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Dans la chronique « Histoire du christianisme moderne et contemporain » sont réunies des recensions et des revues critiques d’ouvrages récents ainsi que d’autres outils utiles, par exemple des conférences audio ou des films. Sont également accueillies des recensions courtes présentant des ouvrages qui n’ont pas pu faire l’objet d’une critique fine et détaillée. À la suite de certaines analyses, la chronique accueille également des interviews d’auteurs. Elle publie aussi des rapports de colloques et de séminaires, de notes et commentaires, ainsi que des comptes rendus et des appréciations d’autres événements qui peuvent profiter aux historiens et à tous ceux qui s’intéressent au christianisme. Divisée en différentes sections, qui dépendent des parutions analysées ou des événements présentés, elle ne se fixe aucune frontière spatiale ni aucune limite quant aux sujets traités.

La présente chronique comporte vingt-huit recensions et deux rapports. Deux auteurs d’ouvrages récents qui connaissent actuellement une certaine popularité, Rémi Brague et Guillaume Cuchet, ont également été interviewés à propos de leurs derniers livres respectifs.

Philippe Roy-Lysencourt

En vedette

1. Rémi Brague, Sur la religion. Paris, Flammarion, 2018, 245 p.

Rémi Brague est membre de l’Institut de France, professeur émérite de philosophie à la Sorbonne et à l’Université Ludwig-Maximilian de Munich, auteur de nombreux essais, parmi lesquels plusieurs ont connu un grand succès, par exemple Europe, la voie romaine (1992), Au moyen du Moyen Âge (2006), Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres (2008), Modérément moderne (2014).

Dans son dernier ouvrage, composé de textes prononcés et/ou publiés dans d’autres langues que le français, remaniés et augmentés, Rémi Brague veut « aller de la religion aux religions, ou à tout le moins, faute de pouvoir les envisager toutes, à certaines religions » (p. 8). Dans son avant-propos, il précise qu’il se limite à celles auxquelles il a « un accès linguistique direct » (p. 8), ce qui, chez ce polyglotte, n’est pas si limitatif. Le lecteur sera donc amené à le suivre dans des réflexions plus approfondies sur les religions de l’Antiquité classique et les trois grands monothéismes (qui sont les plus étudiés, notamment le christianisme) que sur les religions de l’Inde et de l’Extrême-Orient, qui ne sont qu’effleurées. Son but est de « chercher ce qui fait qu’une religion est ce qu’elle est, et ce qui fait que les chrétiens sont chrétiens, les juifs juifs, les musulmans musulmans, etc. » (p. 9). Dans sa posture philosophique, Rémi Brague a choisi de se « placer au niveau du contenu des religions étudiées, et de laisser en marge la façon dont ce contenu est réfracté par les esprits de telle région à telle époque » (p. 9). Ainsi, il « envisage successivement la religion dans ce qu’elle dit de Dieu et de l’homme, pris dans ce qui le constitue comme tel, à savoir la raison, puis ses rapports avec d’autres domaines de l’humain comme le droit et la politique, mais toujours avec le souci de montrer comment elle préserve ou menace ce à quoi l’homme d’aujourd’hui tient tout particulièrement, à savoir sa liberté morale et son intégrité physique » (p. 9).

Après un premier chapitre dans lequel il tente de définir et de circonscrire le concept de religion, tout en réfléchissant sur sa place, son usage et son utilité, l’auteur tâche de répondre, dans un deuxième chapitre, à la question suivante : « Y a-t-il autant de dieux que de religions ? » Le texte suivant est consacré au concept de « monothéisme » ; l’auteur en montre le caractère tardif et atteste que son emploi fut, à l’origine, plus philosophique que religieux.

Dans le quatrième chapitre, à partir du fameux discours prononcé par Benoît XVI à l’Université de Ratisbonne le 12 septembre 2006, Rémi Brague traite des rapports entre la religion et la raison. Il démontre notamment que la raison, le logos, n’est pas le monopole d’Athènes et que la rationalité est également présente du côté de Jérusalem, dans la Bible, même si elle se manifeste sous une autre forme.

Après les rapports entre la religion et la raison, Rémi Brague s’intéresse aux rapports entre le droit et la religion. Il prétend d’emblée qu’il y a trois — et non pas deux comme cela est souvent supposé — modèles de fondation du droit. Au droit naturel et au positivisme juridique, il ajoute le concept de loi divine qui est attesté dès l’Antiquité et qui prend une importance particulière dans les religions qui se réclament d’une révélation. Il articule ces trois concepts de manière à mettre en évidence ce qu’ils ont en commun et ce qui les sépare.

