Résumés
Résumé
Cet article commence par une discussion sur l’approche tautégorique que C.G. Jung a du symbole, et particulièrement de l’anima, la composante féminine inconsciente de la psyché d’un homme. L’auteur examine ensuite l’anima en considérant les critères que donne P. Tillich pour évaluer les symboles religieux. Le but recherché est de montrer que la prise en compte de l’anima dans la théologie de P. Tillich est susceptible d’enrichir l’approche que ce théologien a du processus de sanctification. L’accent est mis sur la possibilité, pour un homme, de développer son lien avec la « puissance d’être » en laissant son anima enrichir sa personnalité. D’un point de vue psychologique cela suppose pour le sujet une prise de conscience de son masque social, la persona, afin de permettre à sa part féminine de se dévoiler.
Abstract
This paper begins with a discussion of C.G. Jung’s tautegorical approach to the symbol, and particularly the anima, the unconscious female component of a man’s psyche. The author then examines the anima by considering the criteria given by P. Tillich to evaluate religious symbols. The aim is to show that the consideration of anima in Tillich’s theology is likely to enrich this theologian’s approach to the process of sanctification. The emphasis is on the possibility for a man to develop his link with the “power of being” by allowing his anima to enrich his personality. From a psychological point of view, this implies for the subject an awareness of his social mask, the persona, in order to allow his feminine part to reveal itself.
Corps de l’article
Introduction
Le symbole sexuel est un élément important du phénomène religieux et souvent sujet à controverse, nous en proposons ici une approche psychologique dans le cadre de la théologie de la sanctification de Paul Tillich[1]. Nous voudrions ainsi contribuer à prolonger la théologie de Tillich dans le cadre dont il a esquissé les contours et qu’il nomme la « religion de l’Esprit concret[2] ». Le terme « concret » se rapportant dans cette expression aux symboles sacramentels, notre projet est de montrer qu’une approche jungienne du symbole sexuel peut compléter et enrichir, de façon cohérente avec sa théologie, les symboles chrétiens mis en avant par Tillich. Se focalisant pour cet article sur le symbole sexuel féminin[3], nous aborderons l’une des principales composantes psychiques du modèle de la psyché du psychanalyste Carl Gustav Jung, l’anima, le nom que Jung donne à la part féminine inconsciente, l’« âme[4] » de la psyché masculine[5]. Nous allons ainsi chercher à montrer que la compatibilité entre l’anima et la conception tillichienne du symbole permet l’enrichissement du processus de sanctification tillichien par celui de l’« intégration » de l’anima, dans la perspective de la réalisation de soi, que Jung nomme l’individuation[6].
Nous commencerons pour cela par nous interroger sur la conception tautégorique du symbole jungien, puis nous présenterons l’anima dans cette perspective. Dans un troisième temps, nous examinerons l’anima en considérant les principales caractéristiques du symbole pour Tillich. Nous pourrons alors, en nous appuyant sur les critères de Tillich pour qui certains symboles sont meilleurs que d’autres, discuter de la pertinence du symbole de l’anima pour enrichir le processus de sanctification[7].
I. L’aspect tautégorique du symbole chez Tillich et Jung
Nous nous proposons ici d’étudier la proximité des approches jungienne et tillichienne du symbole en abordant le symbole sous l’angle de sa dimension tautégorique[8]. En effet, il s’agit d’une caractéristique essentielle du symbole tillichien[9].
À propos du mythe, Schelling définit la tautégorie (qui renvoie au même), par opposition à l’allégorie (qui renvoie à un autre), de la façon suivante :
Toute la distance de la phantaisie grecque par rapport à l’allégorique apparaît surtout dans le fait que même les personnifications que l’on pourrait à première vue tenir pour des êtres allégoriques […] sont traitées non pas simplement comme des êtres qui doivent signifier quelque chose, mais comme des êtres réels, qui sont en même temps ce qu’ils signifient[10].
Jung distingue très explicitement le signe, relevant de l’allégorie, du symbole[11] ; mais essayons d’aller un peu plus loin pour justifier que son approche des symboles correspond à la tautégorie en abordant la question de trois manières différentes en distinguant l’approche freudienne du symbole de son approche jungienne. Dans ce qui suit nous considérons que les rêves, pour Tillich, peuvent être un « médium de révélation[12] ».
1. Extérieur/intérieur
En premier lieu, Jung distingue l’interprétation des rêves sur le plan de l’objet, de leur interprétation sur le plan du sujet. La première se rapporte à des personnes ou situations objectivement réelles, par exemple la figure de l’épouse d’un rêveur dans un rêve donne une information sur l’image (imago) qu’il s’en fait. Ainsi, l’image n’est pas identique à l’objet et il est essentiel d’y voir une expression du rapport que le sujet a avec lui. La deuxième interprétation ramène « les personnages ou les situations à des facteurs subjectifs, appartenant exclusivement à la psyché du sujet[13] », par exemple une femme inconnue ou avec laquelle les liens affectifs sont peu intenses peut s’interpréter comme une image[14] de la partie féminine inconsciente de la psyché du rêveur[15]. Pour Jung, l’interprétation sur le plan du sujet « permet d’approfondir la compréhension d’oeuvres littéraires dans lesquelles chaque personnage représente des complexes fonctionnels relativement autonomes dans l’âme [psyché[16]] de l’écrivain[17] ». Ainsi, l’interprétation d’un rêve sur le plan du sujet se rapporte au sujet lui-même sans se rapporter à un élément « autre », extérieur, comme dans l’allégorie. On peut qualifier cette distinction de « spatiale » (extérieur/intérieur), mais une autre polarité est aussi essentielle chez Jung, abordons maintenant la question sous un angle que l’on pourrait qualifier de « temporel » (passé/futur).
2. Passé/futur
Une caractéristique importante des symboles du point de vue du processus de réalisation de soi pour Jung et Tillich correspond à sa dimension prospective, par opposition à sa dimension réductive. Il s’agit en effet pour Jung de deux pôles interprétatifs en tension, qu’il convient de considérer tous les deux dans l’analyse des rêves[18]. En effet l’interprétation des rêves pour Jung est non seulement réductive, « archéologique » comme pour Freud, mais aussi constructive, prospective. Or Jung associe l’interprétation réductive d’un rêve au caractère allégorique[19] du « signe » ou « symptôme » et limite l’usage du mot symbole à ce qui correspond à l’interprétation constructive d’un rêve. Il écrit :
La méthode constructive cherche […] à établir le sens du produit inconscient pour l’attitude future du sujet. Or l’inconscient ne pouvant, dans la règle, créer que des expressions symboliques, elle [la méthode constructive] sert à élucider le sens de ces expressions de telle sorte qu’on puisse en tirer une indication qui mettrait la conscience dans la bonne voie ; elle procure donc au sujet cet accord avec l’inconscient dont il a besoin pour agir[20].
Un élément essentiel du symbole chez Jung est ainsi, par sa fonction, que Jung qualifie de « transcendante », de faire pressentir au sujet une possibilité de « troisième voie[21] ». Cette voie est inconnue[22] du sujet et peut lui permettre de sortir d’une opposition entre deux attitudes psychiques opposées. Jung écrit à ce propos : « […] “transcendant” ici n’a rien de métaphysique ; ce terme veut exprimer simplement la transition opérée par cette fonction d’une attitude à une autre. La matière première façonnée par la thèse et l’antithèse, et qui réunit dans son processus formatif les opposés est le symbole vivant[23] ». Le devenir possible du sujet, essentiellement inconnu, vers lequel pointe le symbole dans la dimension prospective que Jung en a, correspond, chez Tillich, à l’aboutissement du processus de sanctification : l’« identité du soi essentiel rayonnant dans les contingences du soi existant[24] ».
On peut alors considérer que les symboles de la fonction « transcendante » tels que les décrit Jung visent « une altérité radicale, quelque chose ou quelqu’un qui […] est dans le monde sans être du monde », ce qui est aussi une caractéristique de la tautégorie[25]. C’est aussi ce qu’exprime Gabriel Marcel en considérant l’« objet » et l’« idée » en lien avec la distinction entre le fini et l’infini : il n’y a pas identité entre les deux[26]. Dans cette perspective, l’altérité dans le processus d’individuation correspond au « devenir soi-même », un horizon indéterminé. Le symbole jungien peut ainsi être considéré comme tautégorique dans la mesure où l’être en devenir du sujet correspond à une altérité. Ainsi, l’image onirique — empruntée par l’inconscient au monde fini — porte, révèle le « devenir soi-même » du sujet, mais elle ne s’y identifie pas. Pour l’exprimer en termes tillichiens, on peut considérer que le « devenir soi-même » du sujet est la profondeur de l’image qui le porte.
Mais ce point de vue peut sembler discutable au regard de la caractéristique de la tautégorie indiquée dans la citation ci-dessus : il peut être délicat d’associer un « devenir soi-même » à une altérité tout à fait radicale, correspondant à un « infini », car il s’agit tout de même de « soi ». Approfondissons cette question. Pour Tillich, le processus de sanctification est un chemin vers la réalisation de l’« Être Nouveau » par « participation au sacré », ce que Tillich appelle l’acte d’autotranscendance dirigé vers l’ultime[27]. La puissance de vie en Dieu qui guide le processus de sanctification correspond à un « infini » siégeant au plus intime du sujet, donc immanent, et non pas à l’extérieur comme l’est un Dieu théiste. De plus, l’horizon du « devenir soi-même » est indissociable de Dieu lui-même. L’altérité radicale évoquée dans la citation relevée plus haut peut se comprendre ainsi pour le théologien Tillich. Mais qu’en est-il de Jung ? Pour ce psychologue, c’est le Soi, dans sa fonction de régulation du psychisme, qui conduit le processus de l’individuation et peut correspondre à l’altérité, à la « profondeur » du « devenir soi-même[28] ». Ainsi, le symbolisé, pour Jung, d’une figure anticipatrice de notre devenir résulte de l’action du Soi, à propos duquel il écrit : « Intellectuellement, le Soi n’est qu’un concept psychologique, une construction qui doit exprimer une entité qui nous demeure inconnaissable, une essence qu’il ne nous est pas donné de saisir parce qu’elle dépasse […] nos possibilités de compréhension[29] ». Il y a bien, là aussi, chez ce psychologue, une altérité radicale dans la mesure où la figure anticipatrice du « devenir soi-même » est aussi une expression du Soi.
