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Dans un monde en perpétuel changement, l’évaluation se situe au coeur de nombreux défis contemporains. Les transformations rapides des environnements d’apprentissage et d’enseignement rendent les débats autour des pratiques évaluatives plus cruciaux que jamais. Intégrée dans des contextes de formation et d’intervention où la technologie joue désormais un rôle central (ADMEE-Canada, 2016  ; MEES, 2018), la part numérique de l’évaluation a connu une accélération significative avec la crise sanitaire de la COVID-19. Cette crise a entraîné une adaptation massive aux environnements d’apprentissage en ligne ou hybrides, avec des modalités d’enseignement synchrone et asynchrone, obligeant les systèmes éducatifs à réagir rapidement et générant ainsi des bouleversements profonds (CSE, 2020). Les activités pédagogiques se sont planifiées et réalisées dans des conditions inédites, nécessitant une adaptation rapide des pratiques évaluatives dans des contextes numériques (Detroz et al., 2020). La gestion des apprentissages, vécue dans des circonstances de stress collectif, a non seulement engendré des réactions émotionnelles diverses, mais a également conduit les enseignants ainsi que la communauté scolaire et universitaire à repenser et à redéfinir leurs pratiques évaluatives.

De plus, à la fin de l’année 2022, l’émergence publique de l’intelligence artificielle générative, telle que ChatGPT, a introduit en un temps record, une nouvelle dimension dans l’évaluation. Ces outils, capables de produire des contenus textuels complexes en réponse à des requêtes, ont profondément modifié la manière dont les élèves et les étudiants interagissent avec les contenus éducatifs et réalisent leurs travaux. Cette évolution technologique pose de nouveaux défis pour les pratiques évaluatives, notamment en ce qui concerne l’authenticité des productions étudiantes et la capacité à évaluer les compétences réelles. Les enseignants et les évaluateurs sont ainsi contraints de revoir leurs approches, en intégrant des méthodes visant à évaluer le processus d’apprentissage et les compétences critiques qui sous-tendent le travail réalisé.

Parallèlement, l’intensification des flux migratoires et la diversité ethnoculturelle croissante apportent leur lot de défis en matière d’équité et d’inclusion, tant sur les plans économique, numérique, social que scolaire. Ces évolutions mettent en question, d’une part, la manière dont le savoir évaluatif est construit collectivement et de façon collaborative par les enseignants (Morrissette et Diédhiou, 2017) et, d’autre part, les pratiques d’autoévaluation des apprenants dans une perspective de régulation de l’apprentissage au sein d’un espace didactique spécifique.

Si ces changements ont un impact direct sur l’évaluation des apprentissages, l’évaluation des programmes n’en est pas moins concernée. De nombreux programmes de formation ont été mis en place pour accompagner ces transformations, avec une exigence croissante de reddition de comptes, afin de légitimer et d’optimiser l’allocation des ressources mobilisées. Ce contexte a favorisé l’émergence de discussions sur des pratiques d’évaluation plus rigoureuses, en particulier sur l’indépendance des évaluateurs et sur la crédibilité des conclusions tirées, mais aussi sur la question des valeurs sous-tendant les pratiques, les outils et les dispositifs de mesure et d’évaluation dans le champ social.

Ce numéro thématique, intitulé L’évaluation face aux enjeux contemporains – Tendances et émergences, est le résultat d’un effort collectif de l’équipe de rédaction, basé sur une idée originale proposée par le rédacteur canadien en poste en 2022. L’idée a pris forme dans le cadre des divers changements entrepris pour dynamiser MEE et l’adapter aux défis et aux évolutions des publications scientifiques dans le champ de la mesure et de l’évaluation. L’appel à textes, lancé au début de l’année 2023, a suscité une réponse positive de la part de la communauté scientifique et professionnelle, témoignant de l’intérêt pour la thématique abordée. L’invitation adressée aux chercheurs, aux professionnels, aux étudiants, aux praticiens et aux intervenants issus de disciplines variées (éducation, psychologie, santé, arts, etc.), visait à encourager la soumission de travaux de recherche théoriques et/ou empiriques dans ce domaine résolument interdisciplinaire.