Le sixième chapitre traite de la question de la séparation de l’Église et de l’État. Selon Rémi Brague, ces deux éléments « n’ont jamais eu […] à s’arracher l’un de l’autre, parce qu’ils n’ont jamais été si intimement liés qu’ils constituaient une unité. L’Église et l’État n’ont jamais été séparés, parce qu’ils n’ont jamais été unis » (p. 146). Il développe sa pensée dans les pages qui suivent en prenant le terme « Église » dans un sens très large, car il évoque les relations avec l’État du judaïsme, du christianisme et de l’islam.

L’auteur s’attarde ensuite sur les racines bibliques de l’idée occidentale de liberté. Il s’en prend à l’idée selon laquelle la liberté serait quelque chose d’extérieur à la religion et qu’elle consisterait à s’en émanciper. Il conclut son chapitre en affirmant « que des institutions libres ne se sont guère développées dans des régions qui n’avaient pas été influencées par des idées juives ou chrétiennes » (p. 192).

Les deux derniers chapitres traitent de la question de la violence. Dans « Violence et religions » (chap. 8), il examine l’affirmation aujourd’hui récurrente selon laquelle les religions sont violentes ou favorisent la violence. Il fait des distinctions qui tordent le cou à cette assertion en montrant qu’il n’y a « aucune raison de supposer un lien particulier entre religion et violence plutôt que, par exemple, entre violence et politique » (p. 198). Il se demande aussi ce qu’il en est du phénomène récent de l’athéisme et s’il est capable d’assurer la paix. La réponse est apportée par l’histoire ; il n’y a qu’à considérer les exactions du très athée régime national-socialiste pour tirer des conclusions… Et puis, il y a d’autres questions qui se posent et, parmi elles, celle de savoir si les actes de violence commis par des adeptes d’une religion l’ont été à cause de leur religion ou malgré elle, ou sans rapport avec elle. Sans nier les violences commises au nom de la religion — il en donne plusieurs exemples — Rémi Brague invite ses lecteurs à éviter « de mettre sur le même plan “les religions”, toutes les religions, comme si toutes prêchaient les mêmes doctrines et recommandaient les mêmes pratiques » (p. 209). Il exhorte également ses lecteurs à éviter de « confondre une religion donnée avec les hommes qui se trouvent la professer, mais dont rien ne prouve que leurs actions ont été motivées par elle » (p. 209-210). Enfin, dans le neuvième et dernier chapitre, l’auteur se demande si la violence exercée au nom des trois grandes religions monothéistes peut s’appuyer sur ses textes fondateurs.

Ce livre étant composé de textes publiés de façon indépendante ailleurs, le lecteur peut, s’il le souhaite, aller directement au sujet qui l’intéresse. En effet, comme c’est habituellement le cas pour ce type d’ouvrage, il n’y a aucun chapitre dont la lecture soit un prérequis pour la compréhension d’un autre. Ce qui fait l’unité du livre, c’est que les textes qui le composent portent tous Sur la religion, mais il n’y a pas une imbrication très articulée entre les chapitres comme dans un livre original. Cela n’enlève cependant rien à l’importance de cet ouvrage, ni à la qualité intrinsèque des textes rendus ainsi disponibles au lectorat francophone. C’est avec la grande érudition qu’on lui connaît que Rémi Brague traite de chacun des sujets abordés. Comme il le fait habituellement, sa réflexion est élaborée à partir d’un nombre considérable d’auteurs, de l’Antiquité à nos jours et en provenance de plusieurs disciplines, ce que les nombreuses références et l’index illustrent parfaitement. J’ajouterais que les réflexions philosophiques de Rémi Brague seront utiles à tous les spécialistes de la religion, qu’ils soient anthropologues, historiens, religiologues, sociologues et même théologiens. La réflexion des philosophes oblige souvent à se poser des questions que l’on ne se posait pas et/ou à se questionner autrement ; c’est le cas de cet ouvrage qui n’est d’ailleurs pas réservé aux spécialistes de la question, loin de là. Rémi Brague est en effet un bon pédagogue, sa pensée est construite de manière logique et progressive, ce qui rend cet ouvrage, comme ses autres écrits d’ailleurs, accessible à tous.

Philippe Roy-Lysencourt

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Pour enrichir cette recension, nous avons demandé à Rémi Brague s’il voulait bien répondre à quelques questions, ce qu’il a aimablement accepté. Nous l’en remercions très chaleureusement.

Interview de Rémi Brague à propos de son livre Sur la religion

Propos recueillis par Philippe Roy-Lysencourt, juin 2018

♦ Philippe Roy-Lysencourt — Les anthropologues, les historiens des religions, les sociologues et les religiologues ont énormément écrit sur la religion. Pourquoi, en tant que philosophe, avez-vous cru utile de revenir sur le sujet ?

