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Introduction

Les recherches en éducation accordent de nos jours une place de plus en plus importante aux variables conatives et affectives qui sont susceptibles de jouer un grand rôle dans le déroulement des apprentissages et dans l’insertion professionnelle (Florin et Vrignaud, 2007). Parmi ces variables, l’estime de soi et l’anxiété scolaire ont fait l’objet d’études séparées sans que soient examinés les liens qu’elles entretiennent entre elles. Cette recherche se propose d’étudier l’influence de certaines caractéristiques individuelles (genre, statut socioéconomique, type d’établissement fréquenté) sur l’anxiété sociale et sur l’estime de soi à l’adolescence ainsi que les liens existant entre ces deux variables.

L’anxiété sociale

L’anxiété sociale est définie dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5 ; APA, 2015) comme la peur persistante et intense d’une ou de plusieurs situations sociales ou de situations de performance durant lesquelles l’individu est en contact avec des gens non familiers et durant lesquelles il peut être exposé à l’éventuelle observation attentive de la part d’autrui. L’individu craint d’agir et de se retrouver dans une situation qu’il juge embarrassante ou humiliante. Plus précisément, la peur principale présente dans l’anxiété sociale est celle d’une évaluation négative par une autre personne (Beck et Emery, 1985). L’anxiété sociale trouve ainsi son origine dans un cadre social réel ou imaginaire à l’intérieur duquel l’individu peut être l’objet d’une évaluation interpersonnelle (Schlenker et Leary, 1982).

Le concept a été abordé dans la littérature à partir de différents modèles théoriques qui examinent les causes et les conséquences de l’anxiété sociale. Dans les modèles cognitifs (p. ex., Beck et Emery, 1985 ; Clark et Wells, 1995 ; Rapee et Heimberg, 1997), l’accent est mis sur l’importance de l’information intéroceptive comme source d’influence de l’anxiété sociale. Dans cette perspective, une réduction de l’autofocalisation et une augmentation de l’attention externe entraînent une réduction de l’anxiété sociale. Le modèle de l’autorégulation de Zeidner, Boekaerts et Pintrich (2000) permet d’examiner les composantes comportementales, cognitives, émotionnelles et motivationnelles qui sont à la source de l’anxiété sociale. Ces auteurs soulignent le rôle autorégulateur de la personne qui définit l’objectif de son action et qui s’autoévalue en permanence, ce qui peut contribuer à augmenter ou à atténuer l’anxiété sociale. Quant au modèle de la présentation de soi (Leary et Kovalski, 1993), il étudie les processus par lesquels une personne tente de contrôler les impressions que les autres se font d’elle. Une grande part du comportement humain est alors caractérisée par la désirabilité sociale, c’est-à-dire par le désir de donner aux autres une image socialement valorisée de soi-même, ce qui peut être source d’anxiété sociale.

Quel que soit le modèle théorique emprunté par les auteurs, de nombreuses recherches (p. ex., McNeil, 2001) suggèrent que l’anxiété sociale peut être appréhendée selon un continuum de situations plus ou moins génératrices d’anxiété. Pour mieux cerner les troubles liés à l’anxiété sociale, des auteurs ont effectué une classification des différentes situations anxiogènes (p. ex., Holt, Heimberg, Hope et Liebowitz, 1992). Quatre niveaux ont été distingués :

  1. Il y a tout d’abord les situations dans lesquelles l’individu est observé pendant qu’il effectue une activité (p. ex., répondre à un exercice de mathématiques au tableau devant l’ensemble de la classe).

  2. Le deuxième niveau renvoie à un comportement assertif qui consiste à refuser quelque chose (p. ex., renvoyer un plat qui ne convient pas au restaurant ou exprimer son désaccord avec une personne).

  3. Le troisième niveau renvoie aux interactions et aux prises de parole informelles et improvisées (p. ex., arriver à une réunion et avoir à parler à des inconnus).

  4. Le dernier niveau est celui qui demande à l’individu des interactions et des prises de parole formelles (parler en public, être sur scène, se présenter devant un groupe).