En fait, à la fois chez Jung et Tillich, il y a une certaine « identité » entre, chez Tillich, le sujet en extase, en devenir « soi », et Dieu[30] et, chez Jung, entre la figure anticipatrice de l’évolution du sujet et le « Soi ».
Dans cette perspective, la « profondeur » des deux dualités extérieur/intérieur à la psyché du sujet et passé/futur du sujet peuvent s’exprimer de manière théologique en dualité transcendance/immanence.
3. Réflexion/intuition
La tautégorie chez Jung pourrait être appréhendée d’une autre manière, plus « pragmatique », correspondant à une tension dans la manière d’interpréter un rêve entre un pôle « intellectuel » et un autre qui relèverait de l’intuition. Dans une perspective freudienne, on peut « décoder » certains signes pour, à l’aide de la réflexion, parvenir à une expression mieux appropriée, non censurée, du désir sexuel refoulé. Une certaine réflexion, dans une cure analytique jungienne, est bien évidemment nécessaire, mais la prise de conscience réelle, la plupart du temps, ne se limite absolument pas à la compréhension intellectuelle, qui est souvent insuffisante[31]. En fait, comme l’exprime Marc Girard, par opposition à l’allégorie relevant de la « raison réflexive[32] », le symbole relève de l’intuition : « Dans le cas du symbole, au contraire, on évoque une réalité ‟indicible”, impossible à approcher et à exprimer par d’autres voies[33] ». Pour Jung, seul l’inconscient peut susciter des symboles. Dans son approche, il ne s’agit pas tant de « décoder » le symbole que de se laisser « saisir » par l’image reçue dans le rêve. La « compréhension » d’un rêve au sens d’indication pour une évolution intérieure (interprétation prospective) ne provient pas d’abord d’une conceptualisation intellectuelle mais d’une intuition qui n’est pas dicible. En ce sens, le symbolisant, l’image apparaissant dans certains rêves, par la puissance de son impact sur la conscience[34], ne se rapporte à rien d’autre qu’à lui-même, à aucun concept que l’on pourrait formuler intellectuellement. Pour reprendre les mots de Schelling, on pourrait considérer que le symbolisant est en même temps ce qu’il signifie. Aucune autre expression, même dans des concepts intellectuels très raffinés, ne pourrait mieux convenir que cette image, produite spécifiquement pour le sujet par son inconscient[35].
II. L’anima dans le processus d’individuation
Le symbole de l’anima est essentiel dans le modèle de la psyché de Jung, abordons-le dans la perspective de sa dimension tautégorique à la lumière de ce que nous venons de présenter.
Pour Jung, l’âme, qu’il nomme aussi l’anima, ne doit pas être confondue avec la psyché qui correspond à « la totalité des processus psychiques, conscients et inconscients » ; l’âme, au contraire, est un « complexe délimité de fonctions nettement déterminées[36] ». L’âme, correspondant à l’« attitude interne[37] », est complémentaire[38] de la persona, complexe fonctionnel qui correspond à l’attitude en société. Jung donne l’exemple d’un homme impitoyable qui a brisé l’existence de ses proches mais est capable d’interrompre un important voyage d’affaires « pour jouir de la beauté de l’orée d’un bois qu’il a remarquée du wagon[39] ». Pour illustrer la complémentarité entre la persona et l’anima, il écrit un peu plus loin,
la persona est-elle intellectuelle ? l’anima sera infailliblement sentimentale. Ce caractère complémentaire affecte aussi le sexe du sujet : j’ai maintes fois pu constater que plus les dehors de la femme sont féminins, plus son âme [l’animus] est virile et vice versa ; plus l’extérieur de l’homme est viril, plus son anima, à lui, est féminine. […] On peut toujours, pour ce qui concerne les qualités généralement humaines, conclure du caractère de la persona au caractère de l’âme. Tout ce qui devrait normalement faire partie de l’attitude externe, mais y fait défaut, se trouve infailliblement dans l’attitude interne[40].
Le processus d’individuation suppose la différenciation du sujet d’avec sa persona, ce qui est très difficile[41], et la prise de conscience des germes de sa propre individualité que porte son âme[42]. Ainsi, dans le symbole de la grossesse de l’anima, l’enfant à naître, « c’est l’individualité encore inconsciente[43] », ce qui fait écho à la naissance du héros. L’âme « emprunte les traits archaïques de l’inconscient mais aussi son caractère symbolique et prospectif. De là l’aspect divinatoire de l’attitude interne, son aspect “créateur”[44] ». Si le sujet s’identifie à sa persona, il sera livré aux processus internes et oscillera d’un extrême à l’autre. En effet, l’âme, si elle demeure inconsciente, est projetée sur un objet convenable avec lequel le sujet entretient « de tragiques attachements[45] ».
En général, pour les hommes, l’âme est représentée par l’inconscient sous la figure d’une femme[46]. Lorsque l’âme d’un homme demeure inconsciente, ce qui correspond au cas où le sujet s’identifie en toute inconscience à sa persona, elle peut être projetée « sur une personne réelle qui devient l’objet d’un amour intense ou d’une haine tout aussi violente (parfois aussi de frayeur)[47] ». Cela évoque le thème de la femme fatale dont, par exemple, le célèbre film L’ange bleu est une illustration marquante. Dans ce film, l’anima du professeur très conservateur et rigide, projetée sur une chanteuse de cabaret, est en effet à l’extrême opposé de sa persona et le conduit irrémédiablement, dans son inconscience, à la déchéance puis à la mort[48]. Si le sujet avait conscience de son anima, il pourrait la distinguer de l’objet, ce qui lui éviterait l’influence néfaste de cet objet causé par « la projection sur lui de l’image de l’âme[49] ».
Pour l’exprimer de façon très synthétique, la persona permet de s’adapter au monde extérieur et l’anima, pour un homme, au monde intérieur inconscient. Nous avons surtout évoqué, comme le fait Jung, le cas d’hommes bien adaptés à leur milieu socioprofessionnel mais inconscients de leur anima et en prise avec leurs difficultés intérieures. Il faut aussi signaler qu’un homme dépourvu d’une persona assez solide, tout en étant familier de son anima, n’en a pas moins de difficultés. En effet l’homme qui a une persona brillante est « enfantin et désarmé en face de l’anima », mais celui dont la persona est trop peu développée l’est tout autant avec le monde ; Jung compare ces hommes à « des enfants touchants[50] ».
Enfin il convient, pour compléter cette brève présentation de l’anima, de souligner qu’elle n’est pas figée et que son développement, sa spiritualisation, est liée à celle de la réalisation psychique du sujet, son avancée dans le processus d’individuation. Ainsi, Jung distingue différents niveaux de développement de l’anima au cours du développement psychique du sujet :
L’antiquité tardive connaissait déjà la fameuse échelle des quatre : Chawwa (Eve[51]), Hélène (de Troie), Marie et Sophia. Cette série se retrouve de façon allusive dans le Faust de Goethe : on y rencontre d’abord Marguerite, personnification d’une relation d’ordre purement instinctuel (Eve) ; puis Hélène […] ; ensuite Marie, en tant que personnification de la relation céleste, c’est-à-dire religieuse et chrétienne ; enfin l’Eternel Féminin (Sophia), expression qui désigne la Sapientia alchimique. Comme le choix des noms le montre, il s’agit ici de quatre degrés de l’éros hétérosexuel, voire de quatre niveaux de l’image de l’anima, donc de quatre stades de la culture de l’éros. Le premier stade, celui de Chawwa, Eve[52], la terre, est uniquement biologique […]. Le deuxième stade correspond à un éros à prédominance encore sexuelle, mais de caractère esthétique et romantique […]. Le troisième stade élève l’éros à la vénération la plus haute et à la dévotion religieuse, et ainsi la spiritualise. Contrairement à Chawwa, il s’agit ici de maternité spirituelle. Le quatrième degré enfin éclaire un aspect qui, de façon inattendue, va plus loin encore que le troisième stable, pourtant difficilement surpassable : c’est la Sapientia […]. Ce degré représente une spiritualisation d’Hélène, c’est-à-dire de l’éros pur et simple. C’est pourquoi la Sapientia est mise dans un certain parallèle avec la Sulamite du Cantique des Cantiques[53].
De manière très générale l’intégration de l’anima, processus essentiel de l’individuation réalisée par le Soi[54], permet de remettre en question le masque social et par conséquent de s’en affranchir[55]. Cet aspect du processus d’individuation fait écho à l’un des quatre éléments du processus de sanctification tillichien, la « liberté spirituelle ». En effet Tillich la considère comme « une libération croissante à l’égard de la loi » et souligne qu’elle permet de résister aux forces qui, provenant de l’environnement social, essayent de détruire cette liberté[56].
Reprenons maintenant les trois éléments de la tautégorie que nous avons relevés précédemment. Concernant la dualité intérieur/extérieur, il apparaît clairement que l’anima concerne l’intériorité du sujet. Il convient ainsi, surtout quand la figure de l’anima est celle d’une femme inconnue, de recourir à l’interprétation du rêve sur le plan du sujet. À propos de la dualité passé/futur, certaines figures d’anima peuvent aussi renvoyer à un devenir possible de la part féminine du sujet. Si l’on aborde la « profondeur » théologique de ces deux dualités en termes de transcendance et d’immanence, la fonction de guide de l’anima vers la « réalisation de soi » apparaît « immanente ». Enfin, concernant la tension entre une approche intellectuelle de l’interprétation d’un rêve et une approche intuitive, l’effet bénéfique d’un rêve d’anima, comme dans le sentiment amoureux, ne se réduit pas, pour le moins, à des considérations intellectuelles sur cette figure symbolique. L’impact d’un tel rêve (ou d’une relation amoureuse) peut être très important pour le développement psychique du sujet quand bien même le rêveur ne peut pas le conceptualiser, l’interpréter intellectuellement.