Rémi Brague — Tout simplement parce que, trop souvent, les chosologues dont vous parlez supposent que l’on sait déjà ce que c’est que la religion, ou qu’une religion. Ensuite, parce que, n’étant moi-même « logue » de rien de particulier, j’ai voulu écrire quelque chose de très élémentaire, à la portée d’un large public. Il y a des questions simples que les gens savants considèrent souvent comme au-dessous de leur niveau. J’ai donc voulu aller au charbon, « m’y coller » pour les éclairer quelque peu.

♦ P.R.-L. — Vous affirmez (p. 52-53) avoir « maille à partir avec les gens qui disent que certains athéismes prétendus sont en réalité des religions » et vous donnez l’exemple du totalitarisme. Vous ajoutez que « singer la religion au moyen d’une hiérarchie, de cérémonies, d’une sorte de Credo, etc., n’est pas encore être une religion ». Plus loin (p. 55), vous parlez des « divinités […] inquiétantes » que peuvent être pour certains « la Nation, le Progrès, l’Histoire, la Classe, ou la Race ». Bien sûr, d’un côté il s’agit de prétendues « religions » et de l’autre de prétendues « divinités », mais peut-on articuler ces deux affirmations de manière à tirer des conclusions générales sur une certaine forme de « religiosité » athée contemporaine ?

R.B. — Je ne suis pas le premier à constater la montée d’une religiosité athée. Il y a même des gens qui s’en font les propagandistes. Les révolutionnaires français, Robespierre en tête, voulaient changer de religion, en changeant la représentation de Dieu. Auguste Comte, qui détestait la Révolution et cherchait un nouveau « pouvoir spirituel » capable de contrebalancer la puissance de l’industrie, a écrit dans une lettre une phrase qui m’a beaucoup frappé : « Tandis que les protestants et les déistes ont toujours attaqué la religion au nom de Dieu, nous devons, au contraire, écarter finalement Dieu au nom de la religion[1] ». Il s’agira alors de capter les énergies gaspillées dans les religions réelles pour les mettre au service d’un projet autre. Dans le même sens vont certaines affirmations recommandant un « noble fanatisme » chez Comte lui-même ou chez André Breton[2]. Pour caractériser cette religiosité, je n’ai rien trouvé de mieux que la formule déjà vieille de plus d’un siècle de Péguy : l’homme moderne est moins athée que, selon le mot qu’il forge ad hoc, « autothée[3] ».

♦ P.R.-L. — Que pensez-vous de la célèbre citation — toujours tronquée et citée hors de son contexte, mais c’est un autre problème — de Karl Marx selon laquelle « la religion est l’opium du peuple » ?

R.B. — Que, là où elle recule, des opiacés idéologiques autrement plus dangereux s’empressent de venir la remplacer. Et ce n’est pas peu comique que de voir que parmi ceux-ci, et pas entre les moins destructeurs, il y a le léninisme et le maoïsme, qui se réclament de Marx ! Les plus grands massacres du xxe siècle, le Holodomor d’Ukraine en 1932-1933, la Shoah dix ans plus tard, la révolution culturelle chinoise, l’auto-génocide cambodgien, sont le fait de régimes non seulement athées, mais qui visaient à éradiquer les religions. Si la religion est un opium, l’athéisme est un cyanure…

♦ P.R.-L. — Les spécialistes des sciences religieuses ont tendance à mettre toutes les religions sur le même plan. Que doit-on en penser d’un point de vue philosophique ?

R.B. — Ce ne sont pas trop les gens compétents qui mélangent tout, ce sont plutôt les « demi-savants » des médias ou des « réseaux sociaux ». Il n’y a pas besoin de s’élever très haut, de grimper à la vigie philosophique, pour constater que ce que nous appelons sans trop y réfléchir des « religions » recouvre un nuancier très large. Ainsi, toutes n’ont pas besoin de l’idée de Dieu : le bouddhisme s’en passe très bien. Certaines, comme celle des Aztèques, ou celle de « nos ancêtres les Gaulois » pratiquaient les sacrifices humains ; d’autres, comme le jaïnisme, poussent le respect de la vie, de toute vie, jusqu’à un degré invraisemblable. Les représentations de la divinité varient elles aussi du tout au tout : le nombre des êtres divins oscille entre des milliers et un seul ; leurs qualités morales s’opposent diamétralement. Bref, il faudrait commencer par faire la petite monnaie de ce gros billet « religion ».

♦ P.R.-L. — Depuis le concile Vatican II, l’Église catholique prône le dialogue interreligieux et plusieurs religions lui ont emboîté le pas. Qu’en pensez-vous ? Et puis, selon vous, le dialogue n’entraîne-t-il pas — ou ne risque-t-il pas d’entraîner — une vision dénaturée ou idéalisée de la religion de l’autre ? Ne peut-on pas le voir, par exemple, chez ceux qui, sous prétexte de dialogue, n’engagent à regarder l’islam que sous l’angle du grand jihad (intérieur) et font comme si le petit jihad (militaire) n’existait pas ?

