Corps de l’article

1. Introduction

Nous nous livrons, dans le présent article[1], à une réflexion sur l’origine et la forme des termes dans le langage économique et social de la mondialisation et du travail et, d’une manière plus générale, sur le statut de la langue économique : langue générale ou langue de spécialité. Notre analyse porte sur un corpus des quelque 2000 termes sur lequel est construit le Dictionnaire analytique de la mondialisation et du travail/ Analytical Dictionary of Globalization and Labour / Diccionario analítico de la globalización y del trabajo (Dancette 2013[2]). Nous nous interrogeons sur le mode de terminologisation le plus productif dans ce domaine, entre deux pôles, d’un côté le terme au sens wüstérien (univocité, consensus sur la dénomination et la définition ; Wüster 1967) et, de l’autre, la formule discursive à caractère terminologique. Nous établissons, en effet, une distinction entre les termes au sens classique et un ensemble hétéroclite de syntagmes terminologiques dont le statut est moins clair. Nous rangeons dans cette deuxième catégorie : les expressions métaphorisées (blanchiment d’argent, passager clandestin), les formules discursives euphémisantes qui se sont stabilisées (travail décent, gouvernance mondiale), les slogans et mots d’ordre (salaire égal pour travail à valeur égale), les noms-événements (Sommet de Copenhague) et les expressions ayant valeur de noms propres désignant des entités (Groupe des vingt, G20) ou des documents officiels (Objectifs du Millénaire pour le développement).

Notre réflexion intègre les acquis de la sociolinguistique (Gaudin 2003) faisant valoir le contexte historique et politique de la production terminologique. Elle s’appuie aussi sur les théories faisant valoir le point de vue de l’énonciation. Dans la théorie de Benveniste (1966, 1969), l’énonciation est l’événement historique constitué par le fait qu’un énoncé a été produit. Les allusions et les valeurs, entre autres éléments de l’énoncé, font partie de son sens et il convient d’examiner l’« autorité » de cet énoncé. Benveniste (1969 : 11) montre « comment des vocables d’abord peu différenciés ont assumé progressivement des valeurs spécialisées, et constituent ainsi des ensembles traduisant une évolution profonde des institutions, l’émergence d’activités ou de conceptions nouvelles ». À la suite de Benveniste, Maingueneau (1991, 2004) avance l’idée que les discours institutionnels sont des « discours structurants », c’est à dire « validés par une scène d’énonciation qui s’autorise d’elle même » (Maingueneau 2004 : 47).

Les énoncés qui fondent le langage de la mondialisation émanent la plupart du temps d’institutions (les agences internationales, les gouvernements, les organisations syndicales, etc.) et deviennent ainsi des « discours autorisés ». Nous montrerons que dans les discours à saveur politique, économique et sociale, le terme est souvent investi d’une valeur symbolique répondant à une fonction dans la société à un moment donné. Il nous semble nécessaire d’intégrer cette dimension dans la description du vocabulaire de la mondialisation, à cause de son importance en terminologie et de son utilité en traduction. Cette réflexion montre que l’opposition entre langue générale et langue de spécialité est ténue dans le domaine à l’étude ; elle invite à élargir les frontières de la terminologie.

À la fin de l’article, nous présentons quelques caractéristiques du Dictionnaire analytique de la mondialisation et du travail, conçu à la fois comme un dictionnaire multilingue (équivalents), une encyclopédie (des articles assez longs décrivant les notions et leur origine) et une ontologie (réseau de termes liés par des relations sémantiques étiquetées). Cette recherche nous offre l’occasion de réitérer l’importance de la connaissance des notions et de la valeur symbolique des mots, pour tout travail de traduction et de rédaction spécialisées.

2. Analyse du vocabulaire de la mondialisation économique et du travail

La langue de la mondialisation est façonnée par le jeu de facteurs complexes qu’analyse la socioterminologie. Dans un article précédent (Dancette 2008), nous évoquions la dominance d’une culture économiste dans le monde occidental, l’influence du discours institutionnel (organisations internationales, notamment) et la vitesse de diffusion de ce discours dans toutes les sphères de la société. Nous analysions aussi le rôle de la traduction dans l’uniformisation des discours à l’échelle mondiale, avec, en corolaire, l’introduction d’anglicismes et de calques de l’anglais. Ces grandes tendances jouent sur le vocabulaire dans notre domaine d’étude ; elles servent de cadre général à l’analyse présentée ci-dessous.

2.1. Interpénétration des domaines et des discours

Pour analyser le vocabulaire dans le domaine de la mondialisation et du travail, les candidats termes ont été extraits d’un corpus composite relevant de disciplines multiples : relations industrielles, économie du travail, commerce international, relations internationales, sociologie du travail, droit du travail, gestion de l’entreprise, comptabilité. Comme le montre la figure 1, les thèmes communs à toutes ces disciplines sont l’entreprise multinationale (EMN) et le travailleur.

