la même façon que cela a été assumé pour les cartes spatiales. Nous ne recherchons donc pas l’exactitude, mais un niveau de plausibilité suffisant pour permettre l’action (Weick 1995). Enfin, si la carte crée du sens, elle reste utile en soi, comme l’a suggéré Besse (2010) à propos de la carte spatiale.

L’intérêt des CC en termes d’accompagnement de la décision est d’ailleurs acquise depuis longtemps : dès 1948, Tolman montrait le lien entre CC et décisions. Il expliquait comment les rats formaient une représentation mentale du labyrinthe dans lequel ils se déplaçaient et comment ce schéma leur permettait de décider quel embranchement choisir. La CC était d’ailleurs une CS « mentale » du rat : il y a bien une filiation entre les deux procédés. Depuis, la CC a évolué, et de nombreux auteurs l’ont utilisée pour accompagner la décision dans les organisations (Allard-Poesi 1996; Cossette 2004; Verstraete 1996; Eden et Ackermann, 2014). Les CC ont d’ailleurs été utilisées dans le secteur public et ont montré leur efficacité par le passé dans ce champ de la recherche. On peut citer notamment deux applications récentes : Eden et Ackermann (2014) les ont utilisées dans trois études de cas de partenariats publics-privés afin d’améliorer les relations entre partenaires, tandis qu’Ibrahim et Larsson (2017) ont accompagné une procédure de décision législative européenne incluant de nombreux acteurs publics et privés.

Dans le présent article, la CC a servi de support pour mettre en oeuvre l’intervention sur le territoire de la commune étudiée. La construction puis l’analyse des cartes ont pour but la « prise de conscience » par les acteurs de la multiplicité des options dont ils disposent collectivement.

Méthodologie : une Recherche-Intervention qui met en scène le débat grâce aux cartes cognitives

Nous décrirons d’abord le processus de RI tel qu’il a été mis en oeuvre sur le terrain, puis, nous ferons un point sur la façon dont nous avons agrégé et confronté les CC des acteurs afin de créer le débat et de l’analyser.

La mise en scène du débat à travers un processus de Recherche-Intervention

Afin de tester le potentiel des CC, nous avons choisi de mettre en oeuvre une RI (David 2000; Moisdon 2015; Aggeri 2016). Une telle posture scientifique a l’avantage de permettre au chercheur d’entrer en interaction, voire en débat avec son terrain. Dans la posture cognitiviste que nous adoptons, nous avons postulé l’absence de neutralité du chercheur. Puisqu’il n’existe pas de lois sociales universelles, le chercheur ne peut pas être neutre et objectif. C’est un être biaisé, irrationnel, émotionnel, comme tout autre individu. Il se donne alors pour rôle de construire une interprétation du réel, et de relier les éléments tirés de son expérience du terrain (von Glasersfeld 1992). Nous envisageons alors plutôt notre travail scientifique comme la construction, en concomitance avec les personnes interrogées, de modèles utiles aux membres de l’organisation. Il s’agit d’envisager la science de façon plus instrumentale. Son but n’est plus de révéler une vérité déjà-là mais bien d’organiser le réel de manière à faciliter les actions des membres des organisations. L’objectif était ainsi d’expérimenter en contexte un outil de gestion, et d’en tirer une compréhension plus fine de l’organisation à travers les changements effectivement constatés chez les acteurs.

Nous avons effectué, en tout, 14 entretiens dans la commune, conduits entre septembre 2015 à décembre 2015. Nous avons enregistré tous ces entretiens et en avons tiré 14 CC. Le choix des interviewés s’est fait d’une part à travers les acteurs impliqués dans le projet (notamment ceux participant au comité de pilotage) et d’autre part en recherchant des acteurs dont le point de vue divergeait mais dont l’opinion n’était pas prise en compte, notamment car ces individus n’étaient pas conviés aux réflexions menées sur le projet (élus de l’opposition, militants d’associations, directeur du service technique exclu du processus). Ces entretiens ont été menés selon une méthodologie dite « libre » (Allard-Poesi 1996; Cossette 2004) : aucune grille d’entretien n’était utilisée. L’objectif d’une telle méthodologie est d’influencer le moins possible les représentations exprimées par les acteurs afin de leur laisser le choix des sujets qu’ils souhaitent ou non aborder. La représentation du chercheur a priori influence moins la CC et permet une collecte plus inductive des données, favorable à l’émergence de nouveaux concepts (Gioia et Chittipeddi 1991; Gioia, Corley et Hamilton 2013). La seule indication qui a été donnée aux interviewés consistait à leur préciser que notre sujet de recherche portait sur le Puits Géothermique de Gardanne.