III. L’anima peut-elle être considérée comme un symbole tillichien ?
Nous avons montré que Jung a une approche tautégorique du symbole au sens où l’on peut le comprendre pour le symbole tillichien. Nous considérons en conséquence que le symbole jungien est, au moins d’un point de vue général, compatible avec la théologie de Tillich. Nous avons ensuite rappelé l’importance de l’anima dans le processus d’individuation et avons souligné le caractère tautégorique de ce symbole. Il nous reste maintenant à considérer de manière plus détaillée différents critères du symbole religieux pour Tillich et de les discuter spécifiquement pour l’anima dans la perspective de l’enrichissement possible de l’intégration de l’anima pour le processus de sanctification. Or ce processus correspond à l’épanouissement de la puissance d’être, élément central de la théologie de Tillich ; nous y accorderons donc une place déterminante. Pour ce qui suit, nous retenons les critères tillichiens rassemblés par André Gounelle dans « Les critères du symbole religieux[57] ».
1. Le symbolisant renvoie au symbolisé
Le symbole tillichien renvoie à autre chose que lui-même, il vise le fondement de l’Être, « Dieu », la puissance d’être. Nous avons déjà discuté de cet aspect du symbole de manière générale à propos de la tautégorie, faisons maintenant spécifiquement le lien avec l’anima. Ce lien est essentiel. En effet la puissance d’être, concept fondamental dans toute la théologie de Tillich, a des consonances avec la libido[58] jungienne, l’énergie psychique. Pour Tillich, tout étant renvoie à la puissance d’être qui l’anime[59]. Or l’anima, selon Jung, est un complexe autonome bien réel[60], dans la mesure où il peut être très marquant dans les rêves les plus intimes, car sa projection peut libérer une énergie formidable dans la passion amoureuse.
Cet aspect de l’anima apparaît clairement dans un texte de Jung sur la « relativité de Dieu chez Maître Eckhart[61] ». Notre propos n’est pas de discuter de la pertinence ou non de la lecture que Jung fait de Maître Eckhart, mais de décrire l’approche que Jung a de l’énergie psychique associée à l’anima. Cette « dynamis appelée Dieu, la libido[62] » est souvent projetée sur des « objets » extérieurs, tels que des fétiches chez les primitifs[63] ou le Dieu du théisme[64]. Ainsi, Jung écrit : « Lorsque la libido-Dieu, c’est-à-dire la projection de la survaleur est reconnue comme telle et que par cette connaissance les objets perdent en importance, alors celui-ci est considéré comme appartenant à l’individu : d’où une élévation du sentiment vital […]. Le Dieu, la plus haute intensité de vie, se trouve alors dans l’âme dans l’inconscient[65]. » Cette énergie psychique réside en l’âme, l’anima, principalement inconsciente, du moins lors des premières phases du développement psychique, chez l’enfant, ou chez les « primitifs ». Jung appelle par ailleurs cet état « participation mystique », qui correspond à un état paradisiaque[66]. C’est en l’âme, la personnification de l’inconscient, du sujet que réside le « trésor du royaume de Dieu », la « perle rare[67] ». L’âme réfléchit la « force déterminante qui agit de ces profondeurs [de l’inconscient] (Dieu) ». L’âme crée des symboles, des images, qui permettent de transférer les forces de l’inconscient à la conscience. Elle est ainsi « vase, médiatrice, organe de perception des contenus inconscients. Elle perçoit des symboles[68] ». Ces images engendrées par l’âme peuvent être utilisées dans l’art, la spéculation philosophique et la spéculation quasi religieuse « qui mène à l’hérésie et à la fondation de sectes ». Les forces qui sont « incluses » dans ces images peuvent aussi conduire, si elles ne sont pas assez « travaillées », à « des excès de toute sorte », par exemple dans certaines formes d’ascétisme. La prise de conscience de ces images est importante pour que le sujet ait une attitude adaptée face à ses forces inconscientes, notamment dans le processus d’individuation : « […] la libido, auparavant sombrée dans l’inconscient, réapparaît sous forme de travail positif. Elle correspond à un vrai retour à une vie nouvelle. C’est le symbole de la naissance de Dieu[69] ». D’un point de vue existentiel il y a un lien important entre le bonheur qu’associe Jung à cette renaissance et la joie que Tillich associe au cheminement vers l’accomplissement de soi[70].
Jung évoque la « conversion » d’Hermas évoquée dans le « Pasteur » qui, après avoir été follement amoureux de son ancienne maîtresse, Rhoda (projection de son anima sur Rhoda dans la perspective jungienne), qu’il divinisait, parvient à retirer cette projection et « transférer » cette énergie « vers la tâche sociale[71] » qui fut la sienne. Ainsi, l’âme, la « femme-maîtresse […] prend sur elle, en tant que “vase de méditation”, cette passion sur le point de se gaspiller inutilement en l’objet[72] ». Son anima, figurant l’Église, le guide alors dans la conduite qu’il va tenir, manifestement avec succès : Hermas eut en effet un rôle important dans l’Église des premiers siècles. Jung fait le lien entre cette « spiritualisation de l’érotisme par le service de la dame » à celle qui correspond à « la légende du Graal, si caractéristique du Moyen Âge[73] » et s’engage dans une discussion sur le symbole qui vit de la retenue de certaines formes de libido. Pour Jung, la destruction du symbole provoque la lancée d’un courant de libido sur la voie directe. Seul un symbole vivant peut écarter ce danger. Il écrit alors : « Un symbole perd sa force […] ou si l’on veut sa puissance salutaire dès qu’on a reconnu qu’on peut le résoudre. » Pour Jung, le symbole vivant ne peut pas être compris et détruit par l’intellect critique et « sa forme esthétique doit attirer l’adhésion du sentiment[74] ». Jung aborde alors la question du service de la Dame et de Marie et écrit :
Le christianisme commun officiel a une fois de plus absorbé les éléments gnostiques exprimés dans la psychologie du service de la Dame et leur a trouvé une place dans la vénération accrue de Marie. […] Cette assimilation au symbole chrétien ordinaire eut pour premier effet d’étouffer la culture spirituelle de l’homme, en germe dans le service d’amour. Son âme, qui s’exprimait par l’image de la maîtresse élue, perdit son expression individuelle en passant dans le symbole commun. En même temps disparaissait la possibilité de différenciation individuelle ; l’expression collective la refoulait[75].
En conséquence de ce remplacement de l’expression individuelle de l’âme par une expression collective, le sujet s’est trouvé privé de la « valeur[76] » qui est alors devenue inconsciente. Tous les aspects positifs et spirituels de l’image intérieure de la femme étant rassemblés sur la figure collective de Marie les images inconscientes de l’âme se sont, par compensation, chargées de traits démoniaques, se projetant aisément sur certaines femmes, les « sorcières[77] ». À l’inverse de la « psychologie érotique du Cantique des cantiques » qui permet « d’augmenter la valeur » des images éveillées dans le sujet, la « psychologie d’Église, au contraire, les utilise pour orienter la libido sur l’objet figuré[78] ».
Dans un autre ouvrage[79], dans lequel la question de l’anima occupe une place importante et dont la première édition a été publiée treize ans après Types psychologiques, Jung reprend la même idée de la puissance de l’anima que le sujet doit chercher à s’« approprier » : « Dans la mesure où le Moi semble prendre à son compte la puissance qui appartenait à l’anima, il devient par le fait même directement porteur de mana, une personnalité mana[80]. »
Dressons un premier bilan de notre étude. Il apparaît dans l’ensemble de l’oeuvre de Jung que la notion de « Dieu » est tantôt liée à l’énergie psychique, correspondant à un symbolisé, et tantôt à certains symbolisants qui peuvent émerger de l’inconscient[81]. Appliquons la différence entre le symbolisant et le symbolisé (ce dernier étant la profondeur du premier en terme tillichien) à l’anima. Nous pensons que les figures d’anima pourraient être associées à des symboles religieux individuels au sens qu’en donne Tillich. En effet ces figures servent de médiation vers ce qu’elles symbolisent, la puissance d’être, notion tillichienne, que nous avons associée au concept jungien d’énergie psychique. Pour le dire en d’autres mots, l’intégration de l’anima pour un sujet peut contribuer à l’épanouissement en lui de la puissance d’être[82]. Une prise de conscience[83] est nécessaire pour dépasser l’image de l’anima, la « traverser » et acquérir la libido qu’elle porte en elle, au service de la sanctification du sujet. L’image en tant que telle, le symbolisé, prend toujours le risque d’être idolâtrée, notamment quand elle se projette sur une figure de « femme fatale », ou de façon plus générale sur une figure divine, ainsi qu’il en est dans la mythologie avec les déesses, notamment de l’amour. Le culte d’une idole mythologique ou l’amour pour une femme fatale conduit à une perte indéniable de puissance d’être. Ainsi, à notre sens, le symbole de l’anima correspond à l’un des critères importants du symbole pour Tillich, le « renvoi » vers la puissance d’être, mais d’autres critères doivent être étudiés. Poursuivons donc en montrant que l’anima présente un autre aspect essentiel du symbole pour Tillich et élément déterminant de la tautégorie, la participation, comme vu plus haut.