Figure 1

Thème commun aux domaines intervenant dans le champ de la mondialisation et du travail

Thème commun aux domaines intervenant dans le champ de la mondialisation et du travail

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Par ailleurs, dans un champ aussi médiatisé que celui de la mondialisation, il faut aussi tenir compte des registres de langue. Les discours empruntent à des registres relevant de catégories institutionnelles multiples (figure 2).

Figure 2

Participation de différents discours aux textes traitant de la mondialisation et du travail

Participation de différents discours aux textes traitant de la mondialisation et du travail

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Ainsi, pour ne citer que les registres les plus évidents, distinguera-t-on les styles :

  • administratif (caractérisant les institutions nationales, les ministères, l’appareil législatif),

  • des organisations internationales (Union européenne, Organisation des Nations unies, Organisation internationale du travail, Organisation mondiale du commerce) qui génèrent leur propre vocabulaire (eurolecte, langage onusien),

  • universitaire des experts (économistes, sociologues, juristes),

  • des organisations patronales et syndicales, le style journalistique,

  • du parler militant (organisations de la société civile, groupes altermondialistes),

  • journalistique.

2.2. Observations sur le vocabulaire dans le champ de la mondialisation : tentative de classement

Notre corpus comporte un très grand nombre de termes dont la structure syntagmatique est du type déterminé + déterminant (par exemple : travailleur clandestin). Ce mode de terminologisation a souvent été noté comme typique des domaines juridiques, administratifs et économiques, par opposition au mode à composition savante caractérisant notamment les disciplines médicales (Quérin 2001). Toutefois, il n’est pas l’apanage des disciplines des sciences humaines, car il est également fréquent dans les domaines techniques, comme l’a démontré Collet (1998) dans les télécommunications (par exemple : amplificateur paramétrique). Collet observe le comportement discursif de ces unités terminologiques et notamment leur caractère rendu instable en raison de phénomènes de réduction, de reprise anaphorique ou d’insertion d’un élément étranger. L’instabilité des formes s’observe aussi dans notre corpus :

1.

l’entreprise multinationale

=> l’entreprise

 la multinationale

[reprise]

[réduction]

2.

l’emploi atypique

=> l’emploi atypique et précaire

 l’emploi généralement atypique

[coordination]

[insertion d’un élément étranger]

Le comportement discursif des syntagmes terminologiques dans leurs différents contextes nous conduit à établir une distinction entre les termes au sens classique, relativement stables, et les syntagmes terminologiques, qui s’apparentent à des formules discursives, plus instables. Leur analyse repose sur des cadres théoriques de la terminologie mais aussi de la linguistique discursive. Loin de s’opposer, ils se complètent.

2.2.1. Termes au sens classique (référents clairs et définition conventionnelle)

En terminologie classique, un terme est un mot ou mot composé qui renvoie à un concept. Le principe wüstérien de biunivocité implique idéalement que la polysémie est réduite et qu’à chaque terme correspond une définition conventionnelle, propre au domaine. En conséquence, la terminologie wüstérienne vise à refléter le point de vue scientifique et à consigner le consensus des experts d’une discipline donnée tant dans la dénomination que dans la définition. Les postulats wüstériens n’interdisent pas que les termes aient une origine et même une fonction discursive, dans les sciences exactes comme dans les sciences humaines. Toutefois, dans le cadre de cette théorie, c’est leur fonction dénominative qui prime sur leur fonction symbolique ou idéologique, car il s’agit de trouver les caractères des concepts qui fait qu’un objet s’oppose à un autre.

Ainsi peut-on examiner les termes et syntagmes terminologiques figurant dans le tableau ci-dessous et s’interroger sur leur statut de terme. Ils correspondent à un concept relativement défini, et chacun peut recevoir une définition consensuelle (minimale ou très développée) dans son domaine de référence.

Tableau 1

Termes et domaines de référence

Termes et domaines de référence

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Notons au passage une difficulté éventuelle pour un traducteur (ou un lecteur) profane. Dans des textes où peuvent se côtoyer des termes de droit, de sociologie, d’économie, de relations industrielles, etc., le traducteur devra être capable de reconnaître l’appartenance des termes afin de les situer dans le système conceptuel de la discipline appropriée. Par exemple, ayant à traduire le syntagme labour standards, il aura le choix entre normes de travail et normes du travail. Il ne pourra effectuer son choix que s’il situe correctement le champ de référence. Le premier équivalent, normes de travail, renvoie à des normes établies dans le cadre d’opérations à exécuter pour un travail donné ; le deuxième, normes du travail, renvoie à un ensemble de conventions internationales définies par l’OIT. C’est à ce genre de difficultés que répond l’idée, développée plus loin dans cet article, d’un dictionnaire qui explicite les relations sémantiques et les rapports de proximité notionnelle, afin de mettre en évidence les réseaux de sens qui s’établissent entre les termes d’un même champ ou d’un champ connexe.

Malgré cette réserve, les termes au sens classique sont faciles à traiter en terminologie et leur statut ne pose pas problème. Par contre, nous avons répertorié dans notre corpus sur la mondialisation des expressions terminologisées dont le statut est moins clair, car leur forme (souvent déterminé + déterminant) les rapproche plus des expressions libres du discours que de termes au sens classique.

