Corps de l’article

Introduction

Origine du besoin de développer un modèle et une échelle de la socialisation au travail adaptés au travail enseignant

À ce jour, l’insertion professionnelle des enseignants novices a fait l’objet de nombreuses études et continue d’être au centre des préoccupations des chercheurs en éducation (p. ex., Colognesi et al., 2020 ; De Stercke et al., 2010 ; Mukamurera et al., 2013). Pour décrire cette période difficile, un certain nombre de travaux interrogent le ressenti des enseignants relativement à leurs premiers pas dans le métier et étudient leur sentiment d’efficacité personnelle à réaliser leurs tâches d’enseignement (Lamaurelle et al., 2016 ; Tschannen-Moran et Woolfolk-Hoy, 2001). D’autres se penchent sur le « choc des réalités », métaphore bien connue dans le champ de l’éducation pour décrire les premières rencontres entre l’enseignant et la vie quotidienne devant la classe (Dicke et al., 2015). D’autres encore étudient leurs performances au travers des résultats des élèves (Goldhaber et al., 2011).

Ces approches ont en commun de se concentrer sur le travail de l’enseignant réalisé en classe. Se pose alors la question des autres aspects inhérents au métier d’enseignant, comme les liens avec les collègues, la compréhension du fonctionnement de l’établissement et d’autres éléments qui se passent « en dehors » de la classe et qui font aussi partie du métier (Richards et al., 2013 ; Tang et al., 2016).

À ce propos, ces dernières années, les travaux en sciences de l’éducation font émerger une attention accrue pour le travail des enseignants au sein de l’école en tant qu’organisation, eu égard à la complexité croissante du métier (Carpentier, 2019 ; Maroy et Cattonar, 2002 ; März et Kelchtermans, 2020). Ces recherches considèrent que les premiers pas des enseignants se font en classe, mais aussi dans un établissement scolaire (Kelchtermans, 2019). De cette manière, de plus en plus d’importance est attribuée aux perspectives qui défendent que le métier enseignant est ancré dans une organisation, ce qui rend indispensable de prendre en considération le niveau organisationnel dans les objets d’analyse (Kearney, 2014).

Pourtant, les travaux qui portent sur l’insertion professionnelle des enseignants tiennent peu compte de cette réalité et de ces enjeux organisationnels liés à l’insertion professionnelle (Coppe et al., sous presse ; Kearney, 2015 ; Tang, Cheng et Wong, 2016). Dès lors, de nombreux chercheurs suggèrent d’étudier l’entrée en fonction des enseignants en adoptant une vision holistique qui permet de prendre en considération l’ensemble des aspects auxquels ils doivent faire face dans leur processus d’insertion professionnelle (Kelchtermans, 2017 ; Rots et al., 2012 ; Saka et al., 2009).

Par ailleurs, depuis une vingtaine d’années, les comptes-rendus critiques et les revues systématiques de la littérature traitant de l’entrée en fonction des enseignants mettent en évidence la diversité d’opinions sur ce qui constitue une insertion réussie (Bickmore et Bickmore, 2010 ; Kearney, 2014). Certains travaux l’opérationnalisent sous l’angle de la rétention, d’autres sur la base de l’effectivité des enseignements, d’autres encore se fondent sur la satisfaction professionnelle des enseignants débutants (Ingersoll et Strong, 2011). Cette multiplicité d’approches rend complexe l’évaluation des programmes d’insertion (Kearney, 2014) et invite aux réflexions sur des outils qui permettent de mesurer spécifiquement l’insertion professionnelle en tant que processus, et non par le biais de ses conséquences (Bickmore et Bickmore, 2010).

Pour répondre à ces deux constats, à savoir la nécessité d’adopter une vision holistique pour interroger l’insertion professionnelle et le besoin d’un outil spécifique pour mesurer le processus en tant que tel, et non en l’opérationnalisant par ses conséquences, s’inspirer des travaux sur la socialisation organisationnelle s’avère particulièrement riche. Ces travaux sont majoritairement présents dans le champ de la sociologie du travail, de la psychologie organisationnelle et des sciences de gestion (Batistič et Kaše, 2015).

Le concept de socialisation organisationnelle élaboré par Van Maanen et Schein (1979), aussi appelé socialisation professionnelle ou socialisation au travail (Martineau et al., 2009) quand il est mobilisé dans une perspective large, comme dans cette contribution, a une importance majeure dans les écrits sur l’insertion professionnelle, tous contextes de travail confondus (Haueter et al., 2003). Il se réfère à l’intégration des novices dans leur profession et dans leur organisation avec tout ce que cela implique (Cooper-Thomas et Anderson, 2006). Une série de travaux, notamment ceux de Chao (2012) et de Van Maanen et Schein (1979), se sont attachés à comprendre comment un novice devient un membre à part entière d’une organisation, quels sont les éléments que le novice doit maîtriser et quelles sont les stratégies qui peuvent soutenir cette intégration, tous ces aspects se référant à une socialisation réussie.

Malgré cet intérêt grandissant, il n’y a pas nécessairement de consensus sur une définition précise de la socialisation (Chao, 2012 ; Martineau et al., 2009). Les différentes tentatives d’opérationnalisation du concept ont rendu disponibles différentes échelles de mesure de la socialisation (Chao, 2012), mais celles-ci ne sont adaptées qu’à des environnements de travail particuliers et doivent être adaptées au contexte étudié pour pouvoir saisir finement le processus (Bourhis, 2004). Certaines recherches en éducation, majoritairement qualitatives, représentent des avancées vers une approche holistique de l’insertion professionnelle contextualisée au métier de l’enseignant (Duchesne et Kane, 2010 ; Niyubahwe et al., 2018), notamment le texte fondateur de Feiman-Nemser (2003) mettant en évidence le processus d’acculturation des enseignants novices[1]. Néanmoins, ce travail de contextualisation n’a jamais été fait dans l’objectif de rendre disponible une échelle de mesure opérationnelle pour la profession enseignante (Richards et al., 2014). En conséquence, le champ de la socialisation au travail présente des fondations théoriques riches pour penser l’insertion professionnelle des enseignants dans une approche holistique et pour avancer dans la recherche sur sa mesure (Kearney, 2015).