2. Le symbolisant participe au symbolisé
L’image de l’anima porte en elle ce qui la dépasse, la puissance d’être. En effet, l’amour pour une femme réelle, ou pour une image de l’anima d’un sujet dans un rêve, peut libérer une puissance extraordinaire qui peut réorienter, « convertir », de façon constructive une vie entière ou conduire à une forme de folie. Or cette énergie est indissociable de la femme aimée elle-même. Cette femme-là seulement et nulle autre — à un moment donné du moins — peut libérer cet élan, cette énergie extraordinaire qui rend infiniment vivant : il ne s’agit pas d’un « signe » extérieur interchangeable, hétéronome (au sens de Tillich) mais bien d’une « expression », « théonome » ou « auto-transcendante » qui rend présente ce qu’elle vise, ce à quoi elle participe, la puissance d’être, sans pour autant se confondre avec elle, comme on vient de le voir à propos du « renvoi ».
IV. L’anima est-elle un symbole tillichien pertinent pour enrichir le processus de sanctification ?
Maintenant que nous avons proposé une démonstration que l’anima présente les caractéristiques principales d’un symbole tillichien, passons à l’évaluation de ce symbole. En effet, tous les symboles ne sont pas équivalents, pour Tillich certains sont meilleurs que d’autres[84]. Évaluons l’anima comme symbole tillichien en utilisant les critères, que nous trouvons très pertinents, retenus par Gounelle[85], en se plaçant dans la perspective du processus de sanctification.
1. Le renvoi
Tillich écrit :
Non seulement les symboles ouvrent des dimensions et des éléments de la réalité qu’eux seuls permettent d’approcher, mais […] ils nous font entrer dans les dimensions et les éléments de notre âme qui leur correspondent. Une pièce de théâtre importante […] dévoile les profondeurs cachées de notre être […]. Il y a en nous des dimensions dont nous ne prenons conscience qu’à travers des symboles[86].
Même si le terme « âme[87] » chez Tillich ne s’identifie pas à l’anima jungienne, dans ce texte, Tillich associe à l’« âme » un aspect que l’on retrouve pour l’anima. En effet, l’anima révèle l’« autre côté » du sujet. Il est aussi assez remarquable que, l’approche que Tillich a de la révélation étant fondamentalement extatique, la révélation sur son propre être en devenir comme rencontre amoureuse avec son anima (figurée dans un rêve ou en une femme réelle) est typiquement « extatique », à notre avis, au sens que donne Tillich à ce terme[88]. En particulier, dans l’extase tillichienne, la distinction entre le sujet et l’objet s’estompe. Or l’anima est à la fois une part de soi (comme personnalisant la part inconnue de son psychisme) et une personne qui nous est « autre », à qui l’on peut dire « tu[89] ».
2. L’autocontestation
Tillich écrit :
Les symboles religieux suggèrent ce qui les transcende tous. Mais parce qu’en tant que symboles ils participent à ce qu’ils suggèrent, la raison humaine les met à la place de ce qu’ils doivent suggérer et en fait des absolus. Au même instant, ils deviennent des idoles. Rendre un culte aux idoles n’est rien d’autre que faire un absolu des symboles du sacré et les identifier avec le sacré lui-même[90].
Les symbolisants, au lieu de renvoyer vers l’ultime, se substituent ainsi au symbolisé. Un bon symbole doit donc porter en lui sa propre contestation pour éviter ce danger. Pour Tillich, Jésus est le meilleur symbole dans la mesure où il meurt et qu’ainsi il ne peut pas devenir une idole, c’est « le critère de tout symbole[91] ».
Le symbole de l’anima remplit tout à fait ce critère d’autocontestation, car, comme le souligne fréquemment Jung, l’anima, en tant que complexe autonome et donc personnifié, s’efface quand, grâce au processus d’individuation, elle joue pleinement son rôle de « fonction de relation » permettant un accroissement de la puissance d’être du sujet[92]. On peut ainsi rapprocher le sens que prend le « démantèlement et l’effacement de l’anima[93] » dans une perspective jungienne et celui que prend, chez Tillich, la croix du Christ. En effet, cet effacement du messager correspond aussi à l’anima dans la mesure où sa « mort » provoque l’afflux de puissance d’être (le symbolisé) vers le sujet qui a opéré une prise de conscience suffisante de sa persona, et a pu donc « intégrer » l’énergie psychique médiatisée par son anima. Il s’agit en fait de la thèse centrale de l’un des principaux ouvrages de Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient, que nous avons déjà abondamment cité.
3. Authenticité existentielle
Pour Tillich, un bon symbole doit « faire naître chez les hommes une réponse, une action et une communication[94] ». Il doit pour cela « saisir » le sujet, le toucher[95]. Cette caractéristique correspond bien au sentiment amoureux, notamment lorsqu’il débouche vers un « plus être », et non vers une régression comme pour les femmes fatales. En effet, ce symbole est très « vivant » et concerne vraiment le sujet, de l’« intérieur ». On pourrait aussi exprimer cet aspect de l’anima en présentant la recherche de l’attraction érotique et des délices du partage amoureux comme une préoccupation ultime[96].
4. Objectivité de l’anima
4.1. Convenance objective
La convenance objective se rapporte non pas, comme au paragraphe précédent, au sujet que le symbole touche mais à l’« objet » qu’il vise. Un symbole doit ainsi exprimer de façon juste le sens dont il est porteur. Tillich donne l’exemple d’un mauvais symbole, celui de la naissance virginale qu’il classe parmi les symboles de la « résurrection du Christ ». Ce théologien met en cause sa valeur symbolique, car « en excluant la participation d’un père humain à la procréation du Messie, il le prive d’une participation complète à la condition humaine[97] ». Ce symbole, amorçant la tendance docète et monophysite, détourne le sens qu’il vise de sa véritable intention[98] et le dissimule[99].
Pour Tillich, une « personne humaine est un étant beaucoup plus riche et complexe qu’un rocher ou qu’un bout de bois, même sculpté, et symbolisera donc mieux l’être, ce qui explique et justifie en partie l’anthropomorphisme[100] ». L’anima s’exprimant sous forme humaine dans les rêves, elle pourrait être associée à ce qu’exprime Tillich sur la richesse d’un étant humain. De plus, l’anima est très fréquemment projetée sur une femme réelle. Cette dimension d’objectivité rejoint la discussion abordée plus haut : dans la perspective jungienne, l’anima renvoie à l’ultime, à l’autotranscendance du sujet, au fondement divin de l’être. Dans le sens du terme « objectif » présenté dans ce paragraphe, l’anima apparaît comme un bon symbole objectif dans la mesure où l’anima oriente sans égarer vers le fondement de l’être. Mais nous l’avons souligné tout au long de l’article, pour cela il faut que le sujet prenne conscience de la présence en lui de cette anima, sans quoi elle peut le conduire au pire. Approfondissons cette difficulté.
4.2. Universalité
Nous voudrions évoquer un autre aspect de l’« objectivité » de l’anima, au sens où « objectif » s’oppose à « subjectif » en tant que l’anima serait la même pour tous, indépendamment de la subjectivité du sujet. Le terme universalité pourrait peut-être convenir, mais non au sens du paragraphe précédent[101]. La question se pose, car les images de l’anima sont très personnelles : chacun rêve de femmes différentes et tous les hommes ne sont pas amoureux de la même femme.
En fait, l’universalité de l’archétype de l’anima ne provient que de sa structure, commune à tous les hommes, depuis la naissance de l’humanité[102]. Mais la forme que prend l’anima pour un sujet donné est très subjective : les images de l’anima qui s’inscrivent dans la structure de l’archétype sont personnelles[103]. De plus, il convient d’évoquer un aspect essentiel du symbole chez Jung, son ambivalence. L’anima, par exemple, dans la mesure où elle reste inconsciente, peut avoir des effets très négatifs sur l’humeur[104], comme elle peut être tout à fait positive comme guide, initiatrice et « muse ». Ainsi, le symbole de l’anima manque d’« objectivité », d’« universalité[105] ». L’anima peut ainsi apparaître comme un symbole tillichien discutable. Prenons un exemple de symbole typiquement tillichien, la résurrection. On peut le qualifier d’« objectif » au sens où il est biblique et porté par toute la tradition chrétienne. Alors que l’anima, avec sa part de subjectivité, n’a pas la même valeur « objective[106] ».
Conclusion
Nous avons proposé dans cet article que Jung a une approche tautégorique du symbole, un élément caractéristique du symbole tillichien. Pour cela, nous avons considéré trois dualités, même si elles se recoupent : extérieur/intérieur à la psyché du sujet, passé/futur du sujet, réflexion/intuition dans l’interprétation des rêves. Il apparaît que le symbole jungien renvoie « au même » et non pas à « un autre ». En examinant alors plus spécifiquement le symbole sexuel féminin, l’anima, nous avons montré que ce symbole est effectivement tautégorique. Il ressort de la suite de l’étude que l’anima remplit les critères que Tillich donne pour évaluer un symbole religieux. L’anima peut ainsi être considérée comme un symbole compatible avec la théologie de la réalisation de soi comme processus de sanctification et pertinent pour l’enrichir. D’un point de vue psychologique, pour que l’anima puisse se dévoiler et, en quelque sorte, s’« incarner » en enrichissant la personnalité du sujet, il doit engager un important travail de prise de conscience de sa persona, son masque social. Nous avons tout particulièrement mis l’accent sur le fait que l’« intégration » de l’anima peut alors contribuer à accroître la « puissance d’être ».
Nous avons cependant relevé une difficulté concernant le caractère d’« universalité » de l’anima. Mais cette difficulté peut être discutée. En effet toutes les formes d’anima n’ont pas la même valeur comme symbole tillichien, c’est le quatrième degré qui correspond à une spiritualisation de l’éros qui conviendrait le mieux. Or la Sagesse biblique apparaît explicitement comme une figure féminine suscitant un désir érotique dans de nombreux textes, et parfois plus implicitement, tout particulièrement dans l’hymne à la Sagesse (Pr 8,22-31), un texte important pour la christologie[107]. Une piste possible pour prolonger l’étude présentée dans cet article est de s’intéresser à cette figure biblique à la lumière de notre analyse de l’anima comme symbole tillichien.