De même, il n’est pas habituel en terminologie d’inclure les noms propres à vocation terminologique et leurs dérivés. Il nous était impossible de ne pas les traiter en raison de leur importance dans le système notionnel du domaine de la mondialisation.

2.2.2. Formules discursives (valeur symbolique, référent flou)

Parmi les termes repérés dans notre corpus, nous trouvons particulièrement intéressant de discuter ceux qui ont un statut particulier du point de vue de la terminologie classique. Ce sont des expressions terminologisées dont les référents sont souvent flous, mais qui sont investis d’une valeur symbolique ou connotative cristallisant des enjeux politiques ou sociaux.

Pour en traiter, nous nous appuyons sur les approches langagières du social (par exemple, Maingueneau 1991 ; Kerbrat-Orecchioni 2005) qui se situent dans le cadre des théories énonciatives de Benveniste (1969), lesquelles prennent en compte le point de vue de l’énonciation. En particulier, l’expression « formule discursive » est empruntée à Krieg-Planque et Oger (2010). Selon Krieg et Oger, de nombreux termes tirés du discours institutionnel tiennent de la formule discursive. Ils peuvent prendre parfois l’allure de mots d’ordre ou de slogans. Avec l’exemple de l’expression développement durable, les auteurs démontrent que la formule a une valeur symbolique dont la vocation est de réduire la conflictualité. Le vocable développement durable tente de réconcilier deux idées apparemment contradictoires : le court terme de la notion de croissance et le long terme que suppose tout progrès.

Selon notre conception, la formule discursive devient syntagme terminologique dans la mesure où elle s’implante dans le discours spécialisé, prend sa place dans le système de connaissances et renvoie à une notion qui, même multiréférentielle, est commune aux experts du domaine. Toutefois, le traitement terminologique classique consistant à donner une définition du concept nous semble insuffisant pour en rendre pleinement compte. Nous nous tournons alors vers l’approche langagière que nous venons de décrire afin de mieux saisir la dynamique de la production terminologique et la fonction sociale des expressions terminologisées dans le domaine de la mondialisation.

2.2.3. Dynamique de la production terminologique dans le domaine de la mondialisation et du travail

Tout d’abord, il est important de souligner le dynamisme de la production et la vitesse de diffusion du langage de la mondialisation. Cette particularité s’explique autant par le phénomène d’Internet que par l’autorité des discours dont ce langage émane : organisations internationales, instances nationales et supranationales de tout ordre.

Le « discours autorisé » qu’est le discours institutionnel crée un sens spécialisé, celui de l’expert. Les textes de loi, conventions, rapports de telle ou telle instance gouvernementale ou supranationale confèrent un sens spécialisé à des mots de la langue générale en le délimitant. L’exemple du mot enfant illustre ce point. Le sens juridique du terme est défini dans la Convention sur les pires formes de travail des enfants de l’OIT[3]. Il a fallu de nombreuses années de délibérations et de négociations avec les représentants des gouvernements pour établir à 18 ans l’âge auquel l’enfant devient adulte. La définition donnée dans la Convention est établie en référence à l’âge de scolarisation et à l’âge minimum d’entrée sur le marché du travail. Elle précise la première acception donnée par le Robert : « l’être humain dans les premières années de sa vie, de la naissance à l’adolescence [4] ». Elle exclut comme non pertinentes les acceptions rattachées à la filiation que consigne le dictionnaire. À noter aussi qu’elle ne retient pas les considérations de développement personnel tels que la taille, la force physique, le sexe, la puberté, la maturité intellectuelle. Certains gouvernements des pays du Sud, par peur de déstabiliser leur économie, plaidaient pour fixer l’âge limite à 12 ans, alors que les pays du Nord proposaient un âge plus avancé. Les instruments internationaux relatifs aux droits de l’enfant ne peuvent se limiter à une définition vague et subjective du concept d’enfant et créent une définition qui précise les traits nécessaires et suffisants pour que les normes de la Convention soient faciles à interpréter.

2.3. Types de formules et fonctions

Nous nous intéressons aux expressions telles que travail décent, norme fondamentale du travail, pires formes du travail des enfants, dialogue social, flexibilité du travail, flexicurité, gouvernance mondiale, responsabilité sociale de l’entreprise, nouvel ordre économique international. Leur stabilité et leur fréquence élevée dans les textes d’experts plaident pour un statut de terme ou de syntagme terminologique. La théorie de la formule discursive nous aide à préciser leurs fonctions symboliques et à expliquer leur facilité d’implantation dans le discours à l’échelle mondiale. Nous avons classé les formules discursives relevées dans notre corpus selon différentes fonctions :

  • euphémisme ;

  • hyperbole ;

  • slogan et mot d’ordre.