Le tableau n° 1 ci-dessous liste les acteurs interviewés lors du processus. Nous avons également participé à deux comités de pilotage du PG et à divers évènements plus informels (visite guidée du puits, réunion d’information, inauguration du puits) qui nous ont aidée à comprendre plus en détail ce qui se jouait sur le territoire. Des interactions plus informelles (appels téléphoniques, rencontres lors de séminaires, échanges sur des projets connexes) ont eu lieu tout au long du processus, qui a duré 24 mois en tout, de juillet 2015 à juillet 2017.

Tableau 1

Interviews effectuées

Interviews effectuées

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Notre démarche a suivi 5 étapes, décrites dans le schéma n° 1.

Nous avons utilisé le logiciel Decision explorer[1] pour concevoir les CC. Nous avons construit les concepts et liens d’influence idiosyncrasiques de chaque individu à partir des systèmes explicatifs issus de leurs discours enregistrés lors des interviews. Une réécoute attentive, a posteriori, des entretiens a amené à construire progressivement chaque carte, afin d’analyser le schéma de pensée de l’acteur (Allard-Poesi 1996). Selon la définition de Cossette, nous avons obtenu une représentation graphique de la représentation que s’est fait le chercheur de la représentation de chacun, dans un objectif instrumental : construire une carte utile aux acteurs.

Diverses analyses ont été menées sur les cartes. D’une part, nous avons relevé de nombreux verbatim, consultables dans le tableau n° 3, afin de comprendre les enjeux territoriaux. Nous avons également construit des cartes collectives, agrégées, afin de comparer la diversité des identités territoriales. Nous avons aussi comparé les cartes entre elles pour en comprendre les enjeux diversifiés. Les ateliers, en particulier, ont joué un rôle essentiel pour faire naître le débat. Surtout, nous avons agrégé les cartes selon la méthode Gioia afin de révéler les divergences cognitives des acteurs du territoire.

SchEma 1

Etapes de la recherche-intervention

Etapes de la recherche-intervention

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Mise en scène du débat à travers les cartes cognitives : l’utilisation de la méthode Gioia

L’objectif de cette étude est non seulement de représenter les croyances des individus, mais également de les faire dialoguer afin de prendre en compte la complexité du réel plutôt que d’essayer de la réduire (Eden et Ackermann 2014). L’étape 3 de la RI consiste ainsi à agréger les CC (Bougon, Weick et Binkhorst 1977; Eden 1992; Allard-Poesi 1996; Verstraete 1996) et àles comparer pour montrer en quoi la vision du territoire est à la fois commune (points de rencontre entre les cartes) et plurielle (idiosyncratique par individu). Nous avons ainsi normalisé nos cartes brutes. Pour trois raisons : pour une analyse rigoureuse des données (Gioia et Chittipeddi 1991; Gioia, Corley et Hamilton 2013); pour pouvoir faire communiquer les cartes entre elles (par exemple en les agrégeant, ou en les comparant directement); pour les simplifier et les rendre plus lisibles et utiles pour les acteurs. La simplification est un processus cognitif utile lorsqu’il facilite l’action et évite la paralysie (Weick 1995).

La normalisation a consisté à construire des catégories lexicales communes aux différents acteurs. Par une montée progressive en abstraction (Gioia et Chittipeddi 1991; Gioia, Corley, et Hamilton 2013), nous avons pu élaborer, à partir des verbatim bruts, désignés comme étant des concepts de premier ordre, des concepts communs aux différents interviewés, que nous avons nommé concepts de second ordre. Nous avons regroupé les concepts opposés en un seul concept, appelé un construit (Eden, 1992; Cossette 2004). Les concepts de second ordre prennent alors la forme : « A … non-A ». Puis, ces concepts de second ordre sont agrégés en catégories plus abstraites. Ces « aggregated dimensions » permettent de sauter vers l’abstraction (« forced ‘‘stepping-up’’ in abstractness » : Gioia 2013, p. 9). Neuf « catégories » (cf. tableau n° 2) ont émergé de ce processus. C’est à travers ce travail de construction de concepts communs et de catégories thématiques surplombantes que nous avons pu faire apparaître avec pertinence la quantité d’informations disponibles dans les cartes. Nous avons effectué des calculs de centralité, qui consistent à déterminer quels sont les concepts qui ont le plus de liens avec tous les autres concepts de la carte.

Pour conclure, notre méthodologie avait pour objectif de mettre en débat la conception que les acteurs se faisaient du territoire afin de faciliter les décisions concernant l’aménagement de celui-ci. La RI a été menée dans le cadre du pilotage d’un projet géothermique (PG) innovant dans le BMP.

