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Avant toute chose, il importe de préciser très exactement ce que l’on entend par localiseur/localisateur et donc, en amont, de préciser à quoi correspond cette étiquette de « localisation » devenue omniprésente, envahissante, et peut-être même contre-productive. Ceci permettra de resituer la localisation dans son cadre réel et de mettre les localiseurs/localisateurs à leur vraie place.

La localisation est en fait l’un des deux apects de la globalisation/mondialisation de produits, processus, et concepts, et de leurs mises en oeuvre. En effet, le processus de globalisation fait intervenir, dans cet ordre, une phase d’internationalisation et une phase de localisation. Plus simplement, il s’agit d’abord de supprimer tout ce qui pourrait s’opposer à la diffusion internationale des produits et processus (internationaliser), puis de prendre en compte les particularités irréductibles, dont les spécificités de langues (localiser).

L’objectif de la globalisation est de proposer des produits et des processus tels qu’ils soient exploitables et, partant, diffusables, dans une majorité de pays (tous, si possible) et donc dans chaque pays en particulier. Ceci concerne tous les aspects des produits et processus et de leurs mises en oeuvre : la globalisation concerne les aspects techniques, linguistiques, culturels, fonctionnels, ergonomiques, et – bien évidemment – les considérations de marketing. Dans cette perspective, on considère qu’il y a deux niveaux de globalisation : la globalisation des produits et processus eux-mêmes, et la globalisation de tout ce qui est instrumental dans leur diffusion et dans leurs exploitations (notamment, mais non exclusivement, la documentation et les messages qui sont instrumentaux dans l’achat ou la vente, la réparation, la diffusion, l’utilisation, la mise en oeuvre… du produit ou processus).

Bref, on globalise les produits eux-mêmes, et on globalise tout ce qui les accompagne et permet leur vie (au sens le plus large) dans la perspective du plus large marché possible. Et, dans ce processus, on traite, entre autres, la composante linguistique.

Pour globaliser, il faut commencer par internationaliser. Pour ce faire, on peut, selon les circonstances :

  • internationaliser les publics destinataires des produits et de leurs compléments et même, si possible, la langue ou tout autre code concerné ;

  • internationaliser les produits et leurs compléments eux-mêmes.

La première solution n’est applicable que si les publics cibles sont tout à fait acquis à la langue-culture originaire et se sentent valorisés dès lors qu’ils font l’effort d’assimilation requis (elle l’est également si l’on adopte une attitude résolument colonisante, pour ne pas dire colonisatrice).

Faute de pouvoir appliquer la première solution, on doit généralement recourir à la seconde et donc gommer tout ce qui, dans les produits et/ou leurs compléments, relève de spécificités culturelles, linguistiques, techniques, religieuses, philosophiques, de systèmes de valeurs, de systèmes de représentation, de modes d’argumentation et de présentation ou autres. Pour parodier un slogan à la mode, il faut rechercher le « zéro spécifique ».

Il vaut mieux, également, internationaliser dès le stade de la conception des produits, car le fait d’inscrire des éléments spécifiques « en dur » dans le produit obligerait à modifier le produit lui-même, et ceci peut être lourd de conséquences financières. Et, si l’internationalisation doit être prévue dès le stade de la conception du produit (et donc en amont de la création de ses compléments et, singulièrement, de ses compléments documentaires), il va de soi que l’internationaliseur (lire : le traducteur) doit intervenir dès ce stade, puisqu’il est celui qui maîtrise les spécificités, relève les écarts prévisibles, et peut signaler ceux qui existent déjà.

Une fois le produit et ses compléments conçus dans une perspective résolument internationale, il faut prendre en compte tout ce qui résiste à l’internationalisation et traiter les spécificités irréductibles. Il faut adapter les produits, processus, concepts et structures d’organisation à un public/marché particulier de la planète caractérisé par des modes de conceptualisation, des raisonnements, des systèmes de valeurs, des préjugés, mais aussi et surtout, de notre point de vue, par des variétés de langues (ou d’autres codes) clairement identifiables. Bref, on traduit, puisqu’on change à la fois de langue et de système culturel (y compris, parfois, au sens le plus étroit du terme, parce que l’on change de culture d’entreprise ou de culture institutionnelle).

Pour tenir compte des spécificités, on localise, par exemple, les formats de dates, les mesures et dosages, les interfaces de saisie[1], les messages à l’écran, le sens de présentation des données (tableaux), et la langue ou les pictogrammes.

Pour un ensemble donné de produits et compléments du produit, il y a une internationalisation initiale, suivie d’autant de localisations qu’il y a de spécificités de destinataires imposées par les marchés ou reconnues par la personne morale ayant intérêt à les prendre en compte.

Dans le cycle de vie du produit et de son « kit », les opérateurs de la globalisation sont :

  • les concepteurs/développeurs/graphistes/maquettistes… qui internationalisent le produit aussi loin qu’ils le peuvent ;

  • le rédacteur, qui internationalise les instruments documentaires d’accompagnement :

  • le cas échéant, ces opérateurs prévoient la localisation en prenant toutes les dispositions utiles afin que, par exemple, il suffise de traduire une table plutôt que de recompiler un nouveau logiciel par langue ou encore que le traducteur ne soit pas confronté à des contraintes de dimensionnement de fenêtres ;

  • le traducteur, qui localise les éléments linguistiques et, souvent, toutes formes de codes (éventuellement assisté d’un terminologue, d’un documentaliste, d’un relecteur, d’un réviseur, ou même d’un rewriter) ;

  • divers spécialistes techniciens intervenant diversement pour :

    • désassembler le produit pour en extraire le matériau à traduire ;

    • traiter les fichiers, préserver les balisages, décompiler, convertir, etc. ;

    • intégrer le matériau traduit ;

    • réassembler/recompiler le produit ;

    • recréer la maquette.

Dans ce schéma standard, la question cruciale est de déterminer la part de gâteau à laquelle le traducteur peut prétendre et, conséquemment, les parts de prestation qu’il doit pouvoir assurer. L’enjeu est d’abord un enjeu économique, puisque les prestations étendues et, qui plus est, à composante technologique, sont mieux valorisées que la traduction « pure ».