2.3.1. Euphémismes

Nous entendons par euphémisme l’« [e]xpression atténuée d’une notion dont l’expression directe aurait quelque chose de déplaisant, de choquant » (Robert 2009[5]). Les expressions pays en développement, responsabilité sociale de l’entreprise et mondialisation équitable constituent des euphémismes, car elles ont pour fonction la réduction de la conflictualité si l’on considère que les pays en développement, autrefois appelés « sous-développés », ne sont pas tous plus avancés aujourd’hui qu’hier et que leur pauvreté paraît choquante ; que la responsabilité sociale de l’entreprise est souvent un voeu pieux, et que la mondialisation, souvent dénoncée comme la source de nombreux maux sociaux, peut présenter une autre face.

2.3.2. Hyperboles

L’hyperbole est « une exagération favorable ou défavorable pour produire sur l’esprit une forte impression, pour mettre en relief tel ou tel aspect d’une réalité. C’est donc l’utilisation de termes excessifs ou impropres qui outrepassent la réalité. » (Ricalens-Pourchot : 51) Les adjectifs transnational, creux, libre dans les syntagmes terminologiques famille transnationale, entreprise transnationale, firme creuse et capitaux libres sont des qualificatifs dont le sens est exagéré par rapport aux réalités décrites. Les formules emphatiques, très utilisées dans la langue générale, par les journalistes et les publicitaires, attirent l’attention sur un aspect d’un phénomène social. Ici, par exemple, on peut penser qu’elles ont pour fonction de donner l’impression d’une accélération de l’histoire et du dépassement de l’individu ou du travailleur qui ne contrôle pas son destin.

2.3.3. Slogans et mots d’ordre

Le slogan est une « brève formule frappante lancée pour propager une opinion, soutenir une action » (Dictionnaire illustré Larousse 2011[6]). Pour sa part, le mot d’ordre est une consigne d’action donnée à un groupe. Il a une fonction injonctive ou conative au sens de Jakobson (1963), c’est-à-dire incitant le destinataire à un comportement considéré comme souhaitable. Ce sont des expressions très utilisées dans la langue générale. Elles peuvent aussi provenir d’une plateforme politique et avoir une vocation légiférante (comme flexicurité, mobilité de la main-d’oeuvre), ou du programme d’un syndicat ou autre association et avoir une vocation de mobilisation (par exemple, rémunération égale pour un travail d’égale valeur).

La valeur symbolique du slogan ou du mot d’ordre est forte à l’intérieur d’une communauté pour laquelle il peut devenir un cri de ralliement à un moment donné de l’histoire sociale (comme droit d’association, liberté syndicale).

Ces formules ont pour fonction de créer une valeur participative ou de propagande. Elles peuvent, à l’instar des maximes, contribuer à créer une vision de l’économie et de la société dans laquelle l’harmonie ou la dignité sont possibles dans les communautés de travailleurs (travail décent, dialogue social, gestion participative de l’entreprise), de consommateurs (commerce éthique) et de femmes (écart de salaire entre hommes et femmes, conciliation travail-famille), et même dans la communauté internationale, comme le montre l’expression nouvel ordre économique international (avec toutes ses variantes au gré des modes du moment et de l’impératif de renouveau des programmes).

2.4. Noms propres et apparentés

Dans notre définition, le nom propre est le nom qu’on attribue à un être, un lieu, un organisme ou tout objet (document, théorie) afin de le désigner de façon exclusive pour le distinguer d’autres êtres ou objets de la même classe. Il est donc monoréférentiel puisqu’il renvoie à un concept individuel (Humbley (2006b : 108).

Le nom propre pose une problématique différente de celle de la formule. Comme elle, il a un statut quasi-terminologique même si, comme le signale Humbley (2006a), il n’est pas habituel de le traiter en terminologie. Mais il véhicule indéniablement des connaissances spécialisées (les connaissances attachées aux activités, programmes et idées attribuées au porteur du nom propre). Il mériterait donc un meilleur traitement tant dans la théorie que dans la pratique des disciplines terminologiques et langagières. Notons qu’un numéro spécial de Meta (Grass, Humbley et al. 2006) lui a été consacré.

La fréquence des noms propres dans les discours de la mondialisation économique, sans être propre à la mondialisation, est peut-être plus affirmée dans ce domaine qu’ailleurs à cause de la multitude d’organismes actifs dans ce domaine, d’accords, de déclarations et de conventions qui structurent la pensée et organisent les rapports sociaux, politiques ou commerciaux à l’échelle de la planète. Par exemple, l’OIT a élaboré quelque 200 conventions depuis sa création en 1919 qui font toutes référence encore aujourd’hui en matière de droit du travail. Il était donc normal d’en inclure un certain nombre dans notre Dictionnaire de la mondialisation, en se limitant parfois à créer un lien hypertextuel pour envoyer le lecteur directement aux sources. Nous regroupons, dans notre étude :

  • les noms propres véritables

  • les mots dérivés d’un nom propre

  • les praxonymes, ou mots-évènements

2.4.1. Noms propres véritables

Nous n‘avons noté aucun nom propre de personnes physiques ou de sociétés (personnes morales). Par contre, nous avons consigné :

