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«La grande course des universités »[1], « Universités - innover ou sombrer - aucune université française dans les 100 premières mondiales »[2], « Construire l’université au XXIe siècle »[3], « Regards dynamiques et critiques de la gouvernance des universités »[4], « Les transformations des universités françaises »[5], etc. Les ouvrages n’ont pas manqué en 2017 pour analyser les transformations subies (voulues ?) notamment par les universités françaises dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le « Nouveau Management Public » (NMP ou NPM pour New Public Management).
Les universités constituent ainsi un champ d’analyse et de recherche privilégié avec des regards croisés de nombreuses disciplines comme l’économie, la gestion, la sociologie, le management public et la science politique. Il faut dire que le contexte s’y prête depuis les années 2000 sous la pression de facteurs tant exogènes qu’endogènes au système universitaire. Dans tous les cas de figure, l’objectif recherché par les pouvoirs publics, le message à diffuser est le même : la mise en concurrence des établissements universitaires.
On le sait, le mouvement a été initié au niveau européen par le processus de Bologne (1998) et la stratégie de Lisbonne (2000) qui ont conduit à la création de l’espace européen de l’enseignement supérieur en 2010. Ce processus visait déjà à faire de l’Europe un espace compétitif à l’échelle mondiale de l’économie de la connaissance. La convergence des politiques universitaires (mobilité, professionnalisation, démarche qualité, autonomie) imposait des réformes au niveau des Etats membres pour un enseignement supérieur qui se veut mondialisé et en phase avec le milieu des affaires.
En France par exemple, depuis la loi du 10 août 2007 relative aux Libertés et Responsabilités des Universités (dite loi LRU), aux deux missions fondamentales de l’université - la recherche (production des connaissances) et l’enseignement (transmission des connaissances) - s’ajoute officiellement celle de l’insertion professionnelle et du développement des relations avec le monde socio-économique.
L’environnement et le fonctionnement des universités se retrouvent donc bouleversés : contraintes gouvernementales financières, internationalisation, compétition, adaptation aux besoins économiques et sociaux, transformation des modes de financement, etc. Les universités constituent ainsi une illustration parfaite des trois facteurs d’isomorphisme de l’analyse institutionnelle (Rizza, 2008), DiMaggio et Powel (1983) :
Isomorphisme coercitif : pression exercée par le Ministère qui valide ou pas l’offre de formation des universités et qui impose des indicateurs communs de formation, de recherche et de pilotage à toutes les universités permettant ainsi de comparer leurs performances (Goy, 2015).
Isomorphisme mimétique : les universités basées sur la recherche sont amenées à renforcer leur orientation entrepreneuriale, leur souci d’insertion professionnelle et de relations avec les entreprises à l’instar de ce que font les grandes écoles.
Isomorphisme normatif : existence d’une communauté de valeur entre tous les enseignants-chercheurs de tous les établissements.
Pour les universités, l’enjeu ne se situe plus au niveau national ou européen, mais bien au niveau mondial avec notamment les publications des classements internationaux depuis 2003 (1.). Elles doivent gérer des situations qui peuvent paraître contradictoires : service public versus rentabilité; qualité des missions versus moyens limités; professionnalisation des enseignements versus reconnaissance pédagogique et scientifique. Les universités doivent se mettre à l’heure du Nouveau Management Public (2.) en devenant de plus en plus ambidextres (3.). Les vifs débats en cour constitueront des pistes précieuses pour les futures publications dans cette revue liées au management des universités (4.)
Les universités face à l’électrochoc des classements internationaux
L’université Jiao Tong de Shanghai publie depuis 2003 le classement académique des universités mondiales (Academic Ranking of World Universities, plus connu sous le nom de « classement de Shanghai »). A l’origine, ce classement mondial d’une liste de 500 universités avait un objectif précis : comparer les universités chinoises avec les meilleures universités du monde. Sa portée est sans commune mesure avec son but initial au regard des bouleversements qu’il a provoqués dans les politiques publiques de l’enseignement supérieur de certains pays dont la France.
« Du fait de la très faible présence des universités françaises parmi les cent premiers établissements, le classement de Shanghai de 2003 est souvent présenté comme le moment de prise de conscience en France de la globalisation de la compétition universitaire. Il est aussi décrit comme le temps du désenchantement et de la mise à mal de la représentation que certains avaient de l’excellence du système français d’enseignement supérieur et de recherche[6] ».