La plupart des études évoquées ci-dessus s’inscrivent dans une approche psychopathologique. Or, depuis une dizaine d’années, le concept d’anxiété sociale est également étudié dans une approche développementale, notamment à la période de l’adolescence, et plus particulièrement dans les domaines social et scolaire (p. ex., Mallet, 2002 ; McCarroll, Lindsey, MacKinnon-Lewis, Campbell Chambers et Frabutt, 2009 ; Van Zalk, Walter Van Zalk et Kerr, 2011; Zou et Abbott, 2012). Dans cette perspective, l’anxiété sociale est considérée comme une variable susceptible d’avoir un effet sur d’autres variables cognitives et conatives. Elle influe sur le traitement de l’information, sur le comportement social et sur le concept de soi. Ainsi, les personnes anxieuses socialement éprouvent souvent des émotions négatives qui interfèrent avec le traitement de l’information (Sarason et Sarason, 1986). L’anxiété sociale peut aussi se manifester par des inquiétudes susceptibles d’affecter les compétences sociales (Crozier, 1979). De même, les individus socialement anxieux ont généralement une autoévaluation négative et une estime de soi faible (Beck, Emery et Greenberg, 1996). Ces résultats se retrouvent aussi bien chez les adultes (p. ex., Bouvard et al., 1999) que chez les enfants et les adolescents (p. ex., Ginsburg, La Greca et Silverman, 1998).

Dans le contexte francophone, Mallet (2002) a mis en évidence trois dimensions de l’anxiété sociale : 1) celle suscitée par l’avenir, 2) celle vis-à-vis du public et 3) celle liée à la réputation. Ces trois dimensions font chacune référence à différents champs de recherche sur l’adolescence.

L’anxiété concernant l’avenir s’inscrit directement dans la lignée des travaux de Fraisse (1957) sur la psychologie du temps et de Rodiguez-Tomé et Bariaud (1987) sur les perspectives temporelles à l’adolescence. Plus que la peur de l’inconnu, c’est le caractère inévitable et le manque de marge de manoeuvre qui en seraient la cause. L’anxiété en rapport au public fait clairement référence à la théorie du public imaginaire d’Elkind (1967); elle est liée à l’importance excessive de la représentation de soi attribuée à autrui. Quant à l’anxiété éprouvée par l’individu concernant sa réputation, elle fait référence à la peur de l’évaluation négative (Beck et Emery, 1985 ; La Greca et Lopez, 1998) et renvoie à l’appréciation de sa réputation parmi ses pairs.

Pour Mallet et Rodriguez-Tomé (1999), l’anxiété sociale est non seulement un processus normal, mais aussi développemental. Il y aurait, selon eux, une augmentation de l’anxiété sociale au début de l’adolescence, qui diminuerait au fur et à mesure que les projets de vie se font plus concrets. Par ailleurs, ces auteurs montrent une plus forte anxiété sociale chez les filles, quels que soient la dimension prise en compte et l’âge considéré.

L’estime de soi

Parmi les nombreux construits qui découlent du soi relevés dans les recherches, trois émergent : l’estime de soi, le concept de soi et le sentiment d’autoefficacité (Brunot, 2007).

L’estime de soi peut être définie comme étant la conscience que possède un individu de la valeur qu’il attribue au soi. Elle correspond à l’évaluation affective du soi et est considérée comme étant l’aspect émotionnel et affectif qui concerne la façon dont l’individu s’évalue lui-même (Martinot, 1995).

Dans les études sur l’estime de soi, deux types de modèles théoriques sont présentés : unidimensionnels et multidimensionnels. Les modèles unidimensionnels conceptualisent l’estime de soi comme une entité globale correspondant à l’appréciation générale qu’un individu a de lui-même (Rosenberg, 1979 ; Coopersmith, 1967). Quant aux modèles multidimensionnels, ils définissent différentes facettes de l’estime de soi (p. ex., Harter, 1999). En effet, une même personne peut avoir une estime de soi très différente selon le domaine de référence. À titre d’exemple, plusieurs auteurs distinguent l’estime de soi scolaire, l’estime de soi professionnelle, l’estime de soi relative aux relations sociales, l’estime de soi en sport, etc. (Brunner et al., 2010 ; Harter, 1999 ; Marsh et Hattie, 1996). Ces sous-dimensions s’organiseraient hiérarchiquement du plus spécifique au plus générique. Cette conception multidimensionnelle et hiérarchique se retrouve dans les travaux de quelques auteurs qui ont élaboré des échelles allant dans ce sens (Fleming et Courtney, 1984 ; Harter, 1988, 1999).

Comme le souligne Bariaud (2006), les échelles multidimensionnelles présentent plusieurs intérêts par rapport aux échelles unidimensionnelles. Elles permettent notamment d’identifier les sous-dimensions où l’estime de soi reste préservée en dépit d’un score global faible. Elles permettent également d’affiner les comparaisons interindividuelles et intra- individuelles. En effet, une estime de soi globale négative n’implique pas obligatoirement que toutes les sous-dimensions le soient.

