Corps de l’article

Depuis l’instauration des normes IFRS, la part des actifs intangibles dans le bilan des sociétés européennes n’a cessé de croître (Sahut et al., 2011). Mais les informations fournies dans les bilans ne rendent pas compte de l’intégralité du capital immatériel (CI) des entreprises comme les connaissances, le savoir-faire ou encore les marques (Cata et al., 2007; Heiens et al., 2007). Pour compenser les lacunes de la comptabilité, les firmes divulguent volontairement de l’information sur leur CI principalement dans leurs rapports annuels à destination des investisseurs. Du point de vue du marché des capitaux, cette divulgation volontaire d’informations des firmes vise à réduire les asymétries d’information entre ses dirigeants et ses actionnaires et favoriser ainsi une valorisation réaliste des titres par le marché. L’objectif ultime pour la firme est de réduire son coût du capital et d’augmenter la valeur de ses actions (Castilla-Polo et Gallardo-Vázquez, 2016).

La majorité des travaux de recherche analysant les informations véhiculées par le capital immatériel (CI) s’est focalisée sur la R&D et la propriété intellectuelle, tandis que les autres composantes du CI ont fait l’objet d’une moindre attention (Maaloul et Zéghal, 2015). Ainsi, la satisfaction du consommateur, la mise en oeuvre d’un programme de qualité totale, le savoir-faire, la connaissance, la crédibilité des équipes dirigeantes, l’innovation, ou encore le capital social et humain sont peu étudiés (Cormier et al., 2009; Husser et Evraert-Bardinet, 2014). De plus, ces travaux se sont focalisés sur un nombre restreint d’éléments constitutifs du CI. Enfin, peu d’études se sont focalisées sur le caractère discrétionnaire de la divulgation de telles informations et son processus d’élaboration, lequel est conditionné par des facteurs de contingence structurelle (environnement, structure d’endettement, taille…) et de contingence comportementale comme les facteurs liés aux acteurs de la gouvernance (Boubaker et al., 2011, Kasznik et al., 2001, Healy et Palepu, 2001).

Par conséquent le débat sur les conséquences de la divulgation d’information concernant le capital immatériel (DICI) sur la performance financière est toujours d’actualité. De plus, l’absence de consensus clair sur la significativité de cet impact suggère que seules certaines combinaisons particulières de divulgation d’informations influencent la performance financière des entreprises (Vanini et Rieg, 2019). Comme les pratiques DICI dépendent en amont des ressources financières disponibles et de la taille de la firme (Shahzad, Mousa, et Sharfman, 2016), ainsi que des rapports de pouvoir entre ses parties prenantes au travers de la gouvernance (Shahzad, Rutherford, et Sharfman, 2016), une meilleure compréhension de la relation entre la DICI et la performance financière nécessite d’inclure ces deux déterminants des pratiques de DICI.

Première pour la huitième année consécutive en 2018, la Suisse est en tête sur plusieurs indicateurs en termes de brevets et de propriété intellectuelle[1] sur lesquels les firmes suisses s’appuient pour assurer leur compétitivité au niveau international. La manière dont ces firmes communiquent sur leur CI afin de répondre aux exigences des investisseurs, de la réglementation et aux dernières guidelines des autorités boursières suisses en matière de communication financière fournit un terrain de recherche propice afin de mieux comprendre les relations entre la DICI et la performance de ces firmes.

Nous développons donc un modèle global fondé sur la méthode PLS-PM (partial least squares path modeling) afin d’intégrer l’ensemble des relations possibles entre les antécédents de la DICI, la DICI et la performance financière sans présupposer du sens des relations. Cette méthode présente plusieurs avantages. Premièrement, elle exige peu de conditions statistiques sur les variables du modèle (Roussel et al., 2002). Deuxièmement, elle permet d’éviter les biais d’endogénéité et de multicolinéarité potentiel entre les variables explicatives. La méthode PLS-PM très utilisée en marketing, commence à se diffuser dans le domaine de la finance depuis les travaux de Titman et Wessels (1988) visant à expliquer la structure financière des firmes. Ainsi, nous analysons conjointement les antécédents de la DICI et ses conséquences sur la performance financière grâce à cette modélisation PLS-PM, qui nous permet de quantifier l’impact des différents facteurs de notre modèle. Par conséquent, les apports de notre article sont à la fois méthodologiques et empiriques. Celui-ci est structuré la façon suivant. La première section est dédiée à la présentation de notre cadre théorique. Ensuite, nous justifions la méthodologie adoptée. Les résultats de nos estimations sont enfin exposés et discutés.

Cadre théorique

Afin de définir nos hypothèses de recherche, nous présentons dans cette section une revue de la littérature sur les relations unissant la gouvernance, la divulgation d’information concernant le capital immatériel (DICI), et la performance financière des firmes. Plus précisément, nous nous intéressons tout d’abord à l’influence de la gouvernance et de la structure financière sur les pratiques de DICI. Puis, nous analyserons aux impacts respectifs de la gouvernance et de la DICI sur les performances comptable et boursière des firmes. En remarque préliminaire, on note que si la littérature qui s’intéresse aux relations entre la gouvernance et la divulgation d’information sur la R&D est riche, celle sur le CI est limitée et fragmentée (Vanini et Rief, 2019). Cette abondante littérature ne peut cependant pas nous servir de base car la R&D n’est qu’un élément constitutif du CI. Par exemple, McDonald’s n’a pas de dépense de R&D dans son compte de résultat en 2018 alors que la valeur de sa marque représente 43,4 milliards de dollars en 2018 (selon Interbrand) sur les 126 milliards de sa capitalisation boursière[2].

Les enjeux liés à la mesure du capital immatériel

Le capital immatériel (CI) peut se définir comme l’ensemble des éléments non monétaires et sans substance physique permettant de générer des bénéfices futurs (Gu et Lev, 2011). Partant de cette définition, les mesures du CI n’ont cessé de se multiplier. Ainsi, les financiers approximent le CI par la différence entre la valeur de marché de l’entreprise et sa valeur comptable, mais la psychologie des investisseurs est susceptible de biaiser cette évaluation (Beattie et Thomson, 2007).