Exemple d’un territoire en débat : un projet géothermique au coeur du Bassin Minier de Provence

Notre RI a été menée sur un territoire qui a fait l’objet de nombreux travaux scientifiques (entre autres : Lamanthe et al. 2003; Garnier et al. 2004; Garnier 2006). Le BMP intéresse les chercheurs en sciences de gestion, en économie, en sociologie et en sciences politiques du fait de son histoire spécifique (industrielle et minière), de son unité géographie identitaire très particulière et de la forte rupture qui a marqué récemment le tissu économique local : la fermeture des mines et la désindustrialisation. La transition économique et industrielle en cours est un défi majeur de la région au sens plus large (Provence Alpes Côte d’Azur), et la tension sur l’emploi dans cette zone préoccupe les pouvoirs publics. La littérature donne donc déjà des pistes pour comprendre l’identité territoriale de cet espace. Après avoir détaillé ses caractéristiques spécifiques à travers une étude de la littérature le concernant, nous montrerons comment les CC ont permis de mieux l’appréhender dans sa diversité.

Le Bassin Minier de Provence : un territoire en transition

Situé dans le département des Bouches-du-Rhône, le BMP englobe 17 communes (Garnier 2006; Mendez et Mercier 2006) ayant été impliquées dans les activités minières d’extraction du lignite qui ont eu lieu jusqu’en 2003. L’exploitation de cette ressource remonte au Moyen-âge, mais elle s’est vraiment développée lors de la révolution industrielle au cours du XIXème siècle. Au coeur de cet espace, la ville de Gardanne a été, jusqu’à la fermeture définitive du puits Morandat en 2003, le centre industriel autour duquel s’articulait le tissu productif local. L’identité de ce territoire s’est donc longtemps construite autour des mines de charbon, exploitées par l’entreprise publique Charbonnages de France, sous le contrôle de l’État. Cette identité était d’autant plus forte qu’elle était très homogène, fortement stabilisée et inscrite dans un temps indéfini, donnant un sentiment trompeur d’éternité aux acteurs du territoire (Garnier et al. 2004; Garnier 2006).

Au fil du temps, le charbon qui en était extrait devenant de moins en moins compétitif, l’État a organisé l’arrêt progressif des activités. Avec 6000 mineurs en 1946, il n’en restait que 1100 en 2000, avant la fermeture en 2003. De fortes transformations du tissu productif en ont découlé. En particulier, une « re-territorialisation » des espaces productifs s’est engagée : les activités industrielles se sont déportées vers la micro-électronique, qui s’est organisée autour des communes de Peypin et Mimet, à plusieurs kilomètres de Gardanne. La ville-usine, devenue ville-dortoir, a ainsi beaucoup souffert de ce glissement du centre industriel, notamment en termes d’emploi et de ressources fiscales locales. La fermeture de la mine a été vécue comme une rupture violente, tant en termes sociaux et économiques qu’en termes identitaires, un phénomène qui entraîne souvent un deuil susceptible de conduire à une incapacité à mettre en oeuvre un projet commun (Garnier et al. 2004; Garnier 2006; Mendez et Mercier 2006). On comprend ainsi tout l’enjeu du projet étudié ici : la transition « après-mine » est toujours en cours, presque vingt ans après l’arrêt du puits Morandat, le dernier en activité et le plus grand d’Europe.

L’État s’étant progressivement désengagé du processus de transformation, d’autres institutions ont pris le relais. La commune de Gardanne, en particulier, s’est engagée dans un processus de réhabilitation des anciens sites miniers et de reconversion et de modernisation du tissu productif local, avec l’espoir de résorber le taux de chômage local inquiétant. Parmi ces divers projets, cette municipalité a décidé d’exploiter les eaux souterraines chaudes qui ont empli les mines désaffectées de la ville afin de produire de la chaleur et de la climatisation. Ce PG innovant vise à produire une énergie propre tout en faisant « revivre » la mine. C’est le puits Morandat, qui contient 60 000 m3 d’eau chaude, qui retient l’attention de tous, parce qu’il suffit à lui seul à alimenter la zone d’activité (ZA) Morandat qui est en cours de construction sur les terrains environnants. Un accord avec EDF (Dalkia) a été trouvé pour formaliser cette entreprise. Une SEM[2], dont la commune est l’actionnaire majoritaire, assure le pilotage du projet.