Objectifs

Les résultats de plusieurs méta-analyses ont montré que les croyances sur soi et les performances scolaires sont positivement et modérément corrélées (p. ex., Hansford et Hattie, 1982 ; Hattie, 1992 ; Valentine, DuBois et Cooper, 2004).

Cette étude se fixe deux objectifs. Il s’agit premièrement d’étudier comment sont associées les caractéristiques individuelles des adolescents telles que leur genre, leur statut socioéconomique et le type d’établissement qu’ils fréquentent (collège, lycée général ou lycée professionnel[1]) à leur niveau d’anxiété et à leur estime de soi.

Nous nous attendons à observer des niveaux d’anxiété et d’estime de soi différenciés en fonction du genre de l’élève. À l’instar de Mallet et Rodriguez-Tomé (1999), nous faisons l’hypothèse d’une plus forte anxiété chez les filles. Nous attendons également des différences en fonction de l’âge des adolescents. Nous faisons également l’hypothèse d’une baisse de l’anxiété sociale en fin d’adolescence (Mallet et Rodriguez-Tomé, 1999). Bien que la variable âge ne soit pas directement mesurée dans notre étude, nous considérons que la fréquentation d’un collège ou d’un lycée en donne une estimation, certes imparfaite, mais fort utile pour notre étude. En France, le collège correspond à l’enseignement secondaire inférieur. Il accueille des élèves âgés généralement de 11 à 15 ans. Quant au lycée général ou professionnel, il correspond à l’enseignement secondaire supérieur. Il accueille les élèves de 15 à 18 ans. Enfin, nous attendons des différences en fonction du statut socioéconomique.

Le second objectif de notre étude consiste à étudier les liens entre les sous-dimensions de l’anxiété sociale et les sous-dimensions de l’estime de soi à l’adolescence. Même si, comme nous l’avons évoqué plus haut, la question n’est pas nouvelle et que quelques études ont déjà porté sur le sujet (p. ex., De Jong, 2002 ; Schroeder, 1995), la majorité de ces études sont anglo-saxonnes et la problématique mérite d’être posée dans un contexte francophone où, à notre connaissance, elle n’a jamais été traitée.

Méthode

Participants

La recherche a porté sur 177 élèves scolarisés en collège, en lycée général ou en lycée professionnel (respectivement 17 %, 43 % et 40 %). L’échantillon est constitué de 88 filles et de 89 garçons. L’âge moyen des élèves est de 16 ans et 3 mois. Le statut socioéconomique des élèves a été opérationnalisé à partir de la profession du père en référence à la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) proposée par l’Institut national de la statistique et des études économiques en France (INSEE, 2003). Les PCS ont été recodées en trois catégories : 1) milieu défavorisé (ouvriers, employés et retraités), 2) milieu moyen (agriculteurs exploitants, artisans, commerçants, chefs d’entreprise, professions intermédiaires) et 3) milieu favorisé (cadres et professions intellectuelles supérieures). Dans notre échantillon, 23 % des répondants appartiennent au milieu défavorisé, 39 % au milieu moyen et 38 % au milieu favorisé.

Mesures

Lors du premier contact avec les directeurs d’école et les enseignants, les objectifs de la recherche ont été présentés. Après obtention du consentement parental et de celui des adolescents, la passation collective s’est déroulée en classe. Les élèves ont rempli les deux questionnaires (anxiété et estime de soi) lors de la même séance. Ils ont également indiqué la profession du père. À l’issue de l’étude, les résultats ont été restitués aux adolescents qui l’ont souhaité.

Mesure de l’anxiété sociale

Pour mesurer l’anxiété sociale, nous avons utilisé le questionnaire de Mallet (2002). Ce dernier est composé de trois dimensions : 1) l’anxiété sociale concernant le public, 2) l’anxiété sociale concernant l’avenir et 3) l’anxiété sociale concernant la réputation. Chaque dimension comporte quatre items. Les répondants évaluaient selon une échelle de Likert en 5 points allant de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord ».