Critiqué par les uns sur sa méthodologie (Barbe, 2015), approuvé par les autres pour les comparaisons et les avantages comparatifs qu’il met en exergue (Fauconnier, 2017), ce classement est devenu non seulement incontournable mais une référence. Attendu chaque année impatiemment par le monde universitaire vers la mi-août, il s’est transformé en un évènement en soi avec une mise en scène médiatique bien appropriée (Barats et Leblanc, 2013).
Un classement en appelle d’autres, ceux par exemple de Times Higher Education, QS World University Ranking, Leiden, Webometrics, US News, U-Multirank, etc. Les Présidents d’université reconnaissent d’ailleurs une influence grandissante des classements internationaux sur les décideurs politiques et les gouvernances d’établissements français et étrangers[7]. Les mots d’ordre sont désormais connus : visibilité internationale, taille critique, regroupements sur un site d’universités et des écoles, compétition internationale, nouvelle gouvernance.
On connait la suite : des regroupements qui ont pour noms d’abord les PRES (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur, en 2006 puis les COMUE (Communautés d’Universités et d’Etablissements) à partir de 2013; des fusions entre universités voulues ou imposées; des rapprochements entre universités et grandes écoles; la recherche d’un changement d’échelle et la concentration des moyens sur les meilleurs pour affronter la compétition internationale avec obligation de résultats.
Dans le même temps, le lancement de trois programmes d’investissement d’avenir (PIA puis Grand Emprunt : 35 milliards d’euros pour le PIA 1 en 2010, 12 en 2014, 10 en 2016 et 57 milliards d’euros sur la période 2018-2022 dans le cadre du Grand Plan d’Investissement[8]) a permis de soutenir le développement d’universités de recherche[9] de rayonnement mondial avec la naissance des Labex (laboratoires d’excellence), des Idex (initiatives d’excellence[10]), des Equipex (Equipements d’excellence), des IRT (Instituts de recherche technologique), des IHU (Instituts hospitalo-universitaire), des I-SITES (initiatives science, innovation, territoires, économie), des Instituts convergences (à vocation de recherche pluridisciplinaire), etc. De plus, les modalités d’intervention de l’Etat changent dans la mesure où dans ces PIA, il est fait appel à des projets par des structures labélisées, à des jurys internationaux, à des cofinancements de projets et surtout à des engagements s’inscrivant dans le long terme avec des évaluations à mi-parcours (et des retraits de labels, donc de financements) (Gaudron, Mouline, 2016).
« Le Grand Emprunt n’est ainsi pas uniquement un instrument de mise en compétition pour l’excellence, c’est également un instrument de recomposition verticale et horizontale de l’espace de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Recomposition verticale puisqu’il s’agit d’identifier quelques champions qui se détacheront de l’ensemble et doivent devenir des points de repère à l’international; recomposition horizontale puisqu’il s’agit de favoriser des regroupements entre des institutions aux statuts et aux missions différents sur un territoire donné [11] ».
Les universités doivent en même temps se mettre à l’heure du Nouveau Management Public.
Les universités à l’heure du Nouveau Management Public
Le Nouveau Management Public (NMP ou NPM pour New Public Management) a touché plusieurs secteurs dans plusieurs pays : la justice, la santé, le secteur social, l’éducation et, bien évidemment, l’enseignement supérieur. En s’appuyant sur les travaux de Hood (1991), Bezez et Demazière (2015, p. 295) en donnent une définition claire et synthétique :
« Le NPM constitue un puzzle doctrinal développé par sédimentation et strates successives, qui promeut de nouvelles manières de penser l’organisation administrative à partir d’un ensemble hétérogène d’axiomes tirés de théories économiques, de prescriptions issues de savoirs de management, de descriptions de pratiques expérimentées dans des réformes (notamment dans les pays anglo-saxons) et de systématisations produites par des organismes comme l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ».