Ainsi, dans la poursuite de ces objectifs, nous proposons dans cette contribution la conception et le processus de validation d’une échelle de mesure de la socialisation au travail spécifique à la profession enseignante.

Référentiel théorique

Ce référentiel théorique est constitué de deux sections. D’abord, nous passons en revue les travaux réalisés sur la socialisation au travail en général, pour arriver à une définition de la socialisation au travail des enseignants. Ensuite, nous présentons les dimensions de la socialisation au travail retenues pour le contexte enseignant et nous en proposons une modélisation. Cette partie permet de poser des bases théoriques fortes pour soutenir les choix faits dans la conception de l’instrument de mesure proposé dans cet article.

Vers une définition de la socialisation au travail des enseignants

Si les évolutions multiples de la définition de la socialisation s’accordent sur la nature du phénomène (Klein et Heuser, 2008), elles approchent néanmoins le contenu de manière différente. Aux prémisses, Schein (1968) présente la socialisation organisationnelle comme un processus d’apprentissage des normes, des comportements et du système de valeurs de l’organisation nécessaire pour en être un membre ; en d’autres termes, il fait référence à un processus d’acculturation. Ce contenu de socialisation s’est ensuite élargi à la socialisation au groupe de travail, relative à l’intégration dans le collectif de collègues (Anakwe et Greenhaus, 1999 ; Chao et al., 1994). À cela, d’autres travaux ajoutent encore l’apprentissage des tâches propre au rôle que le travailleur prend, ciblant ici la maîtrise des gestes professionnels (Chao et al., 1994 ; Taormina, 2004). Haueter et al. (2003), et à la suite Perrot et Campoy (2009), évoluant également vers une approche de plus en plus exhaustive des contenus, proposent une perspective intégrative de la socialisation. Ils mettent alors en évidence trois domaines de socialisation : les tâches/le travail, le groupe de travail et l’organisation. Haueter et al. (2003) explicitent à propos de ces trois domaines que « chaque domaine de socialisation consiste à acquérir des connaissances à propos dudit domaine » (p. 23, trad. libre).

En conséquence de ces différentes évolutions, la socialisation n’est plus considérée uniquement dans une perspective d’acculturation, mais se veut cerner l’ensemble des aspects qui permettent à un membre de prendre son rôle avec les multiples apprentissages que cela implique. Chao (2012) décrit explicitement cette approche globalisante en précisant que le processus n’est plus considéré comme une socialisation à l’organisation, mais bien comme une socialisation dans l’organisation. Cette auteure renforce alors la tendance à considérer les domaines de socialisation au-delà de l’apprentissage des normes, des valeurs et des comportements attendus dans l’organisation.

Dans le contexte du travail enseignant, ces trois domaines (tâches, groupe de travail et organisation) font écho à différents travaux qui mettent en évidence les facettes du métier. Ainsi, les retrouve-t-on dans les écrits de De Stercke et al. (2010), de Girinshuti (2019) et de Mukamurera et al. (2019), qui mettent en évidence des composantes didactiques/pédagogiques, relationnelles et organisationnelles lorsqu’ils analysent la profession enseignante. À leur suite, nous abordons la socialisation au travail des enseignants comme un concept alliant ces trois domaines, dépliés dans la section suivante.

Les domaines de la socialisation au travail des enseignants

Dans cette section, nous explicitons le contenu de ces trois domaines de socialisation et les articulons avec la littérature du champ de l’insertion professionnelle des enseignants.

La socialisation aux tâches

Elle est présentée dans les travaux scientifiques comme un domaine important puisqu’inhérent à l’exercice d’une profession (Chao et al., 1994). Définie par Haueter et al. (2003) comme « l’acquisition des informations sur son travail et l’apprentissage des tâches pour lesquelles on a été engagé » (p. 23, trad. libre), cette dimension fait référence à la maîtrise des aspects dits techniques de la fonction (Lacaze, 2007).

Dans le contexte de l’enseignement, Mukamurera et al. (2013) expliquent qu’il s’agit de l’acquisition et de la consolidation des compétences pédagogiques et didactiques. Fernet et al. (2008) précisent que sont repris ici notamment des aspects comme : la planification des cours, la gestion des activités d’apprentissage, l’évaluation des élèves, la gestion du groupe-classe et la réalisation des tâches administratives.

La socialisation au groupe de travail

Elle renvoie aux relations que les professionnels peuvent entretenir avec leurs collègues (Haueter et al., 2003 ; Kearney, 2015 ; Perrot et Campoy, 2009). Durant la période d’insertion professionnelle, ces contacts permettent au nouvel arrivant de s’ancrer dans le collectif, qui a ses fonctionnements propres.

Cela est particulièrement vrai pour les enseignants, car les collaborations qu’ils établissent constituent un enjeu central pour l’exercice de leur métier (Tardif et Lessard, 1999). En effet, elles leur permettent de passer d’une approche individualiste de l’enseignement à une approche sociale et interactive de la profession (Tardif et Lessard, 1999). La participation de l’enseignant à des activités collectives, la réflexion au sein de sa communauté professionnelle et le soutien des pairs contribuent à son développement professionnel (Lecat et al., 2019) et à la transformation de ses conceptions au sujet de son travail (Grangeat et Gray, 2007). Cette collaboration s’avère cruciale pour l’enseignant qui débute puisque ses gestes professionnels sont encore peu stabilisés. Les interactions sociales établies entre un enseignant débutant et ses collègues influencent la manière dont il ajuste ses pratiques en vue d’une adaptation continue aux exigences du terrain ainsi que du maintien d’une cohésion interne au sein du collectif, susceptible de lui conférer une certaine légitimité au sein de sa communauté professionnelle (Dupriez et Cattonar, 2018).