Compte tenu de l’importance croissante du CI dans l’évaluation de la valeur des entreprises la Commission Européenne est venue éclairer le débat au travers du projet Meritum, regroupant des chercheurs des différents pays européens. Meritum a conduit en 2002 à l’élaboration d’une typologie des catégories constitutives du CI en distinguant trois catégories : le capital humain, le capital organisationnel (ou structurel), et le capital relationnel. Le capital intellectuel, autre terme employé comme synonyme dans la littérature, est en fait à l’origine une notion de management et de microéconomie qui est intégrée dans ce concept de capital immatériel depuis cette normalisation de la Commission Européenne.

Le capital humain désigne l’ensemble des expériences, connaissances, compétences et qualifications des salariés (Edvinsson et Sullivan, 1996) comme la créativité, le savoir-faire, l’expérience professionnelle, la capacité à travailler en équipe, la capacité d’apprentissage, etc.

Le capital organisationnel (ou structurel) se réfère à la capacité de l’entreprise à mobiliser ses employés ainsi qu’à supporter les processus de changement nécessaire pour exécuter la stratégie. Il comprend les usages, la culture, les procédures, les systèmes internes, et les bases de données de l’entreprise (Bontis, 2003). Le capital relationnel comprend les ressources issues des relations de l’entreprise avec ses clients, ses fournisseurs et ses partenaires externes. Il recouvre également la partie du capital humain et organisationnel impliquée dans les relations de l’entreprise avec ses parties prenantes. De manière opérationnelle, il inclue notamment la fidélité des clients, la satisfaction de la clientèle, les liens avec les fournisseurs, la puissance commerciale et la capacité de négociation avec les institutions financières.

Les apports Li et al. (2008) à cette typologie ainsi que sa validation empirique par Mangena et al. (2010) et Maaloul et al. (2016) ont permis d’élever la typologie Meritum au rang de norme reconnue aussi bien par les professionnels que les chercheurs.

Les relations entre la gouvernance et le capital immatériel

L’OCDE définit la gouvernance d’entreprise, comme le système de direction et de contrôle des entreprises. Ce système est caractérisé par l’ensemble de relations entre la direction de l’entreprise, son conseil d’administration, ses actionnaires et les autres parties prenantes. Le renforcement des mécanismes internes et externes de gouvernance ces dernières années notamment au niveau législatif (loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis ou la loi TEPA en France) et des règles « de bonne gouvernance » édictées ou proposées par divers organismes réglementaires ou professionnels (principes de l’OCDE, rapport Dey au Canada, rapport Cadbury en Grande-Bretagne, etc.) vise à réduire les asymétries d’information entre le dirigeant et ses actionnaires et aboutir à un alignement de leurs intérêts respectifs au coût le plus faible (Jo et Harjoto, 2011).

La divulgation d’information sur les perspectives futures de la part du dirigeant a alors valeur de signal (Boubaker, 2007). Les dirigeants bénéficiant d’un avantage informationnel, avisent les investisseurs actuels ou potentiels réputés moins bien informées de leur volonté de réduire les asymétries d’information. Toutefois, le dirigeant arbitre entre les coûts de cette divulgation et les bénéfices qu’il retire de la réduction des asymétries d’informations (Beiner et Schmid, 2005). Les coûts de divulgation d’information sont de deux types. On distingue les coûts directs générés par la production de cette information, et les coûts indirects liés à l’information des concurrents. La divulgation d’information sur le CI n’est donc intéressante pour la firme que si les coûts de divulgation sont bas ou les asymétries d’information sont fortes. Par conséquent, les dirigeants utilisant leur pouvoir discrétionnaire pour divulguer des informations dur le CI arbitrent entre l’effet négatif issu de la divulgation d’informations exclusives qui renseignent leurs concurrents, et les avantages liés à la transmission de données précises susceptibles d’orienter favorablement les décisions des investisseurs. Ainsi, Jones (2007) constate que des coûts de divulgation élevés sont associés à des niveaux faibles de communication sur les activités de R&D.

Plus globalement, plusieurs articles ont montré que le conseil d’administration, lequel a pour mission de contrôler l’équipe de direction et réorienter le sens de son action quand cela s’avère nécessaire (Charreaux, 1998), influence très fortement la divulgation d’information sur le CI. En particulier, sa taille, sa structure, sa composition, dont le nombre d’administrateurs indépendants, sont déterminants lorsque ces caractéristiques du conseil permettent d’établir un équilibre entre les intérêts des différentes parties prenantes (Evraert-Bardinet, 2017; Mallin et al. 2013; Comier et al., 2009; Li et al., 2008).

Toutefois, les travaux de recherche menés à ce jour présentent deux limites importantes. Premièrement, ils considèrent que les attributs des conseils d’administration sont exogènes (Rodrigue et al., 2013). Deuxièmement, ils ne permettent pas d’identifier clairement les domaines de la gouvernance qui contribuent à une meilleure DICI. L’esprit des nouvelles lois ou codes visant au renforcement des pratiques de gouvernance montrent que les différentes instances de supervision (conseil d’administration, comité d’audit, comité des rémunérations, etc.) sont indissociables et garantissent conjointement une bonne gouvernance (Boulerne et Sahut, 2010). Par conséquent, nous étudions ici les effets conjoints des éléments constitutifs des pratiques de gouvernance (engagement des actionnaires dans la gouvernance, respect des droits des actionnaires, transparence, qualité des contrôles effectués par l’audit ou le conseil d’administration). Nous supposons que ces pratiques déterminent conjointement le niveau de « bonne gouvernance » des firmes et les incitent à développer leur communication en matière de CI. Autrement dit, nous posons l’hypothèse ci-dessous.

Hypothèse 1 : Plus les firmes adoptent des pratiques de bonne gouvernance, plus elles communiquent en matière de CI.