Une analyse factorielle confirmatoire a été effectuée sur les items de l’échelle de l’anxiété sociale. La taille de notre échantillon (n = 177) est suffisante pour effectuer ce type d’analyse (Jöreskog et Sörbom, 2004). Les résultats confirment bien l’existence de trois facteurs (voir Tableau 1). Le premier facteur renvoie à l’anxiété sociale concernant le public, le deuxième à l’anxiété sociale concernant l’avenir et le troisième à l’anxiété sociale quant à la réputation. Les indices d’adéquation en référence à Jöreskog et Sörbom (2004) ont des valeurs satisfaisantes (χ2 = 77,58 pour 51 degrés de liberté ; p = 0,01 ; RMSEA [résidus] = 0,05). Les coefficients de consistance interne des trois facteurs sont respectivement 0,74 ; 0,67 et 0,64. Même si les coefficients des deux dernières dimensions sont moyens, ils demeurent satisfaisants étant donné le faible nombre d’items par dimension. Par ailleurs, les corrélations entre les items et le score global de l’échelle sont acceptables (Hogan, 2007).

Tableau 1

Analyse factorielle confirmatoire sur les items de l’échelle d’anxiété sociale

Analyse factorielle confirmatoire sur les items de l’échelle d’anxiété sociale

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Mesure de l’estime de soi

L’estime de soi a été mesurée par la traduction française du Self-Perception Profile for Adolescents (SPPA ; Harter, 1988) réalisée par Bouffard et ses collègues (2002). Le Profil des perceptions de soi à l’adolescence (PPSA) mesure neuf dimensions de l’estime de soi (voir Annexe 1) :

  1. l’estime de soi scolaire, qui renvoie à la perception que l’adolescent a de sa compétence ou capacité pour la performance scolaire ;

  2. l’estime de soi sociale, qui évalue dans quelle mesure l’adolescent se sent accepté par ses pairs et s’estime populaire ;

  3. l’estime de soi athlétique, qui appréhende la perception que l’adolescent a de ses capacités et compétences sportives ;

  4. l’estime de soi corporelle, qui évalue dans quelle mesure l’adolescent est satisfait de son apparence, apprécie son corps et se sent attrayant physiquement ;

  5. l’estime de soi dans le domaine du travail, qui saisit comment l’adolescent estime ses habiletés pour les « petits emplois », se sent prêt à réussir dans ce type d’activités ;

  6. l’estime de soi sentimentale, qui cible la perception qu’a l’adolescent d’être attrayant sentimentalement pour ceux qui l’intéressent et de pouvoir sortir avec les partenaires avec qui il veut sortir ;

  7. l’estime de soi dans le domaine de la moralité, qui évalue dans quelle mesure l’adolescent apprécie la façon dont il se conduit, pense faire ce qu’il est bien de faire et pense agir comme il est censé agir ;

  8. l’estime de soi dans le domaine de l’amitié, qui appréhende la perception que l’adolescent a de ses capacités à se faire des amis intimes avec qui partager des pensées personnelles et des secrets ;

  9. l’estime de soi globale, qui saisit combien l’adolescent s’apprécie en tant que personne, est heureux de la façon dont il mène sa vie et est généralement satisfait de ce qu’il est.

Chaque dimension comporte cinq items. Chaque item est constitué de deux propositions antinomiques, par exemple : « Certains jeunes sont capables de se faire de vrais amis intimes MAIS d’autres jeunes trouvent difficile de se faire de vrais amis intimes ». Les participants répondaient en deux temps. Tout d’abord, ils sélectionnaient la proposition qui leur correspondait le mieux dans l’item. Ensuite, ils devaient nuancer leur réponse en choisissant entre deux choix de réponse : « un peu comme moi » ou « tout à fait comme moi ». Ainsi, quatre niveaux d’estime de soi sont obtenus et notés de 1 à 4.

Même si l’échelle a déjà été validée en langue française auprès d’élèves québécois (Bouffard et al., 2002), il est nécessaire d’examiner ses qualités psychométriques auprès d’un échantillon d’élèves français appartenant à un système éducatif au fonctionnement différent de celui de l’échantillon de validation. Ainsi, une analyse factorielle confirmatoire a été effectuée sur les items du PPSA (Jöreskog et Sörbom, 2004). Elle confirme bien l’existence de neuf facteurs d’estime de soi (voir Tableau 2) : 1) scolaire, 2) sociale, 3) athlétique, 4) corporelle, 5) travail, 6) sentimentale, 7) moralité, 8) amitiés profondes et 9) générale. Les indices d’adéquation ont des valeurs satisfaisantes (χ2 = 1746 pour 903 degrés de liberté ; p = 0,00 ; RMSEA [résidus] = 0,07). Les différents facteurs présentent des coefficients de consistance interne allant de 0,56 à 0,92 (voir Tableau 2). Globalement, ces indices sont satisfaisants, à l’exception du facteur « sentimentale », qui présente un coefficient plus faible que les autres. Toutefois, les corrélations entre les items et le score global de l’échelle demeurent acceptables (Hogan, 2007).