R.B. — C’est un bien que de ne pas s’ignorer et, déjà, de ne pas se battre. Dans cette mesure, vive le dialogue ! Pour faire un peu de provocation, je me demande si le Moyen Âge n’a pas été la grande époque du dialogue interreligieux, avec la pratique de ce que les clercs latins appelaient disputatio et les Juifs wikkuah. Certes, l’atmosphère était désagréable, puisque c’étaient des Chrétiens qui forçaient des Juifs à répondre aux attaques, souvent provenant d’un converti, pour se laver d’accusations bizarres, par exemple le blasphème, sans parler du prétendu « meurtre rituel ». Il arrivait d’ailleurs que l’autorité politique déclare le Juif victorieux, voire lui décerne un prix. Ce fut le cas pour Nachmanide, dans la Barcelone du xiiie siècle. Reste surtout que l’on osait aller au fond des choses, qu’on appelait un chat un chat. On était loin des baisers Lamourette et des monologues parallèles auxquels se réduisent aujourd’hui certaines rencontres interreligieuses. Bien sûr, les règles élémentaires de la courtoisie valent dans tous les domaines, et donc aussi entre gens de diverses religions. Mais elles n’obligent nullement à dissimuler ses opinions et à taire ses arguments de peur de « braquer » l’autre.

L’exemple que vous donnez est intéressant. La distinction entre grand et petit jihad ne remonte pas à Mahomet. En tout cas, le Hadith qui la mentionne ne figure dans aucun des six recueils canoniques faisant autorité. Et de toute façon, elle ne signifie nullement que le « petit » jihad, militaire, serait interdit, mais qu’il ne suffit pas. Les traités de droit islamique comportent un chapitre sur le jihad, et les questions qui y sont traitées sont parfaitement militaires. Les mystiques parlent bien de l’effort sur soi, mais ils préfèrent d’ailleurs l’autre nom verbal (masdar) de la même IIIe forme de la même racine ĞHD, à savoir muğāhada.

♦ P.R.-L. — Quels sont, selon vous, les grands chantiers qui restent à mener dans les sciences religieuses ?

R.B. — Puisque vous venez de parler de l’islam, dont je m’occupe un peu, il y a là un chantier qui n’est en activité que depuis assez peu de temps. Ouvert au xixe siècle par des gens comme Theodor Nöldeke pour le Coran, ou Ignaz Goldziher pour le Hadith, il a été plus ou moins en sommeil jusque vers les années 1970. Il consiste tout simplement à appliquer aux récits sur les débuts de la religion de Mahomet, et aux textes qui remonteraient à cette époque, les bonnes vieilles méthodes de critique historique que l’on n’a cessé d’appliquer à la Bible — comme avant elle aux auteurs classiques grecs et latins — depuis au moins la fin du xviie siècle. Pensez qu’il n’existe même pas d’édition critique du Coran, avec les variantes…

Pour l’instant, ce qui est sûr, c’est que le récit traditionnel, qui date d’ailleurs de près de deux siècles après les faits qu’il prétend raconter, n’est pas fiable. Des hypothèses alternatives bouillonnent un peu partout, parfois un peu farfelues. Mais on cherche encore un modèle susceptible de recueillir le plus large consensus des savants. Pour faire le point sur ces questions, lisez le très bon livre, très savant, très prudent, de Françoise Micheau[4].

2. Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement. Paris, Éditions du Seuil (coll. « Couleur des idées »), 2018, 288 p.

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Est Créteil, Guillaume Cuchet est l’auteur de plusieurs livres qui ont marqué l’historiographie religieuse contemporaine : Le crépuscule du purgatoire (2005), Le purgatoire. Fortune historique et historiographique d’un dogme (2012), Les voix d’outre-tombe. Tables tournantes, spiritisme et société (2012), Penser le christianisme au xixe siècle. Alphonse Gratry (1805-1872) : Journal de ma vie et autres textes (2017). Dans son dernier ouvrage, à travers une passionnante analyse de sociologie historique, il s’intéresse au recul du catholicisme en France depuis les années 1960.

Guillaume Cuchet propose d’abord de longues et intéressantes considérations sur la fameuse « carte Boulard » en tant que lieu de mémoire du catholicisme français. Il s’attarde successivement sur le projet initial de Gabriel Le Bras, les origines de sa problématique, la genèse de sa carte, ses clés de lecture, ses principaux enseignements, les éditions successives et leur réception, le problème des origines historiques de la carte, avant de s’interroger sur ce qu’il en reste aujourd’hui.