Tableau 2

Catégories issues du terrain

Catégories issues du terrain

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C’est autour de ce PG que nous avons construit nos cartes. Le projet est conçu comme un « catalyseur » : à travers un unique processus d’aménagement territorial, nous pouvons saisir la représentation collective globale que les acteurs se font du territoire. Cet objet organisationnel spécifique a permis d’observer comment la prise en compte de la diversité des identités territoriales peut améliorer un projet d’aménagement dudit territoire, ce grâce à la mise en oeuvre d’une RI.

Débats d’identités sur ce territoire

Les CC ont permis de préciser les débats autour de l’aménagement du Puits géothermique. Au fil de notre intervention, les débats ont largement dépassé cette question pour donner une vision plus large de la façon dont les acteurs se représentaient le territoire et son aménagement. Le PG, s’il cristallise les débats, n’est compris par les individus qu’à travers leur conception du BMP en général.

On trouvera une analyse des débats dans la carte n° 1 qui représente les liens entre les 15 concepts les plus centraux de la carte agrégée collective finale. La carte collective étant illisible car elle compte plus de 100 concepts et des milliers de liens, cette représentation est plus pertinente car elle synthétise le coeur des enjeux. Le tableau n° 3 propose une analyse de ces 15 concepts centraux ainsi qu’une synthèse des principaux verbatim associés.

Les entretiens ont amené les acteurs à décrire les enjeux présents sur ce territoire, qui se sont avéré particulièrement contrastés et débattus : la réhabilitation des zones minières, la politique industrielle de la ville, la pollution, l’emploi ou encore la culture minière, qui toutes permettent d’expliquer pour quelles raisons ce projet tient à coeur aux élus locaux, sont autant de sujets d’incompréhension et de tension avec les habitants. En effet, la volonté de donner une image moderne et rajeunie, mais aussi plus écologique, à la ville, pousse le conseil municipal à s’engager dans une dynamique globale de développement durable. De plus, la blessure collective issue de la fermeture des mines a besoin d’être pansée, et le fait d’aménager et de préserver les bâtiments historiques pour un usage positif en termes d’impact environnemental « répare » les souffrances du passé. Sans compter que la création de la ZA va permettre la création de 1000 emplois environ, ce qui valorise encore le projet global au vu du contexte spécifique de chômage de masse de la région. Toutes ces préoccupations renvoient à l’identité que les acteurs publics tentent de prescrire.

En termes identitaires, les oppositions individuelles étaient fortes. Celles-ci s’articulaient autour de conceptions de l’écologie différentes : d’un côté, l’ambition de favoriser le développement économique tout en contrôlant la pollution (le point de vue des élus), de l’autre une opposition farouche aux industriels « délinquants ». Le directeur des services techniques (DST) en particulier, qui est d’ailleurs parti au cours du processus du fait de ses désaccords avec le maire, avait une vision très critique du PG, notamment du fait des nombreux risques (financiers, techniques et juridiques) et de l’idéologie sous-jacente, considérée comme une forme de « laxisme » vis-à-vis de certains industriels polluants de la région. La chercheuse a ainsi choisi d’échanger avec des élus de l’opposition et un responsable d’association militante, afin de récolter des points de vue opposés au projet. Le militant considère ainsi le projet comme un « mensonge » parmi d’autres, au même titre que la ville ment à propos des boues rouges de l’usine d’alumine ou des activités de la centrale thermique. En conflit depuis des années avec la ville autour des problèmes de pollutions divers dans la région, il voit ce projet comme une façade, destinée à communiquer une image positive et écologique de la ville, alors que l’urgence est ailleurs. Le PG s’impose comme une « usine à gaz » technique et financière, qui va « engraisser » une entreprise qui aura en charge le projet. Les citoyens ne sont pas conviés aux débats et considèrent que ce projet leur est imposé.

Il est intéressant de noter que les décideurs n’imaginaient pas qu’il soit possible d’être « contre » l’aménagement d’un dispositif produisant de l’énergie propre. Ils ne l’ont découvert qu’au cours du processus de RI. Les cartes ont révélé que l’identité territoriale de certains acteurs, c’est-à-dire la vision globale qu’ils se faisaient du territoire, les a amenés à voir au-delà du projet et à critiquer l’ensemble de la politique locale, dont le PG était une émanation. Ainsi, le débat a largement dépassé le cadre de la construction du puits pour embrasser un ensemble de représentations complexes des acteurs, qui considéraient la politique énergétique du maire comme une utopie déraisonnable destinée à masquer ses accointances politiques et ses manquements vis-à-vis des industriels locaux. Cela a provoqué, lors des ateliers, de la surprise et de la colère.

carte 1

Carte agrégée des 15 concepts les plus centraux au niveau collectif

Carte agrégée des 15 concepts les plus centraux au niveau collectif

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Tableau 3

Analyse des 15 concepts les plus centraux de la carte agrégée

Analyse des 15 concepts les plus centraux de la carte agrégée

Tableau 3 (suite)

Analyse des 15 concepts les plus centraux de la carte agrégée

Tableau 3 (suite)

Analyse des 15 concepts les plus centraux de la carte agrégée

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Mise en scène des débats à travers trois exemples de cartes cognitives

Afin d’approfondir l’analyse, nous explorerons ci-dessous trois CC spécifiques, choisies pour leurs positionnements particulièrement diversifiés et pour les rôles qu’elles font surgir.