Les relations entre la structure financière et le capital immatériel

Les rapports unissant les caractéristiques financières des sociétés et la gestion de leur capital immatériel ont fait l’objet d’un nombre important d’études (Waddock et Graves, 1997; Depoers, 2000; Purushothaman et al., 2000; Tsoutsoura, 2004; Brammer et de Pavelin, 2004; Cormier et al., 2009). Waddock et Graves (1997), s’appuyant sur la slack resource theory, suggèrent qu’une meilleure performance financière se traduit par plus de ressources disponibles susceptibles d’être allouées à des investissements immatériels. La disponibilité de ces ressources dépend de plusieurs facteurs dont la taille de l’entreprise, son endettement, ses opportunités de croissance, ainsi que sa performance passée.

La taille est un facteur favorisant l’étendue de la communication volontaire d’information par les firmes (Depoers, 2000). En effet, les entreprises de grande taille bénéficient d’économies d’échelle facilitant la production et la divulgation d’informations aux investisseurs. Les besoins de financement des grandes firmes amènent celles-ci à optimiser leur visibilité auprès des investisseurs potentiels. Il s’ensuit que les grandes firmes se montrent très transparentes, espérant de cette façon augmenter leur attractivité auprès des investisseurs (Tsoutsoura, 2004). Ainsi, de telles firmes communiqueraient régulièrement des informations concernant leur capital immatériel afin d’améliorer leur réputation sur le marché. De plus, Neu et al. (1998), Brammer et de Pavelin (2004), et Cormier et al. (2009) prouvent empiriquement que les grandes entreprises accordent une plus grande importance que les firmes plus petites aux conséquences à long terme de leurs décisions. Les travaux de ces auteurs soulignent l’importance de la communication des grandes firmes concernant leurs perspectives futures lesquelles reposent notamment sur leur CI.

Le niveau d’endettement de la firme influence également ses pratiques de divulgation d’informations. En s’appuyant sur la théorie du signal, l’étude empirique de Purushothaman et al. (2000) indique que plus les firmes sont endettées plus elles révèlent des informations financières et extra financières. En effet, suivant Dechow et al. (1996) un niveau élevé d’endettement augmente le risque de faillite et la probabilité de violation des clauses restrictives des contrats d’endettement. De même, Brammer et Millington (2008) avancent qu’un niveau élevé de dette affecte négativement la réputation de la firme. Pour améliorer leur image et rassurer leurs investisseurs, et en particuliers leurs créanciers, les firmes fortement endettées sont donc incitées à divulguer des informations extra financières sur leurs avantages comparatifs, en fait sur leur CI. Shahzad et al. (2016) montrent que l’inverse est tout aussi vrai : un endettement très faible réduit la transparence de la communication financière et non-financière des firmes.

La théorie du pecking order (Myers, 2001) éclaire également les raisons poussant les firmes à une plus grande transparence. Les firmes privilégient l’autofinancement avant de recourir aux sources de financement externes. En raison des asymétries d’information entre les actionnaires et les dirigeants d’une part, en entre les créanciers et les dirigeants d’autre part, ces derniers doivent améliorer la transparence de leur communication financière lorsqu’ils utilisent des sources externes de financement pour réaliser des investissements immatériels. Finalement l’endettement et les liquidités déterminent les opportunités de croissance qui pourront être financés. Ces opportunités sont également associées à une asymétrie d’information et présentent des coûts d’agence élevés (Gaver et Gaver, 1993). Dans cette perspective, Hossain et al. (2005) ont mis en évidence une relation positive entre les opportunités de croissance et la diffusion d’informations volontaires dans les rapports annuels. Ainsi, plus les firmes saisissent des opportunités de croissance, plus elles devraient développer la transparence de leur communication financière et divulguer des informations sur leur CI.

Compte tenu de ces arguments, nous en déduisons que les éléments financiers constitutifs de la structure financière de l’entreprise déterminent ses pratiques de DICI.

Hypothèse 2. La structure financière de l’entreprise, reflétée par sa taille, son niveau d’endettement et ses liquidités influence positivement la décision des dirigeants de divulguer des informations concernant le capital immatériel.

Capital immatériel et Performance financière

La nomenclature du CI établie par Li et al. (2008), Mangena et al. (2010), et Maaloul et al. (2016) fait maintenant consensus auprès des chercheurs et des praticiens. Celle-ci distingue trois catégories de CI : le capital humain, le capital organisationnel (ou structurel), et le capital relationnel. Toutefois, comme ce consensus a mis du temps à se dégager, les travaux empiriques se sont focalisés sur un nombre restreint d’éléments constitutifs du CI. Ainsi, Lim et al. (2007) se concentrent sur les dépenses de R&D et la propriété intellectuelle. Neil et Lopo (2009) ou encore Elissavet et al. (2013) s’intéressent aux relations avec les consommateurs et la réputation de la marque.

De plus, les études des impacts de ces différents éléments sur la performance financière font apparaitre des résultats mitigés. En particulier, l’influence de la divulgation d’information concernant les dépenses de R&D ou la propriété intellectuelle, estimée par le nombre de brevets, sur la performance financière est faiblement établie. En effet, les brevets pourtant portés au bilan des firmes ne sont pas nécessairement générateurs de flux de revenus futurs (Hikkerova et al., 2014). De plus, l’incertitude entourant le retour sur les investissements en R&D brouille la perception des actionnaires. Ceux-ci ne sont pas toujours capables de saisir les avantages économiques futurs attendus de ce type d’investissement. Dans ce cas, l’impact des investissements de R&D sur le cours boursier de la firme est nul (Nagar et al., 2003). Les firmes arbitrent donc entre les avantages procurés par cette divulgation et le coût lié à celle-ci. Ainsi, Jones (2007) ou bien Lim et al. (2007) révèlent que les firmes ayant un ratio book-to-market faible sont les plus susceptibles de divulguer des informations détaillées sur leurs activités de R&D. En effet, les états financiers étant peu informatifs, les dirigeants de telles firmes peuvent escompter un impact fort d’une divulgation volontaire détaillée de leurs efforts d’innovation sur la valeur de marché de leur firme.

Un autre courant de la littérature s’est intéressé aux effets de la divulgation d’informations concernant le capital social et humain sur la volatilité des cours boursiers (Cormier et al., 2009). En réduisant l’asymétrie d’information entre les dirigeants et les actionnaires, la communication de ces éléments devrait permettre de rassurer les investisseurs et d’orienter favorablement le marché. Notamment ces auteurs montrent que la communication d’information quantitative sur le capital social et humain par la firme réduit la volatilité du cours de ses et concourt à augmenter la valeur de marché de ses immatériels (mesurée par le Q de Tobin). Cette relation est modérée par la gouvernance, laquelle induit une plus grande transparence lorsque son efficience s’accroît.