Au-delà de cet aspect relatif à la collaboration, Kelchtermans et Vanassche (2017) mettent en évidence l’importance d’apprendre à naviguer dans le climat micropolitique de l’école. En effet, ces auteurs estiment que, bien que l’école soit une organisation structurée avec ses orientations et ses objectifs, il est nécessaire de considérer que la nature du travail enseignant implique des choix, des débats, des prises de position et, donc, un climat micropolitique particulier qu’il faut maîtriser. Au final, le climat micropolitique, bien qu’il soit à une frontière fine avec la culture organisationnelle décrite dans le paragraphe suivant, fait avant tout référence à l’aspect relationnel et aux interactions entre collègues. Ainsi, à la suite de Ball (1994), qui précise que dans les écoles « le micropolitique est une question de relations, plutôt que de structure » (p. 3822, trad. libre), nous postulons que, dans notre contexte de l’enseignement, les aspects liés au climat micropolitique sont inhérents à la dimension du groupe de travail, et ce, même si c’est une dimension qui apparaît comme distincte dans d’autres contextes de travail (voir Chao et al., 1994) dans lesquels les structures et relations de pouvoir sont souvent plus formalisées.

La socialisation à l’organisation

Elle correspond à la compréhension par les acteurs des buts, des valeurs et de la culture d’une organisation au processus d’acculturation (Chao et al., 1994). Ce sont, d’après Feldman (1981), des éléments qui sont parfois peu intelligibles, mais qui ont toute leur importance pour comprendre l’environnement de travail dans lequel l’employé, ici l’enseignant, évolue. Adossés à la compréhension de ces aspects, Perrot et Campoy (2009) considèrent que leur degré d’acceptation a également son importance. Ainsi, ils explicitent que, bien qu’il soit important de connaître et de comprendre les buts, les valeurs et plus généralement la culture de son organisation, si l’individu les rejette, son processus de socialisation pourra en souffrir. Cette dimension organisationnelle a également tout son sens pour l’organisation particulière qu’est l’établissement scolaire. En effet, elle est empreinte d’une culture particulière, d’objectifs spécifiques et de certaines traditions qui sont à découvrir et à maîtriser pour en devenir un membre à part entière (Feiman-Nemser, 2003 ; März et al., 2019).

Le modèle présenté ci-dessous (voir Figure 1) illustre et synthétise la réflexion théorique présentée. Nous avons choisi la forme du cône tronqué à plusieurs endroits pour articuler les trois dimensions et pour mettre en évidence une perspective évolutive au fur et à mesure des stades de carrière. En effet, bien qu’elle soit particulièrement critique à l’entrée en fonction, la socialisation au travail est décrite comme un processus en évolution tout au long de la carrière en suivant un continuum (pas nécessairement linéaire), de l’entrée dans le métier jusqu’à la sortie de celui-ci (Lacaze, 2007).

Figure 1

Essai de modélisation de la socialisation au travail des enseignants

Essai de modélisation de la socialisation au travail des enseignants

-> Voir la liste des figures

Méthode

Variables de l’étude

Cinq variables ont été considérées dans les analyses explicitées dans la suite de cette section méthodologique :

  1. la variable centrale de cette étude est l’échelle conçue, à savoir l’Instrument de mesure de la socialisation au travail des enseignants (ISaTE) ;

Trois variables sont mobilisées pour obtenir des preuves de validité de relation avec d’autres variables (prédictive) de l’échelle :

  1. le leadership collégial comme variable prédictive et donc comme antécédent de la socialisation ;

  2. le sentiment d’efficacité personnelle au travail ;

  3. l’engagement affectif envers l’organisation. Ces deux dernières sont utilisées comme des variables prédites par la socialisation et donc des conséquences de celle-ci ;

  4. le statut d’enseignant de première ou deuxième carrière[2], variable utilisée pour évaluer les différences intergroupes.

Ces différentes variables permettent d’évaluer la qualité de l’instrument conçu à travers plusieurs critères lié à la validité (Boateng et al., 2018).

Instrument conçu

Variable 1 : l’ISaTE

Sur la base de la recension des écrits rapportée dans la partie théorique et des trois dimensions du modèle proposé, nous avons formulé 43 items constituant la première version de notre échelle de mesure (voir Annexe A).

Une partie de ces items sont issus de deux échelles mesurant la socialisation au travail dans d’autres contextes que celui de l’enseignement et ont donc été reformulés pour correspondre à notre contexte spécifique (échelles de Chao et al., 1994 et de Haueter et al., 2003). Si, à notre connaissance, aucune échelle de socialisation au travail n’a été créée spécifiquement pour les enseignants, Mukamurera et al. (2013) proposent une échelle considérant le besoin de soutien des enseignants novices reprenant certaines dimensions similaires à celles de la socialisation au travail, mais n’abordant pas l’ensemble de celles-ci. Nous nous sommes également inspirés de ce travail.

Ces trois échelles ont servi de base à l’élaboration de l’instrument adapté à la profession enseignante, structuré autour des trois dimensions de la socialisation au travail : la socialisation aux tâches d’enseignement, la socialisation au groupe de travail et la socialisation à l’organisation. Les modalités de réponses à l’instrument de mesure sont de type Likert avec cinq propositions allant de « fortement en désaccord » à « fortement d’accord ».