Parties annexes
Notes
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[1]
Ce théologien a écrit une note dans laquelle il met en avant l’importance du symbole sexuel comme médium de révélation : « […] ce n’est pas le sexuel en soi qui est révélateur, mais le mystère de l’être qui manifeste sa relation à nous d’une manière particulière par le médium du sexuel […]. Le protestantisme, en rejetant le symbole sexuel, court le risque non seulement de perdre beaucoup de richesse symbolique mais aussi de couper le domaine sexuel du fondement de l’être et de la signification dans lequel il est enraciné et d’où il tire sa consécration » (Paul Tillich, Théologie systématique I, Québec, PUL ; Paris, Cerf ; Genève, Labor et Fides, 2000 [1951], p. 165-166, n. 51 [pour la suite nous utiliserons le signe TS pour Théologie systématique]).
-
[2]
Pour Tillich la « religion de l’Esprit concret » constitue la « finalité immanente de l’histoire des religions » (voir Paul Tillich, « La signification de l’histoire des religions pour le théologien systématique » [1965], Le christianisme à la rencontre des religions, Genève, Labor et Fides, 2015, p. 458-459).
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[3]
Dans cette note, Tillich évoque explicitement les déesses de l’amour mais pas les dieux de l’amour, voir TSI, p. 166.
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[4]
Dans cet article nous reprendrons, d’une part, la distinction faite par Jung entre la psyché et l’« âme » et, d’autre part, nous utiliserons ce dernier terme, « âme », comme synonyme d’anima, ainsi que Jung le précise : « Mes recherches sur la structure de l’inconscient m’amenèrent à établir une distinction conceptuelle entre psyché et âme. J’entends par “psyché” la totalité des processus psychiques, conscients et inconscients ; l’âme, au contraire, est un complexe délimité de fonctions nettement déterminées » ; et « l’attitude interne est l’anima, l’âme » (voir Carl Gustav Jung, Types psychologiques, trad. Y. Le Lay, Genève, Georg, 1950 [1920], p. 425 et 428. [Pour la suite nous désignerons cet ouvrage par « TP »]). Dans certains textes, Jung utilise le terme « âme » au sens de psyché et, pour éviter la confusion, réserve le terme anima pour le complexe évoqué dans la citation ci-dessus (voir Carl Gustav Jung, « Ma vie ». Souvenirs, rêves et pensées, Paris, Gallimard, 1973, dans le « Glossaire », aux paragraphes « Âme » et « Anima et animus », p. 622-625).
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[5]
L’équivalent pour une femme est l’animus qui correspond à sa part masculine inconsciente. Il y a cependant quelques nuances, Jung les présente dans Carl Gustav Jung, trad. Roland Cahen, Dialectique du Moi et de l’inconscient, Paris, Gallimard, 1964 (1933), p. 186-199. La différence essentielle est que « chez l’homme, l’anima apparaît sous les traits d’une femme, d’une personne, chez la femme l’animus s’exprime et apparaît sous les traits d’une pluralité » (ibid., p. 189). Malgré cette nuance, l’essentiel de ce qui est traité dans cet article pour l’anima pourrait être valable aussi pour l’animus, mais nous ne ferons pas une étude systématique des différences. Nous nous limiterons ainsi à quelques notes sur l’animus quand cela éclairera, par contraste, notre propos sur l’anima. Dans la suite, l’ouvrage ici référencé sera noté DMI. Les thèmes de l’anima et de l’animus ont été récemment discutés dans une perspective essentiellement culturelle par Bernard Hort, Anima et animus au xxie siècle. Jung, la crise spirituelle contemporaine et nous, Paris, Cerf, 2019. Pour notre part, nous nous plaçons dans une perspective plus expressément théologique.
-
[6]
Cet article prolonge une étude qui met en relief les liens entre les approches qu’ont Tillich et Jung du processus de réalisation de soi, nous rappellerons, quand ce sera nécessaire pour éclairer notre propos, les résultats que nous avions obtenu dans Christophe Gripon, « Le processus de sanctification de Paul Tillich et le modèle de la psyché de Carl Gustav Jung : un enrichissement possible ? Éléments de discussion sur la théologie de John P. Dourley », Laval théologique et philosophique, 75, 1 (février 2019), p. 17-37. Pour la suite nous ferons référence à cet article par « notre “Le processus de sanctification…” ».
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[7]
Précisons que nous ne cherchons pas ici à enrichir les études déjà très riches et nombreuses sur le symbole tillichien, notre objectif est simplement de discuter la compatibilité du concept d’anima chez Jung avec les caractéristiques du symbole tillichien pour l’enrichissement du processus de sanctification.
-
[8]
Les ressemblances entre le symbole jungien et le symbole tillichien ont déjà été étudiées par ailleurs, notamment dans le cadre d’une discussion concernant le symbole en psychanalyse pour Ricoeur (Christophe Gripon, « Sanctification et individuation : une discussion de l’approche téléologique du symbole chez Tillich, Jung et Ricoeur », dans Marc Dumas, Benoit Mathot, Marc Boss, dir., Paul Tillich et Paul Ricoeur en dialogue, Berlin, De Gruyter [coll. « Tillich Research/Tillich-Forschungen/Recherches sur Tillich »], à paraître) et dans le cadre d’une discussion concernant la théologie du psychanalyste John P. Dourley (notre « Le processus de sanctification… »).
-
[9]
Voir André Gounelle, « Le symbole, langage de la religion », Bulletin de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, « La pensée symbolique » (17 novembre 2012), p. 65-76 (voir également http://andregounelle.fr/histoire-des-idees/le-symbole-langage-de-la-religion-sabatier-et-tillich.php).
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[10]
Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, Philosophie de l’art, trad. C. Sulzer, A. Pernet, Grenoble, Jérôme Millon, 1999, p. 102. Pour Schelling, le symbolique (tautégorie) est la synthèse de deux modes opposés, le schématisme (le particulier est intuitionné à travers l’universel) et l’allégorie (l’universel est intuitionné au moyen du particulier) : « […] la synthèse des deux [schématisme et allégorie], où ni l’universel ne signifie le particulier, ni le particulier l’universel, mais où ils ne font qu’un, absolument, est le symbolique » (ibid., p. 99). Schelling, à propos de la mythologie qui est à comprendre symboliquement, écrit alors que « l’universel est entièrement le particulier et le particulier entièrement l’universel, non pas le signifie. Cette exigence est poétiquement satisfaite dans la mythologie. En effet chaque forme doit être prise pour ce qu’elle est, et elle le sera par là même justement prise pour ce qu’elle signifie. La signification est ici en même temps l’Être-même, elle est passée dans l’objet, ne fait qu’un avec lui » (p. 103). Rappelons que pour Jung la mythologie correspond à une expression des formes archétypales de l’inconscient : « L’image primordiale, que j’ai ailleurs appelée aussi “Archétype” est au contraire toujours collective, c’est-à-dire commune au moins à tout un peuple ou à toute une époque. Fort probablement, les principaux motifs mythologiques se retrouvent chez toutes les races et à toutes les époques ; j’ai réussi à montrer l’existence de motifs de la mythologie grecque dans les rêves et les imaginations de nègres purs sangs atteints d’aliénation mentale » (TP, p. 454).
-
[11]
« 55. Symbole », TP, p. 491-498. Mais à notre connaissance Jung n’utilise pas le terme « tautégorique » pour caractériser son approche du symbole.
-
[12]
Voir notre « Le processus de sanctification… », 1. Le rêve comme « médium de révélation », p. 32-33.
-
[13]
TP, p. 479.
-
[14]
Dans cette phrase, il y a une nuance entre le sens du terme « image » et celui de ce même terme dans les deux phrases précédentes où il se rapporte à l’imago. Rappelons que l’anima est un complexe autonome qui ne se manifeste que par son « image », c’est-à-dire son symbolisant : on ne peut avoir « accès » à cet archétype que par la médiation de son « image » (voir TP, p. 453-461, où Jung expose en détail sa notion d’image et en particulier d’image de l’âme).
-
[15]
Carl Gustav Jung, L’homme à la découverte de son âme, Paris, Payot, 1962, p. 226-227.
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[16]
Dans cette phrase, Jung donne manifestement au mot « âme » le sens de « psyché », voir n. 4.
-
[17]
TP, p. 480. Jung précise : « La conception freudienne du rêve se meut presque exclusivement sur le plan de l’objet puisqu’elle ramène les désirs oniriques à des objets réels ou à des processus sexuels appartenant à la sphère physiologique, donc extrapsychologique ».
-
[18]
Nous avons présenté une discussion sur la critique que Paul Ricoeur fait de l’approche qu’a Freud des symboles dans De l’interprétation. Essai sur Freud (Paris, Seuil, 1965) et montré que Ricoeur a une approche des symboles beaucoup plus proche de Jung que de Freud. En effet, pour Ricoeur, l’ambiguïté du symbole donne la possibilité d’engendrer non seulement une interprétation vers la résurgence de significations archaïques appartenant à l’enfance, mais aussi « vers l’émergence de figures anticipatrices de notre aventure spirituelle » (p. 478). Voir notre « Sanctification et individuation : une discussion de l’approche téléologique du symbole chez Tillich, Jung et Ricoeur ».
-
[19]
On peut évoquer la critique de Ricoeur de l’approche indigente qu’a Freud du « symbole ». En effet il n’y a pas, chez Freud, de fonction symbolique propre autre que celle de déguiser les pensées inconscientes d’un rêve correspondant à des désirs sexuels afin qu’ils échappent à la censure. L’interprétation des « symboles » oniriques correspond à celle de signes sténographiques dont les « représentations » sont innombrables et se rapportent toujours à un contenu sexuel : « […] n’importe quoi, à la limite, peut représenter toujours la même chose » (voir Paul Ricoeur, De l’interprétation. Essai sur Freud, p. 480-481 et 485).