Une fois définies les parts de prestations, il reste à identifier les opérations qu’elles nécessitent, mais aussi les moyens et outils requis et, bien entendu, les procédures optimales applicables. À partir de cet instant, on pourra définir le profil de compétences requis pour chaque type de localisation, schant qu’on ne localise pas de la même manière les contenus des sites, les logiciels et leurs accompagnements.

Nature de la prestation

De manière générale, la localisation est une activité complexe qui recouvre, selon toute combinaison applicable :

  • une part de développement logiciel – car la localisation concerne d’abord le produit lui-même avant de concerner ses composantes linguistiques ou langagières ;

  • une part de traitement informatique du matériau à traduire (traitement du code) et/ou de ses supports en amont et/ou en aval de la traduction ;

  • une part de retraitements de certaines composantes du produit (logiciel, jeu, ou site) et, notamment, des objets, boutons, boîtes (traitement graphique), mnémoniques, et autres ;

  • une part de traduction-adaptation[2] d’un matériau linguistique intégré à un produit informatique ou à la composante informatisée d’un produit multimédia ;

  • une part de traduction plus standard de documentation banale (documentation accompagnant le produit informatique ou multimédia – fichier d’aide, fichier lisez-moi, guide utilisateur).

Dans la pratique, on peut préciser cette structure générique en décomposant, successivement, les deux prestations qui représentent les deux marchés dominants de la localisation : la localisation de sites Web, d’une part, et la localisation de logiciels, d’autre part.

La prestation complète de localisation de sites Web s’organise selon la séquence (simplifiée) ci-après :

  1. Préparation/mise en place

    • Analyse du site et de ses fonctionnalités avec repérage des cadres d’adaptation

    • Spécifications de la prestation requise (premières négociations et premières questions/réponses)

    • Formation du projet de localisation précisant l’ensemble des résultats souhaités ou projetés (interfaces à produire, charte graphique à créer, dimensionnements à prévoir, types de publics, modes de circulation, etc.)

    • Identification des opérateurs [avec répartition des « parts de gâteau » ou charges des uns et des autres]

    • Planification [importante surtout si plusieurs catégories d’opérateurs interviennent en séquence]

    • Extraction globale des contenus de site

    • Séparation des composants (redistribution en fichiers homogènes)

      1. Texte séparé du code

      2. Cadres isolés et rassemblés

      3. Barres

      4. Pop-up dans source HTML

      5. Titres

      6. Son

      7. Vidéo

      8. Copies d’écrans

      9. Interfaces utilisateurs

      10. Exécutables

      11. Bases de données

    • Mise en place des kits et environnements requis ou adaptés (selon plates-formes)

    • Balisages, conversions, rétroconversions, et tous traitements de fichiers et codes

  2. Préparation de la traduction

    • Étude des produits/processus

    • Étude du sujet

    • Documentation

    • Mobilisation de la matière première (terminologie, phraséologie, mémoires de traductions, modèles d’expression et de formatage

  3. Transferts (traduction-adaptation)

  4. Contrôles de qualité et mise à niveau

    • Pointage

    • Contrôle de qualité traductive

    • Contrôle de qualité linguistique-stylistique-rédactionnelle

    • Contrôle de qualité technique-sémantique-factuelle

    • Contrôle de qualité fonctionnelle [test de bon fonctionnement dans l’absolu]

    • Vérification d’homogénéité

  5. Création/développement/adaptation de fonctionnalités (s’il y a lieu) selon le langage concerné et la nature des utilisateurs et des conditions d’utilisation, exemples : interface de paiement, formulaires d’inscription ou de dialogue, calculatrice, boutons, etc.

  6. Seulement en cas pseudo-clonage[3] : Création de la nouvelle architecture

    • Architecture

    • Chemins

    • Éléments nouveaux

    • Fenêtrages

    • Liens

    • Redimensionnements

    • Autres

  7. Intégration du site et modifications/traitements nécessaires

    • Intégration du texte

    • Intégration du code

    • Fichiers de cadres

    • Titres

    • Légendes

    • Bulles et infobulles

    • Boutons

    • Liens (avec toutes modifications voulues)

  8. Contrôles fonctionnels du site « remonté »

    • Tests de toutes les fonctionnalités (boutons, cadres, chemins, infobulles, etc.)

    • Tests des liens (notamment : messagerie)

    • Tests des raccourcis et mnémoniques

    • Vérification d’homogénéité des titres et des sommaires

    • Tests de dimensionnement et lisibilité

    • Contrôle d’ergonomie

  9. Le cas échéant : Mise à niveau après tests

    • Corrections

    • Modifications

      appelant au besoin un nouveau désassemblage, les traitements requis, de nouveaux contrôles de qualité, une nouvelle réintégration, de nouveaux tests fonctionnels

  10. Implantation ou livraison

  11. S’il y a lieu : Référencement auprès des moteurs de recherche voulus

  12. Autopsie de la prestation, consolidation des éléments mis en oeuvre, archivage.

La prestation de localisation de logiciels s’articule en fait en deux volets complémentaires : la localisation du logiciel (localisation d’un ensemble complexe de composantes logicielles dont, généralement, les aides en ligne) et la « localisation » corrélative des instruments documentaires accompagnant le logiciel (sur support papier, sur support multimédia et de plus en plus souvent sur site Web, dans une version généralement interactive).

Il faut donc d’emblée poser que la localisation d’un logiciel suppose un traitement de deux matériaux complémentaires – dont il semblerait logique de considérer que l’un (le logiciel) concerne principalement les informaticiens (les développeurs) et, accessoirement, les traducteurs, alors que l’autre (la documentation) concerne principalement les traducteurs et, accessoirement, les informaticiens. Mais tout n’est peut-être pas si simple.