Si l’on se réfère aux catégories de Frémont (1976) et Raulet-Crozet (2014), on peut considérer que le maire (carte n° 1) de la commune s’est positionné principalement en « prescripteur territorial », en ce sens qu’il essaie d’imposer une identité territoriale en tant qu’élu. Les élus de sa liste soutiennent fortement sa vision et partagent en grande partie ses idées. Le DST (carte n° 2), en opposition franche avec le maire, a cristallisé la majorité des critiques évoquées par ailleurs et se retrouve en « opposant » à cette prescription : on peut le considérer comme un « contradicteur territorial ». Il représente ainsi le point de vue le plus radical « contre » le projet, une vision que l’on retrouve chez le militant associatif et de manière plus nuancée chez les élus de l’opposition et chez la directrice du service environnement. Le directeur de la SEM (carte n° 3) peut être considéré comme « constructeur » territorial : il se préoccupe avant tout de l’aménagement. D’autres acteurs, comme l’ingénieur des flux ou l’ancien directeur du Puits Morandat, rejoignent, dans l’ensemble, cette vision des choses.

La comparaison entre ces trois cartes illustre le pouvoir signifiant de l’outil pour les acteurs publics.

La carte du maire de Gardanne a pour concepts centraux (les concepts ayant le plus de liens avec les autres concepts de la carte) : « vision globale. vision parcellaire », « écocologie. écologie », « propre. polluant ».

Le premier concept central est très politique, mais il est aussi territorial. Il a ainsi une « vision globale » de sa politique énergétique sur son territoire. Ce concept distribue son influence sur les concepts suivants : ambition éducative, énergies renouvelables, photovoltaïque, forêt communale, etc. Il souhaite créer du lien entre tous les projets territoriaux déployés pour aller à la fois vers plus d’emploi et vers plus de propreté. Le concept « vision globale. vision parcellaire » est ainsi en lien direct avec celui de « propre. polluant », tandis que le concept « emploi. chômage » découle indirectement de « vision globale. vision parcellaire » et de « solidarité. manque de solidarité ».

Le second concept central, « écocologie. écologie » correspond à son idéologie revendiquée (le premier terme est de lui). Il n’est pas écologiste au sens premier du terme, car il considère que l’industrie est nécessaire à l’homme. Son idéologie communiste (« coco ») modère donc sa vision. Il s’agit pour lui de réduire autant que possible l’impact des activités humaines sur l’environnement, pas de fermer toutes les usines et de priver les hommes de travail. On trouve d’ailleurs au quatrième rang de sa carte « solidarité. manque de solidarité », au coeur de sa pensée communiste.

On peut également constater la présence de trois concepts reliés importants : « passé minier. pas de passé minier », « fermeture de la mine. pas de fermeture » et enfin « réhabilitation. abandon ». Le fait de rebondir sur l’histoire minière de la ville lui tient à coeur : nous retrouvons là l’identité territoriale, construite sur le passé spécifique de la commune. Tous ces concepts amènent au final au concept « avancer. regretter », qui exprime cette idée de rebondir, de construire à partir de notre héritage, plutôt que de se morfondre sur la perte de la mine.

Du côté du DST, les concepts centraux sont : « vision globale. vision parcellaire », « bon management. mauvais management », « contraintes techniques. facilité ».

Il n’est pas étonnant que le concept « contraintes techniques. facilité » soit si important pour un DST. Fait intéressant, ce concept est relié, sur sa carte, avec « pertinent. pas pertinent », celui-ci amenant à « accord. désaccord ». Le maire ne s’interroge pas du tout sur ces questions techniques, alors qu’elles expliquent beaucoup de choses concernant le désaccord entre les deux hommes. L’un s’en préoccupe fortement, l’autre non. Nous retrouvons d’ailleurs dans cette carte plusieurs concepts absents chez le maire, comme « pertinent. pas pertinent », « sûr. risqué », « confiance. méfiance », ou encore « certitude. incertitude » qui dénotent d’une inquiétude, d’une aversion forte au risque. Au contraire du maire qui exprime plutôt le besoin d’avancer, le directeur voudrait plus de prudence.

