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Cet ouvrage est issu des 13ème rencontres internationales de la gestion publique organisées le 14 mai 2014 intitulées « En finir avec le New Public Management. De nouvelles perspectives pour l’action ». Cette manifestation avait réuni de nombreux intervenants venus de différents pays apporter leurs témoignages et contributions. Ce compte-rendu n’aspire pas à réaliser une synthèse de la totalité des réflexions et connaissances proposées dans l’ouvrage. En effet, son contenu est dense et toute tentative de résumé serait restrictive. Il s’agit plus simplement de mettre en avant certains de ses apports en matière d’innovation publique et, peut-être, d’inciter à sa lecture exhaustive.
La question du renouvellement, comme celle de l’innovation, sont récurrentes au sein du secteur public; elles sont en conséquence un objet de recherche durable et vivant pour les universitaires qui observent et analysent les évolutions des pratiques publiques. Cet ouvrage se dit « consacré aux problèmes posés par le NPM », l’introduction invitant le lecteur à « voir cet ensemble de textes comme une tentative d’histoire des idées et débats managériaux dans le secteur public, notamment français ». En intitulant l’ouvrage « En finir avec le New Public Management », les auteurs questionnent aussi en filigrane ce qui, nouvelles théories ou pratiques innovantes, viendrait se substituer au NPM.
Pour réaliser le compte-rendu de lecture de cet ouvrage, il convient, en premier lieu, de souligner la richesse des références académiques mobilisées par les contributeurs. Les travaux présentés se fondent en effet sur des textes essentiels à l’étude du management Public. Cette riche bibliographie, qui apparaît au fil des pages, constitue déjà un apport évident de l’ouvrage : rappeler et recenser des textes « clés » de la connaissance déjà produite dans le champ des réformes de l’action publique. Soulignons en second lieu, la pertinence de son découpage en trois sections qui permet de réfléchir successivement aux origines du NPM en tant qu’innovation, à ses effets au-delà de la dimension organisationnelle, et aux changements en cours ou à venir qui viendront poursuivre la marche de l’innovation publique.
Dans une première partie intitulée « Néo-management et action publique », trois contributions expliquent les vecteurs et les modalités de la diffusion du NPM. Même si l’innovation n’est devenue le nouveau mot d’ordre des administrations publiques qu’à la fin des années 1990, le NPM a en effet incarné une volonté de renouveau, de changement et d’amélioration, notamment en brandissant l’étendard de l’efficacité, comparativement à la bureaucratisation qui caractérisait les structures publiques jusque-là.
Les articles de Magdalena Hadjiiski et de Fabien Gélédan s’intéressent aux vecteurs du changement. Ils mettent respectivement en évidence le rôle des institutions internationales et celui des cabinets de consultants dans l’avènement du NPM. Il est ainsi expliqué comment un processus itératif s’est installé entre institutions internationales et États au bénéfice de la diffusion du NPM, en tant qu’idéologie antibureaucratique. Il est aussi établi que la tendance forte à l’adoption des outils de la gestion privée industrielle (lean, comptabilité analytique, budgétisation à la performance, etc.) persiste au fil du temps, à l’instar de « l’influence économiciste dans des domaines toujours plus variés de l’action sociale ». A cette nouvelle idéologie, qui a conduit à adopter les savoir-faire industriels pour lutter contre les insuffisances de la bureaucratie, s’est associée une pratique nouvelle : le recours aux cabinets de consultants. Il ne s’est pas simplement agi d’assimiler, puis d’adapter les méthodes du secteur privé. Il s’est aussi agi de transformer les processus organisationnels de l’intérieur, en intégrant des consultants privés au sein d’équipes de praticiens publics : l’innovation s’est ici manifestée tant dans les outils utilisés que dans la façon, plutôt prescriptive et standardisée, de les mettre en oeuvre. Enfin, effet collatéral de l’imprégnation des pratiques du consulting, une autre nouveauté est soulignée par l’auteur : l’émergence de la notion d’impact au sein de la sphère publique. Prenant exemple sur la capacité des consultants à matérialiser l’impact de leur travail, le secteur public a souhaité intégrer cette aptitude en généralisant les pratiques de reporting et de contrôle.