Selon ces auteurs, le NMP s’appuie sur cinq principes d’organisation déclinés en différentes mesures :
la séparation entre les fonctions de stratégie, de pilotage et de contrôle et les fonctions opérationnelles de mise en oeuvre et d’exécution;
la fragmentation des bureaucraties verticales par création d’unités administratives autonomes (des agences), par décentralisation ou par empowerment de groupes d’usagers;
le recours systématique aux mécanismes de marché (concurrence entre acteurs publics et avec le secteur privé, individualisation des incitations, externalisation de l’offre);
la transformation de la structure hiérarchique de l’administration en renforçant les responsabilités et l’autonomie des échelons en charge de la mise en oeuvre de l’action de l’État;
la mise en place d’une gestion par les résultats fondée sur la réalisation d’objectifs, la mesure et l’évaluation des performances et de nouvelles formes de contrôle dans le cadre de programmes de contractualisation.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’introduire en grande partie des principes marchands au sein des administrations publiques (Bezes, Musselin, 2015). Dans ce contexte, les universités sont attendues au tournant et doivent s’adapter au nouvel environnement concurrentiel et revoir leur mode de gestion et de gouvernance. Le président de l’université doit avant tout être un nouveau manager public avec des compétences économiques (dimension financière et alchimie des ressources quantitatives), intégratives (s’inscrire dans le territoire), organisationnelles (structures de l’organisation) et humaines (gestion des ressources humaines) (Gaudron, Mazouz, 2017). Au-delà de la réalisation des objectifs que les universités se sont fixés, elles doivent aussi avoir un pilotage efficace, une direction institutionnelle renforcée, une gestion axée sur les résultats ou la gestion par les résultats (GPR) qui s’articule autour de trois liens logiques établis entre la qualité des services aux usagers, l’optimisation des ressources et des moyens disponibles et l’imputabilité des gestionnaires publics (Mazouz, 2012). Il s’agit en fait des résultats de prestation de services, de gestion opérationnelle, de résultats d’orientation et d’amélioration globale :
« Schématiquement, les assises conceptuelles établies entre les notions de performance et de résultats de l’action publique renvoient à une conception pragmatique de la GPR autour de la capacité des agents publics (gestionnaires et employés de l’État) à concevoir, décider, mettre en oeuvre, suivre, mesurer, évaluer et améliorer de manière continue la gestion des intrants-extrants ainsi que les effets-impacts de l’action publique in situ »
Mazouz, 2017, p. 23
Les universités sont désormais évaluées par des agences[12], leur financement est indexé sur des performances, leurs ressources propres, face à la contrainte et au désengagement financier des Etats, doivent être significativement augmentées par la formation continue, la création de fondations, des réponses à des appels d’offres émanant notamment des Programmes d’Investissement d’Avenir (PIA, cf. supra). Elles doivent aussi réduire les coûts et adopter une analyse financière pluriannuelle et une simulation financière prospective (Serve, Le Glass, 2017).
Plus autonomes vis-à-vis des pouvoirs publics, les universités doivent développer la culture managériale et le capitalisme académique. Clark (2004) avait déjà analysé l’évolution entrepreneuriale des universités qui se rapprochent du monde socio-économique et innovent en matière de transfert de technologie, de réseaux d’innovation, d’essaimage ou de financement. La même année, les travaux de Slaughter et Rhoades (2004) ont insisté sur le développement d’un « capitalisme académique » avec l’importance des créations d’entreprises, de la valorisation et des brevets dans le cadre d’une économie du savoir. D’autres contributions plus récentes vont également dans le même sens (Richard, 2014, Marek, 2016). Donc, des universités innovantes et entreprenantes doivent émerger pour faire face au nouvel environnement concurrentiel de l’enseignement supérieur.
A ce stade de l’analyse, il est possible de synthétiser le comportement des universités face au Nouveau Management Public (cf. tableau 1).
A ne pas en douter, cette mutation organisationnelle et ce changement de paradigme ne se feront pas sans difficultés et créeront des tensions de gouvernance issues d’objectifs contradictoires. C’est tout le défi auquel doivent répondre les universités en devenant des organisations ambidextres.
