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Dans cet ouvrage tiré de sa thèse de doctorat, Philippe Volpé s’intéresse à l’histoire des mobilisations collectives en Acadie, plus spécifiquement, au rôle de la jeunesse estudiantine et de ses mouvements d’Action catholique dans la construction et la définition de la petite société acadienne. L’étude, bien que principalement menée en amont des années 1960, présente l’histoire de ces mouvements jusqu’aux portes des années 1970. Le livre retrace ainsi les fondements idéologiques et axiologiques des actions des premières associations de jeunes en Acadie, fondées par des adultes au début du xxe siècle, jusqu’au syndicalisme étudiant des années 1960. Il exclut toutefois les mobilisations étudiantes des années 1968-1969. Si ce choix est à première vue étonnant, il trouve sa justification dans la volonté de l’auteur de proposer, entre autres, de nouveaux éléments pour reconsidérer le « moment 68 ».
L’étude a assurément le mérite d’être courageuse et ambitieuse. Comme Volpé l’affirme d’emblée : « Encore aujourd’hui, nous devons reconnaître que c’est à peine forcer le trait que d’affirmer que l’histoire des mobilisations collectives et de leurs fondements idéologiques en Acadie de la première moitié du xxe siècle est méconnue » (p. 1). La conséquence de cette carence est un « découpage binaire » de l’histoire des mobilisations collectives acadiennes, favorisant l’angle d’interprétation de la rupture dans lequel s’opposent société traditionnelle et société moderne. Cette interprétation – qui a fait de l’année 1960 un moment charnière amorçant le passage de la société acadienne d’un catholicisme « régressif » vers un libéralisme « progressif » (et qui rappelle le mythe de la Grande Noirceur québécoise) – a, en grande partie, détourné le regard des chercheurs des relations entre l’Église, l’État et la société. Ainsi, même lorsque les historiens vont se consacrer à l’histoire socioéconomique et pourfendre les représentations obscurantistes du passé acadien, comme l’indique Volpé, « aucune relecture d’ensemble ou analyse de fond des mobilisations collectives acadiennes d’avant les années 1960 n’a pour autant été offerte » (p. 7). Pour éclairer cet angle mort de l’historiographie, l’auteur adopte la posture épistémologique de la nouvelle sensibilité historiographique, courant qui a fait de l’Action catholique l’un de ses sujets favoris pour interroger le passé canadien-français. L’auteur va ainsi à la recherche non pas de « brèches » révélatrices du changement social des années 1960, mais bien « des “intentions primordiales”, soit des initiatives, des ambitions et des idées des acteurs, mises en contexte dans leur présent aux possibilités et aux contradictions multiples » (p. 21). La démonstration qu’il effectue confirme la pertinence de ce choix.
L’auteur développe son propos en cinq chapitres dans lesquels on retrouve un corpus de sources riches et diversifiées (constitué notamment des archives des principales associations de jeunes et d’Action catholique à l’étude, d’archives privées, d’articles de la presse acadienne et, élément intéressant, d’archives des diocèses et des communautés religieuses enseignantes des provinces maritimes « inconnu[e]s du public »). L’ouvrage adopte une structure chronologique. Le chapitre 1 est consacré à l’entrée progressive des jeunes dans l’espace public du début du xxe siècle jusqu’aux années 1930. On y retrace principalement le parcours de l’Association catholique de la jeunesse acadienne (ACJA) et de l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC). Fondée en 1908 par quelques clercs et nationalistes acadiens, l’ACJA conjugue Action catholique et Action nationale. Les Acadiens vont toutefois, au début des années 1930, délaisser cette association érigée en organe du nationalisme acadien au profit de l’ACJC, constituée en mouvement d’apostolat laïque épuré de son mandat nationaliste. Le chapitre 2 revient plus en détail sur cette association (ACJC) et sur la question sociale au coeur des mouvements acéjistes. Bien que ce chapitre crée parfois une impression d’aller-retour, il souligne plus particulièrement les contributions des mouvements d’Action catholique aux sciences sociales en Acadie, alors qu’une transition s’opère dans les méthodes d’enquête utilisées dans les cercles de jeunes.
Les deux chapitres suivants nous mènent au seuil des années 1960. Les années 1940 et 1950 sont mouvementées, alors que la jeunesse acadienne se tourne désormais vers les mouvements d’Action catholique spécialisés, en particulier la Jeunesse étudiante catholique (JEC). Les mouvements, comme la JEC, qui insistent sur la formation par l’action selon le milieu et dont la méthode s’appuie sur la maxime « voir, juger, agir », amorcent une transition. Ces décennies voient également naître l’Association générale des étudiants acadiens (AGEA), dont les membres qui adoptent une stratégie de « présence » sont « d’avis qu’il leur faut participer à toutes les sphères de la société, et particulièrement au domaine politique, là où un bon nombre des luttes de la collectivité acadienne sont destinées à être menées » (p. 333). Dans ces deux chapitres, on accède plus clairement à la voix de la jeunesse estudiantine qui s’articule, se définit, se positionne. Elle nous parvient dans l’ouvrage par l’entremise de périodiques étudiants. On retrouve notamment plusieurs extraits tirés du journal de l’AGEA, Le Trait d’union. Ce périodique étudiant, qui se donne une vocation intellectuelle, publie entre autres des textes sur la question nationale, alors que dans les années 1940, la jeunesse acadienne renoue avec l’Action nationale. En fait, durant la période couverte par l’étude, l’Action catholique se rapproche ou s’éloigne de l’Action nationale, se confond avec elle ou s’en distingue. Notons que tout au long de l’ouvrage et plus spécifiquement au chapitre 4, l’auteur aborde les enjeux de genre. Mais bien qu’il nous ouvre l’appétit sur ce sujet à de nombreuses reprises, nous restons en grande partie sur notre faim, conséquence probable des limites imposées par les sources. Le dernier chapitre est présenté d’abord comme « un point de rencontre » des deux tendances, le catholicisme et le nationalisme, qui ont marqué l’histoire de la jeunesse étudiante acadienne, avant d’aborder l’évolution idéologique du militantisme étudiant.
En suivant cette trame, tissée autour des préoccupations, des engagements, de même que des méthodes de la jeunesse estudiantine et de ses mouvements d’Action catholique, l’auteur met en évidence, à l’opposé du récit moderniste de la « Révolution tranquille acadienne », les continuités qui ont contribué aux réformes des années 1960. C’est en situant ces mobilisations collectives au carrefour des tensions et des débats « à la frontière des mondes » (qui oscillent entre l’Action catholique et l’Action nationale, le social et le politique, l’universalisme et le nationalisme, l’Acadie et le Canada français) qu’il devient possible, comme le montre Philippe Volpé, d’envisager cette jeunesse comme un acteur important dans les changements qui se dessinent avant les années 1960. Toutefois, la jeunesse, comme le rappelle l’auteur, ne se résume pas aux étudiantes et aux étudiants. En ce sens, l’auteur ouvre la voie et suggère de poursuivre l’enquête sur les « autres jeunesses » et mouvements d’Action catholique.
Soulignons que l’ouvrage est beaucoup plus riche que ce que l’espace de ce résumé permet de révéler. Plusieurs autres points d’intérêt mériteraient d’être mentionnés, notamment le regard excentré que propose l’auteur en s’intéressant au mouvement jeunesse d’Action catholique, indépendamment des grandes centrales montréalaises et de leurs chefs de file. Enfin, cette contribution est un apport important à l’histoire des mobilisations collectives en Acadie de même qu’à l’histoire de la jeunesse, de manière plus large.