Enfin, Neil et Lopo (2009) ou encore Iwu-Egwuonwu, (2011) ont analysé l’influence de la divulgation d’information concernant le capital client, la marque, ou la réputation de celle-ci sur les décisions des investisseurs. Ces auteurs mettent en évidence que ces éléments sont des actifs qui permettent aux firmes d’investir, et d’accroître leurs résultats financiers dans un cercle vertueux de reconnaissance et de création de valeur pour les actionnaires.

En l’absence d’une approche globale des effets de la divulgation d’information sur le CI sur la performance financière l’intérêt de ces travaux apparait limité dans cadre de notre investigation. Toutefois certaines études ont développé un indice de DICI (An et al., 2011). Les relations de celui-ci avec la (1) gouvernance (Li et al., 2008; Delbi et al., 2014), (2) le coût du capital (Mangena et al., 2010), ou bien encore (3) les prévisions des analystes (Maaloul et al., 2016) ont tour à tour été analysées. Réalisant une analyse de contenu des rapports annuels d’un échantillon de 125 entreprises américaines non financières, les résultats de ces derniers révèlent que l’augmentation des informations intangibles accroit les prévisions des analystes au niveau de la précision, et la dispersion des bénéfices ainsi que les recommandations de consensus favorables. Mais cet effet varie en fonction de la qualité des informations diffusées.

Compte tenu de cette discussion, nous posons l’hypothèse suivante :

Hypothèse 3 : La divulgation volontaire d’informations concernant le capital immatériel de l’entreprise influence positivement la valeur de marché de celle-ci.

Enfin, l’impact de la divulgation d’information concernant le CI sur la performance comptable fait également l’objet d’une littérature parcellaire. Elissavet et al. (2013) ainsi que Cheillan et al. (2016) stipulent que la qualité du produit, la marque ou encore la réputation peuvent conduire à une meilleure performance commerciale. En se basant sur l’analyse des 500 entreprises européennes les plus importantes, Martins et Lopes (2016) soulignent l’association positive entre le niveau d’intensité en connaissance de ces firmes et leur rentabilité. Ainsi, les ressources immatérielles agiraient comme des moteurs d’avantages futurs et seraient incorporées dans les ratios de rentabilité des entreprises. Pour Zambon et Monciardini (2015) ce résultat s’explique par le fait que le CI est un puissant facteur de développement d’innovations non technologiques. Ces constations nous amènent à formuler l’hypothèse suivante :

Hypothèse 4. La divulgation volontaire d’informations concernant le capital immatériel de l’entreprise influence positivement la performance comptable de celle-ci.

Méthodologie et données

Méthodologie

Dans cette recherche, nous utilisons une modélisation PLS-PM (partial least squares path modelling), afin d’analyser l’impact de la divulgation d’informations sur le capital immatériel (DICI) sur la performance financière. Nous intégrons également deux antécédents de la DICI, des variables financières et de gouvernance, pour une compréhension globale de cette relation. En effet, l’avantage de cette modélisation est d’estimer des relations de causalité complexe entre des variables latentes, mesurées elles-mêmes par des variables observées dites manifestes (Monecke et Leisch, 2012). De plus, contrairement aux méthodes classiques de régression, elle n’est pas soumise aux deux problèmes cruciaux d’endogénéité et de multicolinéarité potentiel entre les variables explicatives car elle analyse plusieurs blocs de variables à la fois (Hult et al., 2018). Enfin, Bagozzi et Yi (1994) soulignent qu’elle est plus adaptée quand les distributions des variables sont fortement asymétriques, parce qu’elle n’impose aucune condition sur leur distribution.

Elle est utilisée principalement en marketing. Hair et al. (2012) ont recensé 204 articles, fondés sur une méthodologie PLS-SEM, et publiées dans les 30 meilleures revues de marketing sur une période de 30 ans (1981 à 2010). Ce type de modélisation se diffuse de plus en plus dans d’autres domaines, notamment en finance depuis les travaux pionniers de Titman et Wessels (1988) pour expliquer la structure financière des firmes. Plus récemment, Mili et Sahut (2014) utilisent cette technique pour expliquer la transmission des chocs de liquidité entre des banques et leurs filiales.

Dans notre recherche, nous utilisons un modèle de mesure réflectif et un modèle structurel formatif. Le modèle de mesure s’intéresse à la qualité de la représentation des construits latents par les variables à notre disposition appelées variables manifestes. Un modèle de mesure réflectif pose en hypothèse que chaque construit présente une dimension unique qui doit être représentée par les variables manifestes qui le supporte. A la condition que les construits soient bien spécifiés nous pouvons étudier les relations de causalité unissant ceux-ci. Nous décrivons notre modèle structurel dans la figure n° 1.

Mesure de la divulgation d’information sur le capital immatériel

Afin de mesurer la divulgation d’information concernant le capital immatériel de l’entreprise nous reprenons la classification de Li et al. (2008). Cette classification comprend 61 items dont 22 indicateurs pour le capital humain, 18 items pour le capital organisationnel, et 21 indicateurs pour le capital relationnel. Puis, nous avons construit deux indices pour appréhender cette divulgation de manière quantitative (nombre d’information sur les items) et qualitative (qualité de l’information sur ces items) :

  • DIV_Nb : représente un nombre relatif de divulgation d’items concernant le CI.

  • DIV_score : est un score de qualité de divulgation d’informations sur le CI.

Notre premier indice (DIV_Nb) est basé sur la présence ou l’absence de l’information sur le CI dans le rapport annuel de l’entreprise. Il indique le pourcentage des items divulgués dans le rapport annuel par rapport à l’ensemble des 61 items du CI de la classification proposée par Li et al. (2008). Le codage consiste à attribuer un score de 1 si l’item du CI est divulgué dans le rapport annuel, sinon 0. Ainsi, cet indice est le ratio du score obtenu par l’entreprise par rapport au score potentiel de 61 qu’une entreprise peut divulguer, et se calcule de la manière suivante :

Où : xi est la valeur associée à l’item i du CI, il prend la valeur 1 si l’item est divulgué, 0 sinon.