Relation avec d’autres variables (preuve prédictive)

Pour obtenir des preuves de validité de relations avec d’autres variables de l’ISaTE, nous avons sélectionné une variable considérée comme un prédicteur de la socialisation au travail et deux variables considérées comme une conséquence de la socialisation au travail.

Variable 2 : le leadership collégial (Hoy et Sabo, 1998)

De nombreuses études mettent en évidence que la posture de la direction a des impacts sur l’intégration des enseignants novices et, plus généralement, sur le développement professionnel des enseignants (Bickmore et Bickmore, 2010 ; Colognesi et al., 2020). Le leadership collégial fait référence à une posture de direction soutenante, ouverte et équitable qui, dans un climat de bienveillance, informe ses enseignants de ce qui est attendu d’eux (Hoy et Sabo, 1998). Nous nous attendons donc à ce que le leadership collégial prédise positivement la socialisation au travail des enseignants. L’échelle est composée de 9 items (Likert à 5 propositions), dont voici un exemple traduit de l’anglais : « La direction traite tous les membres du corps professoral sur un pied d’égalité ». Elle montre un bon indice de cohérence interne pour notre échantillon (α = 0,93).

Variable 3 : le sentiment d’efficacité personnelle au travail (Schyns et von Collani, 2002)

Le sentiment d’efficacité personnelle au travail est la perception de la capacité qu’a un professionnel d’accomplir son travail. Les nombreuses études qui se sont intéressées à ce concept pour les enseignants montrent, entre autres, que le développement professionnel des enseignants participe à renforcer leur sentiment d’efficacité (Tschannen-Moran et McMaster, 2009 ; Yoo, 2016). Cela amène à penser que la socialisation au travail des enseignants prédira positivement leur sentiment d’efficacité personnelle. Nous avons soumis la version courte de l’échelle de Rigotti et al. (2008), dont voici un exemple traduit de l’anglais : « Je me sens prêt(e) à faire face à la plupart des exigences de mon travail ». L’échelle est composée de 6 items (Likert à 5 propositions) et montre un bon indice de cohérence interne pour notre échantillon (α = 0,83).

Variable 4 : l’engagement affectif envers l’organisation (Perreira et al., 2018)

Cohen et Veled-Hecht (2010), dans une étude empirique, mettent en évidence que plus un individu est socialisé dans son travail, plus il est engagé envers son organisation et que, parmi les différentes facettes de cet engagement, c’est l’engagement affectif qui représente le mieux ce phénomène. À leur suite, nous nous attendons à ce que la socialisation au travail des enseignants prédise positivement leur engagement affectif envers l’organisation. Perreira et al. (2018) proposent une échelle ayant subis un processus de validation en français pour mesurer ce concept, dont voici un exemple d’item : « Je suis fier(ère) de dire que je travaille pour mon organisation ». L’échelle est composée de 3 items (Likert à 5 propositions) et montre un bon indice de cohérence interne au sein de notre échantillon (α = 0,84).

Preuve de validité de relations avec d’autres variables : différences intergroupes

Variable 5 : l’enseignant de première ou deuxième carrière

Plusieurs auteurs mettent en évidence les difficultés de socialisation encourues par les enseignants de deuxième carrière (Coppe et al., 2021 ; Coppe et al., sous presse ; Tigchelaar et al., 2010). Ces derniers sont amenés à prendre en main un nouveau rôle professionnel et les spécificités propres des enseignants de deuxième carrière rendent ce processus de socialisation complexe (Trent, 2018). Cela s’explique notamment par le fait qu’ils arrivent avec des schèmes de culture et de fonctionnement organisationnels construits dans leur profession antérieure qui ne correspondent pas à l’établissement scolaire (Haggard et al., 2006). Ces différents éléments amènent à penser que ce groupe d’enseignants fera état d’un score plus faible de socialisation au travail que les enseignants de première carrière.

Récolte des données et participants

Pour tester et procéder au processus de validation de l’ISaTE, un questionnaire en ligne a été largement diffusé dans les écoles fondamentales et secondaires par l’intermédiaire d’enseignants inscrits dans un programme de master en sciences de l’éducation de notre université d’appartenance. Ceux-ci ont été invités à l’envoyer à leur réseau de collègues respectif. La récolte des données a eu lieu entre novembre et décembre 2019. Un consentement d’utilisation des informations transmises a été obtenu de tous les participants à partir du questionnaire.

L’échantillon a été recueilli pour obtenir une population large d’enseignants, quelle que soit leur ancienneté, car, comme explicité dans la section Référentiel théorique, la socialisation au travail, bien qu’elle soit critique en début de carrière, se déroule tout au long de celle-ci (Lacaze, 2007). En outre, nous vérifions dans la section Résultats, grâce à des analyses d’invariance de mesure, la pertinence de cet échantillonnage large.

La première partie de l’enquête, qui comprenait des informations démographiques ainsi que des questions portant sur le statut des enseignants (charge d’horaire, ancienneté, formation initiale ou non, ordre d’enseignement, etc.), a permis de caractériser les participants. Les variables interrogées à la suite ont été proposées dans un ordre généré aléatoirement pour chaque participant. Un total de 1427 enseignants a répondu à l’enquête. Parmi eux, 9  % sont des enseignants du préscolaire, 38,5 % du primaire, 34,1 % du secondaire inférieur[3] et 18,4 % du secondaire supérieur. Par ailleurs, 16,5 % sont des hommes et 83,5 % sont des femmes. Cette répartition correspond approximativement à la réalité de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, tant selon le niveau d’enseignement que selon le genre (Fédération Wallonie-Bruxelles, 2018). L’âge moyen de notre échantillon est de 36,73 ans (ET = 10,29). L’ancienneté moyenne dans l’enseignement est de 12,72 ans (ET = 9,90), avec un minimum de 1 et un maximum de 45 années d’ancienneté. Aussi, 85,3 % sont des enseignants de première carrière, alors que 14,7 % sont des enseignants de deuxième carrière.