carte 2

Carte cognitive du maire de la commune

Carte cognitive du maire de la commune

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carte 3

Carte du directeur des services techniques

Carte du directeur des services techniques

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Par contre, nous pouvons remarquer que le DST a dans sa carte des représentations du maire, comme « l’écocologie » ou la vision globale, ou encore le lien entre énergies renouvelables et solidarité. Il connaît le positionnement de celui-ci, mais élabore des liens différents. Par exemple, il relie « vision globale » avec « collaboration. conflits ». Il lie la « volonté politique » et la « vision globale » à la question du « bon management. mauvais management ». Il réalise donc le lien entre la vision du maire et les difficultés communicationnelles et managériales auxquelles il est confronté. Le volontarisme du maire est source de conflits. D’ailleurs, à la source des tensions, il y a également un aspect idéologique à ne pas occulter : le DST s’oppose à l’« écocologie » du maire pour adopter un positionnement écologique plus traditionnel, en opposition frontale avec les industries (qui sont toutes reliées, dans sa carte, au concept « polluant. non polluant »). Lors de l’entretien, il nous a d’ailleurs affirmé que le positionnement « laxiste » du maire vis-à-vis des industries polluantes de sa ville était un « manque de courage politique ».

Sa vision territoriale est beaucoup moins centrale, les concepts « image positive. négative » et « passé minier. pas de passé minier » étant plus marginaux dans la carte. Étant installé récemment dans la région, il n’a pas connu le traumatisme de la fermeture de la mine, ce qui explique que cette identité territoriale soit absente de son mode de pensée.

L’opposition fondamentale entre ces deux acteurs, l’un voyant les fortes contraintes techniques comme une source d’inquiétude, l’autre percevant l’enjeu de réhabiliter la zone minière comme un défi, les a amenés à cesser leur collaboration. Le maire dira plus tard au sujet de son ancien directeur : « Il n’était pas à la hauteur ». Le technicien et le politique n’ont pas pu trouver de terrain d’entente, leurs représentations étant trop fondamentalement différentes.

La troisième carte a ceci d’intéressant qu’elle répond aux deux cartes précédentes. Elle propose une troisième vision du territoire, plus nuancée.

Les concepts les plus centraux de cette carte sont les suivants : « innovation. stagnation », « SEM. pas de SEM » et « contraintes techniques. facilité », puis « risques. opportunités » et « communication. manque de communication ». Nous voyons tout de suite que cet acteur a une vision d’ingénieur, d’une part (l’innovation et la technique étant au coeur de ses préoccupations) et de gestionnaire d’autre part (la SEM, qu’il dirige, et la question des opportunités et de la communication).

À l’intermédiaire des deux acteurs précédents, le directeur de la SEM n’a pas de vision fortement politisée, mais il est favorable au projet, en particulier parce que l’aspect innovant lui importe. Il a ainsi plutôt un rôle de « constructeur territorial », en référence à Frémont (1976) et Raulet-Crozet (2014), en étant investi dans les questions d’aménagement et de faisabilité.

Le concept « risque. opportunité » donne directement le concept « image positive. négative ». Comme le maire, il a conscience de cet enjeu de communication autour de l’identité territoriale. Par contre, il ne prend en compte le passé minier qu’en termes techniques : ce concept est relié directement à « eau chaude. pas d’eau chaude » et « puits de mine. pas de puits de mine » : pour lui, la mine n’est intéressante que parce qu’elle permet l’innovation géothermique prévue. La question de la « réhabilitation » est quant à elle une source d’« innovation ». L’identité territoriale minière s’impose moins chez lui que chez le maire, car il n’est pas né sur la commune et il y est moins attaché.

Les phases d’atelier et de suivi de la RI ont permis de mettre en scène ces débats et de discuter de l’intérêt des cartes pour le projet.

Ateliers débats et phase de suivi : quel retour sur les cartes cognitives ?

Les ateliers ont confirmé qu’il existait une opposition au projet, et que certains acteurs avaient été écartés volontairement des débats alors que leurs représentations du territoire étaient très différentes de celle des porteurs du projet.

Les opposants au projet n’ont pas participé aux ateliers. Le DST est parti en cours de route, et les autres acteurs, exclus du comité de pilotage, n’ont pas souhaité s’opposer directement aux élus. On voit là le signe que le dialogue est coupé entre les acteurs, ce qui rend les cartes d’autant plus intéressantes puisqu’elles ont permis au chercheur d’exprimer les représentations contradictoires alors même que ceux qui les portaient n’ont pas été en mesure de venir les défendre.