La prestation de localisation de logiciels (composante logicielle + accompagnements documentaires) s’organise selon la séquence (simplifiée) ci-après :

  1. Préparation/mise en place

    • Analyse du logiciel et de ses fonctionnalités avec repérage des éléments requérant une adaptation culturelle

      1. Architecture

      2. Composantes

    • Analyse de la documentation [fichier lisez-moi, notices techniques, guide d’utilisation, nomenclatures, manuels divers, fichiers d’aide, jaquette, documentation technique, référentiels, documentation marketing, communiqués divers, autres] avec repérage des éléments requérant une adaptation culturelle

    • Séparation des composants (redistribution en fichiers homogènes)

      1. Texte

      2. Exécutables

      3. Code source

      4. Tables[4]

      5. Images/vidéo

      6. Son

      7. Messages

      8. Boîtes de dialogue

      9. Copies d’écrans

      10. Interfaces utilisateurs

      11. Exécutables

      12. Boutons

      13. Bases de données

    • Spécifications de la prestation requise sur le logiciel (premières négociations et premières questions/réponses)

    • Spécifications de la prestation requise sur la documentation

    • Formation du projet de localisation conjointe du logiciel et de ses accompagnements/instruments documentaires précisant l’ensemble des résultats souhaités ou projetés

    • Tableau de coordination des interventions sur le logiciel et sur la documentation

    • Identification des opérateurs [avec répartition des « parts de gâteau » ou charges des uns et des autres]

    • Planification et jalonnement en fonction du tableau de coordination

    • Distribution des lots de travail

    • Mise en place des kits et environnements requis ou adaptés (selon les plates-formes) puis intégration des matériaux à traiter dans les environnements de localisation

    • Balisages, conversions, rétroconversions, et tous traitements de fichiers et codes avant transfert-adaptation

  2. Préparation de la traduction

    • Étude des produits/processus concernés (dont étude poussée du logiciel)

    • Documentation

    • Mobilisation de la matière première nécessaire (terminologie, phraséologie, mémoires de traductions, modèles d’expression et de formatage)

  3. Transferts (traduction-adaptation) avec ou sans « aides » de type Robohelp, Catalyst, etc. selon la nature de l’élément à traiter

  4. Contrôles de qualité et mises à niveau de la partie « traduite »

    • Pointage

    • Contrôle de qualité traductive

    • Contrôle de qualité linguistique-stylistique-rédactionnelle

    • Contrôle de qualité technique-sémantique-factuelle

    • Contrôle de qualité fonctionnelle [test de bon fonctionnement dans l’absolu]

    • Vérification d’homogénéité (surtout entre logiciel et documentation)

  5. Création/développement/adaptation de fonctionnalités (s’il y a lieu) selon le langage et la nature des utilisateurs et des conditions d’utilisation, exemples : boutons, raccourcis, etc.

  6. Intégration du logiciel et modifications/traitements nécessaires

    • Reconstruction (intégration du texte « traduit » et du code)

      1. Avec redimensionnements au besoin

      2. Avec intégration éventuelle de nouvelles fonctionnalités

    • Intégration des éléments locaux

      1. Jeux de caractères

      2. Polices de caractères

      3. Correcteurs divers

      4. Calculatrice

      5. Exécutables divers

      6. Liens locaux

      7. Autres

    • Débogage

    • Vérification des sources des images

    • Vérification des liens entre fichiers

    • Compilation

    • Création d’un exécutable

  7. Contrôles fonctionnels du logiciel « remonté »

    • Tests de toutes les fonctionnalités

      1. dans l’absolu

      2. et par rapport à la « nouvelle » documentation

    • Tests des liens, des raccourcis et mnémoniques

    • Tests de dimensionnement et de lisibilité

    • Contrôle d’ergonomie

  8. Le cas échéant : Mise à niveau après tests

    • Corrections

    • Modifications

      appelant au besoin un nouveau désassemblage, touts les traitements requis, de nouveaux contrôles de qualité, une nouvelle réintégration, une recompilation, la création d’un nouvel exécutable, de nouveaux tests fonctionnels

  9. Création de l’exécutable final

  10. Autopsie de la prestation, consolidation des éléments mis en oeuvre, archivage.

Exigences

De toute évidence, les prestations de localisation analysées ci-dessus dans la variante sites comme dans la variante logiciels+documentation (la localisation de certains logiciels incluant celle d’un ou plusieurs sites liés) apparaît comme :

  • une prestation de traduction « standard », nonobstant l’évidente nécessité d’adaptation[5]

et

  • une prestation additionnelle allant de la simple réinsertion de composantes dans une architecture de site clonée à du véritable développement de nouvelles composantes logicielles en passant par la recréation d’une architecture de site et les retraitements graphiques de certains éléments particuliers.

En outre, chacune des deux prestations est potentiellement démultipliée. Ainsi, le traducteur est, par exemple, appelé à traiter du texte, de la vidéo à sous-titrer, de la bande-son à doubler, du code, de l’aide en ligne et des communiqués sur papier… On peut ainsi affirmer que la localisation, sous toutes ses formes, sollicite des compétences anciennes (compétences de « bon » traducteur) appliquées à une variété probable de domaines spécialisés, des compétences nouvelles tournées vers l’informatique-contenu et l’informatique-support (médium), un plateau technique impressionnant en termes de plates-formes, matériels, logiciels divers, et, bien évidemment, une parfaite coordination ou synergie entre les opérateurs agissant en équipes soudées, selon une bonne répartition des tâches. Elle requiert un équilibre satisfaisant entre les contributions des uns et des autres et une maîtrise de la gestion et de la planification[6].

Sur un autre plan, la localisation a contribué à introduire une nouvelle dimension dans la gestion de la qualité : le fait de travailler sur des produits que l’on pourrait dire « vivants » pose de nouvelles exigences de qualité fonctionnelle et d’ergonomie. On exige des localiseurs/localisateurs qu’ils produisent un matériau « qui marche » et « qui marche sans référence à un original ». Et le caractère particulier des éléments localisés fait que tout un chacun sait immédiatement si cela marche ou ne marche pas. D’où la multiplication des contrôles de qualité, la systématisation du contrôle « en ligne » et, plus globalement, la généralisation de la notion de qualification[7] de la traduction.

Enfin, si la localisation impose de très sévères contraintes en matière de complémentarité des intervenants et de compatibilité des produits, elle exige surtout la plus parfaite homogénéité des produits ou composantes de produits appartenant à un même ensemble cohérent, soit dans un même logiciel, soit dans un même site, soit dans un même ensemble « logiciel + produits documentaires ». Elle est donc intrinsèquement beaucoup plus contraignante et contrainte que les formes de traduction courantes.