  • les noms d’organismes et leurs sigles (Organisation des Nations unies, ou ONU, NU ; G20 aussi écrit G-20, Groupe des 20 et Groupe des Vingt). Ils reçoivent dans notre Dictionnaire une description sommaire : le G20 désigne « le groupe informel réunissant dix-neuf pays parmi les plus industrialisés et les pays émergents, l’Union européenne ainsi que les représentants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale » (Dancette 2013) ;

  • les déclarations (Déclaration tripartite des principes relatifs aux entreprises multinationales et à la politique sociale) ;

  • les conventions (Convention de l’OIT sur les normes du travail, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes) ;

  • les lois (Code canadien du travail) ;

  • les noms d’accords commerciaux (ALENA ou Accord de libre-échange nord-américain) ;

  • les normes (ISO 26000 : Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale) ;

  • les programmes officiels : Objectifs du Millénaire pour le développement, document des Nations Unies énonçant sous la forme de huit objectifs un plan mondial visant à réduire la pauvreté dans le monde.

La majuscule est la marque normale du nom propre. Ainsi, le Code du travail français est-il un nom propre puisque c’est le titre du document officiel, mais pas le syntagme code de travail de l’Allemagne. Selon la règle de la majuscule, nous excluons également de la catégorie des noms propres les noms de théorie. Par exemple, la théorie des avantages comparatifs n’est pas un nom propre. Cela explique que les économistes y réfèrent avec de très nombreuses variantes (neuf variantes dans notre Dictionnaire). À la différence du syntagme terminologique dont la forme est variable en contexte, le nom propre (officiel) est stable, même si, dans le discours il est très souvent réduit (exemple, norme ISO 26000 ou simplement ISO 26000).

2.4.2 Mots dérivés d’un nom propre

Le phénomène signalé par Cormier et Fontaine (1995) selon lequel certaines personnes ou institutions donnent leur nom à une théorie ou à une pratique sociale se retrouve dans le vocabulaire de la mondialisation (fordisme, keynésianisme, toyotisme). La dérivation peut être nominale (fordisme) ou adjectivale (onusien) ou se faire par juxtaposition, comme dans le terme formule Rand désignant une « clause de sécurité syndicale, en vertu de laquelle l’employeur convient de prélever sur la paie de chaque salarié, qu’il soit ou non membre du syndicat, un montant égal à la cotisation syndicale, pour le verser au syndicat. » (Pepermans 1990[7], cité dans Termium 26 janvier 1993, entrée formule Rand[8])

Les termes dérivés d’un nom propre créent une appartenance liée à la parenté intellectuelle ou institutionnelle.

2.4.3. Praxonymes

Le praxonyme est un nom qui désigne un fait historique ou un événement culturel, commercial ou sportif. À la différence de la simple désignation qui indique la date ou le lieu d’un fait mentionné occasionnellement, il désigne un événement ou un fait historique que le discours fait entrer dans la mémoire collective : « Le nom propre d’événement suppose l’institution d’une association référentielle durable entre un objet et un signe, par opposition à la désignation, qui repose sur une association occasionnelle entre une séquence linguistique et un élément de la réalité » (Krieg-Planque, 2009, p. 77). La fonction du nom-événement est de créer une appartenance de groupe parmi les personnes ayant vécu l’événement ; il devient souvent une référence générationnelle.

Les praxonymes trouvés dans notre corpus sont peu nombreux à la différence de la catégorie des noms propres désignant des organismes ou des titres de documents officiels. Ils sont généralement formés d’une unité de la langue générale et d’un nom de lieu ou toponyme (Appel de Bamako, Sommet de Copenhague, anti-Davos). Nous pourrions aussi ranger aussi dans cette catégorie le titre du programme Objectifs du Millénaire pour le développement dans la mesure où le millénaire devient une référence temporelle dans la culture onusienne.

Même les noms propres peuvent soulever des problèmes de traduction, comme l’a montré Humbley (2006a) avec l’étude des noms d’institutions, et comme l’illustre la création du praxonyme renvoyant à l’attentat du 11 septembre 2001 : 11 Septembre en français, mais Nine-Eleven ou 9/11 en anglais.

Nous avons montré dans ce qui précède que le recensement des syntagmes terminologiques et leur classement sous l’éclairage de la formule discursive font apparaître de multiples fonctions qui relèvent tant de l’analyse du discours que de la terminologie. Encore une fois, insistons sur le fait qu’il n’y a pas opposition nette entre termes, formules discursives, noms propres terminologisés, mais qu’il s’agit plutôt d’un continuum sur les échelles dénominative et idéologique.

2.5. Statut : terme ou formule ?

Il est important, en terminologie, de s’interroger sur le statut des mots et expressions à inclure dans… une terminologie. Il est habituel de soumettre alors les candidats termes à des tests permettant de savoir s’ils seront traités comme des termes ou syntagmes terminologiques, ou comme des formules libres relevant de la langue générale.