Ce numéro, composé de sept articles, explore les défis actuels et émergents auxquels l’évaluation est confrontée, tout en offrant des perspectives sur la manière dont les pratiques évaluatives s’adaptent aux transformations rapides des environnements éducatifs, numériques et sociétaux. Il contribue ainsi à enrichir les débats sur l’évolution de l’évaluation dans un monde en constante mutation, en tenant compte des impératifs d’équité, d’inclusion et d’indépendance dans les processus évaluatifs.

Les deux premiers articles de ce numéro adoptent une approche théorique sur des grands thèmes d’actualité. Sans se limiter à un ordre d’enseignement particulier, Jacques Audran (INSA Strasbourg) explore les conséquences de l’intelligence artificielle générative, en identifiant cinq principaux enjeux pour l’évaluation des apprentissages, tels que le jugement des compétences des apprenants face à ces technologies et la distinction entre productions humaines et machinées. De leur côté, Jean-Pascal Ochelen (HEP Fribourg et Université de Genève), Gonzague Yerly (HEP Fribourg) et Lucie Mottier Lopez (Université de Genève) proposent une revue de la littérature sur le travail collectif des enseignants du primaire et du secondaire dans l’évaluation des apprentissages, en mettant en lumière les dynamiques de collaboration et leurs liens avec les pratiques évaluatives.

Les cinq articles suivants présentent des recherches empiriques sur des sujets représentatifs de différents courants de recherche. En lien avec l’évaluation des programmes, Marie-Pier Marchand et Marthe Hurteau (UQAM) considèrent la notion de bienveillance dans l’évaluation, en examinant de quelle manière les perspectives des parties prenantes peuvent s’associer à la perception de la crédibilité des résultats et aux pratiques évaluatives.

Concernant l’évaluation des apprentissages, Romain Beauset, Clarisse Lequeu et Natacha Duroisin (Université de Mons) étudient les processus cognitifs à travers deux recherches portant sur l’habileté de visualisation spatiale chez les élèves du primaire et du secondaire. Janie Mendes (UdeM), Bruno Gauthier (UdeM) et Nathalie Chapleau (UQAM) présentent le PhonoTELEQ, un nouvel outil destiné à évaluer la conscience phonologique chez les enfants franco-québécois. Ils détaillent le processus de développement et les résultats préliminaires de la validation de cet outil.

Dans le contexte universitaire, Valérie Soubre (Université Catholique de Lyon) propose une réflexion sur la coconstruction d’une microculture de classe en lien avec l’évaluation-soutien de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, et explore de quelle manière cette approche peut servir de ressource pour la régulation des apprentissages. Enfin, Alexandre Mabilon (Université de Fribourg) examine les stratégies de gestion du stress (coping) et leur impact sur le sentiment d’efficacité personnelle chez les élèves du secondaire dans le cadre des évaluations sommatives, soulignant le rôle de l’environnement d’apprentissage dans cette dynamique.

À travers ces contributions, ce numéro thématique illustre la richesse et la diversité des approches en matière d’évaluation, ainsi que les tendances empiriques et théoriques qui se développent dans ce domaine. C’est donc avec grand plaisir que les rédactrices de la revue en poste actuellement, la directrice et l’équipe de production vous présentent le fruit d’un travail acharné et collaboratif. Ce projet, mené avec rigueur et engagement tout au long des années 2023 et 2024, a finalement vu le jour. L’équipe de la revue MEE tient à remercier chaleureusement les auteurs, les évaluateurs ainsi que toutes les personnes qui ont, de près ou de loin, contribué à la réalisation de ce numéro.

Bonne lecture !