Profil du localiseur/localisateur

Le localiseur/localisateur est le traducteur le plus abouti. Pour exécuter adéquatement les prestations liées aux nouveaux marchés de la localisation des sites Web (incluant du multimédia) et des logiciels divers, le traducteur doit acquérir, puis offrir, un nouveau profil de compétences (et qualités) correspondant, dans les grandes lignes, à la liste suivante :

  • Maîtrise de la traduction spécialisée

  • Maîtrise de la rédaction et de la réécriture

  • Contrôle des ergonomies

  • Gestion de la qualité

  • Gestion de projets

  • Gestion d’équipes de projets

  • Maîtrise de l’informatique (sous toutes ses formes)

  • Bon sens[8]

Le clonage des sites et la localisation des logiciels et de leurs accompagnements exigent des conditions et niveaux spécifiques de maîtrise de la traduction spécialisée.

  • Tout d’abord, le localiseur/localisateur peut s’attendre à être confronté à n’importe quel type de matériau sur n’importe quel sujet à destination de n’importe quel type de public. Il doit pouvoir traiter du juridique (avertissements, conditions de licences, etc.), du commercial, du marketing, du technique, de l’encyclopédique, du médical et ainsi de suite. Il doit, littéralement, être « prêt à tout » au moins jusqu’à ce que, là aussi, les marchés se subdivisent et se spécialisent par domaine.

  • Ensuite, le localiseur/localisateur peut difficilement se permettre de ne pas maîtriser les techniques et outils du sous-titrage, du doublage, et du voice over. Il risque, à moyen terme, d’y être confronté ou, plus précisément, de se trouver face à des marchés qui lui échapperont s’il ne maîtrise pas ces pratiques.

  • Enfin, le localiseur/localisateur doit être capable d’exercer la totalité des « métiers » de la traduction spécialisée : documentation, terminographie, relecture, révision, etc.

Le clonage des sites et la localisation des logiciels et de leurs accompagnements exigent également des conditions et niveaux spécifiques de maîtrise de la rédaction. Le localiseur/localisateur doit pouvoir aller sans coup férir des onomatopées des jeux vidéo (vaste programme que la localisation des onomatopées !) aux formes les plus persuavives de la littérature publicitaire en passant par le discours marketing, le style de l’encyclopédie, la platitude des guides d’utilisateurs et, le cas échéant, les langages contrôlés. Surtout, il doit être capable de varier les registres et les modes d’adresse à l’infini en passant notamment de la vulgarisation des sites à l’ultra-spécialisation de certains logiciels.

Le localiseur/localisateur doit également acquérir une bonne maîtrise des ergonomies : ergonomie des interfaces (dans les boîtes de dialogue, par exemple), ergonomie des logiciels, et, plus généralement, ergonomie de la traduction dans son intégration à des supports informatiques ou informatisés. Comme nous l’avons dit, la traduction par localisation est nécessairement instrumentale et tout mauvais fonctionnement de l’instrument est patent. Il faut donc que le traducteur soit préoccupé d’ergonomie et, surtout, qu’il le soit en amont de la traduction, parce que la manière de traduire est forcément tributaire des objectifs d’ergonomie du futur support du matériau traduit. En même temps, une bonne maîtrise des principes généraux de l’infographie serait de nature à bonifier le profil de compétences du localiseur/localisateur, ne serait-ce que pour le rendre capable de signaler à certains donneurs d’ouvrage que le produit à localiser n’est, littéralement, pas regardable et qu’il ne sert à rien de l’internationaliser tel qu’il se présente. On a coutume de dire que le traducteur est le lecteur le plus attentif du texte à traduire (parfois même le seul à y prêter vraiment attention). La remarque s’applique mutatis mutandis au localiseur/localisateur, qui commence souvent par signaler les aberrations de cheminement, l’excès de niveaux d’enchâssement des pages et tous autres problèmes de lisibilité et d’exploitabilité.

Plus que le traducteur standard, le localiseur/localisateur doit être formé à la gestion de la qualité, à la relecture et à la révision, à la définition et à la gestion des profils de qualité, et, plus globalement, aux impératifs de qualification de tout matériau traduit puisque, comme nous l’avons vu, le moindre défaut de qualité est fatal ou presque. Travaillant souvent en équipe complexe, il doit être en mesure de définir, optimiser, et faire appliquer des procédures extrêmement rigoureuses.

La dualité de composantes des prestations de localisation a très rapidement confirmé la nécessité de former des gestionnaires de projets. En effet, l’ampleur de bon nombre de projets de localisation a de quoi laisser pantois et, de toute manière, les conditions de localisation sont, plus que celles de toute autre forme de traduction, contraignantes et nécessairement « bien gérées ». Inévitablement, en localisation, la planification est invariablement critique, l’affectation de ressources exige des compétences et connaissances nouvelles, le matériel et les logiciels se multiplient et diversifient, les opérateurs se démultiplient, les budgets augmentent et se tendent, et la mauvaise gestion du temps a des conséquences dramatiques.

On insistera également sur le fait que le localiseur/localisateur est généralement conduit à gérer des équipes de projets mixtes (regroupant, pour simplifier peut-être à l’excès, informaticiens et langagiers). Il doit donc savoir coordonner, anticiper en permanence, gérer l’information et la transmission de cette information, faire preuve de réactivité, faciliter le travail des uns et des autres, et faire preuve à la fois de diplomatie et de fermeté. Il lui faut surtout connaître parfaitement les deux mondes qui viennent se conjuguer dans la localisation : celui des technologies de l’information et de la communication, et celui de la traduction – dont il doit d’ailleurs représenter, jusqu’à un certain point, une sorte de synthèse heureuse.

Incidemment, le localiseur/localisateur doit également être un administrateur de bon niveau. Il doit en effet, soit en individuel, soit en chargé d’affaires pour le compte de son employeur, assurer des fonctions de marketing, de démarchage à la recherche de contrats, d’achat et vente de prestations, de comptabilité, et de gestion – toutes conditions nécessaires à la survie et à la prospérité économiques de tout professionnel.