La valeur de cet indice est donc comprise entre 0 et 1.

L’utilisation d’une procédure dichotomique (présence/ absence) pour le codage de l’information sur le CI présente l’inconvénient de traiter la divulgation de tous les items du CI comme étant égaux et ne permet pas d’accorder plus d’importance à certains items. Par conséquent, il est nécessaire de compléter cette mesure par un indice basé sur la qualité de divulgation selon les différents items du CI.

Dans la même perspective que Guthrie et al. (2004), et Beattie et Thomson (2007), ce second indice est basé sur une approche qui intègre le contenu sémantique de la divulgation en différenciant :

  • Le caractère quantitatif ou qualitatif de l’information,

  • Son orientation temporelle. On distingue les informations ayant un caractère historique, de celles portant sur la situation actuelle et future.

FIGURE 1

Le modèle structurel de notre étude

Le modèle structurel de notre étude

-> Voir la liste des figures

Ainsi, pour chaque item sur le CI, nous avons calculé un score de qualité qui se compose de 4 parties :

  • 1, si on a une information qualitative et historique, 0 sinon,

  • 1, si on a une information quantitative et historique, 0 sinon,

  • 1, si on a une information qualitative et actuelle ou future, 0 sinon,

  • 1, si on a une information quantitative et actuelle ou future, 0 sinon.

Ainsi pour un item comme les compétences des salariés, on obtient un score maximal de 4 si la firme diffuse à la fois une information quantitative et qualitative pour les périodes courantes et passées. Si on dispose uniquement d’une information quantitative et actuelle, le score est de 1. Au final, l’indice DIV_score pour une entreprise est la somme des 61 scores correspondant à chaque item sur le CI :

La valeur maximale pour cet indice est donc de 244. Toutefois, la construction de l’indice de CI nous a permis d’apprécier l’incomplétude des informations divulguées par les firmes. En raison de cette incomplétude le risque de corrélation entre les indications passées et celles actuelles ou futures est quasi-nul. Nous divisons le score obtenu par chaque firme par la valeur maximale possible (244) afin d’obtenir un score entre 0 et 1.

Echantillon et autres variables

Nos données concernent les grandes entreprises suisses cotées au cours de l’année 2016. Afin d’éviter certains biais sectoriels, nous avons choisi seulement les compagnies industrielles. Les firmes financières et immobilières sont exclues en raison de la spécificité de leurs comptes. Les données sur la gouvernance et les variables financières proviennent respectivement d’Asset4 et d’Osiris. Partant d’un échantillon de 222 sociétés cotées, nous avons retenu 152 sociétés pour lesquelles l’ensemble des données nécessaires à l’étude sont disponibles. Parmi les sociétés de notre échantillon, 29 utilisent les normes comptables Swiss GAAP RPC. Les 123 autres firmes publient leurs comptes en norme IFRS. Cette répartition est cohérente avec l’étude Disclosure 2012 de PricewaterhouseCoopers qui mentionne que les utilisateurs des normes RPC représentent environ un cinquième de la totalité des entreprises cotées en Bourse.

Nous avons opéré des tests de différence de moyenne sur les deux variables manifestes liées au construit DICI. Il s’avère que les entreprises publiant leurs comptes suivant les normes Swiss GAAP RPC et celles soumises aux normes IFRS ne présentent pas de différences significatives. Ce résultat va dans le sens de l’avis de différents experts qui expliquent que des sociétés comme Tornos en 2014 ont délaissé les normes IFRS au profit de Swiss GAAP RPC car elles seraient « plus pragmatiques et plus simples, notamment dans la comptabilisation des engagements de prévoyance, ainsi que moins coûteuses. De plus, elle ne feraient rien perdre en matière de transparence financière »[3]. Les engagements ne faisant pas partie de notre étude la simplification de la comptabilisation des engagements proposée par les Swiss GAAP RPC est sans incidence sur notre travail. En fait, notre étude s’intéressant aux éléments extra-financiers publiés, les normes comptables utilisées ont peu d’influence sur leur communication car ces éléments ne sont pas comptabilisés.

Le tableau 1 présente l’ensemble des variables manifestes reflétant les cinq variables latentes de notre modèle structurel.

Les variables reflétant la structure financière ont été sélectionnées en se référant aux approches de Gainet (2010) et de Cormier et al. (2009). Trois types de variables sont considérés : la taille de la société (actif total), le levier financier (mesuré par le ratio de dettes à long terme), et les liquidités issues de l’exercice précédent (cash-flows). Des études antérieures telles que celles de Fazzari et Athey (1987) et Dushnitsky et Lenox (2005) ont constaté que les entreprises disposant des liquidités les plus importantes sont davantage susceptibles d’avoir la flexibilité financière nécessaire pour investir, notamment dans des actifs immatériels car le contrôle de la rentabilité de leur investissement s’effectuera a posteriori, et non a priori comme dans le cas d’une demande d’emprunt. A l’instar de Dushnitsky et Lenox (2005), nous avons utilisé le cash-flow net de l’année précédente comme indicateur des ressources disponibles pour le financement du capital immatériel. En outre, plusieurs d’études (Nissim et Penman, 2003; Sahut et Othmani, 2010) établissent que le levier financier est également une variable importante reflétant la performance financière.

Concernant les pratiques de gouvernance d’entreprise (GE), nous reprenons les résultats issus des travaux de Drobetz et al. (2004) qui les ont définies à partir des cinq domaines principaux : (1) l’engagement volontaire des dirigeants dans les bonnes pratiques de gouvernance, (2) le droits des actionnaires qui évalue la capacité de l’entreprise à attirer les actionnaires minoritaires en leur assurant l’égalité des droits et des privilèges et en limitant l’utilisation de dispositifs anti-OPA, (3) la transparence qui mesure la qualité des informations transmises aux investisseurs au-delà des obligations légales, (4) le conseil d’administration qui reflète la capacité d’une entreprise à disposer d’un conseil d’administration efficace en mettant en place les principaux comités du conseil d’administration dotés de tâches et de responsabilités et (5) l’audit qui évalue les règles internes à l’entreprises assurant la qualité et l’indépendance des travaux d’audit. Dans la base Asset4 nous avons collecté les notations des entreprises de notre échantillon sur ces cinq domaines. Drobetz et al. (2004), Nekhili et al. (2012) et Belkhir et al. (2014) ont montré que ces cinq domaines caractérisent le rôle primordial des pratiques de gouvernance dans la création de la valeur.