2.5.1. Test du figement de la forme

La plupart des syntagmes que nous avons analysés et répertoriés satisfont de manière variable à ce test. Certains syntagmes sont figés, tels que produit national brut ou PNB. D’autres, tels les slogans, fluctuent dans le temps et selon leur émetteur. Pour de nombreux syntagmes terminologiques, on observe la coexistence de nombreux synonymes et variantes.

Le problème de la néologie traductive complique le test. Ainsi, le terme anglais relativement stable global sourcing a-t-il pour équivalents une dizaine de termes français pouvant être considérés comme synonymes : sourçage mondial, approvisionnement à l’étranger, approvisionnement international, approvisionnement mondial, approvisionnement sur le marché international, approvisionnement transnational, sourçage extraterritorial, sourçage international. Cet exemple montre que la stabilisation terminologique des équivalents dans certaines langues est faible. (Il serait intéressant de pousser l’analyse sur les raisons de cette forte synonymie. Une telle étude ne peut se faire, à notre avis, qu’au cas par cas.)

2.5.2. Test de la durabilité

Les formules discursives vieillissent dans les domaines politique et social. Elles sont fortement marquées par l’instance d’où elles ont émané et le contexte historique qui les a fait apparaître. Pour désigner les pays en développement, on a utilisé dans le passé l’expression pays sous développé, terme qui remonte à un discours du président Truman en 1947 ; puis l’expression pays du tiers monde qui remonte à l’article d’Alfred Sauvy publié dans l’Observateur en 1952. Ces expressions ont certes été terminologisées à un moment de l’histoire. Toutefois, les connotations négatives dans le premier cas et la modification de l’équilibre géopolitique entre le bloc occidental d’un côté et le bloc socialiste de l’autre les ont rendus obsolètes. Aujourd’hui, les organisations internationales utilisent plutôt le terme neutre pays en développement, après l’emploi de pays en voie de développement.

Les syntagmes terminologiques peuvent dater et passer de mode. Ce test a pour utilité de vérifier l’actualité d’un terme. Un anachronisme par l’emploi d’un terme pris hors de son contexte produirait un rapprochement thématique contraire à la temporalité. Son autre utilité – celle qui nous intéresse le plus ici – est de considérer le terme vieilli et ses avatars comme indicateurs des changements de point de vue ou de modification des réalités.

2.5.3. Test de la définition

La terminologie classique préconise l’étude du concept par les éléments de sa définition. La définition occupe donc une place privilégiée puisque, en principe, elle permet de déterminer une notion par opposition à une autre (idéal de la biunivocité). Ainsi, elle serait un test pour établir le statut de terme. La variabilité des significations des concepts que nous avons observés dans notre corpus sur la mondialisation ainsi que leur nature subjective nous éloignent de ces principes.

Dans notre domaine, les définitions « conventionnelles » (Lerat 1995 : 21) sont rares. Les définitions varient selon les auteurs ou les écoles, selon les points de vue et les contextes. Le terme gouvernance, dont la définition a changé de nombreuses fois dans les 30 dernières années, illustre ce point. Le concept est apparu dans le monde des affaires ; il concernait au départ les relations entre les actionnaires et les gestionnaires de l’entreprise. Depuis que la Banque mondiale s’en est saisie (en 1989), le terme a signifié à différents moments : la lutte contre la corruption, la participation de la société civile aux décisions de nature sociétale (après l’échec des politiques d’ajustement structurels imposées aux gouvernements par le FMI et la Banque mondiale) et finalement la transparence dans la gestion des affaires d’une entité. La difficulté pour élaborer une définition de ce concept, central pour la mondialisation, était de sélectionner les traits définitoires répondant aux différents contextes : « Ensemble des règles, des procédures et des pratiques permettant d’orienter, de guider, de coordonner les activités d’un pays, d’une région, d’un groupe social ou d’une organisation privée ou publique. » (Dancette 2013)

Dans le cas du syntagme terminologique travail décent, nous avons aussi un concept vague (comment se définit la décence ?). Dans ce cas, toutefois, l’OIT en terminologisant l’expression, forgeait une conceptualisation qu’il était relativement simple d’exprimer par une définition, même si l’OIT elle-même ne proposait pas de définition de son concept. Nous sommes arrivée à cette définition : « Travail productif effectué dans de bonnes conditions, assurant un revenu convenable et suffisant, promouvant l’épanouissement personnel et social de la personne et garantissant la sécurité sur le lieu de travail, la protection des droits, ainsi que l’égalité des chances et de traitement des travailleurs. » (Dancette 2013)

Nous voyons avec ces deux exemples que la question n’est pas tellement celle de la définition conventionnelle (et hors contexte) d’un concept, mais bien plus de la place de ce concept dans l’ontologie du domaine.

Cela explique que les définitions que nous avons rédigées dans le Dictionnaire soient de type descriptif. Elles rassemblent les traits communs du concept dans la variété de ses usages. Elles cherchent moins à imposer un contenu qu’à inscrire la trace de l’évolution des contenus dans différents contextes. La définition descriptive s’oppose à la définition prescriptive qui, pour reprendre la distinction proposée par Seppälä (2004), se retrouve dans les textes de loi. Par exemple : « Aux fins de la présente convention, le terme enfant s’applique à l’ensemble des personnes de moins de 18 ans. » (Convention sur les pires formes de travail des enfants 1999 : Article 2 ; l’emphase est dans le texte ; voir note 2).