Fort bien, dira-t-on. Mais n’est-ce pas là le portrait-robot du traducteur ?

Si fait : il s’agit bien du portrait-robot du traducteur offrant des prestations spécialisées de qualité (traducteur qui, selon les avis de recruteurs potentiels et de donneurs d’ouvrage à grands comptes soucieux de qualité, continue de faire cruellement défaut). Et c’est bien là la donnée essentielle qu’il faut se garder de perdre de vue : le localiseur/localisateur est le traducteur le plus abouti avec des compétences particulières (additionnelles) le rendant apte à la pratique spécifique de la localisation. Il connaît les matériaux particuliers qui font l’objet de la localisation, il maîtrise les environnements requis, il connaît et sait gérer des partenaires nouveaux et plus présents que dans les situations habituelles de traduction. Mais il s’agit bien d’un traducteur.

J’oubliais. Le localiseur/localisateur est également (d’abord et avant tout) un virtuose de l’informatique. Au moins : un honnête technicien. Car l’informatique est omniprésente dans le profil et donc dans la formation du localiseur/localisateur : elle l’est en tant que « mère de la localisation », pourvoyeuse des outils nécessaires, discipline de plein droit, et support de création de nouveaux instruments.

Que l’informatique soit pourvoyeuse des nouveaux marchés de la localisation est une lapalissade. Mais cette lapalissade a des implications sérieuses du point de vue des profils de compétence requis pour le traitement des produits de ces marchés.

Tout d’abord, le localiseur/localisateur doit être parfaitement à l’aise dans tous les environnements informatiques. Il doit maîtriser les diverses plates-formes et standards, être capable de toutes les installations et désinstallations imaginables de matériel ou de logiciels, connaître parfaitement le matériel, les systèmes d’exploitation et, surtout, les contraintes générées par ces divers éléments ainsi que leurs possibilités particulières. Il doit également, dans sa culture générale informatique, faire la part belle à la connaissance des grandes familles de logiciels et de leurs fonctionnalités. Il devrait, en principe, être capable de faire surface au bout d’une heure sur un matériel et/ou un logiciel nouveau[9]. Il doit surtout être insubmersible sur les questions de formats, conversions de formats, reformatages, balisages, et traitements physiques du code et des fichiers.

En second lieu, le localiseur/localisateur doit maîtriser jusque dans leurs fonctionnalités les plus avancées[10] les outils informatiques courants tels les suites bureautiques, les logiciels de micro-édition (PAO), les moteurs de recherche, les gestionnaires de fichiers et de bases de données, les logiciels graphiques et de traitement d’image, les logiciels de création de présentations, etc. Mieux encore, il doit ajouter à la maîtrise des logiciels de gestion et exploitation de mémoires de traductions celle de l’ensemble des outils dédiés à la localisation (outils de plus en plus nombreux et de plus en plus spécialisés dont on s’aperçoit, une fois passée la barrière psychologique qui freine la familiarisation, qu’ils facilitent et accélèrent grandement l’exécution des prestations).

Ensuite, le localiseur/localisateur doit connaître, dans le détail, les matériaux (contenus de sites et logiciels + documentation) que lui propose l’informatique et qu’on lui demande de localiser. Sa connaissance de ces matériaux lui viendra pour partie de cours, exposés, conférence, explications, présentations, et autres habituelles merveilles pédagogiques[11]. Cependant, rien ne peut, en la matière, remplacer les apports de la pratique effective. Cette pratique effective peut être celle d’autrui et l’intégration comme observateur d’une équipe de développement fait, à cet égard, partie des bons moyens d’initier les futurs localiseurs/localisateurs. Mais elle doit aussi être une pratique personnelle en vertu d’un axiome qui dit que nul ne peut traduire/localiser efficacement (au sens de l’efficacité ergonomique vraie) une aide en ligne s’il n’a pas lui-même créé une véritable aide en ligne, un site Web s’il n’a pas lui-même créé un site Web (de préférence avec des animations) et un logiciel s’il n’a pas au moins développé sa propre base de données ou tout autre type de programme (les macro-commandes constituent en la matière un premier galop d’essai qui peut être poursuivi et amplifié).

Enfin, tout comme le traducteur traitant des documents se rapportant à la spectrométrie Raman aurait avantage à connaître de cette technique particulière, le localiseur/localisateur gagne à être formé (ou à se former) à l’informatique en tant que discipline. Pas au point de devenir un informaticien de haut vol (pas plus que le traducteur de documents sur la spectrométrie ne doit avoir le niveau d’un candidat au prix Nobel de physique) mais suffisamment pour connaître, dans les grandes lignes, les principes, lignes de force, l’organisation, préoccupations, objectifs, limites, contraintes, procédures, systèmes de valeurs et autres éléments fondamentaux de l’informatique. Pour connaître, aussi, les structures et fonctions des programmes, les principes de l’analyse-programmation, les étapes de la production de logiciels et progiciels, et – pourquoi pas ? – l’algorithmique. Et surtout, pour mieux comprendre comment « fonctionnent » les informaticiens auxquels il aura forcément affaire, pour mieux comprendre comment ils réagissent et pourquoi ils réagissent comme ils le font et donc pour « mieux les gérer ».

La situation

Le localiseur/localisateur apparaît, au terme de cette analyse de son profil de compétences, comme un excellent traducteur spécialisé (multispécialisé) maîtrisant parfaitement tous les métiers de la traduction ou métiers contribuant à la prestation du traducteur (documentation, terminographie, phraséographie, rédaction, relecture, révision, adaptation, réécriture, gestion, achat-vente…), maîtrisant les outils standard et trouvant, dans l’informatique et par l’informatique, des marchés à très fortes plus-values[12]. Pour conquérir ces plus-values, il lui faut ajouter à ses compétences de traducteur – telles que synthétisées ci-dessus – ce que l’on pourrait appeler des compétences en informatique et peut-être même, pour une part, des compétences d’informaticien. C’est au moment où la compétence en informatique ou la compétence d’informaticien lui fait défaut qu’apparaît dans le processus de localisation l’informaticien pur. Et c’est donc par la nature et l’étendue de cette compétence que se définissent la nature et la taille des parts qu’il peut revendiquer dans une prestation globale de localisation.