Il s’intéresse ensuite au tournant de 1965 à partir de données statistiques qu’il analyse en profondeur malgré la complexité du travail que cela impose, complexité qui tient à la grande diversité géographique du catholicisme français et au fait qu’à partir du milieu des années 1960 l’Église a arrêté de compter le nombre des pratiquants. Malgré tout, à partir d’analyses de cas, il montre que, contrairement à ce qui a souvent été avancé, la rupture des pratiques date de 1965-1966 et doit être imputée au concile Vatican II ainsi qu’au début de l’application de la réforme liturgique plutôt qu’aux fameux événements de 1968 : « Les deux explications favorites de la rupture mises en avant par le catholicisme de droite (“la faute à Mai 68”) et de gauche (“la faute à Humanae vitae”) s’en trouvaient ainsi sérieusement relativisées au profit d’un scénario de double rupture. À un premier palier survenu en 1965 en aurait succédé un autre en 1968 (mai et juillet confondant leurs effets), le premier étant passé relativement inaperçu, le second ayant davantage marqué les mémoires » (p. 98).

Après avoir daté la rupture des pratiques, Guillaume Cuchet s’applique à en déceler les causes en posant l’hypothèse qu’il s’agit du concile Vatican II puisqu’il « ne voit pas […] quel autre événement contemporain aurait pu engendrer une telle réaction » (p. 130). À la base de son raisonnement, il y a la chronologie qui « montre que ce n’est pas seulement la manière dont le concile a été appliqué après sa clôture qui a provoqué la rupture. Par sa seule existence, dans la mesure où il rendait soudainement envisageable la réforme des anciennes normes, le Concile a suffi à les ébranler, d’autant que la réforme liturgique, qui contenait la partie la plus visible de la religion pour le grand nombre, a commencé à s’appliquer dès 1964 ». Cependant, selon l’auteur, ce n’est pas le Concile lui-même qui est à incriminer : « On ne voit pas, par exemple, qu’il ait lui-même relativisé en quelque manière l’obligation de la pratique » (p. 131). Malgré tout, il s’interroge sur les conséquences d’un document comme la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse, qui aurait peut-être « eu tendance à s’appliquer non pas ad extra, dans les rapports de l’Église et de la société […] mais ad intra, dans la façon dont les catholiques concevaient leurs devoirs religieux. Non pas sur le terrain de la liberté de conscience (puisqu’elle était déjà acquise) mais sur celui de la conscience religieuse (encore à conquérir). Le texte a pu ainsi apparaître comme une sorte d’autorisation officieuse à s’en remettre désormais à son propre jugement en matière de croyances, de comportements et de pratique » (p. 132). À cela, il ajoute certains aspects de la réforme liturgique « comme l’abandon du latin, le tutoiement de Dieu, la communion dans la main, la relativisation des anciennes obligations » (p. 134), auxquelles il faut ajouter les critiques de la communion solennelle, la nouvelle pastorale du baptême et du mariage, les « nouveaux catéchismes », ainsi que, « sans doute plus encore », en tout cas au niveau des humbles, le changement de discours. À titre d’exemple, Guillaume Cuchet évoque le silence brutal au sujet des « fins dernières » sur lesquelles il a beaucoup travaillé dans d’autres travaux. Parmi les facteurs déstabilisants, il évoque encore « l’image de l’Église, de sa structure hiérarchique et du sacerdoce » (p. 135), qui s’est manifestée notamment par l’abandon de la soutane, la politisation du clergé, les départs de prêtres, de religieux et de religieuses, le mariage de certains d’entre eux qui sont apparus à plusieurs comme une « trahison des clercs ». Le Concile a ouvert la voie, souligne-t-il, à une « sortie collective de la culture de la pratique obligatoire sous peine de péché mortel » (p. 135) qui s’exprimait principalement dans l’observance des commandements de l’Église. L’auteur poursuit son analyse en avançant des arguments tout à fait convaincants et bien documentés. Il s’attarde notamment sur le décrochage des jeunes de 15 à 24 ans chez qui le phénomène est le plus marqué. À ce sujet, il résume son analyse en écrivant « que le décrochage des jeunes a été le fait générateur de la crise (au sens de facteur principal) et qu’il a procédé d’un triple effet cumulé d’âge (le décrochage postcommunion), de génération (les baby-boomers) et de période (Vatican II et Mai 68 notamment) » (p. 154). Enfin, il s’attarde sur les causes socioculturelles en essayant de montrer comment ces mutations ont pu produire des effets religieux.

Guillaume Cuchet s’intéresse ensuite aux différentes temporalités de la déchristianisation. Il prend soin de se situer dans la longue durée, ce qui permet de voir des flux et reflux à partir de la Révolution française, avec les deux grandes ruptures que furent cet événement lui-même et le concile Vatican II, « l’une et l’autre déclenchées ou favorisées par un changement important dans le régime de la pratique (la fin de la pratique civilement obligatoire dans le premier cas, de l’obligation pastorale claire dans le second), encadrant un processus long marqué par des paliers de rupture secondaires (1830, 1880, 1914) et une alternance, dans le trend, de phases de reprise et de déprise limitées » (p. 193).