Des universités de plus en plus ambidextres
Dans ce nouveau contexte règlementaire et incitatif, un nouveau processus d’adaptation organisationnelle et stratégique est né et peut être décrit de la manière suivante : en sus du comportement d’exploitation qui vise l’efficience dans les champs de prédilections des universités (formation et recherche), les universités s’adaptent en choisissant des objectifs stratégiques supplémentaires (la valorisation, l’entrepreneuriat, l’insertion professionnelle) en explorant (March, 1991) et en apprenant à mettre en place les moyens de les réaliser en s’appuyant sur l’expérimentation de nouvelles activités. L’exploration innovante se distingue ainsi de l’exploitation traditionnelle qui vise l’efficience dans les champs de prédilection des universités (recherche et formation). A l’exploration sont souvent associées la recherche de nouvelles idées, de nouveaux marchés, de nouvelles relations, la découverte, l’innovation et la prise de risque. Les universités vont apprendre à développer de manière simultanée des activités d’exploitation et d’exploration pour devenir ambidextres. Elles remplissent les conditions identifiées par O’Reilly et Tuschman (2013) pour la mise en oeuvre de l’ambidextrie au sein d’une organisation : un environnement incertain en évolution qui conduit l’organisation à s’interroger sur sa structure, une compétition croissante entre établissements, la disponibilité de ressources et une grande taille.
De récents travaux ont utilisé ce concept d’ambidextrie pour montrer comment l’université explore de nouvelles missions comme la commercialisation de la recherche (Ambos, Mäkelä, Birkinshaw, D’Este, 2008; Chang, Yang, Chen, 2009), ou l’insertion professionnelle (Alis, Baslé, Dubois, Mouline, 2015). Ces différents travaux insistent sur le fait que, bien souvent, dans une organisation ambidextre, exploration et exploitation ne constituent pas seulement deux activités mais bel et bien deux cultures intégrées dans une même organisation. Pour concilier ces deux cultures et relever les nombreux défis, les théoriciens des organisations ambidextres insistent sur l’indispensable autonomie qu’il faut donner aux « exploreurs » pour réussir leurs activités d’exploration. Autonomie ne signifie cependant pas dissemblance des activités : le fameux tableau (cf. tableau 2) de Tushman et O’Reilly (2004) présente plutôt l’ambidextrie comme alignement stratégique de deux types d’activités avec notamment le rôle toujours déterminant du leadership dans les activités d’exploitation (autoritaire, top down) et d’exploration (visionnaire, implication).
La toute récente initiative des pouvoirs publics français pour la création de sociétés universitaires de recherche (SUR) va dans ce sens. Dans le cadre du troisième Programme d’Investissement d’Avenir (PIA 3), l’action « sociétés universitaires de recherche », dotée de 400 millions d’euros, vise à renforcer l’autonomie des universités en soutenant les établissements qui souhaitent expérimenter de nouveaux modes de gestion leur permettant de valoriser l’ensemble de leurs compétences et de leurs actifs. L’objectif recherché est de mettre en place un modèle économique permettant d’augmenter les ressources propres des universités : la gestion et la valorisation du patrimoine universitaire, le développement de la formation continue, qui constitue un important enjeu socio-économique, l'exploitation de plateformes technologiques partagées, la valorisation de collections, la vente de produits ou de services issus de la recherche (logiciels, outils d'aide à la décision, analyses de bases de données, etc.), le renforcement des liens avec le monde socio-économique, etc.[13]. On lit bien dans ce texte qu’il convient désormais … d’explorer de nouveaux modes d’intervention et de gestion qui ne relèvent pas d’une logique subventionnelle. Pour cela, il faut créer des sociétés adossées à des établissements d’enseignement supérieur et de recherche pour développer des activités qui revêtent une dimension stratégique. Des indicateurs spécifiques permettront de suivre les actions de ces sociétés : indicateurs d’impact, de réalisation, de résultat et de suivi des risques.
L’exploration a ainsi ses exigences : une ambidextrie qui permet la création d’une entité où les activités d’exploration sont abritées par des structures spécifiques en termes de composition, de cultures, de management et de processus.
Les leçons pour de futures publications dans MI
Avons-nous suffisamment de recul pour esquisser un bilan des universités françaises à l’aune du NPM ? Certains auteurs s’y sont essayés en axant leur recherche sur la politique contractuelle (Goy, 2015), le pilotage, les structures organisationnelles et instrumentales du nouveau management public en lien avec le contrôle de gestion (Boitier, Chatelain-Ponroy, Rivière, Mignot-Gérard, Musselin, et al.., 2015), les tensions de gouvernance avec l’exemple des simplifications des indicateurs dans le système universitaire français (Mériade, 2017), les nouveaux outils d’analyse financière (Serve, Le Glass, 2017), etc.