La contribution de Philippe Bezès et Gilles Jeannot apporte, elle, un bémol intéressant à l’analyse de la diffusion du NPM en tant qu’innovation. En effet, elle montre qu’en dépit d’un fort mimétisme institutionnel, la diffusion des outils du NPM s’est avérée hétérogène en fonction des pays. Tous les outils se rapportant au NPM n’ont pas reçu le même accueil. Toutefois, si la multitude d’instruments de formalisation issus de la gestion privée industrielle ont connu des usages différents dans les pays européens, un point commun est relevé. La planification stratégique et le management par objectifs, « qui peuvent faire sens aussi bien dans la tradition bureaucratique que dans une perspective NPM », sont beaucoup plus diffusés que le benchmarking, les salaires à la performance, les contrats internes. Les outils les plus répandus soutiendraient donc une forme de continuité plus qu’ils n’imposeraient de rupture. Une forme d’innovation incrémentale en somme…
La seconde partie, intitulée « le NPM déconstruit », est composée de deux contributions. Il est difficile de synthétiser en quelques lignes toute la richesse de la réflexion « Lire la bureaucratie néolibérale avec Weber » de Béatrice Hibou. Au regard de la question de l’innovation publique, nous pouvons néanmoins en retenir que, soumis au prisme de la grille d’analyse wébérienne, le NPM ne provoque pas la rupture annoncée d’avec la bureaucratie. « Volonté de calculabilité et de prévisibilité, recherche de neutralité, d’objectivité, d’impersonnalité… sont des caractéristiques propres à la bureaucratie telle qu’analysée par Max Weber ». Si innovation il y a, elle ne réside pas alors dans la lutte contre la bureaucratie puisque in fine le « NPM se traduit par un surcroit de bureaucratie : normes, procédures, quantification ». Selon l’auteur, il s’est opéré une forme d’assimilation du public au privé. « Jusque dans les années 50-60, l’opposition entre public et privé était fondamentale : le « public » représentait l’intérêt général face aux intérêts privés. » L’innovation profonde ne résiderait ainsi ni dans les méthodes, ni dans les processus de mise en oeuvre de ces méthodes mais, au-delà, dans la perception de l’essence du caractère public, avec pour conséquence un néo-gouvernement par les chiffres. L’innovation intervient donc en réalité dans le « projet politique ». Cette démonstration est soutenue par la référence aux travaux de Karl Polanyi et Michel Foucault qui mettent en évidence le rôle fondamental de l’État dans l’ordre néolibéral et définissent aussi le libéralisme comme un projet politique. Faisant écho au texte de Bezès et Jeannot, l’auteur souligne également que le NPM n’a pu pénétrer toutes les bureaucraties de la même façon « en fonction des opportunités constitutionnelles ou politiques mais aussi des imaginaires de chaque société ». Ces réflexions amènent inévitablement à des questionnements pour l’avenir. La conclusion interroge donc sur les enjeux inhérents à l’évolution des relations sociales, des inégalités, ou des exclusions.
La lecture de Roland Gori des changements à l’oeuvre avec le NPM chemine en parallèle du texte précédent. L’auteur se réfère ici à la littérature sociologique (Bourdieu, Desrosières, Weber) pour rappeler la « fonction symbolique de l’État qui construit un monde commun » et dénonce un « pillage du capital culturel du commun par le langage et le rituel de ce que Pasolini nommait la religion du marché ». C’est finalement la question de la capacité à penser, notamment à penser indépendamment des chiffres produits, et le risque de confiscation du débat citoyen qui sont soulevés en conclusion.
Les deux textes qui composent cette deuxième partie se complètent ainsi pour alerter sur les impacts sociétaux de la diffusion du NPM, dans sa dimension politique au-delà de sa dimension organisationnelle.
Les risques étant posés, une dernière partie s’intéresse aux alternatives, interrogeant les champs ouverts par la nouvelle vague d’innovation dite post-NPM. Les démarches novatrices présentées ici ont pour point commun de réintégrer le citoyen, le faire de nouveau participer, l’impliquant individuellement, à la vie de la cité.