Le cinquième chapitre, qui comporte des tableaux très utiles, porte sur la crise du sacrement de pénitence. Les statistiques montrent qu’il s’agit d’un fait sociologique majeur. Guillaume Cuchet estime qu’elles montrent « une véritable explosion nucléaire du catholicisme français » (p. 206). Au-delà des chiffres, il s’agit aussi d’un fait spirituel d’une grande importance dont Cuchet tâche d’analyser les causes.

Enfin, le dernier chapitre est consacré à la crise de la prédication des « fins dernières », qui sont la mort, le jugement particulier, l’enfer et le paradis (avec éventuellement avant un passage au purgatoire). Selon Guillaume Cuchet, il s’agit « d’un problème de foi et de doctrine, et d’un malaise partagé entre le clergé et les fidèles. Tout se passe en fait comme si, assez soudainement, au terme de tout un travail de préparation souterrain, des pans entiers de l’ancienne doctrine considérés jusque-là comme essentiels, tels le jugement, l’enfer, le purgatoire, le démon, étaient devenus incroyables pour les fidèles et impensables pour les théologiens » (p. 244-245). Dans ce chapitre, il prend soin de présenter l’état de la prédication des fins dernières. Il s’attarde ensuite sur la crise elle-même, sur la rupture du milieu des années 1960, et sur quelques causes probables, avant de se pencher sur le problème de l’interprétation de cette crise.

L’ouvrage est véritablement passionnant tout en étant un excellent exemple d’un travail dépassionné. Le sujet étudié par Guillaume Cuchet est extrêmement sensible, mais il sait s’élever au-dessus des querelles et des idéologies pour proposer une argumentation rigoureusement scientifique. Il n’hésite pas, dans son analyse des causes, à exposer les interprétations conservatrice et conciliaire, et à montrer ce qu’elles contiennent de juste. Par ailleurs, le livre est bien écrit, l’argumentation bien construite et facile à suivre. Il ne fait aucun doute que cet ouvrage marquera durablement l’historiographie et qu’il s’agit désormais d’un ouvrage incontournable pour la connaissance du catholicisme contemporain. Il ouvre également de nombreuses pistes de réflexion pour les historiens du concile Vatican II. Je pense notamment à ceux qui travaillent sur le concept de réception. Cette problématique n’est pas celle de Guillaume Cuchet, mais sa façon d’analyser le catholicisme postconciliaire à partir des données statistiques me semble être une piste à explorer plus en profondeur par les spécialistes de la réception du Concile.

Philippe Roy-Lysencourt

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Pour enrichir cette recension, Guillaume Cuchet a accepté de répondre à quelques questions et nous l’en remercions très chaleureusement.

Interview de Guillaume Cuchet à propos de son livre Comment notre monde a cessé d’être chrétien

Propos recueillis par Philippe Roy-Lysencourt, juin 2018

♦ Philippe Roy-Lysencourt — Je conclus ma recension de votre ouvrage en disant qu’il me semble ouvrir des portes pour les historiens qui s’intéressent à la réception de Vatican II. Les recherches sur cette question se multiplient, mais très peu intègrent les statistiques. On passe là, me semble-t-il, à côté d’un aspect essentiel de la réception du Concile. Comment peuvent faire les chercheurs pour pallier ce déficit ? Il y a les analyses Boulard, mais quelles pistes peuvent-ils encore creuser ?

Guillaume Cuchet — Une des difficultés est, qu’en France tout du moins, on a arrêté de compter après le Concile, juste au moment où il aurait fallu continuer à le faire pour pouvoir enregistrer la chute. Fort heureusement, on n’a pas arrêté partout en même temps, de sorte que, par endroits, on a tout de même les moyens de quantifier la rupture. J’ai évoqué quelques cas dans mon livre mais il y en aurait bien d’autres. Dans la conclusion, je me suis permis de faire en ce sens deux propositions. D’une part celle de relancer le genre de la monographie diocésaine qui a fait la réputation de l’école française d’histoire religieuse dans les années 1960-1980, mais qui est un peu tombé en désuétude depuis. Il pourrait retrouver ici une nouvelle jeunesse parce que la paroisse, le doyenné, le diocèse restent des échelles d’observation irremplaçables du phénomène. D’autre part celle de faire des monographies familiales sur quatre ou cinq générations, en incluant les années 1960, de manière non seulement à retrouver un moyen de compter sérieusement mais surtout à comprendre pourquoi, d’une famille à l’autre, ou d’une branche à l’autre au sein d’une même famille, le bilan pastoral est souvent si contrasté. Le problème de la sociologie pastorale classique, de ce point de vue, est qu’elle était centrée sur le pratiquant isolé, de sorte qu’elle rate le plus souvent les faits de transmission, qui sont pourtant essentiels. Un certain nombre de questions sur l’évolution interne du milieu catholique en France depuis cinquante ans s’en trouveraient notablement éclaircies.