-
[20]
TP, p. 442.
-
[21]
On pourra relever que ce schéma de troisième voie qui « réconcilie » deux pôles opposés est très prégnant chez Tillich aussi, notamment pour les couples individuation (ce terme n’a pas du tout le même sens que pour Jung) /participation, dynamique/forme et liberté/destinée.
-
[22]
On rappelle que le signe, contrairement au symbole, se réfère à un fait qui peut être connu ou du moins restitué, comme dans l’« archéologie » psychanalytique freudienne.
-
[23]
TP, p. 498. Jung a expliqué peu avant qu’un sujet en prise au dilemme face à deux attitudes psychiques antagonistes « qui se nient mutuellement » subit une baisse d’énergie vitale liée à l’« arrêt de la volonté », d’où la nécessité de l’émergence d’un symbole dans sa psyché afin que la vie puisse « se développer vers des buts nouveaux avec des forces renouvelées » (TP, p. 496-498). Ce chemin de réalisation de soi est pour Jung le but d’une vie « consciente » (mais tous ne sont pas « conscients »), le point de vue fait écho à celui de Tillich qui écrit de manière particulièrement saisissante à propos de cette « réalité nouvelle » dans l’un de ses sermons : « Elle devrait nous préoccuper plus que tout ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre. La création nouvelle est notre préoccupation ultime. Elle devrait être la passion infinie de tout être humain. C’est elle qui importe et c’est elle seule qui importe de manière ultime. Comparé à elle, tout le reste, religion ou irréligion, christianisme ou non-christianisme, importe peu et même n’a aucune importance » (voir Paul Tillich, L’être nouveau, « II. L’être nouveau », trad. J.-M. Saint, Paris, Planète, 1969 [1955], p. 37-38). On retrouve cette même idée dans le sermon « XIX. Le sens de la joie » (ibid., p. 185-196) où il distingue le plaisir de la véritable joie qui correspond à « l’accomplissement de ce que nous sommes », à la conscience « d’être accompli dans son être véritable, dans son centre personnel » (ibid., p. 191).
-
[24]
Paul Tillich, Théologie systématique IV. La vie et l’Esprit, Genève, Labor et Fides, 1991 (1963), p. 255.
-
[25]
Voir André Gounelle, « Le symbole, langage de la religion », p. 72. Pour ce théologien, « [u]n symbole est tautégorique quand il fait découvrir au coeur du monde, ou d’un élément du monde » cette altérité.
-
[26]
Voir Gabriel Marcel, Coleridge et Schelling, Paris, Aubier-Montaigne, 1971, p. 188-189 : « Cette conception du symbolisme [tautégorie de Schelling] nous apparaît d’ailleurs comme inhérente à toute doctrine qui attribue aux Idées une réalité objective, et qui, à quelque degré que ce soit, est une philosophie de l’identité, et se refuse par suite à ne voir entre la réalité concrète et l’Idée dont cette réalité est le signe qu’une relation, une unité simplement subjective, tout en ne consentant pas à identifier purement et simplement l’objet et l’Idée, l’infini et le fini. » À notre sens, l’ensemble de l’histoire de la philosophie que présente Tillich dans La naissance de l’esprit moderne et la théologie protestante (Paris, Cerf, 1972) est structuré par la question des relations du fini avec l’infini, entre « confusion » et « séparation ». Nous abordons aussi sa théologie comme dialectique entre ces deux pôles dans la perspective de ce que l’on appelle aujourd’hui le « développement personnel » (Le courage d’être l’exprime explicitement, ainsi que son étude dans Jean-Pierre Lemay, Se tenir debout. Le courage d’être dans l’oeuvre de Paul Tillich, Paris L’Harmattan, 2004). En effet le processus de sanctification à travers la dialectique entre le fini et l’infini nous apparaît correspondre de très près à la dialectique du Moi et de l’inconscient qui structure toute la psychologie de Jung.
-
[27]
TS IV, p. 256.
-
[28]
Voir notre « Le processus de sanctification… », IV.3. « Deux dualités qui se ressemblent », p. 34-36.
-
[29]
DMI, p. 255.
-
[30]
Dans l’extase tillichienne, la distinction entre le sujet et l’objet (le « Tu » divin auquel s’adresse le « je » humain) s’estompe, voir Paul Tillich, Dynamique de la foi, Québec, PUL, Genève, Labor et Fides, 2012, p. 20.
-
[31]
On peut par exemple saisir intellectuellement le sens d’un rêve pendant des années mais beaucoup plus tard seulement — si ce jour arrive — en prendre réellement, intérieurement, conscience. Jung donne un exemple : « Mon malade était un jeune homme fort intelligent, qu’une analyse déjà longue avait intellectuellement éclairé sur la causalité de sa névrose. Mais la compréhension intellectuelle n’avait rien changé à sa dépression » (DMI, p. 206).
-
[32]
Tillich utiliserait peut-être les termes « raison technique », en contraste avec « raison intuitive » (voir Paul Tillich, La naissance de l’esprit moderne et la théologie protestante, p. 42-45).
-
[33]
Marc Girard, Symboles bibliques, langage universel. Pour une théologie des deux Testaments ancrée dans les sciences humaines, t. 1, Paris, Montréal, Médiaspaul, 1991, p. 67. Cet exégète développe dans ce livre de façon très fine les différences entre allégorie et symbole, voir p. 66-71. De ce point de vue, on pourrait signaler qu’un « symbole » allégorique relève aussi d’un indicible, mais du fait de la limitation de nos possibilités humaines, ces symboles restent fondamentalement « inadéquats ». Gounelle écrit ainsi, à propos de l’approche allégorique du symbole pour le théologien Auguste Sabatier : « Le symbole témoigne selon lui plus d’une “misère” que d’une “grandeur” » (« Le symbole langage de la religion », p. 71). En contraste avec Sabatier, Tillich ne cesse de se révolter contre l’expression « ce n’est qu’un symbole », on peut en dire autant de Jung.
-
[34]
Certains rêves peuvent réveiller le sujet en étant bouleversé. Un ébranlement peut aussi être éprouvé dans le souvenir d’un rêve quand on en prend une certaine conscience intuitive. Jung, dans le « travail » des rêves, souligne aussi l’importance de ce qu’il appelle « l’imagination active ». Voir DMI, p. 206-215 où Jung explique comment son malade (évoqué ci-dessus en n. 31) parvient finalement à entrer en possession « de la somme de libido » liée à son anima.
-
[35]
Nous soulevons là une difficulté concernant l’« objectivité » du symbole jungien sur laquelle nous reviendrons à la fin de l’article.
-
[36]
Voir n. 4.
-
[37]
TP, p. 428.
-
[38]
TP, p. 429. Jung l’exprime aussi de la façon suivante : « […] il existe une relation compensatoire entre la persona et l’anima » (DMI, p. 153).
-
[39]
TP, p. 428.
-
[40]
TP, p. 430.
-
[41]
Se défaire de l’identité à sa persona, son « image idéale de l’homme tel qu’il devrait et voudrait être » est une tâche très ardue, car « le monde sollicite insidieusement l’individu de s’identifier avec son masque » et car l’individu est enclin à « succomber à ces séductions ». Jung insiste beaucoup sur ce thème dans son chapitre consacré à l’anima et l’animus de DMI (p. 143-199), pour les citations, voir p. 158.
-
[42]
Une note du traducteur de DMI, Roland Cahen, exprime clairement le lien entre l’intégration de l’anima et le processus de réalisation de soi, l’individuation : « […] une des tâches psychologiques de l’avenir consistera à aider la femme à prendre conscience de ses potentialités caractérielles masculines, et l’homme ses potentialités caractérielles féminines. Car ces tendances caractérielles acceptées, intégrées et mises à leur place, ne déterminant plus ni compensations excessives, ni culpabilité, ni agressivité, c’est ainsi que la femme réalisera le mieux, et dans son sens le plus plein, son destin de femme, l’homme, son destin d’homme » (p. 145-146).
-
[43]
TP, p. 430. On peut aussi relever que ces rêves de grossesse de l’anima, au sens où ce symbolisant porte en lui l’« être nouveau » en devenir du sujet, peut exprimer de façon imagée qu’un symbole tautégorique « ne renvoie pas à quelque chose qui lui est extérieur et étranger, mais quelque chose qu’il porte en lui, qui fait partie de son être » (voir André Gounelle, « Le symbole, langage de la religion », p. 72).
-
[44]
TP, p. 430.
-
[45]
TP, p. 431. De manière générale, l’anima est « toujours projetée tant qu’elle est inconsciente, car tout ce qui est inconscient est projeté » (voir DMI, p. 166).
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[46]
Pour les femmes, cette projection de l’âme correspond à une pluralité de personnages masculins (animus), voir TP, p. 459.
-
[47]
TP, p. 459. (On retrouve ici aussi, comme d’ailleurs dans toute l’oeuvre de Jung, des éléments du « sacré » dans l’approche qu’en a Rudolf Otto dans Le sacré. Nous savons que Tillich a aussi été influencé par Otto.) Jung utilise aussi explicitement le terme de « féminité inconsciente » pour l’anima, ainsi il écrit : « L’imago de la femme — qui figure l’âme dans l’homme — en devient tout aussi naturellement le réceptacle ; et c’est pourquoi l’homme, dans le choix de la femme aimée, succombe souvent à la tentation de conquérir précisément la femme qui correspond le mieux à la nature de sa propre féminité inconsciente : il aspirera ainsi à trouver une compagne qui puisse recevoir avec aussi peu d’inconvénients que possible la projection de son âme » (DMI, p. 145).