Tableau 2

Analyse factorielle confirmatoire sur les items du PPSA

Analyse factorielle confirmatoire sur les items du PPSA

Tableau 2 (suite)

Analyse factorielle confirmatoire sur les items du PPSA

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Résultats

Analyses corrélationnelles entre l’anxiété sociale et l’estime de soi

Le tableau 3 présente les corrélations entre les différentes variables de l’étude. L’anxiété sociale concernant le public présente une corrélation positive et significative avec l’anxiété sociale concernant l’avenir (r = 0,30 ; p < 0,01). Autrement dit, plus le score d’anxiété sociale de l’adolescent concernant le public s’élève, plus son score d’anxiété sociale envers l’avenir s’élève également. L’anxiété sociale concernant la réputation n’est pas corrélée significativement aux deux autres dimensions de l’anxiété sociale. Également, l’anxiété sociale concernant le public est corrélée négativement et de manière significative avec tous les facteurs d’estime de soi (les coefficients de corrélation varient de -0,16 à -0,47), à l’exception des facteurs du travail et de la moralité. L’anxiété sociale en rapport avec la réputation est corrélée négativement avec l’estime de soi concernant le travail (r = -0,16 ; < 0,05) et positivement avec l’estime de soi concernant les amitiés profondes (r = 0,17 ; p < 0,05). Enfin, l’anxiété sociale en rapport avec l’avenir est reliée négativement et de manière significative avec les facteurs d’estime de soi scolaire, sociale, amitiés profondes et générale (les coefficients de corrélation sont respectivement -0,31 ; -0,19 ; -0,18 et -0,27).

Tableau 3

Matrice de corrélations entre les variables de l’étude

Matrice de corrélations entre les variables de l’étude

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De même, l’estime de soi générale présente des corrélations positives et significatives avec tous les autres facteurs d’estime de soi (les coefficients de corrélation varient de 0,33 à 0,68 ; p < 0,01), à l’exception du facteur amitiés profondes. Par ailleurs, les facteurs d’estime de soi athlétique et corporelle sont fortement corrélés entre eux (r = 0,49 ; p < 0,01) ainsi qu’avec le facteur estime de soi générale (r = 0,68 pour l’estime de soi corporelle ; p < 0,01).

Analyses de régression

Effet des caractéristiques individuelles des élèves sur l’anxiété sociale

Afin d’examiner l’effet des caractéristiques individuelles des élèves sur l’anxiété sociale à l’adolescence, des analyses de régression multiple ont été réalisées. Dans ces analyses, on explique la variabilité des scores de la variable dépendante (ici, l’anxiété sociale) sous la forme d’une relation mathématique incluant l’ensemble des variables à objectiver dans l’analyse (ici, les caractéristiques individuelles des élèves : genre, statut socioéconomique et type d’établissement). La modélisation multivariée permet de mesurer l’effet spécifique de chacune des variables introduites dans les modèles, indépendamment des autres facteurs, c’est-à-dire « toutes choses égales par ailleurs ». Nos données répondent aux conditions d’application de ce type d’analyse (Bressoux, 2008).

Les différents modèles de régression multiple du tableau 4 présentent l’effet des caractéristiques individuelles des élèves sur les trois dimensions de l’anxiété sociale. Toutes choses égales par ailleurs, les résultats montrent que :

  1. les filles obtiennent des scores significativement plus élevés que les garçons en ce qui concerne l’anxiété sociale liée au public (β = 0,40 ; p = 0,01) et celle liée à l’avenir (β = 0,16 ; p = 0,05). En ce qui concerne l’anxiété sociale liée à la réputation, aucune différence n’est constatée entre les filles et les garçons ;

  2. la variable « statut socioéconomique » n’a pas d’effet sur l’anxiété sociale, et

  3. le type d’établissement fréquenté a un effet uniquement sur l’anxiété sociale liée au public. En effet, les élèves fréquentant le lycée général (β = -0,17 ; p = 0,05) ou le lycée professionnel (β = -0,20, p = 0,05) ont un score plus faible que ceux qui fréquentent le collège.