Le maire et les élus de la majorité se sont efforcés, lors des ateliers, d’écarter ces identités territoriales contradictoires, en les considérant comme des freins à leur ambition. Ils renvoyaient finalement le débat au concept « avancer. reculer » qui a émergé dans les cartes. Pour eux, il y a d’un côté ceux qui sont volontaires pour faire les choses, et ceux qui s’opposent et ne se montrent pas constructifs. Les élus se sont ainsi montrés très fermés aux avis divergents.

carte 4

Carte du directeur de la SEM

Carte du directeur de la SEM

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Le directeur de la SEM a, lui, reconnu qu’avoir l’avis d’une personne opposée au projet était enrichissant dans une certaine mesure : « Moi j’ai écouté parce qu’il y avait des remarques intéressantes et d’avoir quelqu’un qui est contre ça permet d’améliorer les arguments pour porter le projet. Donc quelque part c’était le bon entraînement avant les comités de pilotage quelque part. » Finalement, pour lui, la carte s’impose surtout comme un moyen de réfléchir à son argumentation. Il n’y a pas vu une occasion de réviser ses croyances, mais plutôt un moyen de consolider l’expression de son point de vue. Par contre, il considère que ce type d’outil reste très intéressant pour profiter des compétences de ceux qu’il appelle les « sachants » : « On est sachant, mais on n’est pas omniscient. (…) ça me permet de profiter des compétences de la [SEM] et notre dynamisme et également de leurs connaissances et de la plus-value que peut avoir une collectivité. » Il voit donc les cartes comme une ressource en termes de connaissances et de compétences.

L’entretien de suivi a été mené avec le directeur de la SEM, en charge du pilotage du projet, afin de voir dans quelle mesure il envisageait d’utiliser les cartes par la suite. Il a identifié l’utilité de la carte pour comprendre les points de vue diversifiés et se faire une meilleure idée de la compréhension que les acteurs ont du projet : « En tant qu’opérationnel, ces cartes ou cette réflexion elle m’est utile pour (…) mieux comprendre comment les gens abordent le projet, quels sont leurs doutes, quels sont les points faibles éventuellement du projet. »

En conclusion, il semble que les CC du territoire permettent de comprendre les débats qui sous-tendent la prescription et la construction du territoire. La tension entre une forte identité minière et industrielle et une vision plus écologique, ou celle entre une vision très politique et une vision plus technique, permet d’avoir une compréhension plus fine des enjeux d’aménagement du territoire en termes d’énergie.

Discussion : l’utilité de représenter la diversité des identités territoriales en management public

Les CC peuvent être utilisées comme outil de gestion territoriale par les acteurs publics. Cette démarche a quatre intérêts principaux : (1) elle permet d’apporter de la réflexivité à la décision grâce à sa démarche heuristique approfondie, (2) elle favorise l’identification des risques par les acteurs et évite ainsi une regrettable minimisation d’aspects essentiels à prendre en compte pour la réussite de la décision, (3) elle améliore la gouvernance en intégrant la diversité de point de vue des parties prenantes, (4) elle permet de faire émerger des idées novatrices émanant directement des acteurs du territoire. La CC peut donc être utilisée de diverses façons dans les organisations publiques : comme outil de diagnostic, car elle permet d’obtenir une vision très complète d’une situation; comme outil d’évaluation, que ce soit pour évaluer une politique publique ou pour évaluer des éléments organisationnels; ou encore comme outil de gestion de projet. Si l’on admet, avec Raulet-Croset (2014), que le territoire est un outil de gestion à part entière, la cartographie des représentations des acteurs sera un moyen efficace de formaliser les débats qui le traversent pour pouvoir s’en saisir efficacement.