-
[48]
« L’ange bleu » réalisé par Josef von Sternberg en 1930, avec Marlene Dietrich qui continuera par la suite à porter l’image de femme fatale.
-
[49]
TP, p. 459 (à propos de l’image de l’âme, voir n. 14). On retrouve là le thème central de la psychologie jungienne : la prise de conscience est le moteur essentiel du processus d’individuation. Nous avons développé cet aspect de la pensée jungienne par ailleurs, voir notre « Sanctification et individuation : une discussion de l’approche téléologique du symbole chez Tillich, Jung et Ricoeur ».
-
[50]
DMI, p. 172-173. Jung compare aussi ce type d’homme « à un primitif qui, on le sait, n’a qu’un pied dans ce que nous appelons couramment le monde des réalités ; alors que l’autre est dans le monde des esprits, lequel comporte pour lui une absolue réalité » (DMI, p. 177). Un peu plus loin, Jung écrit à propos des hommes inconscients de leur anima : « La non-adaptation à notre cosmos intérieur est une lacune susceptible d’avoir des conséquences tout aussi néfastes que l’ignorance et l’incapacité dans le monde extérieur » (p. 185).
-
[51]
On peut comprendre le terme « tsélach » de Gn 2,21, couramment traduit par « côte », au sens de « côté » et y voir ce que l’on pourrait qualifier, dans la perspective jungienne, d’anima d’Adam : voir Gérard Siegwalt, Dogmatique pour la catholicité évangélique, IV/II. L’affirmation de la foi, 2. Anthropologie théologique. La réalité humaine devant Dieu, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 246-248.
-
[52]
En lien avec ce qui précède concernant la femme fatale, on pourrait indiquer qu’Ève a parfois été perçue comme « femme fatale », car elle a pu être comprise comme la femme qui apporte le péché. Dans la lecture tillichienne de Gn 3, qui est aussi la nôtre, en revanche, l’épisode correspond à l’évolution vers plus de maturité, la sortie de l’« innocence du rêve ».
-
[53]
Carl Gustav Jung, Psychologie du transfert, Paris, Albin Michel, 1980 (1946), p. 26-27. Ce thème des différents degrés de l’anima a été largement repris, notamment par une disciple de Jung, Toni Wolff. Nous avons relevé certains liens entre la Sulamite et la Sagesse biblique, voir Christophe Gripon, L’éros, un chemin vers Christ-Sophia. Approches bibliques et théologiques, préface de François Nault, Paris, Médiaspaul, 2016, p. 19-80, notamment p. 26-27.
-
[54]
Voir n. 28.
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[55]
Jung nomme aussi l’anima, « l’autre côté », voir DMI, p. 181-184.
-
[56]
TS IV, p. 252-253. Avec la liberté spirituelle, l’autotranscendance est l’un des quatre éléments du processus de sanctification, nous l’avons déjà évoqué plus haut, et nous y reviendrons concernant l’anima. On pourrait aussi souligner les liens entre les deux autres principes du processus de sanctification, la prise de conscience et la relationalité croissante (TS IV, p. 251-252).
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[57]
Voir André Gounelle, « Les critères du symbole religieux », dans Christian Danz, Werner Schüssler, Erdmann Sturm, dir., Das Symbol als Sprache der Religion, Wien, Lit (coll. « Internationales Jahrbuch für die Tillich-Forschung », Band 2), 2006, p. 47-58. Nous suivons ici le plan de cet article en abordant sa première partie, « 1. Le symbolique et le non-symbolique », du point de vue de la tautégorie.
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[58]
Rappelons ici que pour Jung, la libido (contrairement à Freud qui la limite à l’élément sexuel) désigne de façon assez générale l’énergie psychique : « J’entends par libido l’énergie psychique. [Elle] est l’intensité du processus psychique, sa valeur psychologique. Toutefois il ne s’agit pas d’une valeur attribuée d’ordre moral, esthétique ou intellectuel ; la valeur psychique correspond à la force déterminante dudit processus qui se manifeste par des effets définis ou “rendements psychiques” » (TP, « 40. Libido », p. 478). Voir aussi DMI, p. 206, où Jung présente la « dépression » comme une baisse d’énergie causée par un reflux de la libido (que Jung appelle aussi « valeur »), du conscient vers l’inconscient. Jung identifie cette énergie psychique dans l’inconscient du sujet avec « la force divine qui procure santé, âme, remède, richesse, commandement, etc. » des « primitifs » ; cette force « vitale », « spirituelle » « pénètre et emplit tout » (TP, p. 245-246).
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[59]
Gounelle appelle cette caractéristique « universalité » : « […] la structure du symbole, définie par le renvoi et la participation, caractérise l’ensemble du réel » (André Gounelle, « Les critères du symbole religieux », p. 48).
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[60]
Jung, comme psychologue, répète inlassablement que son propos n’est pas de discourir sur la prétendue réalité ou non d’entités métaphysiques. Son approche est fondamentalement empirique : à partir du moment où un sujet fait l’expérience de ce complexe, il est réel. L’expérience du sujet est réelle, elle peut d’ailleurs induire des changements notables dans le cours de sa vie. Voir par exemple, concernant l’anima et l’animus, « qui ne sont en rien des notions “métaphysiques” » mais des données empiriques, son texte dans DMI, p. 198-199.
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[61]
TP, p. 244-263. Nous avons déjà évoqué ce texte dans un autre contexte, celle d’une approche critique de la lecture qu’en fait J.P. Dourley, voir notre « Le processus de sanctification… », p. 30-31.
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[62]
TP, p. 252.
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[63]
En référence aux mystiques, Jung écrit : « […] chez les primitifs existe naturellement et en principe une relativité de Dieu également, puisque presque partout, à un degré inférieur […] Dieu est une force divine qui procure santé, âme, remède, richesse, commandement, etc., que l’on peut saisir par certains procédés et utiliser pour la production des choses nécessaires à la vie et à la santé de l’homme » (TP, p. 248).
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[64]
En s’appuyant sur la notion de la naissance de Dieu en l’homme chez Maître Eckhart, Jung écrit à propos d’un homme qui projette Dieu à l’extérieur de sa psyché qu’il n’a pas « détaché de l’objet la survaleur, ne l’a pas introvertie au point de la posséder en soi-même » (TP, p. 250). Nous avons vu dans la n. 58 que la « valeur » est associée à la libido.
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[65]
TP, p. 252 (Jung indique en note dans cette citation que cette reconnaissance ne peut pas être qu’intellectuelle). Le psychologue exprime la même idée dans un autre ouvrage : à propos de l’attitude qui consiste à maintenir la mana ou libido (nous y reviendrons plus bas) « en quelque sorte matérialisée en un “père céleste”, logé par-delà le monde et doté de l’attribut de l’absolu », Jung écrit : « Cette démarche confère à l’inconscient une prédominance tout aussi absolue (si l’effort fait pour adhérer en croyance à cette démarche est couronné de succès), car par cette démarche toute valeur passe et s’écoule dans un au-delà. La conséquence logique de cela c’est que l’homme demeure ici-bas comme une pauvre et misérable épave, inférieur incapable du bien et chargé de péché. On le sait, cette solution est devenue la conception du monde qui a pris place dans l’histoire » (DMI, p. 251). On retrouve ici une idée développée par Feuerbach dont la « théorie de la projection » est présentée par Tillich de façon positive, voir La naissance de l’esprit moderne et la théologie protestante, p. 175-177.
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[66]
On peut faire le lien entre cet état psychologique et l’« innocence du rêve » de Tillich. Les liens sont particulièrement importants entre les textes du psychologue et du théologien, notamment en considérant le texte de Jung sur la question de la « chute » qu’il associe à la « conquête de la conscience » (voir Carl Gustav Jung, L’homme à la découverte de son âme, p. 63-64).
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[67]
Jung fait référence aux paraboles du trésor dans le champ et de la perle précieuse, figures du royaume des cieux (voir TP, p. 254). On pourra aussi relever, avec Daniel Marguerat, que le royaume de Dieu, qui est « au centre de la prédication et de l’activité de Jésus » (il s’agit du « fondamentum » de sa prédication), peut se comprendre comme « une réalité spirituelle intérieure à l’humain », en traduisant le entos hûmon de Lc 17,20-21 par « au-dedans de vous » (voir Vie et destin de Jésus de Nazareth, Paris, Seuil, 2019, p. 121-122 et 274).
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[68]
TP, p. 255.
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[69]
TP, p. 257.
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[70]
Paul Tillich, L’être nouveau, « XIX. Le sens de la joie », p. 185-196. D’autres liens entre le processus d’individuation de Jung et celui de la sanctification pour Tillich ont été développés dans notre « Le processus de sanctification… ».
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[71]
TP, p. 226-232. Jung met sur le même plan l’individuation et « l’idéal chrétien originel du Royaume des Cieux “qui est en nous” » (DMI, p. 232).
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[72]
TP, p. 231. Jung revient sur ce thème un peu plus loin (p. 242-245) : le symbole permet d’enlever à l’objet une certaine quantité de libido « le dévalorisant ainsi dans une certaine mesure et concédant par là même au sujet une valeur supérieure ». Rappelons que Jung associe la valeur à la libido, voir n. 58.
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[73]
TP, p. 239. À propos du Graal, Jung développe la question du vase sacré, symbole féminin païen (Isis) d’une grande richesse et utilisé par le christianisme (voir aussi p. 243).
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[74]
TP, p. 240. On peut relever la proximité entre les approches qu’ont Jung et Tillich du symbole vivant, voir par exemple, de ce dernier, La dimension oubliée, Paris, Desclée De Brouwer, 1969, p. 87 : « […] les symboles religieux dévoilent une zone secrète de la réalité qui ne peut être rendue visible d’aucune autre manière. C’est la dimension de la profondeur dans la réalité elle-même, non pas un secteur parmi les autres, mais un secteur fondamental, celui qui est à la base de tous les autres, celui de l’être-soi, celui de la puissance d’être ultime. Les symboles religieux rendent possible à l’âme humaine l’expérience de cette dimension de la profondeur. Quand un symbole religieux ne remplit plus cette fonction, il meurt. »
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[75]
TP, p. 240.