A l’instar de Dowell et al. (2000), nous employons le Q de Tobin et le ratio de Marris comme mesure de performance boursière. Tandis que la performance comptable est reflétée par le ROE et le ROA (Tsoutoura, 2004).

Par ailleurs, nous utilisons comme variable de contrôle la taille de la firme. En effet, suivant Saada (1995), le processus d’élaboration de l’information est conditionné par la taille de l’entreprise. De plus, Depoers (2000) indique que l’étendue de la communication volontaire d’informations par les firmes dépend significativement de leur taille. Enfin, Tsoutsoura (2004) montre que les firmes de grandes tailles sont les plus transparentes. Par conséquent, nous contrôlons l’ampleur de la DICI au travers d’un proxy de la taille de l’entreprise. La variable latente liée à la structure financière incluant l’actif total au rang de ses variables manifestes, nous choisissons le nombre d’employés comme proxy de la taille de la firme (Ben Taleb Sfar, 2014).

Résultats empiriques

Statistiques descriptives

Les capitalisations boursières des entreprises suisses de notre échantillon varient de 0.2 à 221 milliards d’euros, avec une moyenne de 8,6 milliards. Notre échantillon permet une large représentation des entreprises suisses cotées allant d’une faible à une forte capitalisation. Le ratio Q de Tobin varie de 0.22 à 7.15 avec une moyenne de 1.62. Cela signifie qu’en moyenne la capitalisation boursière de ces sociétés est supérieure à 1.62 fois la valeur comptable de l’actif. Mais on remarque également que certaines firmes sont fortement valorisées par le marché avec un ratio de 7. La part des actifs immatériels dans l’ensemble des actifs immobilisés varie de 0.01 % à 93 % avec une moyenne de 29 %. La largeur de l’intervalle des valeurs s’explique par de fortes disparités sectorielles. En effet la part des actifs immatériels dans le total des actifs immobilisés est respectivement 15 % pour le secteur de la Pharmacie (dont les poids lourds sont Roche, Novartis, ainsi que Lonza), 26 % pour les Produits de consommation (comme Nestlé), 51 % pour le secteur des Matériaux, 52 % pour le BTP, et 52 % pour les Télécoms. Le coefficient d’endettement, c’est-à-dire l’ensemble des dettes par rapport aux capitaux propres est en moyenne de 66.9 %, ce qui témoigne de l’indépendance financière des sociétés de notre échantillon.

Notre premier indice (DIV_Nb) évalue la présence ou l’absence de l’information sur le CI dans le rapport annuel de l’entreprise varie entre 0.25 et 0.86 avec une moyenne de 0.55. Cela signifie que les entreprises suisses divulguent en moyenne 55 % des informations potentiellement communicables sur le capital immatériel dans leurs rapports annuels.

L’indice de divulgation basé sur la qualité des informations sur le CI (DIV_score) varie entre 0.09 et 0.60 avec une moyenne de 0.49. L’information divulguée sur le CI dans les rapports annuels est donc très partielle car elle est soit qualitative ou quantitative, soit historique ou actuelle (voire future). En moyenne, deux modalités sont renseignées sur les quatre possibles pour chacun des 61 items de notre liste.

Qualité du modèle de mesure

Pour tester l’impact des variables financière et de la gouvernance sur les pratiques de DICI d’une part, et la performance financière, d’autre part, nous utilisons une approche PLS-PM. Cette approche nécessite de s’assurer de la qualité du modèle de mesure avant d’interpréter la force des relations entre les variables latentes présentées dans le modèle structurel.

La qualité du modèle de mesure nécessite que trois conditions soient remplies. Tout d’abord, nous devons nous assurer de l’unidimensionnalité des variables latentes. Ensuite, nous devons contrôler que les variables manifestes sont bien expliquées par les variables latentes auxquelles elles sont liées. Enfin, nous devons évaluer dans que mesure chaque variable latente diffère des autres.

Tableau 1

Description des variables

Description des variables

-> Voir la liste des tableaux

Chaque bloc de variables manifestes doit refléter un construit latent réputé unidimensionnel. Pour vérifier cette propriété, nous standardisons l’ensemble des variables manifestes collectées et nous nous assurons que les variables associées au même construit présentent des corrélations positives. L’unidimensionnalité des variables latentes est contrôlée au travers de deux tests : l’alpha de Cronbach et le rho de Dillon-Goldstein. Une variable latente est réputée unidimensionnelle si les statistiques associées à ces deux tests sont supérieures à 0.7. Chin et Nexsted, (1999) soulignent que le rho de Dillon-Goldstein est considéré plus fiable que l’alpha de Cronbach car il est basé sur les résultats du modèle (loadings) et non sur les corrélations observées entre les variables manifestes.

Le tableau 2 présente les résultats de nos tests de fiabilité. Les résultats suggèrent que chacun des cinq blocs de variables manifestes peut être considéré comme unidimensionnel. En effet, tous les coefficients associés aux deux tests d’unidimensionnalité, l’alpha de Cronbach et le rho de Dillon-Goldstein (D.G.), sont plus grands que 0.7. Par ailleurs, les valeurs propres associées à la matrice des corrélations de chacun des blocs de variables manifestes confirment le caractère unidimensionnel des différentes variables latentes. En effet la première valeur propre de chacune de ces matrices est très supérieure à 1 alors que la deuxième valeur propre est inférieure à 1.