Nous retrouvons ici en partie les résultats de Mallet (2002), à savoir une plus grande anxiété sociale liée au public chez les collégiens par rapport aux lycéens. De même, nous retrouvons une plus forte anxiété sociale chez les filles que chez les garçons, aussi bien à l’âge du collège que du lycée. Cependant, ici, à la différence des résultats de Mallet, la plus grande anxiété des filles ne concerne pas toutes les dimensions de l’anxiété étudiées. Elle ne s’observe que sur deux des trois dimensions : l’anxiété par rapport à l’avenir et l’anxiété par rapport au public.

Tableau 4

Effet des caractéristiques individuelles des élèves sur l’anxiété sociale

Effet des caractéristiques individuelles des élèves sur l’anxiété sociale

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Effet des caractéristiques individuelles des élèves et de l’anxiété sociale sur l’estime de soi à l’adolescence

Les différents modèles de régression multiple du tableau 5 présentent l’effet des caractéristiques individuelles des élèves et de l’anxiété sociale sur l’estime de soi à l’adolescence. Toutes choses égales par ailleurs, tout d’abord, les filles obtiennent des scores significativement moins élevés que les garçons en ce qui concerne l’estime de soi athlétique (β = -0,18 ; p = 0,05), corporelle (β = -0,16 ; p = 0,05) et générale (β = -0,24 ; p = 0,01). Pour les autres facteurs d’estime de soi, nous ne constatons pas de différence entre les filles et les garçons. Ensuite, la variable « statut socioéconomique » n’influe pas sur les différents facteurs de l’estime de soi, à l’exception du facteur amitiés profondes, pour lequel les élèves de milieu défavorisé présentent un score plus élevé que ceux des milieux moyen (β = -0,20 ; p = 0,01) et favorisé (β = -0,19 ; p = 0,01). Enfin, l’établissement fréquenté a un effet uniquement sur quatre facteurs d’estime de soi : scolaire, sociale, athlétique et corporelle. Pour le facteur scolaire, les élèves de lycée général obtiennent des scores plus élevés que les autres (β = 0,24 ; p = 0,05). Pour les facteurs social et athlétique, les élèves de lycée général obtiennent des scores plus faibles que ceux du collège (β = -0,30 ; p = 0,01) et du lycée professionnel (β = -0,33 ; p = 0,01). Enfin, ce sont les élèves du lycée professionnel qui obtiennent le score le plus élevé pour le facteur d’estime de soi corporelle (β = 0,19 ; p = 0,01).

Examinons à présent l’effet des différentes dimensions de l’anxiété sociale sur les différents facteurs d’estime de soi selon le genre de l’élève, son statut socioéconomique et le type d’établissement qu’il fréquente. Tout d’abord, l’anxiété sociale liée au public a un effet négatif et significatif sur six facteurs d’estime de soi : sociale, athlétique, corporelle, sentimentale, amitiés profondes et générale. En effet, plus le score à l’anxiété sociale liée au public est élevé, moins l’estime de soi est élevée dans ces six facteurs (les coefficients β varient entre -0,16 et -0,39). Ensuite, l’anxiété sociale liée à la réputation a un effet positif uniquement sur l’estime de soi liée aux amitiés profondes (β = 0,23 ; p = 0,01). Enfin, l’anxiété sociale liée à l’avenir a un effet négatif sur cinq facteurs d’estime de soi : scolaire, travail, sentimentale, amitiés profondes et générale. En effet, plus le score de l’anxiété sociale liée à l’avenir est élevé, plus les scores dans les cinq facteurs sont faibles (les coefficients β varient entre -0,14 et -0,27).

Tableau 5

Effet des caractéristiques individuelles des élèves et de l’anxiété sociale sur l’estime de soi à l’adolescence

Effet des caractéristiques individuelles des élèves et de l’anxiété sociale sur l’estime de soi à l’adolescence

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Discussion

L’objectif de notre travail était double : d’une part, examiner l’influence de certaines caractéristiques individuelles des adolescents (genre, statut socioéconomique, type d’établissement fréquenté) sur leur niveau d’anxiété sociale et sur leur estime de soi ; d’autre part, examiner les liens entre l’anxiété et l’estime de soi à l’adolescence.