Dans ce contexte, bien des questions méritent d’être approfondies en termes de recherche et de publications pour nous aider à mieux comprendre les comportements des universités dans un environnement de plus en plus contraint et de plus en plus concurrentiel. Nous proposons quatre axes de réflexion qui portent sur la situation financière et les plans de retour à l’équilibre, l’impact de la taille critique sur la performance, la différenciation des universités, le management stratégique des organisations pluralistes publiques.
La situation financière et les plans de retour à l’équilibre
En juin 2017, la Cour des Comptes[14] a alerté sur la situation budgétaire de 15 universités françaises. Une grille d’alerte a permis d’identifier les établissements en situation financière préoccupante selon deux niveaux :
Niveau 1 : situation très dégradée, difficultés financières avérées, risque d’insoutenabilité à court ou moyen terme (6 universités)
Niveau 2 : situation dégradée ou tendance à la dégradation, risque d’insoutenabilité à moyen terme (9 universités).
Selon ce même rapport, 25 universités sont en déficit en 2015, contre 9 une année auparavant. Depuis le passage à l’autonomie, les universités qui rencontrent des difficultés financières sont de plus en plus nombreuses avec notamment une dotation budgétaire attribuée par l’Etat stable et une augmentation continue de leurs charges[15].
Il serait intéressant d’avoir une analyse fine de l’origine des déficits rencontrés par les universités. Au-delà du désengagement financier de l’Etat, il n’est pas certain, loin s’en faut, que le diagnostic de ce déficit soir partagé entre les différents acteurs. La fiabilité de la qualité de l’information financière semble être mise en cause de même que le pilotage des systèmes d’information des universités. Pourquoi un tel défaut de fonctionnement et quelles sont par conséquent les véritables marges de manoeuvre des universités en déficit ?
En quoi consistent les différents plans de retour à l’équilibre au-delà des actions relevant du court terme ? Ces universités ont-elles véritablement mis en oeuvre les fondamentaux du Nouveau Management Public avec une gestion par les résultats, une augmentation des ressources propres, la valorisation de la recherche, une politique des ressources humaines au service de la stratégie de l’université, la construction d’un modèle économique pluriannuel, la mise en place d’un système d’information décisionnel, une politique d’investissements en adéquation avec les contraintes financières, la cartographie des risques financiers et budgétaires, la réorganisation du pilotage et du contrôle de gestion, l’optimisation de l’offre de formation, etc. ?
L’impact de la taille critique sur la performance
Il serait tout aussi intéressant d’analyser l’impact de la taille critique tant recherchée par les regroupements d’universités sur leur performance. Le regroupement d’universités n’est pas forcément synonyme de compétition et la corrélation entre la taille et l’excellence des établissements est loin d’être démontrée et mériterait des investigations approfondies tant le débat est vif en la matière[16]. Ainsi, selon C. Musselin (2017, p. 232), les établissements les plus réputés dans le monde sont d’une taille souvent inférieure à la plupart des regroupements d’universités effectué en France, tandis que les établissements les plus gros au niveau mondial sont rarement présents dans le haut des classements. En fait, le problème posé ici, non encore résolu, est celui de la taille optimale des universités justifiée, comme en économie industrielle, par des raisons techniques (économies d’échelle) et stratégiques (pouvoir de marché en lien avec la concentration) (Gary-Bobo, 2017). Dans le même ordre d’idées, il semblerait que la productivité des chercheurs ne dépende pas de leur concentration géographique et qu’il existe un rendement décroissant des politiques d’excellence nécessitant un autre financement de l’Enseignement supérieur et de la recherche déconnecté des regroupements d’établissements[17].