Analyse des données

La structure et les preuves de validité de l’ISaTE ont été vérifiées selon plusieurs étapes faisant consensus dans les écrits traitant de la création d’instruments psychométriques (Boateng et al., 2018). Pour réaliser ces différentes étapes, nous avons divisé aléatoirement notre échantillon total en deux sous-échantillons (Boateng et al., 2018). Ces deux sous-échantillons comprennent respectivement 629 et 662 enseignants. Traditionnellement, un nombre de participants suffisant pour les analyses de validation d’échelle respecte un ratio item-répondants de 1 :10 et comprend au minimum 200 participants (Shanmugam et Marsh, 2015). Des tests t réalisés sur les variables démographiques permettent d’affirmer que ces groupes ne présentent pas de différences significatives sur l’âge [t(1484) = 1,08 ; p = 0,282], sur l’ancienneté [t(1487) = 1,02 ; p = 0,31] ni sur le niveau d’enseignement [t(1240) = -0,27 ; p = 0,79]. Le test de chi carré sur le statut d’enseignant de première ou deuxième carrière montre également qu’il n’y a pas de surreprésentation d’un type d’enseignant dans un des groupes [χ2(1) = 0,11 ; p = 0,74].

L’évaluation de l’instrument de mesure a été organisée en trois sous-études :

  1. D’abord, des analyses factorielles exploratoires réalisées sur le premier sous-échantillon ont permis de garder les items pertinents et d’extraire la structure factorielle de l’échelle ;

  2. La deuxième étude a pour objectif de vérifier les propriétés psychométriques de l’instrument et de vérifier la pertinence du construit large de socialisation au travail en utilisant des analyses factorielles confirmatoires et en vérifiant le coefficient de fiabilité des différentes sous-dimensions. Cette deuxième étude a été réalisée sur le second sous-échantillon ;

  3. La troisième étude, portant sur l’ensemble de nos participants, concerne l’obtention de preuves de validité par la vérification prédictive et de différences intergroupes de l’instrument.

L’ensemble des analyses ont été effectuées sur le logiciel Mplus version 8.4 (Muthén et Muthén, 1998-2017).

Dans le but de garder une certaine cohérence dans la lecture de cette contribution, les critères statistiques retenus pour ces différentes étapes sont présentés en introduction de chaque sous-étude.

Résultats

Sous-étude 1 : analyses factorielles exploratoires

L’enjeu de cette première sous-étude est double. Premièrement, elle fait émerger les différentes dimensions constituant l’ISaTE. Deuxièmement, elle permet de sélectionner, parmi les 43 items originaux, une liste d’items aussi parcimonieuse que la plus exacte possible pour mesurer la socialisation au travail des enseignants.

Critères statistiques

De nombreuses méthodes existent pour choisir le nombre de facteurs à extraire lors d’analyses factorielles exploratoires. La tendance actuelle est à l’utilisation des analyses parallèles. Toutefois, Hayton et al. (2004) ainsi que Wood et al. (2015) invitent à se baser sur le graphique des éboulis (screeplot) pour décider du nombre de facteurs à extraire quand celui-ci est évident à interpréter. En outre, la méthode des analyses parallèles ayant été développée dans le cadre des analyses en composantes principales, elle n’est pas toujours adaptée pour des analyses factorielles exploratoires, car elle a tendance à surestimer le nombre de facteurs à retenir dans le cas de ces dernières (DeVellis, 2016). Nous avons donc fait le choix d’interpréter le graphique des éboulis.

La première sélection d’items a été réalisée en respect de deux contraintes : (a) avoir un coefficient de saturation factorielle ⩾0,50 (Yong et Pearce, 2013) et (b) ne pas avoir un coefficient de saturation factorielle >0,30 sur différents facteurs. À partir de ce premier choix, dans un souci de parcimonie, nous avons éliminé certaines questions lorsqu’elles étaient redondantes, tout en gardant un minimum de trois items par dimension (Brown, 2014).

Chacune des analyses factorielles a été réalisée avec une méthode d’extraction par maximum de vraisemblance robuste (MLR) et la méthode de rotation oblique (Muthén et Muthén, 1998-2017).

Résultats

L’interprétation du coude du graphique des éboulis de la première analyse factorielle exploratoire fait apparaître la solution à quatre facteurs comme étant la plus pertinente. Les trois premiers facteurs correspondent aux dimensions groupe de travail, organisation et tâches. La quatrième dimension fait émerger la dimension micropolitique, dont nous discutions théoriquement l’hypothèse d’appartenance à la dimension groupe de travail, mais qui ressort ici comme un facteur à part entière.

L’analyse de la matrice de saturation factorielle après rotation a permis un premier tri des 43 items selon les critères de saturation factorielle présentés supra (coefficient de saturation >0,50). Puis, 27 items ont été conservés après cette première sélection. La deuxième analyse factorielle a permis de vérifier que les items présélectionnés conservaient un coefficient de saturation factorielle >0,50 et de réaliser une seconde étape de sélection par souci de parcimonie afin d’éviter que des questions soient redondantes. Finalement, 20 items ont été conservés après cette seconde sélection (voir Annexe B pour cette version finale de l’instrument). Les matrices de saturation initiales et finales ainsi que la sélection des items correspondants sont présentées au Tableau 1.

L’ISaTE présente ainsi une structure en quatre facteurs, qui correspondent aux dimensions organisation, groupe de travail, tâche d’enseignement et micropolitique de la socialisation au travail. Ces dimensions comprennent respectivement 6, 3, 8 et 3 items, pour un total de 20 items. Chacun de ces items a un coefficient de saturation élevé sur son facteur d’appartenance, et très faible à presque inexistant sur les autres.