Tout traducteur détermine spontanément la place qu’il se sent capable d’occuper dans la prestation analysée ci-dessus et, peut-être, celle qu’il aimerait y tenir. Les choses se présentent, globalement, comme suit :

  • il est de règle que le traducteur traite seul la documentation des logiciels, souvent sous le contrôle d’un informaticien chargé de localiser le code ;

  • il est courant que le traducteur-localiseur/localisateur traite intégralement et seul les sites Web (sauf, souvent, si leur localisation exige du doublage ou du sous-titrage ou la création effective – le développement – d’éléments logiciels) et les aides en ligne ;

  • il est rare que le traducteur aille au-delà de la traduction de messages, menus, écrans et nomenclatures en ce qui concerne la localisation des logiciels.

En tout état de cause, chacun trouvera sa place et son équilibre. La question est, comme nous l’avons dit, une question de parts de marchés en attendant que le marché s’organise, comme on peut le penser, à travers la mise en place de structures combinant la part informatique et la part langagière en mariant, de gré ou de force, informaticiens et traducteurs et en leur imposant les clauses du contrat de mariage (ou de concubinage).

Ceci ne signifie pas que les traducteurs actuels doivent tous changer. Cela signifie qu’ils ne peuvent ignorer qu’existent de nouveaux marchés, qu’ils peuvent y revendiquer une part de prestation allant au-delà de la traduction « pure » et des rémunérations allant au-delà de ce que l’on paie généralement pour du (traitement de) texte, mais que ces marchés requièrent un supplément ou complément de compétences. Cela signifie également que l’on peut émettre l’avis qu’il serait dommage que la corporation des traducteurs ne s’emparât pas d’une part significative de ces nouveaux marchés. En effet, on voit déjà se confirmer, en Europe, une rivalité entre (i) les sociétés de service qui proposent de créer des sites (au sens informatique de création d’une architecture) en incluant dans cette prestation la localisation linguistique sous-traitée pour la partie texte à un traducteur lambda et parfois même à un moteur de traduction[13] et (ii) les sociétés de service langagier, qui proposent de la localisation linguistique avec localisation informatique concomitante éventuellement sous-traitée, pour les éléments les plus complexes, à un informaticien lambda.

Les options

Aujourd’hui, les traducteurs ont le choix entre trois options :

  1. s’en tenir à ce qu’ils savent faire ;

  2. faire le saut psychologique (plus que technologique) ;

  3. basculer dans l’autre monde ;

alors que les formateurs n’ont d’autre choix que d’inclure les compétences en localisation dans tous les profils de compétences – parce que les nouveaux marchés s’étendent de manière extrêmement rapide et ne cesseront de croître, puisque l’informatique en réseaux (intranets, extranets, Internet) devient un support universel prioritaire.

S’en tenir à ce que l’on sait faire

Tout traducteur peut revendiquer le droit de « faire uniquement ce qu’il sait faire[14] ». Donc, tout traducteur est prêt à traduire de tout ce qui ressemble de près ou de loin à du texte (ou du dialogue), à respecter les nouvelles exigences de contrôle de qualité, et à mettre tout en oeuvre pour garantir complémentarité, compatibilité et homogénéité – toutes choses dont il a l’habitude. Cependant, se contenter de cela dans un marché de la localisation, c’est prendre le risque de moins-values, parce que :

  • le traducteur laisse alors un vide entre sa « traduction pure » et l’informatique non moins pure de l’informaticien, et ce vide doit être comblé par l’intervention d’un troisième personnage rémunéré sur l’enveloppe globale ;

  • le donneur d’ouvrage choisit très vite de confier l’ensemble de la prestation à un opérateur qui risque de mettre le traducteur hors-jeu

    • soit parce que cet opérateur se situe sur le versant informatique de la prestation et voit la composante traduction comme un mal nécessaire[15]  ;

    • soit parce que cet opérateur est une société de courtage fonctionnant en guichet unique face au donneur d’ouvrage (qui veut précisément cette simplification) et naturellement fondée à faire payer au traducteur le coût de la part de prestation assurée pour son compte[16]  ;

    • soit parce que cet opérateur est une société de services linguistiques et langagiers (SS2L) regroupant des informaticiens (formés aux problématiques de la traduction) et des traducteurs (extrêmement « solides » en informatique[17]).

Il paraît donc inévitable que les traducteurs soient amenés à se repositionner par rapport à l’apparition des marchés de la localisation, et de tous autres marchés nouveaux.

Faire le saut psychologique (faire sa révolution culturelle)

Quiconque est prêt à revendiquer une part des marchés de la localisation doit d’abord se convaincre que ces marchés lui sont accessibles. Il est important de ne pas se laisser abuser par l’image dissuasive de très haute technicité que véhicule la localisation.

La démystification est importante car les traducteurs sont confrontés au même type de saut culturel qu’avec le traitement de texte, à une échelle bien supérieure encore.

En clair : après être passé de la machine à écrire au traitement de texte, il faut, d’une part, traiter autre chose que du texte et, d’autre part, mettre cet autre chose sur des supports autres que du papier ou de la disquette. Il faut traduire des matériaux nouveaux en fonction d’exigences nouvelles et faire fonctionner le matériau traduit dans des produits exécutables, ou (de manière on ne peut plus légitime, d’ailleurs) se cantonner aux marchés existants dans les formes existantes.

Les traducteurs en exercice doivent comprendre que bien des marchés qui entrent dans la catégorie globale de la localisation sont tout à fait à leur portée. Deux doigts de démystification à l’occasion d’une journée de sensibilisation suffisent à montrer que le clonage de sites ne requiert pas des compétences d’extra-terrestre.

L’annexe jointe s’adresse à ceux qui n’en seraient pas convaincus. Il s’agit du tableau des procédures mises en oeuvre en mars 2002 par les étudiants de DESS de langues et techniques (Université de Rennes 2) dans leurs pratiques du clonage et du pseudo-clonage[18]. Ce tableau donne l’image complète des activités nécessaires au clonage ou pseudo-clonage via trois logiciels de création-gestion de sites Web[19]. Force est de reconnaître qu’il ne comporte rien de bien compliqué, sauf, peut-être, pour quiconque estime que le traducteur ne doit pas, par exemple, « accepter que le client demande la traduction en PDF ».