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[76]
Concernant les notions de libido et de valeur pour Jung, voir n. 58.
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[77]
« Ainsi se développa en même temps que l’intensification du culte de Marie et à cause de lui, la sorcellerie, souillure ineffable de la fin du Moyen Âge » (TP, p. 241).
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[78]
TP, p. 244.
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[79]
DMI.
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[80]
Voir DMI, p. 246. Comme indiqué en note de cet ouvrage (p. 233), le mana peut être identifié à la libido jungienne ; le traducteur cite une phrase de Jung d’un autre ouvrage : « De fait, on ne peut échapper à l’impression que l’idée primitive de mana est un degré élémentaire de notre concept d’énergie psychique et très probablement aussi du concept d’énergie en général ». Ensuite Jung développe la question du danger pour un sujet de s’identifier à l’archétype de la personnalité mana, qui est une autre forme d’aliénation. L’attitude juste, mais qui correspond à une voie très étroite, est celle d’une prise de conscience « complète de sa faiblesse ou de son dénuement en face des puissances de l’inconscient et en se les avouant » (DMI, p. 248). Ce thème de la puissance de l’anima, de son mana et du point d’équilibre (but du processus d’individuation) à atteindre fait l’objet de l’ensemble du dernier chapitre, en quelque sorte conclusif, de cet ouvrage, « La personnalité “mana” » (p. 232-260).
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[81]
Nous avons déjà commenté ce flou « théologique » entre symbolisant et symbolisé chez Jung dans notre « Le processus de sanctification… », tout particulièrement à propos de son ouvrage très controversé, Réponse à Job.
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[82]
Nous rappelons que cela suppose une prise de conscience importante permettant de retirer ses projections sur divers objets, femmes réelles (Rhoda dans le cas du pasteur d’Hermas) ou figures religieuses collectives du féminin, telle que Marie.
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[83]
Une telle prise de conscience, Jung insiste inlassablement sur ce point, est très exigeante et correspond à un chemin de vie entière. En réalité, elle ne se termine jamais et pointe vers un horizon indéfini.
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[84]
C’est en abordant cette question que Tillich a écrit la note sur le symbole sexuel que nous avons évoquée dans l’introduction, voir TS I, p. 165.
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[85]
Nous nous appuierons, là aussi, sur le travail d’André Gounelle, « Les critères du symbole religieux », 2. L’évaluation des symboles.
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[86]
Paul Tillich, Dynamique de la foi, p. 48. Dans un texte très proche, Paul Tillich donne un autre exemple : « Prenons par exemple un paysage de Rubens. Seul ce tableau de Rubens nous communique une certaine expérience […]. L’exemple cité peut montrer ce qu’on veut dire par “dévoilement de secteurs de la réalité”. Il peut donc se faire qu’il faille aussi dévoiler les zones de notre âme, de notre réalité intérieure » (Id., La dimension oubliée, p. 84-85). On retrouve la même idée dans Id., La naissance de l’esprit moderne et la théologie protestante, p. 130. On l’a vu plus haut, dans une perspective jungienne, les images de l’anima peuvent donner naissance à une expression artistique.
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[87]
Tillich utilise très peu le mot « âme » et, quand il le fait, c’est en référence à certaines traditions, platonicienne notamment, mais dans les textes où il utilise le mot « âme » pour son propre compte, il semble plutôt l’associer, dans une perspective aristotélicienne non dualiste, à « la forme du processus de vie » (voir Id., TS V, p. 171-172, voir aussi p. 24, où dans la version allemande l’expression « âme humaine » devient « vie humaine »).
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[88]
Id., « c) Révélation et extase », TS I, p. 156-160. L’extase, telle que la présente Tillich, permet d’accéder à la profondeur de soi sans l’aliénation du moi. Il s’agit d’une extase divine qui « élève » la structure rationnelle de l’esprit tout en la préservant, « même si elle la transcende ». Tillich oppose cette extase à la possession « démoniaque » qui « détruit les principes et logiques de la raison » (p. 159). La relation érotique avec son anima (rêve, imagination « active ») ou avec une femme réelle peut en effet transcender la structure sujet-objet et conduire au « fondement ». En effet certains aspects de la rencontre érotique peuvent évoquer ceux du « choc ontologique ». Dans ce texte, Tillich n’évoque pas l’éros, mais il en a une théologie liée à la révélation : l’éros permet la réunion d’avec ce dont on est séparé, aliéné. Cette révélation érotique semble correspondre à ce que peut apporter une relation consciente avec son anima mais une discussion approfondie de ce thème dépasserait le cadre de cet article. Pour ce qui concerne l’approche qu’a Tillich de la possession démoniaque, elle correspond tout à fait à l’emprise du moi par l’anima, comme nous l’avons évoqué à propos des femmes fatales. Par exemple, Tillich écrit que dans l’état de possession l’esprit se trouve « au pouvoir de certains de ses éléments qui aspirent à devenir tout l’esprit, qui s’emparent du centre du soi rationnel et le détruisent » (p. 159).
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[89]
Nous avons développé cet aspect dans IV.3. « Deux dualités qui se ressemblent » de notre « Le processus de sanctification… », p. 34-36.
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[90]
Paul Tillich, La dimension oubliée, p. 89.
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[91]
Ibid., p. 99. Gounelle écrit ainsi, concernant Jésus : « Le message prend sa pleine vérité dans la mort du messager, le symbolisé se dévoile dans le crucifiement du symbolisant » (« Les critères du symbole religieux », p. 53). Signalons aussi que dans la dernière phrase de cet article, l’auteur émet l’hypothèse suivante : « Plutôt que de “christologie symbolique”, je préfère parler d’une conception christologique du symbole ; il me semble, en effet, mais il s’agit là d’une opinion discutable, que la compréhension que Tillich a du Christ détermine sa théorie du symbole et non l’inverse ».
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[92]
« Cette conception empirique mais singulière d’une âme qui, en fonction de l’attitude inconsciente, existe de façon indépendante et autonome, ou qui s’estompe pour ne plus devenir qu’une simple fonction de relation [entre le conscient et l’inconscient], cette conception inattendue n’a plus, comme peut le constater tout un chacun, le moindre point commun avec la conception chrétienne de l’âme » (DMI, p. 229 ; voir aussi p. 198, 228, 233-234, 244 et 248).
-
[93]
DMI, p. 248.
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[94]
Cité par André Gounelle, « Les critères du symbole religieux », p. 52.
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[95]
TS I, p. 155-156.
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[96]
On peut remarquer que Tillich a retenu comme texte de départ de son sermon sur la préoccupation ultime le passage évangélique où Marie est présentée aux pieds de Jésus, écoutant sa parole (Lc 10,38-42). Dans ce texte l’attitude contemplative de Marie est présentée comme modèle de la préoccupation ultime — cependant Tillich n’évoque pas l’attirance érotique de Marie pour Jésus, même si le texte biblique peut le suggérer.
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[97]
Paul Tillich, Théologie systématique III. L’existence et le Christ, Québec, PUL ; Paris, Cerf ; Genève, Labor et Fides, 2006, p. 165-166, 248-250 (p. 250 pour la citation).
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[98]
« Elle [la naissance virginale] exprime la conviction que l’Esprit divin qui fait de l’homme Jésus de Nazareth le Messie l’a aussi créé comme son récipient ; la venue salvatrice de l’Être Nouveau dépend donc de Dieu seul et non de contingences historiques » (ibid., p. 249-250).
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[99]
On pourra remarquer que cela correspond aussi à la manière dont Jung appréhende les symboles oniriques, au contraire de Freud. Voir Carl Gustav Jung, L’homme à la découverte de son âme, p. 203 : le symbole onirique « ne dissimule pas, il enseigne ».
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[100]
André Gounelle, « Les critères du symbole religieux », p. 52. Gounelle précise : « […] sans doute Tillich pense-t-il à Jésus ».
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[101]
Voir n. 59.
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[102]
L’inconscient collectif jungien, contrairement à ce que l’on croit parfois, n’est pas un réservoir d’images.
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[103]
Nous avons rappelé, dans notre « Sanctification et individuation : une discussion de l’approche téléologique du symbole chez Tillich, Jung et Ricoeur », une dimension essentielle de l’archétype jungien : ce n’est qu’une structure, certes de nature collective, mais qui est meublée par le vécu personnel du sujet. Ainsi, la coloration de l’anima est individuelle : elle est très liée aux premières femmes rencontrées : mère, soeur, tante…
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[104]
Voir notamment DMI, p. 156-158, 188 où Jung évoque des « humeurs », « caprices » et « accès de frayeur ».
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[105]
Gounelle n’aborde pas cet aspect de l’« objectivité » du symbole religieux tillichien, peut-être, car il semble convenu qu’il est « objectif » et « collectif », comme en témoignent les exemples qu’il donne : la colère de Dieu, la naissance virginale de Jésus — exemple de mauvais symbole —, Christ lui-même. Or nous avons évoqué dans notre « le processus de sanctification… » que le rêve individuel est manifestement aussi reconnu par Tillich comme médium de révélation possible (p. 32-33).
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[106]
On pourra aussi considérer le texte de Jung référencé dans la n. 75 : « objectiver » un symbole peut revenir à lui faire perdre de sa force « salutaire ». Mais nous pensons néanmoins que notre proposition d’enrichir la théologie tillichienne de la sanctification avec l’anima nécessite une certaine universalité du symbole.
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[107]
Voir Christophe Gripon, L’éros, un chemin vers Christ-Sophia. Approches bibliques et théologiques.