Tableau 1

Saturation factorielle après rotation oblique (n = 629)

Saturation factorielle après rotation oblique (n = 629)

Note. SG = groupe de travail ; SGM = micropolitique ; ST = tâches d’enseignement ; SO = organisation. * Seuil de significativité à 5 %. Les items en gras ont été conservés après analyse factorielle.Les items en italique ont été supprimés après analyse factorielle. Les saturations factorielles inférieures à 0,5 ne sont pas présentées dans le tableau.

-> Voir la liste des tableaux

Sous-étude 2 : analyses factorielles confirmatoires et fiabilité

Deux objectifs sont poursuivis dans cette deuxième sous-étude. Le premier est d’évaluer les propriétés psychométriques de l’ISaTE et d’en vérifier la structure factorielle sur un échantillon indépendant du premier. Pour ce premier objectif, nous vérifions également que les différentes dimensions retenues définissent bien un construit plus large de socialisation au travail représenté par un facteur de second ordre. Le deuxième objectif est de vérifier si l’instrument de mesure dispose d’une structure factorielle stable tant pour les novices que les enseignants plus expérimentés.

Pour poursuivre le premier objectif, nous avons réalisé des analyses factorielles confirmatoires et avons vérifié l’indice de fiabilité de chaque dimension. Différents modèles ont été testés pour évaluer la meilleure structure factorielle à partir des critères explicités dans le point suivant.

Pour le second objectif, des analyses d’invariance de mesure ont été effectuées entre les novices de notre échantillon (0 à 5 ans d’ancienneté) et les enseignants plus expérimentés (6 ans d’ancienneté et plus).

Critères statistiques

Différents indices ont été utilisés pour évaluer la qualité des modèles testés. L’indice de Tucker-Lewis (TLI ; Tucker-Lewis Index) et l’indice d’ajustement comparatif (CFI ; Comparative Fit Index) indiquent une adéquation aux données allant d’acceptable à bonne (0,90 à 0,95) et évoluant vers très bonne (0,99). Les valeurs moyennes quadratiques pondérées (SRMR ; Standardized Root Mean Square Residual) et les erreurs quadratiques moyennes de l’approximation (RMSEA ; Root Mean Square Residual) indiquent une adéquation aux données allant d’acceptable à bonne (0,08 à 0,05) et évoluant vers très bonne (0,01) (Little, 2013). La vérification de l’existence du facteur de second ordre représentant le construit général de socialisation au travail a été réalisée en comparant le modèle avec et sans ce facteur par le test de différence de chi carré de Satorra-Bentler (2010).

Pour tester la fiabilité des différentes dimensions, l’omega de McDonald (>0,70) a été préféré à l’alpha de Cronbach, car il prend en compte la saturation factorielle de chaque item pour évaluer la fiabilité du construit latent (Dunn et al., 2014).

Pour interroger l’invariance de mesure, nous avons testé séquentiellement des modèles de plus en plus contraignants, à savoir successivement les modèles d’invariance configurale, métrique (1er ordre et 2e ordre) et scalaire (1er ordre et 2e ordre). Chacune des étapes est atteinte lorsque le modèle correspondant à l’étape, comparé au modèle de l’étape précédente, ne montre pas une diminution du CFI supérieure à 0,01, une augmentation de la RMSEA supérieure à 0,015 ou une augmentation de la SRMR supérieure à 0,03 (Putnik et Bornstein, 2016).

Résultats

Cinq modèles ont été testés pour vérifier la structure factorielle de l’ISaTE :

  1. Un modèle unidimensionnel reprenant les 20 items retenus dans un même facteur ;

  2. Un modèle en trois facteurs qui regroupe les dimensions micropolitique et groupe de travail dans un même facteur ;

  3. Ce même modèle en trois facteurs, mais regroupés dans un facteur de second ordre ;

  4. Un modèle directement déduit des analyses factorielles exploratoires, donc formé par quatre facteurs ;

  5. Un modèle adapté du modèle en quatre facteurs avec un facteur de second ordre comprenant les quatre facteurs de premier ordre.

Les indices d’adéquation aux données de ces différents modèles sont présentés au Tableau 2.

Tableau 2

Indices d’adéquation des différents modèles testés en AFC

Indices d’adéquation des différents modèles testés en AFC

Note. TLI = indice de Tucker-Lewis ; CFI = indice d’ajustement comparatif ; SRMR = valeur moyenne quadratique pondérée ; RMSEA = erreur quadratique moyenne de l’approximation ; χ2(dl) = chi carré (degré de liberté) ; MLR = maximum de vraisemblance robuste.

-> Voir la liste des tableaux

Les trois premiers modèles ont des indices médiocres. Le modèle à quatre facteurs de premier ordre et ce même modèle avec un facteur de second ordre présentent des indices d’adéquation allant d’acceptables à bons selon l’indice utilisé. Cela invite à choisir le modèle avec un facteur de second ordre puisqu’il estime moins de paramètres et est donc plus parcimonieux. Le test de différence de chi carré de Satorra-Bentler (2010) confirme ce choix, ce qui établit l’existence du construit général de socialisation au travail [χ2 (2) = 3,41 ; p <0,18]. Également, ce modèle présente des coefficients de saturation estimés importants et significatifs [λ >0,4 ; p <0,001]. Le modèle complet retenu est présenté en Figure 2.

Figure 2

Modèle à 4 facteurs de premier ordre et à 1 facteur de second ordre (n = 662)

Modèle à 4 facteurs de premier ordre et à 1 facteur de second ordre (n = 662)

-> Voir la liste des figures

Chacune des dimensions présente des coefficients de fiabilité (oméga de McDonald) suffisants à élevés pour les dimensions groupe de travail (ω = 0,74), micropolitique (ω = 0,72), organisation (ω = 0,85) et tâches d’enseignement (ω = 0,80).