Basculer dans l’autre monde

Basculer dans l’autre monde, c’est poser la revendication de parts des marchés en localisation, parce que ces nouveaux marchés apportent une bonification d’image et une plus-value financière, comme s’il s’agissait d’un nouveau métier (d’où le nom de « localiseur » ou « localisateur ») alors qu’il s’agit juste d’une prestation particulière de traduction, doublement ou triplement spécialisée. Chacun peut faire son propre marché et son propre marketing du côté de la localisation, à condition d’avoir les compétences voulues ou d’avoir la volonté de s’y mettre.

Mais, pour basculer dans l’autre monde, il faut généralement y être préparé. Et c’est ici qu’apparaît l’importance d’une réévaluation des formations de traducteurs.

Les défis de la formation

Les formateurs n’ont guère le choix : pour répondre aux besoins des nouveaux marchés et pour garantir de bonnes perspectives d’évolution aux futurs traducteurs, ils doivent former à l’exécution de prestations étendues et élargies incluant le clonage et le pseudo-clonage de sites, la localisation des logiciels les plus divers et de tout instrument documentaire les accompagnant mais aussi, parce que tout laisse penser que le développement de logiciels intégrés le permettra, le sous-titrage de vidéos, le doublage des pistes-son des DVD[20], et ainsi de suite, à l’exception des opérations de développement informatique et d’intégration après traduction lorsqu’elles requièrent des compétences d’informaticien ou de technicien.

Il s’agit d’abord, bien évidemment, de répondre à une situation d’urgence en donnant aux traducteurs déjà formés le complément ou supplément « spécial localisation » qu’ils recherchent, en leur proposant des cours de spécialisation adaptés à cette fin. Les contenus de ces cours[21] doivent s’articuler selon trois niveaux enchâssés avec, dans cet ordre :

  • l’analyse des produits/matériaux à traiter et des variables les plus importantes les concernant (ergonomie, contraintes de création, principes de fonctionnement, logiques, finalités et modalités d’utilisation) ;

  • la traduction de ces matériaux ;

  • l’ensemble des compétences informatiques et/ou liées à l’informatique ou à l’informatisation des matériaux, et/ou nécessaires à la manipulation de ces matériaux et/ou requises pour la mise en oeuvre des outils spécialisés d’usage courant dans les environnements de localisation.

Gageons que l’offre de formations post-diplômés en localisation va se développer rapidement, que chacun saura proposer les contenus voulus, et que les localiseurs/localisateurs vont se multiplier au point de banaliser totalement le marché et sans doute de réduire ses particularités économiques et peut-être même de balayer certaines plus-values.

En ce qui concerne la formation initiale, il y a lieu, pour répondre aux défis posés et à une concurrence déjà bien établie, de conduire une réflexion plus large en s’appuyant sur des résultats d’analyses et d’études portant sur la nature même de la traduction. On peut en effet démontrer que l’exécution des prestations de traduction[22] suit invariablement un même chemin comportant les mêmes activités selon une même séquence cohérente (en excluant les activités hors du chemin critique et en prenant en compte les marges possibles sur certaines activités). On peut ainsi construire un modèle de toute forme de traduction en une séquence de 155 activités[23] (certaines elles-mêmes décomposables). Les impératifs de qualité voudraient que toutes les activités identifiées soient effectives quelles que soient les conditions d’exécution de la prestation. En pratique, dans chaque cas d’espèce, telle ou telle activité peut être réduite, mais elle est toujours présente. Et, qui plus est, le modèle s’applique indifféremment à la traduction de textes, au sous-titrage, à la localisation de logiciels, au clonage ou pseudo-clonage de sites, au doublage, et à toute forme de traduction[24]. Seules changent la nature du matériau, la nature des outils, et donc les compétences nécessaires à l’exécution de composantes de prestations qui demeurent fondamentalement les mêmes.

L’existence d’un modèle unique d’exécution des prestations conduit à considérer que la localisation est simplement un cas particulier de la traduction triplement spécialisée (traduction traitant un matériau spécialisé[25], portant généralement sur des domaines spécialisés, et appelant la mise en oeuvre d’outils spécialisés).[26]

Donc, parler du nouveau profil requis pour le localiseur/localisateur c’est, tout simplement, parler du nouveau profil requis pour le traducteur, dont le localiseur/localisateur n’est qu’une variété particulière[27] en vertu de spécialisations croisées de type de matériau traité, d’outils et environnements de traduction, et de domaines. Et si l’on décide de réformer les dénominations, il y a lieu de raisonner en termes de nouveau profil du traducteur (un profil d’ingénieur en communication multilingue multimédia[28]) et de nouveaux métiers (les métiers de la traduction et de la communication multilingue multimédia). Ce n’est pas tant que la localisation soit « nouvelle », c’est que la traduction a changé pour englober aussi la localisation. En raisonnant ainsi, on peut espérer une revalorisation globale de la profession et non pas seulement la valorisation éphémère[29] d’une frange particulière, aussi importante soit-elle.

Il ne suffit donc pas de se fixer pour objectif de former des localiseurs/localisateurs ; il faut déjà voir plus loin et former des ingénieurs en communication multilingue multimédia (l’étiquette importe peu, au fond). Le profil de localiseur/localisateur est l’un des sous-profils possibles de ces IG2M, comme l’est celui de chef de projet[30], par exemple. Mais le nouveau profil de compétences requis des traducteurs ainsi réétiquetés pour des questions de marketing inclut la somme des compétences requises pour l’ensemble des activités de « documentation, terminographie, phraséographie, traduction, traduction spécialisée, relecture, révision, contrôles de qualité, gestion de la qualité, gestion de projets, achat-vente de prestations, localisation, sous-titrage, traduction avec aides diverses et notamment mémoires de traductions, clonage de sites, pseudo-clonage de sites, création de sites Web, rédaction technique ».