Les questions discutées jusque là dans cet article à propos du statut de terme ou du syntagme terminologique, d’une part, et de formule discursive libre, d’autre part, renvoient à celle de la caractérisation du langage économique et social. S’agit-il d’une langue de spécialité ou de la langue générale ? De fait, la variabilité du vocabulaire et son instabilité s’expliquent par la nature même du discours économique et social, forcément ancré dans l’histoire et la culture. La discussion de cette question fait l’objet de la troisième partie du présent article.

3. Langue de spécialité et langue générale

3.1. Rapport entre langue de spécialité et langue générale

La terminologie est située à l’intersection des champs de connaissances, de la communication et de l’information. Le domaine spécialisé et sa terminologie se construisent par l’interaction de ces trois dimensions, comme l’illustre la figure 3 ci-dessous empruntée à Budin (1996 : 125-126).

Figure 3

La terminologie à l’intersection de la communication, de l’information et des connaissances

La terminologie à l’intersection de la communication, de l’information et des connaissances

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La distinction entre langue de spécialité et langue générale fait néanmoins apparaître des différences de traitement qu’il nous semble important d’évoquer. Dans la langue de spécialité, la légitimité d’un discours est interne au domaine ; elle émane des concepts mêmes. Par opposition, dans la langue générale, la légitimité du discours provient de la scène d’énonciation. Dès lors, on abordera les textes selon des approches différentes. Dans l’approche langue de spécialité, on posera a priori le discours comme étant scientifique, alors qu’en langue générale, on privilégiera l’approche discursive mettant l’auteur au centre du discours, et non pas la communauté scientifique.

Dans le domaine de la mondialisation et du travail, les textes relèvent de la politique et du social, et à ce titre contiennent de nombreuses formules discursives ; mais ils empruntent aussi fortement à la langue de spécialité, faisant apparaître des concepts clairs. Quelle place jouent la connaissance des concepts spécialisés exprimés par les termes, d’une part, et la connaissance des phénomènes discursifs, de l’autre, dans la maîtrise de ce langage ?

3.2. Connaissance des notions et compréhension des phénomènes discursifs

Nous soutenons l’idée que, pour les fins de la traduction, la connaissance du domaine (et celle de sa terminologie) occupe une place tout aussi importante dans les sciences sociales que dans les domaines techniques ou scientifiques, de la médecine ou de l’informatique.

Il découle des observations faites plus haut sur le vocabulaire de la mondialisation économique et sociale que le traducteur dans ce domaine pourrait avoir besoin de connaître non seulement le sens usuel d’un terme, mais aussi de savoir identifier son usage, son contexte d’apparition, voire le débat qui l’a fait naître. Dans les domaines où la plus grande part du vocabulaire ressemble plus à celui de la langue générale qu’à celui d’une langue de spécialité, il est facile de s’illusionner sur la facilité de compréhension des notions. Le grand nombre de termes formés par composition syntagmatique renforce cette illusion, car les syntagmes sont rarement totalement opaques. Tout lecteur (et tout travailleur !) comprendra intuitivement le concept de travail décent sans avoir jamais pris connaissance des textes de l’OIT. Cette facilité de transposition interlinguistique (decent work / trabajo decente) pourrait autoriser le traducteur pressé à faire l’économie d’une recherche plus approfondie sur la signification du concept.

Par contre, et toujours dans la perspective multilingue de la traduction, il existe des cas où les procédés de terminologisation diffèrent d’une langue à l’autre et interdisent une transposition facile d’une langue à l’autre. Le terme anglais workfare apparaît dans le domaine de la sécurité du travail, par opposition au terme welfare. (Notre définition : « An alternative model to the welfare system in which recipients who are able to work must fulfill certain obligations, usually requiring them to actively seek employment or acquire skills through recognized education programs » [Dancette 2013[9]]). Suivant un procédé de terminologisation similaire, le terme stakeholder apparaît dans le discours des organisations sociales par opposition au terme shareholder (actionnaire). Ces oppositions de termes ne sont pas transposables en français ni en espagnol. Les équivalents ne jouent pas sur les mêmes composantes sémantiques. On pourra difficilement opposer les termes français providence et espagnol bienestar au concept de workfare. On traduira alors workfare soit par l’emprunt workfare ou par une locution explicative, reposant sur la connaissance du concept, comme allocation conditionnelle en français, et, en espagnol, asistencia social condicional. De la même façon, les termes partie prenante et parte interesada traduisant stakeholder ne peuvent pas jouer sur une ressemblance de forme avec actionnaire, accionista.

L’importance de l’accès aux connaissances des notions et des phénomènes terminologiques et discursifs justifie ainsi la rédaction d’un dictionnaire de type analytique. Le Dictionnaire analytique de la mondialisation et du travail recense non seulement la terminologie et les équivalents linguistiques, mais présente aussi les définitions et descriptions des notions afin d’aider le langagier à retrouver facilement l’information sur l’usage des mots et les notions.

