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Cet ouvrage était nécessaire pour faire le point sur la situation actuelle des études pèlerines au Québec. La quatrième de couverture est sans équivoque et mentionne que « le dernier tour d’horizon sur la question a été publié il y a 40 ans, en 1981 ». Pour actualiser les connaissances de la recherche sur le pèlerinage, les auteurs ont organisé un colloque thématique de deux jours intitulé « Les études pèlerines québécoises : où en sommes-nous depuis 1976 ? », lors du 1er congrès biennal de la Société québécoise pour l’étude de la religion, tenu en ligne — Covid oblige — les 22 et 23 avril 2021. Ce livre en constitue les actes.

Éric Laliberté et Michel O’Neill sont les directeurs de cet ouvrage. Laliberté est doctorant en théologie à l’Université Laval, où il se spécialise en études pèlerines en plus d’être intervenant dans le milieu pèlerin. O’Neill, quant à lui, est un sociologue et professeur émérite de l’Université Laval qui a déjà abordé auparavant le fait religieux alors qu’il s’intéresse à l’évolution des communautés religieuses et le pèlerinage.

Le collectif se compose de dix-sept textes divisés en trois parties. Tous tentent de répondre à la question centrale : où se situent la recherche et la pratique sur le pèlerinage en 2021 ? La première partie, intitulée « Les études pèlerines : éléments du contexte national et international », regroupe cinq textes qui font un tour d’horizon du contexte actuel des études pèlerines d’ici et d’ailleurs. La deuxième partie, « Études pèlerines québécoises », rassemble sept articles présentant des travaux universitaires récents. Enfin, la troisième partie, « Pratiques pèlerines québécoises », présente en cinq articles différents aspects de la pratique pèlerine.

L’introduction évoque l’évolution sémantique du terme « pèlerinage ». S’il garde son sens originel d’un déplacement d’une personne vers un lieu sacré, il se charge dorénavant de tout déplacement à la poursuite d’un idéal. Ainsi, au côté des pèlerinages religieux retrouve-t-on désormais des pèlerinages séculiers aussi multiples que diversifiés.

Guy Laperrière ouvre de belle façon la série d’articles en faisant le pont entre le colloque de 1976, auquel il a participé, et le colloque de 2021. Dans son article, il présente de son point de vue les changements dans le champ d’études du pèlerinage depuis quarante ans. De son côté, George Greenia, fondateur de l’Institut de Pilgrimage Studies de l’Université William & Mary, présente la situation des études pèlerines dans le monde. La journaliste française Fabienne Bodan présente quant à elle une succession de pèlerinages existant dans différentes parties du monde. Il appert que plusieurs d’entre eux ont pris comme modèle le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Éric Laliberté réfléchit au « paradigme Compostelle » et tente de dégager du modèle de Compostelle l’esprit, la manière de penser et de dire l’expérience pèlerine. Dans son article, Michel O’Neill situe la marche pèlerine québécoise dans le phénomène pèlerin depuis 1989. Pour s’écarter d’une conception uniquement religieuse, O’Neill utilise le terme de « marche pèlerine » au lieu de pèlerinage.

La deuxième partie s’ouvre avec l’article de l’anthropologue Suzanne Boutin. Elle parle de la frilosité qu’elle a rencontrée autant au niveau des pèlerins, des organisateurs et du milieu universitaire à propos de ses travaux. Le théologien André Brouillette aborde quatre axes de recherche qui motivent ses travaux. D’abord, le thème du pèlerinage chez Ignace de Loyola puis celui de l’élaboration d’une théologie du pèlerinage sont des avenues riches en perspectives. De son côté, Matthew R. Anderson traite de la territorialité du pèlerinage et de son utilisation comme procédé de décolonisation. Roger Parent parle dans son article de la conception de son documentaire, De Sherbrooke à Brooks, qui présente un corridor migratoire méconnu entre la ville de Sherbrooke, au Québec, et la municipalité de Brooks, en Alberta. Dans sa contribution, Karine Boivin, professeure-chercheure au Département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières, aborde le programme de recherche qu’elle a mis en place sur les changements physiologiques et biomécaniques chez les personnes qui marchent au long cours. Martin Bellerose, professeur à l’École de théologie évangélique du Québec, se penche sur les sources du terme « pèlerin » et sur l’importance de l’hospitalité dans celui-ci. Le dernier texte de la deuxième partie, celui de Mathieu Boisvert, professeur au Département de sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal, s’intéresse aux pèlerinages hindous. Il montre comment ceux-ci participent à des réseaux sémantiques qui construisent un imaginaire national permettant de baliser le territoire indien.

L’ancien recteur du sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, Mgr Pierre-Olivier Tremblay, entame la troisième partie en proposant de réfléchir à la manière dont le sanctuaire peut constituer un acteur dans la dynamique pèlerine. L’anthropologue Jean-Marc Darveau présente l’évolution de l’Association du Québec à Compostelle depuis sa création le 28 octobre 2000. Il en retient la mutation de la démarche pèlerine notamment au niveau de la durée passée sur le Chemin et les intentions qui motivent le pèlerin ou la pèlerine. Lisette Maillé, mairesse de la municipalité d’Austin en Estrie, retrace la création du Circuit, un itinéraire pèlerin qui traverse huit municipalités de la MRC de Memphrémagog et fait le bilan des trois premières années d’existence du projet. Le directeur adjoint et responsable des programmes de Rando Québec, Grégory Flayol, aborde le rôle joué par l’organisme Rando Québec dans l’encadrement de la marche de longue durée au Québec. Enfin, Dominic Leclerc, cinéaste, et Alexandre Castonguay, acteur, livrent un texte en duo qui réfléchit sur l’aspect artistique du pèlerinage avec, comme trame de fond, le film Alex marche à l’amour, réalisé par Leclerc en 2013.

Dans la conclusion, Éric Laliberté et Michel O’Neill nuancent le postulat de départ. Il n’y a pas eu un désert aussi aride qu’anticipé entre le colloque de 1976 et celui de 2021. La diversité disciplinaire — aussi étonnante soit-elle de prime abord — correspond à la manière dont sont menées les études pèlerines dans le monde et montre, surtout, que le phénomène pèlerin ne peut se réfléchir de manière exclusive. Ils remarquent, enfin, que les études pèlerines au Québec francophone ont évolué en vase clos lorsque comparées aux études pèlerines effectuées au Canada anglais.

Malgré quelques coquilles, dont une dans le nom de l’auteur signant la préface — Jean-Philippe Perreault et non Jean-Pierre —, l’ouvrage pose une solide base pour qui veut s’initier à ce qui se fait en études pèlerines québécoises à l’heure actuelle. C’est aussi — et on le comprend aisément à travers le choix des textes — le premier jalon d’un Chemin intellectuel qui s’annonce particulièrement stimulant. L’exigence éditoriale d’inclure les raisons qui mènent les auteurs à étudier le pèlerinage ouvre une fenêtre rarement ouverte sur les intérêts qui mènent — consciemment ou non — les chercheurs vers des thématiques de recherche.