Nous contrôlons maintenant que les variables manifestes sont bien expliquées par les variables latentes auxquelles elles sont liées. Le tableau 3 montre les corrélations entre chaque variable latente et les variables manifestes qui lui sont liées. Il est couramment admis que des corrélations supérieures à 0.7 sont acceptables. Toutefois les communalités, c’est-à-dire les corrélations élevées au carré permettent une interprétation plus intuitive. En effet, les communalités représentent la part de la variance des variables manifestes expliquées par la variable latente. Ici, nous nous assurons que chaque variable latente explique la moitié de la variance des variables manifestes liées à celle-ci. Enfin, la variance moyenne extraite indique la part de la variance qu’une variable latente partage avec les variables manifestes qui la reflète. La variance moyenne extraite doit être supérieure à 50 % ce qui est bien le cas ici. Les statistiques présentées dans le tableau 3 nous permettent donc d’affirmer que les variables manifestes sont bien représentées par les variables latentes auxquelles elles se rapportent.

Tableau 2

Résultats des tests d’unidimensionnalité des variables latentes

Résultats des tests d’unidimensionnalité des variables latentes

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 3

Qualité de représentation des variables manifestes par les variables latentes

Qualité de représentation des variables manifestes par les variables latentes

-> Voir la liste des tableaux

Finalement le contrôle de la bonne spécification de notre modèle de mesure exige de s’assurer que les différentes variables manifestes sont liées à une variable latente unique. Le tableau 4 ci-dessous présente les « cross loadings » associées aux variables manifestes et met en lumière le caractère mono-factoriel de chacune d’entre-elles. Il apparait que la corrélation de chacune des variables manifestes avec la variable latente à laquelle elle se rapporte est supérieure à la corrélation avec les autres variables latentes. Chaque variable latente diffère donc des autres construits et chacun d’entre eux présente un caractère unique.

Estimation du modèle structurel

Dans cette section, nous nous intéressons aux résultats de l’estimation de notre modèle structurel. Celui-ci est composé de 5 variables latentes dont trois sont endogènes : la DICI, la performance comptable et la performance de marché. La présentation des résultats de notre modèle est guidée par la volonté de répondre à deux types de questions. Premièrement nous recherchons les raisons incitant certaines entreprises, plus que d’autres, à divulguer des informations concernant leur capital immatériel. Nous cherchons ces raisons dans deux directions : (1) la structure financière et (2) la gouvernance de l’entreprise. Deuxièmement nous étudions l’influence de cette divulgation sur la performance comptable et la performance de marché des entreprises de notre échantillon. La figure 2 résume les estimations des coefficients de notre modèle, tandis que le tableau 5 présente les coefficients de corrélation et de régression liant chaque variable latente endogène à ses variables latentes exogènes. La qualité du modèle structurel est assurée au travers des différentes statistiques présentées dans les tableaux 6 et 7.

La figure 2 et le tableau 5 montrent que la DICI est principalement influencée par la gouvernance. Le path coefficient est très significatif et la gouvernance contribue à plus de 72 % du R² de la DICI. Pour rappel, le R² exprime la part de la variance d’une variable latente endogène expliquée par les variables latentes qui lui sont liées. L’impact de la structure financière sur la divulgation d’information concernant le capital immatériel apparait plus faible et moins significatif. La contribution au R² est très inférieure (21.83 % vs. 72.48 %). La gouvernance est donc le principal déterminant de la divulgation d’informations concernant le capital immatériel de l’entreprise au-delà des obligations légales. D’une part l’influence de la première sur la seconde est forte et très significatif. De l’autre, la gouvernance explique une large part de la variance de la DICI. Notre hypothèse H1 est donc vérifiée. L’hypothèse H2 est également confirmée : La structure financière de la firme, c’est-à-dire les pouvoirs relatifs des actionnaires et des prêteurs déterminent la DICI. Toutefois, comparée à la gouvernance, la structure financière explique une plus faible part de la variance des pratiques de divulgation d’informations concernant le capital immatériel.

Par ailleurs, la DICI a un effet très faible et peu significatif sur la performance comptable. En effet le path coefficient associé à cette variable latente est juste au-dessous du seuil de risque de 10 %. De plus ce coefficient est très inférieur à celui associé à la structure financière (0.041 vs. 0.185). Enfin, L’écart entre les contributions respectives au R² est également important (50.45 % vs. 11.31 %). La DICI est donc a donc une influence faible sur la performance comptable des entreprises de notre échantillon, notre hypothèse H4 n’est donc pas vérifiée au seuil de risque de 5 % mais peut être acceptée au seuil de 10 %.

Enfin, la divulgation d’information concernant le capital immatériel a une influence très significative sur la performance de marché de l’entreprise. En première instance, nous pouvons donc affirmer que l’hypothèse H3 est vérifiée. Toutefois, l’ampleur de cet effet est inférieure à celui de la gouvernance (0.139 vs. 0.177) et la gouvernance contribue davantage au R² de la performance de marché que la DICI (45.93 % vs. 36.04 %). De plus, nous avons montré que la gouvernance est le principal déterminant de la DICI. Par conséquent, la gouvernance influence la performance de marché de deux façons. Premièrement d’une façon directe en s’assurant que l’intérêt des actionnaires est défendu. Deuxièmement, d’une façon indirecte au travers de son influence sur la divulgation d’informations concernant le capital immatériel de l’entreprise. Par ailleurs, le faible impact de la structure financière sur la performance de marché est a priori notable. Cependant, la sous-section dédiée aux statistiques descriptives montre que les entreprises de notre échantillon étaient faiblement endettées. Les risques de conflit entre les intérêts des prêteurs et ceux des actionnaires sont donc limités et ceci explique la faible influence de la structure financière sur la performance de marché.

Tableau 4

Caractère mono-factoriel des variables manifestes

Caractère mono-factoriel des variables manifestes

-> Voir la liste des tableaux

Le tableau 6 ci-dessous présente les R² associés à chacune des variables latentes endogènes de notre modèle structurel. Afin de nous assurer de la convergence des estimateurs nous avons également estimé celui-ci par la méthode du bootstrap. Ces résultats confirment la qualité de l’estimation de nos trois modèles partiels.

