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Dans l’ensemble, l’ouvrage collectif, Le care : une nouvelle approche de la sollicitude ?, s’organise autour de la réception du « care » en France. Philosophie, courant de pensée ou attitude, le « care » se présente comme une nouvelle approche pour « prendre soin des autres » dans une société jadis travaillée par la question de la « fraternité ». L’idée du « care » séduit non seulement les intervenants sociaux, mais aussi les projets portés par les acteurs politiques. Devant un tel intérêt, cet ouvrage collectif tente de comprendre la nouveauté et l’originalité de cette philosophie originaire des États-Unis. En quoi, le « care » se différencie-t-il de la fraternité ? Et en quoi pourrait-il répondre « à des besoins nouveaux, à des manières nouvelles d’envisager l’action sociale et politique, tout spécialement en France et en Europe ? » (p. 8).
Ces questions sont abordées à travers diverses contributions pluridisciplinaires regroupées en trois grandes parties. Celles-ci sont précédées d’une introduction et suivies d’une conclusion.
Dans l’introduction, Nathalie Sarthou-Lajus remonte à Carol Gilligan qui, aux années 1980, formalise un courant de pensée dans son livre In a Different Voice, qui revalorise les activités privilégiant le « soin », le « souci des autres », l’« attention aux vulnérables » dans une période du triomphe du libéralisme, de l’autonomie et de l’individualisme. Ainsi le « care » désigne tout simplement le fait de prendre soin des autres personnes vulnérables. C’est autrement dit reconnaître son enfance, sa part archaïque, inquiétante qui permet aussi au pourvoyeur du « care » de renaître (p. 18). La vulnérabilité demeure le moteur de cette pratique. Elle dit l’impossibilité de pourvoir par soi-même au maintien de sa vie et révèle ainsi ce qui fait le lien social et politique de nos démocraties (p. 17).
La première partie rassemble les contributions d’Étienne Pinte, de Serge Guérin et de Gilles Séraphin, qui tentent de comprendre pourquoi il est nécessaire pour une société d’inclure dans sa politique sociale la dimension du « care ». Ces trois contributions revalorisent la fraternité, la figure de l’aidant et la solidarité.
La deuxième partie du livre donne la parole aux associations de terrain qui pratiquent chacune à sa manière « l’attention à l’autre ». La parole est donnée d’abord à ATD Quart Monde qui, depuis sa fondation, mène un combat politique où la parole et la pensée des plus pauvres contribuent à la construction d’une société de la « réussite pour tous » (p. 72-73). Ensuite, à la communauté de l’Arche, pour qui « le vivre-ensemble » au-delà d’habiter ensemble avec les plus fragiles et les marginalisés est une expérience des relations mutuelles qui ouvre au spirituel. Prendre soin de l’autre, c’est prendre soin de Dieu (p. 77). Finalement, à la Société de Saint-Vincent de Paul, qui, tout en se consacrant au service du pauvre, fait en même temps le pari qu’il s’agit de ce fait d’un chemin de conversion tracé par les relations d’échange en toute gratuite (p. 89). En analysant les quatre phases du « care » (caring about, taking care of, care giving et care receiving) de Joan Tronto, les Vincentiens établissent une relation indissociable entre l’éthique du « care » et la dimension spirituelle. Cette partie se termine avec la présentation de François Ernenwein, de Jacques Sémelin et de Maurizio Ambrossini, qui analysent la pratique du « care » d’hier à aujourd’hui, tout en évoquant l’engagement remarquable des personnes migrantes auprès des vulnérables en Europe.
La dernière partie du livre et sa conclusion rassemblent trois contributions qui décryptent, examinent et critiquent efficacement le rapprochement entre le « care » et l’évangile, le « soin » et la charité, et entre « le souci des autres » et la responsabilité. Pour les auteurs de cette partie, le traitement du « care » demeure très proche de celui de la charité. Toutefois, cette dernière renvoie inlassablement à la Source, celui à qui l’on doit le « soin » — Dieu.
En terminant, il faut souligner que l’ouvrage fait une critique sociale remarquable de la notion d’autonomie qui caractérise l’humain libéral. Alors que l’autonomie semble définir le « vivre en société », le « care » met en évidence la part invisible dont l’humain (même libéral) ne peut se passer : la vulnérabilité anthropologique qui remet constamment en cause le projet libéral de l’autonomie. La condition humaine nous rend dépendants des autres. Toutefois, le recours fréquent (dans la grande partie de l’ouvrage) à la réalité de la « vulnérabilité » pour justifier le « care » nous semble insuffisant et, parfois, « moralisateur ». En dépit de ce constat, soulignons que l’ouvrage représente une introduction sérieuse à la réflexion sur des enjeux d’actualité : le rapport à l’autre, à l’étranger, au migrant, au vulnérable, etc.