♦ P.R.-L. — Qu’il s’agisse de la chute drastique de la pratique religieuse contemporaine, de la crise du sacrement de pénitence ou de celle de la prédication des fins dernières, vous montrez bien que le décrochage se fait dans les années 1965-1966. Vous démontrez de façon convaincante l’influente directe et/ou indirecte du Concile sur toutes ces crises, et vous évoquez, ici et là, des causes antérieures à cet événement. Par exemple, lorsque vous abordez la crise de la prédication des « fins dernières », devant la rapidité de l’effondrement subit et le peu de résistance qu’il rencontra, vous parlez même « d’un système qui était probablement […] sérieusement miné de l’intérieur » (p. 256). Il semble évident que si la rupture s’est faite de façon si brutale, la structure était probablement bien affaiblie. Peut-on élargir le « système miné de l’intérieur » que vous évoquez pour les fins dernières à l’ensemble des ruptures qui font l’objet de votre étude et, si oui, quels sont les éléments qui auraient affaibli l’édifice ?

G.C. — Question fondamentale. La brutalité même de la rupture donne à penser qu’elle a été longuement préparée, même si ce genre de préparation est toujours difficile à saisir pour l’historien et qu’elle n’a pas de raison a priori d’avoir été la même dans tous les domaines. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit que le Concile avait probablement « déclenché » mais pas « provoqué » la rupture, car la question se pose légitimement de savoir s’il avait à lui seul la force nécessaire pour produire un tel effet. Je me suis efforcé, dans ma reconstitution d’ensemble du processus, d’articuler les différentes temporalités, c’est-à-dire le temps court de l’événement, celui, moyen, de la conjoncture et celui, plus long, des structures ou tendances de fond. Un des moyens de progresser dans la compréhension de ces problèmes serait, je crois, de revenir sur les années d’après-guerre, les années 1950 en particulier, qui ont précédé immédiatement la rupture et qui présentent à l’observateur des visages très contrastés. Une des questions qui se pose est de savoir jusqu’à quel point les courants religieux avancés qui ont « préparé » le Concile et qui ont pu le vivre comme le couronnement normal de leurs efforts avaient, à la veille de celui-ci, changé en profondeur le catholicisme ordinaire des paroisses, des écoles et des oeuvres.

♦ P.R.-L. — Le 4 décembre 1963, Paul VI promulgue la constitution Sacrosanctum Concilium. Le 29 février suivant, il met en place une commission chargée de mettre en application le texte de la constitution. Le 2 avril 1969, il publie le Novus Ordo Missae qui devient obligatoire en France le 1er janvier 1970. À partir des données statistiques que vous avez consultées, cette réforme a-t-elle eu un impact sur les pratiques ? La courbe des pratiques comporte-t-elle une inflexion en 1970 ?

G.C. — 1970 ne me paraît pas avoir constitué un véritable tournant mais il ne faut pas oublier en effet que la réforme liturgique a commencé à s’appliquer de façon spectaculaire dès 1964, de sorte qu’elle n’est peut-être pas étrangère en effet à la rupture enregistrée en 1965-1966. À noter cependant que ce sont surtout les jeunes qui ont décroché à ce moment-là, donc a priori pas ceux qui y étaient le plus sensibles. D’une manière générale, j’ai tendance à relativiser cette question liturgique qui me paraît avoir un peu obsédé la discussion. Je crois bien davantage à des phénomènes comme les transformations de la communion solennelle ou la sortie de la culture de la pratique obligatoire sous peine de péché mortel, changement saisissant survenu dans le sens même de la pratique, comparable à mon avis (pour ses effets de rupture) à la fin de l’obligation civile sous la Révolution française.

♦ P.R.-L. — Étudiant le traditionalisme catholique depuis quelques années, je me demande souvent ce qui a d’abord incité les gens à se tourner vers Mgr Lefebvre : la doctrine conciliaire ou la réforme liturgique ? Les deux, c’est certain, mais lequel entraîne l’autre selon vous ? Les statistiques, ici, peuvent-elles nous aider ?