À partir du modèle retenu, nous avons testé l’invariance de mesure entre enseignants novices (0 à 5 ans d’ancienneté) et enseignants plus expérimentés (6 ans d’ancienneté et plus). La socialisation au travail étant présentée dans la section Référentiel théorique comme un processus se déroulant tout au long de la carrière, la vérification de l’invariance de mesure entre novices et enseignants plus expérimentés permet de démontrer qu’il était pertinent de faire le choix d’un échantillon d’enseignants de toute ancienneté. Le Tableau 3 présente les différents modèles, qui évoluent vers des contraintes de plus en plus importantes, ce qui permet de conclure en une invariance forte[4] (Putnik et Bornstein, 2016).

Sous-étude 3 : relation avec d’autres variable : volet prédictif de l’ISaTE

Cette troisième sous-étude poursuit l’objectif d’évaluer les liens entre notre hypothétique variable prédictive de la socialisation au travail des enseignants ainsi qu’avec des variables prédites par le construit. Également, elle interroge les différences que présentent deux groupes hypothétiquement connus comme montrant des comportements différents quant à la socialisation au travail, à savoir les enseignants de première et de deuxième carrière.

Critères statistiques

Pour cette sous-étude, les liens entre prédicteurs de la socialisation, l’instrument conçu et les variables prédites par la socialisation ont été analysés avec un modèle d’équation structurelle. Ainsi, ce modèle comprend la variable leadership collégial de la direction posée comme prédicteur de la variable socialisation au travail, et les variables sentiment d’efficacité personnelle au travail et engagement affectif envers l’organisation insérées comme variables prédites par la variable socialisation au travail. Ce modèle présente des indices d’adéquation allant d’acceptables à bons selon les indices [χ2(553) = 1937,92 ; CFI = 0,922 ; TLI = 0,916 ; RMSEA = 0,042 ; SRMR = 0,065].

Tableau 3

Test de l’invariance de mesure entre novices (0-5 ans) et enseignants plus expérimentés (6 ans et +)

Test de l’invariance de mesure entre novices (0-5 ans) et enseignants plus expérimentés (6 ans et +)

Note. χ2 = chi carré ; dl = degré de liberté ; RMSEA = erreur quadratique moyenne de l’approximation ; CFI = indice d’ajustement comparatif ; TLI = indice de Tucker-Lewis ; SRMR = valeur moyenne quadratique pondérée.

-> Voir la liste des tableaux

Un test t de différence entre les moyennes a été réalisé pour vérifier la différence hypothétique de comportement entre les enseignants de deuxième carrière et de première carrière quant à la socialisation au travail. En étape préliminaire à ce test t, nous avons réalisé un test d’invariance de mesure entre enseignants de première et de deuxième carrière, qui est un prérequis à la réalisation d’une comparaison entre ces deux groupes (Dimitrov, 2010).

Résultats

La variable leadership collégial de la direction prédit significativement la socialisation au travail des enseignants et explique une part non négligeable de sa variance (β = 0,501 ; R2 = 0,25 ; p <0,001). L’instrument conçu de socialisation au travail prédit significativement le sentiment d’efficacité personnelle au travail (β = 0,566 ; p <0,001 ; R2 = 0,321 ; p <0,001) et l’engagement affectif envers l’organisation (β = 0,771 ; p <0,001 ; R2 = 0,595 ; p <0,001). Les parts de variance expliquées sont également importantes pour ces deux variables prédites.

Concernant la comparaison de socialisation au travail entre enseignants de première et deuxième carrière, l’invariance de mesure entre ces deux sous-groupes de notre échantillon est présentée au Tableau 4. L’invariance forte autorise la comparaison. L’hypothèse théorique formulée se vérifie. Les enseignants de première carrière (M = 4,04 ; ET = 0,49) obtiennent un score plus élevé que les enseignants de deuxième carrière (M = 3,87 ; ET = 0,53) et la différence est significative [t(dl) = 4,36(1289) ; p <0,001]. Dimension par dimension, nous trouvons, du plus important au moins important, une différence de 0,244 (p <0,001) quant à la socialisation au groupe ; de 0,133 (p <0,01) quant à la socialisation au climat micropolitique ; de 0,122 (p <0,01) quant à la socialisation aux tâches d’enseignement ; et de 0,083 (p = 0,20) quant à la socialisation à l’organisation, cette dernière n’étant pas significative. Pour chacune de ces dimensions, ce sont les enseignants de deuxième carrière qui présentent le score le moins élevé.

Discussion et conclusion

Nous l’avons dit d’emblée, et les écrits scientifiques le montrent largement, la profession enseignante est complexe. Cela engage les chercheurs à mener des travaux sur l’insertion professionnelle, de façon à avoir des connaissances et des outils pour soutenir les enseignants débutants durant cette période.

Tableau 4

Test de l’invariance de mesure entre enseignants de première et de deuxième carrière

Test de l’invariance de mesure entre enseignants de première et de deuxième carrière

Note. χ2 = chi carré ; dl = degré de liberté ; RMSEA = erreur quadratique moyenne de l’approximation ; CFI = indice d’ajustement comparatif ; TLI = indice de Tucker-Lewis ; SRMR = valeur moyenne quadratique pondérée.