Concernant l’effet de la variable genre sur les scores d’anxiété sociale, nous observons que l’anxiété sociale des filles est significativement supérieure à celle des garçons dans deux des trois dimensions étudiées : celle relative au public et celle relative à l’avenir. Ce résultat corrobore en partie les travaux de Mallet et Rodriguez-Tomé (1999), qui ont montré une plus forte anxiété sociale chez les filles, quel que soit le facteur d’estime de soi. Pour expliquer la plus forte anxiété des filles relative à l’avenir, nous pouvons invoquer les travaux de sociologie qui montrent que, lorsqu’elles se projettent dans l’avenir et qu’elles élaborent des projets d’orientation, les filles prennent en compte non seulement des facteurs scolaires et professionnels, mais elles se déterminent également en fonction de futurs rôles sociaux qu’elles anticipent, notamment celui de future femme et de future mère (Duru-Bellat, 1990). Par ailleurs, la plus forte anxiété sociale des filles dans la dimension relative au public renvoie probablement en partie à « l’emprise du genre » (Löwy, 2006), notamment à la contrainte plus importante qui pèse sur les filles de se conformer aux normes d’apparence en vigueur. Nous pouvons rapprocher ce résultat de ceux observés concernant le lien entre genre et estime de soi. En effet, concernant l’estime de soi, les différences entre les filles et les garçons se situent dans les facteurs athlétique, corporelle et générale. Ces différences semblent donc être plus particulièrement liées à la question de la perception de son corps, qui est une question cruciale à la période de l’adolescence. Les travaux sociologiques consacrés au corps ont montré depuis longtemps que les usages du corps varient fortement en fonction du genre des individus et que ces différences se constituent depuis l’enfance (Détrez, 2002). À travers divers processus de socialisation, les filles et les garçons intériorisent des manières de percevoir et d’user de leur corps qui sont fondamentalement dissemblables (Court, 2010a). À l’âge de l’école primaire, ces différences s’observent de manière particulièrement nette dans deux domaines : le sport et le travail de l’apparence (Court, 2010b). Les filles sont plus nombreuses que les garçons à se soucier de leur apparence ; elles sont en revanche moins nombreuses à aimer les jeux sportifs et ce dernier écart se creuse à l’adolescence (Pagès-Delon, 1989 ; Davisse, 2006). L’entrée dans l’adolescence constitue une période pendant laquelle les prescriptions de genre sont plus fortes encore (Détrez, 2002). Les filles doivent alors apprendre à mettre en valeur leur corps sans être provocantes pour autant. D’une manière générale, les femmes sont soumises à une contrainte plus importante de se conformer aux normes d’apparence en vigueur, alors qu’il existerait plus de latitude pour dévier du modèle esthétique en vigueur pour les garçons et pour les hommes, qui sont moins soumis à la tyrannie de l’apparence. La pression évaluative est donc plus importante pour les adolescentes, qui sont invitées à porter une attention constante à leur apparence (Löwy, 2006).

Concernant les liens entre le type d’établissement fréquenté et les scores d’anxiété sociale, nous avons constaté que les élèves fréquentant le lycée (général ou professionnel) ont un score plus faible que ceux qui fréquentent le collège, mais uniquement pour l’anxiété concernant le public. Une explication plausible serait que les élèves avancés dans le cursus scolaire ont plus d’expérience du rapport au public que les plus jeunes. Ils acquièrent ainsi une meilleure aisance dans les interactions sociales. Nous pouvons relier ceci également à l’avancée dans l’adolescence. En effet, les élèves du lycée ont dépassé la phase critique de l’adolescence. En revanche, nous ne trouvons pas de différences entre collégiens et lycéens pour les deux autres dimensions de l’anxiété sociale (réputation et avenir). Ce résultat diffère de ceux de Vignoli et Mallet (2012), qui ont mis en évidence une augmentation au cours de l’adolescence de l’anxiété suscitée par l’avenir. Ces auteurs l’expliquent par la transition formation-emploi et toutes les phases d’orientation scolaire qui contraignent les adolescents à une réflexion sur eux-mêmes et à faire des bilans de leur scolarité.

Concernant le statut socioéconomique, nos résultats ne corroborent pas ceux de Vignoli et Mallet (2012), qui relatent un lien entre certaines dimensions de l’anxiété sociale et le statut socioéconomique. Dans notre échantillon, nous n’avons pas constaté de relation significative entre ces deux variables (anxiété sociale et statut socioéconomique). Cette absence de lien dans notre recherche pourrait s’expliquer par une forte variabilité intramilieu social liée à la construction de la variable « statut socioéconomique », opérationnalisée uniquement en trois catégories. Cependant, cette question demeure peu explorée dans la littérature. Les rares recherches existantes indiquent que l’anxiété serait plus fréquente chez les personnes de faible statut socioéconomique (p. ex., Gallo et Matthews, 2003). Le modèle théorique proposé par Conger et Donnellan (2007) permet d’expliquer comment les ressources économiques et culturelles influencent la vie des familles et des adolescents. En effet, les difficultés économiques induisent différents types de pression sur la famille et sur les adolescents qui peuvent être, entre autres, source d’anxiété.