Un premier texte de Taco Brandsen et Marcel Guenoun étudie la notion de coproduction afin d’aboutir à une clarification conceptuelle, en la distinguant notamment de la démocratie participative. Reprenant la définition d’Elinor Ostrom, un « processus à travers lequel des ressources utilisées pour produire un bien ou un service sont apportées par des individus qui ne sont pas « dans » la même organisation », les auteurs identifient le caractère central de l’action et, en conséquence, de la compétence dans les dynamiques de coproduction. Ces dernières induisent des attentes nouvelles vis-vis de l’individu-citoyen dans l’action publique, elles peuvent aussi questionner sur les capacités ou volontés de contribution individuelles. Les auteurs notent qu’il convient d’observer l’évolution de ces pratiques nouvelles encore peu diffusées. Mise en parallèle du « NPM déconstruit », cette contribution ne peut manquer de faire réagir; un point particulier de l’observation proposée pourrait-il - ou devrait-il - concerner l’aptitude de cette nouvelle pratique à repositionner l’intérêt général au centre des débats ?
Les deux derniers articles s’intéressent à deux applications concrètes de coproduction, en oeuvre dès la fin du siècle dernier pour les budgets participatifs, plus récent s’agissant du design de l’action publique.
Giovanni Allegretti revient ainsi sur l’origine des budgets participatifs, initialement conçus comme des « processus de démocratie directe » non-exclusifs, c’est-à-dire pensés pour rendre acteurs tous les membres de la société, y compris les plus faibles. Comme dans l’article précédent, la question de la compétence est encore ici soulevée. Comment celle-ci peut-elle être acquise par tout citoyen ? Condition sine qua non d’un empowerment citoyen, sans lequel l’exercice se limite à une simple consultation. Amartya Sen n’est pas cité mais la réflexion portée par l’article n’évoquerait-elle pas la nécessité de se référer aux capabilities pour inventer une action publique et une pensée politique post-NPM ?
Emmanuel Coblence, Philippe Lefebvre et Frédérique Pallez apportent eux une dernière touche à cet ouvrage. Ils explorent alors les manifestations visibles des démarches design, autre nouveauté dans le paysage public. Il est encore ici question de faire évoluer les pratiques de l’action publique, en revisitant les méthodes de conception des services publics. Divers acteurs, avec des positionnements différents ont investi ce nouveau « marché ». La contribution vise une cartographie de ces activités nouvellement apparues et conclut sur plusieurs questions à approfondir pour juger des apports potentiels de ces démarches. Celles-ci concernent notamment la nature réelle de l’innovation, réside-t-elle dans la démarche ou dans les objectifs poursuivis ? La caractérisation des acteurs de la conception des politiques et services publics, subissent-ils une transformation radicale ? Enfin, quelle légitimité pour ces démarches et comment les évaluer ?
L’ensemble de ces articles contribue au final à une meilleure connaissance des effets du NPM, des risques et des enjeux pour l’action publique. L’ouvrage montre ainsi plusieurs niveaux d’innovation imbriqués dans le NPM, certains apparaissant plus dangereux que d’autres pour la permanence de la démocratie. D’un point de vue organisationnel, des innovations incrémentales ont été mises en oeuvre et semblent se poursuivre. D’un point de vue politique, il y a bien eu rupture avec l’idée d’État-providence. L’apport majeur de l’ouvrage réside peut-être dès lors dans tous les questionnements induits par les contributions proposées.
Trois voies de changement sont ainsi identifiées dès l’introduction. Des innovations dans les pratiques, liées à la numérisation croissante des activités, qui peuvent faciliter les coproductions. Des innovations dans la philosophie de l’action publique avec la New Public Governance, ou encore le Whole of Governement Approach, qui visent aussi le travail collaboratif et la coordination, semblent redécouvrir les vertus du faire-ensemble, de la réflexion collective après les excès de confiance accordée aux indicateurs.
Observant ces nouvelles tendances, les auteurs avançent que le changement n’est peut-être pas dans le contenu de ces contremodèles mais dans ce qui a motivé leur émergence : le renforcement de la capacité de l’État à protéger les populations. Posée en 2019, cette hypothèse prend un sens particulier dans le contexte de pandémie qui frappe nos États depuis le début de l’année 2020. On ne peut alors qu’espérer collectivement que le sens des innovations publiques à venir soit prioritairement favorable à la protection des populations.