Pour aller plus loin, nous soutenons que le point de vue cognitiviste invite à comprendre le système référentiel à partir duquel les individus agissent. Il insiste sur le fait de construire des modèles utiles aux membres de l’organisation, dans une perspective instrumentale de la science. L’objectif est de structurer le réel de manière à faciliter les actions des membres des organisations (Von Glasersfeld 1992; Munier 1994). Ici, il s’agit d’identifier les identités territoriales diversifiées afin de les prendre en compte dans l’aménagement du territoire. Cet outil doit donc être envisagé comme complémentaire aux outils rationnels traditionnellement mobilisés dans les organisations (Cabantous et Gond 2011). Ceux-ci sont inaptes à prendre en compte de façon à la fois transparente et large des informations nécessaires à la décision publique (Hollard et Vion 2006). Cabantous et Gond ont ainsi fait un état de l’art des outils mobilisés dans le cadre de l’aide à la décision et ont constaté qu’ils s’appuyaient très majoritairement sur une représentation rationnelle du processus de décision, issue d’une conception de l’homo oeconomicus calculateur et optimisateur qui domine en économie. En général, les efforts sont souvent concentrés dans les organisations sur l’élimination du débat plutôt que sur son déploiement : « L’application aveugle de telle méthode, de telle grille d’analyse, peut s’avérer une arme redoutable pour tuer dans l’oeuf toute velléité de discussion » (Thépot 1995, p. 70). Ce n’est pourtant pas là la vocation de la modélisation (comme la représentation graphique sous forme de CC), dont l’objet est au contraire de mettre en dialogue l’homme et la raison, et d’éclairer ainsi le jugement (Thépot 1995). L’évacuation du débat a tendance à réduire l’information disponible et donc à appauvrir la qualité de la décision, et à la rendre autoritaire et peu légitime. C’est par exemple ce qui est reproché à la carte spatiale, qui propose un point de vue idiosyncrasique et orienté sur le territoire (Martinais 2007; Besse 2010), alors même que ce n’est pas forcément l’intention de départ de l’outil. Dans le cas étudié ici, nous avons vu que l’évacuation du débat a amené à éliminer certaines identités territoriales, au sens où les représentations des opposants au projet et leurs arguments, étroitement liées à leur vision du BMP, ont été reniées par les élus. La RI a permis d’aller récolter ces identités territoriales divergentes et de les confronter aux initiateurs du projet, dans le but de favoriser plus de démocratie et une meilleure ouverture des points de vue.

Les CC favorisent ainsi une action publique de type démocratie délibérative (Habermas 1986, 1997; Elster 1998; Tine 2008). Selon Elster (1998) l’activité de gouverner démocratiquement produit dans la société une énergie bénéfique (« restless activity ») et produit de la prospérité. Favoriser la délibération collective permet de produire de la décision publique plus démocratique au sens participatif du terme. Le rôle clé « des discussions (concertation, participation, participatif, comité) dans un esprit démocratique et partenarial (gouvernance). » au coeur des actions publiques d’aménagement des territoires en termes de développement durable est d’ailleurs pointé par Hernandez et Fiore (2017, p. 25). De même, l’importance d’identifier les différences perceptuelles et les congruences perceptuelles des acteurs dans les processus d’innovation a été pointée par Berthinier-Poncet, Grama-Vigouroux et Saidi (2017). Les élus ont donc intérêt à se saisir d’outils comme la CC pour améliorer leur capacité à intégrer les diversités identitaires dans leurs projets d’aménagement territoriaux.

La CC telle que nous l’avons utilisée dans cette RI permet finalement de modéliser le débat autour de l’identité territoriale. Entre une vision fortement influencée par l’histoire minière et industrielle et une vision plus progressiste, le PG pourrait amener à une réflexion plus large sur l’aménagement du territoire. La CC permet d’éviter cet écueil d’une trop grande rationalisation des processus de décision publique, d’une perte d’informations et d’une réduction du processus démocratique délibératif. Elle offre ainsi un outil complémentaire à ceux traditionnellement mobilisés, comme la carte spatiale. Il est cependant nécessaire de rappeler qu’une utilisation appropriée des CC peut créer le débat, mais que la tentation d’utiliser les cartes pour éviter le débat et orienter la vision des acteurs serait dangereuse et peu démocratique.

Conclusion

Notre étude a révélé que l’utilisation des CC, utilisées pour cartographier les représentations que les acteurs se font de leur territoire, peut être utile à l’action publique en permettant la mise en scène des débats qui le définissent. Elles permettent en effet la mise en schéma des identités territoriales diversifiées, et de visualiser le territoire sous un angle tout à fait inédit. Si la cartographie spatiale propose une certaine schématisation graphique de l’espace, et porte en elle une certaine intention, la cartographie cognitive propose de schématiser ce qui, dans le territoire, n’est pas de l’ordre du spatial (acteurs, projets, logiques d’actions, tensions, enjeux, politique). Les acteurs publics, animés par la volonté de renforcer les identités sociales de leur territoire et de prescrire un espace politique institutionnalisé, pourront s’en saisir pour comprendre plus en profondeur les tensions qui traversent les lieux de vie dont ils ont la charge, dans une volonté d’améliorer la démocratie participative et la prise en compte d’une plus grande diversité d’informations pour décider.

On perçoit là tout le potentiel d’aide à la décision qu’un tel projet recèle. La cartographie cognitive ouvre des perspectives nouvelles et s’offre comme un outil innovant d’aménagement du territoire. Elle démontre ainsi l’intérêt d’une vision cognitiviste du management public.