Pour finir, nous avons constaté que l’anxiété sociale liée au public a un effet négatif sur six facteurs d’estime de soi : sociale, athlétique, corporelle, sentimentale, amitiés profondes et générale. Pour ces facteurs, l’adolescent fait face à un jugement, que ce soit devant un public ou auprès d’une personne investie affectivement. Nous avons constaté également que l’anxiété sociale liée à l’avenir a un effet négatif sur cinq facteurs d’estime de soi : scolaire, travail, sentimentale, amitiés profondes et générale. En effet, au début de l’adolescence se pose clairement la question de l’avenir à travers les questions d’orientation scolaire et/ou professionnelle. Une anxiété sociale liée à l’avenir élevée induit forcément une baisse d’estime de soi dans les facteurs scolaire et travail. Ces résultats corroborent ceux de Beck, Emery et Greenberg (1996) et ceux de Ginsburg, La Greca et Silverman (1998), qui ont montré que les individus socialement anxieux ont généralement une autoévaluation négative et une estime de soi faible. De même, le travail de Schroeder (1995) indique des corrélations négatives entre l’estime de soi et l’anxiété sociale. Plus récemment, Orgilés, Johnson, Huedo-Medina et Espada (2012) ont introduit l’estime de soi et l’anxiété sociale comme variables explicatives des performances scolaires des adolescents ayant des parents divorcés. Malheureusement, les auteurs n’explorent pas les relations entre les deux variables indépendantes.

Limites

Cette recherche comporte quelques limites qui incitent à considérer les résultats à titre provisoire, dans l’attente de confirmations ou d’infirmations ultérieures. Premièrement, à notre connaissance, les études ne permettent pas de conclure, par exemple, si c’est le manque d’estime de soi qui implique une anxiété sociale élevée, si c’est l’inverse ou si la relation est réciproque, ou encore s’il existe une cause commune aux deux phénomènes. Bien que le sens de la relation existant entre anxiété scolaire et estime de soi constitue un objet d’étude intéressant, le présent article n’a pas pour objectif de répondre à cette question, qui reste entière. Plus modestement, et à titre exploratoire, notre travail se contente de tester un modèle explicatif de l’estime de soi dans lequel l’anxiété joue le rôle de facteur contributif.

Deuxièmement, même si la taille de notre échantillon est importante, elle demeure insuffisante pour effectuer d’autres types d’analyse, notamment des comparaisons de modèles en fonction du genre ou de l’âge de l’élève.

Troisièmement, les pourcentages des variances expliquées dans les modèles sont faibles, ce qui signifie que d’autres variables explicatives peuvent être introduites dans les modèles, par exemple celles relatives au contexte de l’établissement scolaire.

Conclusion

Ce travail s’inscrit dans une approche développementale qui vise l’étude de l’anxiété sociale et de l’estime de soi au cours de l’adolescence (p. ex., Mallet, 2002 ; McCarroll et al., 2009 ; Van Zalk, Walter Van Zalk et Kerr, 2011 ; Zou et Abbott, 2012). L’approche multidimensionnelle adoptée pour conceptualiser et opérationnaliser ces deux notions a permis d’affiner les comparaisons intergroupes et de mettre en évidence d’importantes différences liées au genre dans certaines des dimensions de l’anxiété sociale et de l’estime de soi des adolescents.

Le recours à des analyses factorielles confirmatoires permet de consolider la validité structurale des deux échelles. Cependant, le grand intérêt de notre travail est de susciter de nouvelles interrogations et d’ouvrir sur d’autres travaux. Trois pistes de recherche nous semblent intéressantes.

Tout d’abord, il est important de rappeler que les relations entre l’anxiété sociale et l’estime de soi sont complexes. En effet, ces variables entretiennent entre elles des relations bidirectionnelles. Si nous avons fait dans ce travail le choix d’un schéma d’influence allant de l’anxiété sociale vers l’estime de soi, le schéma inverse est tout à fait envisageable sur le plan conceptuel.

Ensuite, il serait important de mettre en lien l’anxiété sociale, l’estime de soi et les performances scolaires, à l’instar du travail d’Orgilés et ses collègues (2012).

Enfin, les liens entre le statut socioéconomique et les deux concepts doivent être explorés plus amplement. Le recours à des méthodes statistiques (p. ex., régression multiple) permettant de contrôler un certain nombre de variables paraît nécessaire.