4. Le DAMT (Dictionnaire analytique de la mondialisation et du travail)

Conçu pour les traducteurs, ainsi que pour les étudiants et intervenants en relations professionnelles, en économie, en sciences sociales et en droit du travail, le DAMT (Dancette 2013 ; voir note 2) a pour objectif de répondre aux besoins de documentation (information sur les concepts) et de faciliter les recherches lexicales multilingues (termes, collocations, phraséologie). Il s’articule autour d’articles rédigés en trois langues – anglais, français et espagnol –, décrivant à la manière d’une encyclopédie les notions et les réalités du domaine de la mondialisation et du travail. Une autre de ses particularités est d’être organisé en thésaurus, c’est-à-dire en un réseau qui met en évidence les relations de tout ordre – interlinguistiques, conceptuelles, collocationnelles et dérivationnelles – reliant les termes. Dans ce thésaurus, tous les liens sont identifiés par des relations sémantiques étiquetées (héritage de la lexicologie explicative et combinatoire de Mel’Cuk et al. (1995) (voir Dancette 2007 ; 2011a). De cette façon, le DAMT rend accessible l’information non seulement par l’insertion des textes descriptifs sur les notions, mais aussi par le jeu des relations sémantiques. Les recherches se font à partir des articles, des index de mots ou des relations sémantiques.

Les tableaux de termes rattachés à chaque entrée de dictionnaire montrent la logique interne à la terminologisation. Nous prenons l’exemple de gouvernance d’entreprise, discuté plus à fond dans Dancette (2011b) pour montrer comment le regroupement des termes par relations sémantiques fait apparaître l’insertion du terme dans son champ conceptuel.

Tableau 2

Relations sémantiques de Gouvernance d’entreprise

Relations sémantiques de Gouvernance d’entreprise

-> Voir la liste des tableaux

L’occurrence des termes dans un corpus est loin d’être arbitraire ; elle s’explique généralement par des rapports de proximité entre les notions. En commentant le tableau ci-dessus, on remarque :

  • que les termes synonymes gouvernance d’entreprise et gouvernement d’entreprise coexistent ;

  • que l’association par antonymie à gouvernance mondiale ou à gouvernance syndicale indique les frontières de sens et d’usage du terme gouvernance d’entreprise ;

  • qu’une référence est établie avec les textes qui encadrent la gouvernance d’entreprise (charte de gouvernance d’entreprise, par exemple). C’est la relation intitulée Législation ;

  • qu’on a établi une relation avec le terme dialogue social. (Le dialogue social est un facteur de la gouvernance.)

Ces relations schématisent les rapprochements sémantiques entre les termes. Une mise en garde s’impose : nous ne les présentons pas comme des relations logiques formelles. Dans de nombreux cas, hors des relations hiérarchiques et de partie-tout, leur étiquetage est une indication approximative des relations sémantiques (nous parlons alors de relations associatives). Néanmoins, nous pensons que la mise en évidence des rapports entre les termes contribue à mieux délimiter les sens et les nuances, à appréhender le fonctionnement syntagmatique, à cerner les usages phraséologiques du terme. Les tableaux de relations sémantiques complètent ainsi la définition des notions présentées dans les articles de dictionnaire.

5. Conclusion

Nous avons analysé dans le présent article les différents modes de terminologisation employés dans le domaine de la mondialisation et du travail. Nous avons expliqué la variabilité du vocabulaire et son instabilité en raison de la nature même des discours économiques et sociaux, forcément ancrés dans l’histoire, la culture et les médias. Nous avons noté la nécessité de recourir aux approches discursives pour mettre en relief les fonctions d’euphémisme, de cohésion sociale et d’appartenance culturelle que possèdent de nombreuses expressions dans le domaine de la mondialisation, où la valeur symbolique du langage est très forte. Nous avons aussi relevé la fréquence des noms propres à statut terminologique, qui eux aussi contribuent à créer une conscience identitaire à l’échelle de la planète.

Ces observations montrent qu’il y a un continuum, et non une opposition claire, entre les termes au sens de la théorie wüstérienne et les formules discursives, d’une part, et la langue de spécialité et la langue générale, d’autre part. Le vocabulaire économique et social que nous avons traité intègre ces divers modes de terminologisation. Une description de ce vocabulaire doit mettre l’accent sur la connaissance des notions, bien entendu, mais aussi sur la compréhension des marques idéologiques et historiques, et sur la connaissance des instances à l’origine des termes et expressions. C’est ce que le DAMT consigne dans ses entrées. Les articles remontent à la source des termes en citant les textes fondateurs d’où émane un concept. Par le regroupement des termes en réseau de relations sémantiques, le DAMT permet une meilleure insertion du terme dans son champ conceptuel. Le dictionnaire analytique devient ainsi un moyen privilégié d’observer la pluralité des vocables et des discours. Il devient révélateur de société.