-> Voir la liste des tableaux

Pourtant, la majorité de ces travaux se centrent sur une seule des facettes du métier, soit le fait d’enseigner, alors que le travail d’un enseignant ne se limite pas uniquement à ces éléments d’ordres didactique et pédagogique. Il s’inscrit également et nécessairement dans un établissement scolaire, avec tout ce que cela implique (Kelchtermans, 2019 ; März et al., 2019 ; Tang et al., 2016). Dès lors, pour assumer pleinement son rôle professionnel, l’enseignant doit s’acclimater à l’organisation dans laquelle il exerce, mais également s’intégrer socialement et professionnellement, et comprendre le fonctionnement du collectif qui l’entoure (Rots et al., 2012). Et si les travaux sur la socialisation au travail permettent d’éclairer ces différentes dimensions (Chao et al., 1994), ils n’ont, jusqu’alors, pas été rigoureusement contextualisés au métier d’enseignant (Richards et al., 2014). Bourhis (2004) attire d’ailleurs l’attention sur le fait que la contextualisation de ce concept est d’une importance majeure pour comprendre l’insertion professionnelle et, plus largement, le développement professionnel dans son ensemble pour une profession spécifique.

C’est en ce sens que se positionne notre apport. En effet, dans cette contribution, nous avons, d’une part, modélisé la socialisation au travail des enseignants et, d’autre part, présenté un instrument de mesure (l’ISaTE) qui permet d’interroger conjointement les multiples dimensions de la profession enseignante. Nos résultats indiquent que quatre dimensions coexistent dans le processus de socialisation au travail des enseignants : les tâches d’enseignement, le groupe de travail, le climat micropolitique et l’organisation. L’importance manifeste de chacune d’elles amène à remettre en question le postulat théorique formulé à la suite de Ball (1994) et à affirmer que la socialisation au climat micropolitique n’est pas une composante de la socialisation au groupe de travail, mais bien une dimension distincte. C’est en conséquence que nous avons adapté notre essai de modélisation de socialisation au travail des enseignants en y faisant apparaître à part entière cette dimension (voir Figure 3).

Ainsi, les résultats participent aux discussions récentes sur les composantes du métier d’enseignant et sur leur développement professionnel (Tang et al., 2016). Ils confirment que l’exercice du métier implique des apprentissages et des adaptations bien au-delà du seul fait d’enseigner, comme ont pu le montrer des études récentes interrogeant la prise de fonction des enseignants par une approche des besoins de soutien ressentis par les novices (Auclair Tourigny, 2017 ; Carpentier, 2019 ; Mukamurera et al., 2019).

Figure 3

Modélisation de la socialisation au travail des enseignants

Modélisation de la socialisation au travail des enseignants

-> Voir la liste des figures

Par ailleurs, nous avons ici mis de l’avant un instrument de mesure (l’ISaTE) qui opérationnalise et qui rend visibles ces quatre dimensions. Les résultats des analyses montrent une structure dimensionnelle stable en 20 items avec des coefficients de saturation élevés. Chaque dimension présente un indice de fiabilité d’adéquat à élevé. De plus, les analyses ont révélé, au-delà de ces quatre dimensions constituantes, l’existence du construit englobant de socialisation au travail des enseignants.

Les preuves de validité de l’instrument ont aussi été obtenues par la prédiction et l’explicatif par les différences intergroupes. Ainsi, le leadership collégial prédit significativement la socialisation au travail, avec un coefficient particulièrement élevé pour ce premier prédicteur d’ordre organisationnel. De plus, le sentiment d’efficacité personnelle au travail et l’engagement affectif envers l’organisation sont prédits fortement par la socialisation au travail. L’hypothèse de différence de comportements entre enseignants de première et de deuxième carrière vérifie également que les enseignants de deuxième carrière rapportent un score plus faible de socialisation que ceux de première carrière.

L’instrument est également caractérisé par des critères d’invariance forte, tant en fonction du statut d’enseignant de première ou deuxième carrière qu’en fonction du stade de carrière (ancienneté) des participants, ce dernier critère justifiant le choix de notre échantillon non restreint aux enseignants débutants pour concevoir et et procéder au processus de validation de l’instrument.

Limites

Notre travail n’est pas exempt de limites. En effet, nous avons cherché à opérationnaliser le niveau de socialisation au travail des enseignants, ce qui rend compte de l’état de l’individu. Or, à la suite de Feldman (2012), nous défendons que le processus de socialisation est une dynamique d’apprentissage de l’individu, mais également une dynamique de reconnaissance de celui-ci par ses collègues et par l’organisation. Cela implique, pour prendre en compte cette double direction, de combiner d’autres méthodes de recherche en supplément d’un instrument interrogeant les perceptions individuelles, telles que des approches qualitatives portant sur le vécu du processus et sur le contexte dans lequel il se présente.

Perspectives de recherche

Ainsi, plusieurs perspectives de recherche peuvent s’avérer pertinentes. Premièrement, dès lors que quatre dimensions sont constituantes de la prise de fonction des enseignants, il semble y avoir un intérêt majeur à analyser finement chacune des dimensions et à mettre en évidence ce qui permet d’aider au processus de socialisation pour chacune d’elles.

Deuxièmement, la différence manifeste de socialisation entre enseignants de première et de deuxième carrière invite de futures recherches à interroger plus finement cet état de fait, théoriquement postulé et empiriquement vérifié, pour en comprendre les raisons et pour proposer des pistes d’action en conséquence.

Troisièmement, méthodologiquement parlant, cette première évaluation de l’ISaTE, bien que concluante, pourra être confirmée par des études futures, idéalement dans d’autres sous-populations du même contexte, mais également dans d’autres cultures et langues.

Pour finir, sur le plan de la pratique, il semble que la conceptualisation fine de la socialisation telle que proposée dans cette contribution puisse avoir des impacts sur la formation des enseignants et sur les dispositifs d’accompagnement des enseignants débutants. En ce sens, intégrer dans les curriculums de formation les quatre dimensions permettrait-il d’équiper plus adéquatement les futurs enseignants. Dans les écoles, on pourra également les mobiliser pour accompagner au plus près les enseignants dans leurs premiers pas.