Le tableau 7 ci-dessous présente les mesures de la qualité globale de notre modèle. L’indice GoF est une mesure de la qualité d’ajustement qui tient compte de la qualité du modèle de mesure et du modèle structurel. L’indice GoF est calculé comme la moyenne géométrique de la communalité moyenne et de la valeur moyenne du R². Il est couramment admis qu’un GoF supérieur à 0.7 traduit une bonne qualité d’ajustement du modèle aux données. La proximité des résultats obtenus à partir de l’échantillon complet et par la méthode du bootstrap assure une bonne fiabilité de la mesure des différents indices GoF.

FIGURE 2

Résultat de l’estimation du modèle structurel

Résultat de l’estimation du modèle structurel

-> Voir la liste des figures

Tableau 5

Estimation du modèle structurel

Estimation du modèle structurel

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 6

Qualité de l’estimation des trois modèles partiels

Qualité de l’estimation des trois modèles partiels

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 7

Qualité de l’estimation du modèle global

Qualité de l’estimation du modèle global

-> Voir la liste des tableaux

Conclusion

Les relations entre la DICI, la gouvernance, et la performance financière des firmes ont été étudiées jusqu’à présent séparément dans la littérature. Le but de cette recherche est d’examiner conjointement ces rapports en utilisant la modélisation PLS-PM. En effet, cette méthode évite le problème d’endogénéité, qui existe généralement entre les variables reflétant la DICI et les mesures de la performance financière. Dans ce travail, nous avons présenté la DICI comme un ensemble de pratiques directement affectées par le système de gouvernance et la structure financière de la firme. Les pratiques de DICI influenceraient alors positivement et fortement la performance boursière alors que l’impact sur la performance comptable serait faible.

Tout d’abord, notre étude éclaire l’impact des bonnes pratiques de gouvernance sur la divulgation d’informations concernant le capital immatériel. Nous montrons le caractère unidimensionnel de (1) l’engagement volontaire des dirigeants dans les bonnes pratiques de gouvernance, (2) le respect des droits des actionnaires, (3) l’efficacité du conseil d’administration, (4) la volonté de transparence et (5) l’indépendance des missions d’audit. Ces différents engagements sont indissociables et reflètent conjointement les bonnes pratiques de gouvernance. Ce résultat complète l’étude de Li et al. (2008) qui s’étaient limités à l’impact de la structure du conseil d’administration, sa composition et sa taille.

De la même façon, la divulgation volontaire d’informations concerne aussi bien la quantité et la qualité des informations dévoilées et l’une ne peut aller sans l’autre. Dans ce cadre, l’adoption de bonnes pratiques de gouvernance influence favorablement et de manière très significative la DICI. Par conséquent, le législateur ou les organismes professionnels doivent s’intéresser davantage au renforcement des mécanismes de gouvernance dans le but de développer les pratiques de DICI des firmes, en particulier pour mieux informer les actionnaires des sociétés cotées.

Ensuite, la structure financière des firmes de notre échantillon impacte également la DICI. Celle-ci est donc conditionnée par l’importance relative des actionnaires et des prêteurs parmi les financeurs de la firme. Plusieurs éléments peuvent étayer ce résultat. D’un côté, Wirtz (2006) indique que la différence d’appréciation de la valeur d’un projet entre les dirigeants et les financeurs de la firme est un élément explicatif de l’élévation du coût du capital. Les dirigeants sont donc incités à communiquer sur le contenu de leurs investissements en capital immatériel. De l’autre, la théorie d’agence stipule que la présence d’un important volume de dette au passif de la firme peut inciter les actionnaires à opter pour des projets d’investissement très risqués et portant des espoirs de revenus élevés. En cas de succès, les actionnaires retireront la plus grande partie des revenus tirés du projet, tandis qu’en cas d’échec les banquiers supporteront l’essentiel des coûts. L’investissement dans des actifs immatériels se prêtant particulièrement bien à ce type de manipulation, il n’est pas étonnant que les dirigeants tentent de rassurer les prêteurs en communiquant sur le détail de tels investissements. La DICI serait donc un moyen d’abaisser le coût du capital et de rassurer les banques.

Par ailleurs, nous montrons que la DICI influence positivement et significativement la performance de marché des entreprises de notre échantillon. En premièrement instance, nous trouvons ici la justification principale de la divulgation volontaire d’informations concernant le capital immatériel conformément aux prédictions de la théorie de l’agence. Cela conforte les résultats d’An et al. (2011) qui stipulent qu’une meilleure qualité de l’information sur le CI permet aux investisseurs de mieux contrôler la gestion et de rendre plus précise les estimations des paramètres sous-jacents aux rendements futurs des actions, en ayant une meilleure appréciation du risque non diversifiable et de la rentabilité future. Ces résultats devraient inciter les dirigeants à communiquer davantage sur le CI de leur firme malgré les coûts qui y sont associés.

Toutefois, la DICI est pour une large part, une conséquence des bonnes pratiques de gouvernance et celles-ci ont également un impact important sur les cours boursiers de l’entreprise. Ce résultat nous semble important car l’effet des pratiques de gouvernance sur la valorisation de marché de la firme est un débat toujours ouvert, notamment pour les travaux adoptant une vision élargie de la gouvernance. Notre travail indique que l’analyse de la relation entre gouvernance et valorisation de marché de la firme nécessite d’inclure l’effet modérateur de la divulgation volontaire d’informations dans l’étude.

Enfin, l’effet de la DICI sur la performance comptable apparait faiblement significatif (on est juste sous le seuil de risque de 10 %) contrairement aux résultats de Martins et Lopes (2015). Nous pensons trouver ici une limite de notre étude. En effet, la nature transversale de celle-ci ne nous permet pas de tenir compte des revenus futurs tirés des investissements en immatériel. Notre travail nécessite donc d’être prolongé par une étude longitudinale évaluant l’effet de la DICI sur la performance comptable future. Une autre voie de recherche future peut également être trouvée dans l’élargissement de notre acception de la gouvernance. Nous avons retenu ici une approche purement actionnariale de la gouvernance. Il nous parait intéressant pour l’avenir d’élargir la gouvernance aux mécanismes cognitifs qu’elle inclut afin de compléter notre compréhension des intérêts liés à la divulgation volontaire d’informations sur le CI.