La différenciation des universités
Soutenir la constitution de grandes universités de recherche de rang mondial ne risque-t-il pas de se traduire par un système d’enseignement supérieur à deux vitesses ou de ce que certains auteurs appellent le « dualisme universitaire » (Charlier, Moens, 2004) ? Ce système de concentration de la recherche n’existe-t-il pas déjà en France dans la mesure où 15 universités seulement reçoivent plus de 50 % des ressources, qu’une dizaine d’universités fournit 60 % des docteurs recrutés comme maîtres de conférences et qu’il existe des universités qui ont plus de 80 % d’étudiants en Licence et qui assurent prioritairement un enseignement de proximités (Cytermann 2011[18]) ? Faut-il envisager en France une « nouvelle » configuration de l’enseignement supérieur avec d’un côté des filières professionnalisantes et de l’autre des filières d’excellence ? Quel sera le rôle des universités qui ne font pas partie de regroupements et que l’on appelle les « Petites et moyennes universités »[19]. En d’autres termes, est-il possible de calculer l’impact des politiques d’excellence sur le système dans son ensemble et sur les performances de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
Le management stratégique des organisations pluralistes publiques
Comment les organisations pluralistes, comme les universités, s’adaptent aux changements ? Ces organisations pluralistes sont caractérisées par une taille importante, des ressources limitées (sous contrainte du budget de l’Etat) et une multiplicité d’acteurs. Ces organisations pluralistes se caractérisent par la présence d’objectifs multiples qui ne vont toujours dans le même sens. Des approches stratégiques spécifiques ont été conçues pour mieux comprendre le fonctionnement des organisations pluralistes : théorie de l’acteur-réseau, théorie des conventions, théorie de la perspective de la pratique (Denis, Langley, Rouleau, 2014). La vision des organisations pluralistes publiques est celle de leur responsable de tutelle (Ministère de l’enseignement supérieur), leurs missions sont définies par des lois. Si élaborer une stratégie revient à gérer le changement (institutionnel et réglementaire), alors il faudra approfondir les réflexions sur les stratégies que développeront les organisations pluralistes publiques dans le contexte du NMP et ce, dans les quatre dimensions connues : politique et réglementaire, organisationnelle, financières, compétences des acteurs (Gaudron, 2014).
Beaucoup de travail et de publications dans la revue en perspective donc pour mieux comprendre le monde des universités en mouvement.
Parties annexes
Notes
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[1]
Christine Musselin, SciencesPo Les Presses, 2017
-
[2]
Patrick Fauconnier, Fauves Edtions, 2017
-
[3]
Danielle Tartakowsky, Editions du Détour, 2017
-
[4]
Oleg Curbatov, Mohamed Mahssine, IAUPL, 2017
-
[5]
Olivier Rey, Annie Feyfant, Institut Français de l’Education, Rapport au Secrétaire d’Etat en charge de l’enseignement supérieur, ENS Lyon, 2017.
-
[6]
C. Musselin, op.cit., page 54.
-
[7]
IGAENR (Inspection Générale de l’Administration de l’Education Nationale et de la Recherche), « La prise en compte des classements internationaux dans les politiques de site », mai 2017, page 86.
-
[8]
Jean Pisany-Ferry, « Le grand plan d’investissement 2018-2022 », Rapport au Premier ministère, septembre 2017.
-
[9]
L’enseignement supérieur et la recherche représente près de 50 % du total des PIA, les autres secteurs concernés sont, notamment, le numérique, le développement durable, la transition énergétique, la ville de demain, les filières industrielles et les PME, etc.
-
[10]
L’action Initiative d’Excellence, dotée de plus de 6 milliards d’euros, vise à faire émerger une dizaine de pôles d’enseignement supérieur et de recherche de rang international, capables de rivaliser avec les meilleures universités du monde.
-
[11]
C. Musselin, op.cit., p. 193
-
[12]
AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) créée en France en 2006, transformée en 2013 en HCERES (Haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur).
-
[13]
Journal Officiel N° 0305 du 31 décembre 2017, texte N° 29
-
[14]
Cour des Comptes, « Mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur : Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2016 », juin 2017.
-
[15]
IGAENR (Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche), « La situation financière des universités, mars 2015.
-
[16]
Voir le point de vue de Wiltor Stoczkowski, Anthropologue, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, dans The Conversation du 29 novembre 2017. Voir aussi (Musselin, 2017) et son interview à AEF du 3 avril 2017.
-
[17]
Interview de Michel Grossetti, directeur de recherche CNRS, à AEF du 26 avril 2017. Voir aussi (Grossetti et ali., 2016).
-
[18]
L’auteur rappelle, p. 76, que « Plus que les dispositifs eux-mêmes, c’est la manière dont ils seront mis en oeuvre qui sera essentielle pour que spécialisation et différenciation ne riment pas avec une université à deux vitesses ».
-
[19]
Dans son rapport d’octobre 2016, « Petites et moyennes universités », l’IGAENR note (p. 1) que « Les termes de petites et moyennes universités sont souvent utilisés par la communauté universitaire pour caractériser les établissements ne faisant pas partie du groupe des universités dites intensives en recherche et des universités issues des fusions d’établissements réalisées depuis 2008 ».
Bibliographie
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