En fait, les formateurs doivent se préoccuper de donner à ceux qu’ils forment toutes les compétences contribuant à toute prestation de communication multilingue multimédia. Il suffit pour ce faire de prendre appui sur le modèle d’exécution des prestations de traduction en l’élargissant et en l’augmentant pour couvrir les diversités de :

  • matériaux ;

  • média ;

  • outils ;

  • environnements.

Ayant fait ce pari depuis 1985, nous avons eu l’heureuse surprise de constater que les étudiants ont pu entrer de plain-pied dans les marchés de la localisation comme dans des emplois de chefs de projets et, plus récemment, dans les nouveaux emplois créés autour de la communication multilingue dans les PME-PMI qui s’ouvrent à l’internationalisation et à la globalisation, parce qu’ils cumulaient les compétences requises dans chaque cas. Nous avons mis en place une progression d’apprentissages organisée selon une structure rigoureuse de niveaux d’exigence de qualité, types de matériaux, types de traduction, environnements d’application, outils. Cette progression centrée sur de la traduction appelle la maîtrise des sous-métiers contribuant à la traduction (documentation, étude du produit, terminographie, relecture, etc.) et fait de chaque champ/marché/environnement une application particulière du modèle. En même temps, nous avons, dès 1987, fait le pari du « tout informatique » au niveau des environnements pédagogiques, des outils pédagogiques, de l’informatique comme domaine de spécialité, et de l’informatique comme compétence disciplinaire (au point d’introduire une part d’algorithmique dans la formation).

Dans ces conditions, la localisation était déjà inscrite dans le cursus sans que quiconque s’en soit aperçu avant que la dénomination devienne familière. Nous pratiquions intensivement la localisation sans le savoir dès 1990 (traduction d’un logiciel de gestion de production assistée par ordinateur) et ces pratiques sont longtemps restées confinées à la rubrique générique de « traductions spécialisées » sans que cela posât le moindre problème. C’est uniquement pour des raisons d’affichage vis-à-vis des employeurs[31] et pour doper les C.V. parce la dénomination se répandait dans les milieux de la traduction, que la dénomination « localisation » est apparue en tant que telle dans les descriptifs de nos cursus en 1998. Mais cela demeure, aux yeux de tous, de la traduction spécialisée avec, tout au plus, cinq à six heures de spécialisation particulière en « localisation » où il s’agit d’apprendre les outils – pas les techniques, qui sont déjà connues. On observera ici que ceux qui considèrent la localisation comme une activité nouvelle et se gargarisent de « tradaptation » ne peuvent le faire que parce qu’ils avaient une représentation archaïque et une conception réductive de la traduction.

Bien évidemment, ce qui précède ne vaut qu’en vertu de l’immersion dans un « bain informatique » permanent, chaque étudiant ayant accès aux outils informatiques au moins 20 heures par semaine et suivant 125 heures de cours d’informatique pour la traduction plus 75 heures de formation aux outils dans le cadre de sa formation standard. Les étudiants disposant de la compétence « informatique » sous-jacente à toutes les autres (j’allais dire « surajoutée » à toutes les autres, ce qui constituerait un contresens grave), il va de soi qu’ils peuvent en récolter directement les fruits quels que soient le matériau, le champ d’application, l’outil, l’environnement de travail. Mais ils restent des traducteurs d’abord, car c’est bien de traduction qu’il s’agit toujours : les compétences informatiques n’en sont que la condition sine qua non et l’informatique n’est rien d’autre qu’un outil au service du traducteur. Le traitement de texte n’a jamais été que le moyen de traiter du texte avant, pendant et après la traduction et l’informatique n’est, plus généralement, rien d’autre que le moyen de traiter du code avant, pendant, et après la traduction que, pour des raisons variées, on appelle « localisation ». Simplement, il se trouve que la traduction n’est plus guère envisageable sans l’informatique.

Conclusion

Partie intégrante des processus de globalisation, la localisation est avant tout affaire de marchés valorisés. Or, tout marché valorisé mérite convoitise. Donc, les traducteurs doivent s’emparer de ces marchés ou, à tout le moins, de toute part de ces marchés qu’ils sont capables de conquérir et de conserver. Pour y parvenir, ils doivent valoriser les compétences qu’ils ont déjà et acquérir de nouvelles compétences. Ils doivent notamment acquérir et renforcer leurs compétences informatiques et leurs compétences en informatique, dans tous les sens du terme que nous avons identifiés. Ceci leur permettra de traiter le matériau à traduire, de mieux comprendre les contraintes, et de rentabiliser leur potentiel de traducteurs.

Quant aux formateurs, ils doivent permettre à ceux qu’ils forment de conquérir les marchés les plus lucratifs. Il doivent donc les former à la localisation, soit parce que tous les ingrédients sont déjà intégrés au cursus destiné à tous les traducteurs, soit par prise en compte d’une spécialité ou spécialisation dite de « localisation ».

Plus encore, les formateurs doivent anticiper sur les évolutions des marchés et des métiers. Ils doivent donc former de véritables ingénieurs en communication multilingue multimédia et, accessoirement, se joindre à l’ensemble des acteurs pour faire en sorte que tout traducteur soit ainsi qualifié – puisque cette dénomination ne fait que rappeler le niveau de compétence standard des traducteurs et la nature générique de leurs champs d’activité. Tous ceux qui sont attentifs à l’évolution des conditions d’insertion des jeunes diplômés auront noté qu’un nouveau profil d’emploi se confirme depuis deux ans : le profil de l’ingénieur en communication multilingue multimédia (IC2M), dont l’un des atouts majeurs est sa capacité à traduire, créer-cloner des sites, « localiser » les logiciels, rédiger la documentation, gérer la doc’ et la comm’, sous-titrer les DVD d’entreprise, conseiller les concepteurs des produits sur l’internationalisation, former les personnels à la culture des clients/fournisseurs à l’étranger, et ainsi de suite. A temps nouveaux, métiers nouveaux… « Localiseur » a au moins eu le mérite de faire référence à un nouveau métier en multipliant les connotations positives et de justifier de nouvelles prétentions financières. Il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin. Et il serait surtout dommage que les traducteurs (et les formateurs) ne se lancent pas à la conquête de territoires que d’autres s’empresseront de coloniser pour ne leur sous-traiter que la traduction-traduction.