G.C. — Je ne sais pas trop. Les statistiques, quand elles existent, ont comme premier avantage de nous renseigner sur la chronologie du phénomène, ce qui n’explique certes pas tout mais qui fournit des pistes. J’imagine que, dans la mouvance traditionaliste, il y a des profils différents, chacun ayant potentiellement des motivations ou systèmes de motivations différents. A priori, on pourrait penser que la réforme liturgique a dû fournir la base du mouvement, ses gros bataillons, une sorte de plate-forme commune où réunir adhérents et sympathisants, là où les problèmes de doctrine ne touchent généralement qu’un monde plus restreint. J’ai toujours été frappé, lors des entretiens que j’ai pu faire avec des personnes âgées qui ont vécu les événements comme témoins plus que comme acteurs, en particulier dans les milieux populaires, par le fait qu’ils sont rarement capables de dire si l’Église a changé ou non de discours. Ils sont plus sensibles à ce qu’elle est et à celle qu’elle fait qu’à ce qu’elle dit : à un style général, des attitudes, des apparences, des gestes, sans qu’il faille pousser trop loin le raisonnement.

♦ P.R.-L. — Dans les hypothèses que vous posez pour expliquer la rupture de la pratique religieuse, vous vous attardez sur Dignitatis Humanae qui peut, selon vous, avoir amené une certaine subjectivité en matière de croyances et de pratiques. À la liberté religieuse, ne pourrait-on pas ajouter l’oecuménisme (Unitatis Redintegratio) et les nouveaux rapports avec les juifs (Nostra Aetate) qui mettent fin au regard négatif porté sur l’autre ? Il me semble que ces deux documents peuvent être aussi importants, pour des raisons légèrement différentes, que celui sur la liberté religieuse pour expliquer en quoi le Concile peut rendre compte du décrochage de la pratique religieuse. Qu’en pensez-vous ?

G.C. — Oui, cela me paraît probable en effet en ce sens que cela participait d’une forme de désabsolutisation ou de relativisation de l’Église par elle-même, celle-là même qui, par le passé, avait souvent insisté au contraire sur son unicité et sa supériorité par rapport aux autres confessions chrétiennes et, a fortiori, aux autres cultes. Reste à voir par quelles médiations concrètes les choses ont pu passer. Un changement inexpliqué ou mal expliqué de discours de la part d’une institution qui avait beaucoup insisté par le passé sur son immutabilité présumée et les variations de ses adversaires, peut engendrer un scepticisme de masse, factuel, par simple juxtaposition de l’avant et de l’après. On ne saurait pas dire nécessairement en quoi son discours a changé mais on sait qu’il a changé. Pèse tout autant peut-être le silence sur des questions jadis considérées comme essentielles et dont, désormais, le clergé ne parlait plus comme s’il avait lui-même cessé d’y croire.

Actualités

3. Yves Chiron, L’Église dans la tourmente de 1968. Paris, Groupe Elidia - Éditions Artège, 2018, 273 p.

En cette année commémorative des événements de mai 68 en France, l’historien Yves Chiron propose un ouvrage fort à propos sur la tumultueuse année 1968 dans l’Église. Écrit à partir du dépouillement systématique de plusieurs journaux et revues, de témoignages, de différents fonds d’archives et d’un grand nombre de sources imprimées, ce livre raconte les grands événements qui ont marqué l’histoire de l’Église en 1968 : il dépasse donc les bornes chronologiques des mois de mai-juin 1968, comme il dépasse les bornes spatiales de la France.

L’ouvrage comporte neuf chapitres intitulés respectivement : 1) « Camilo Torres ou Dom Helder Camara ? » ; 2) « Mai 68 : des chrétiens et des prêtres dans la contestation » ; 3) « Mai 68 : L’Église contestée » ; 4) « Mai 68 dans les séminaires, les couvents et les monastères » ; 5) « Retour à l’ordre et interprétations » ; 6) « Le Credo du Peuple de Dieu (29 juin 1968) » ; 7) « Humanae Vitae L’encyclique anti-moderne (25 juillet 1968) » ; 8) « Medellin et la théologie de la libération (26 août-6 septembre 1968) » ; 9) « La contestation continuée. Des forums lyonnais au manifeste des théologiens ».

Entre Amérique latine et Europe, Yves Chiron nous raconte des événements éloignés géographiquement, mais qui se rejoignent dans certaines de leurs grandes revendications. Il nous montre également comment les uns ont pu inspirer les autres et quelles furent les influences réciproques qu’ils ont eues les uns sur les autres. Sous la plume de l’auteur, et grâce à une contextualisation efficace, ces grands événements prennent donc du sens tout comme les grandes réactions de Rome en cette année 1968, parmi lesquels le Credo solennel du pape en juin et l’encyclique Humanae Vitae en juillet.

À la lecture de ce livre, le lecteur découvrira que l’Église fut tout autant actrice que victime des grands événements de 1968 et il comprendra mieux les grands débats qui agiteront l’Église dans les années subséquentes. Mentionnons, pour terminer, que l’ouvrage est utilement composé d’une liste des sources ainsi que d’un index onomastique.

Philippe Roy-Lysencourt

Biographie

4. Yves Chiron, Benoît XV. Le pape de la paix. Paris, Éditions Perrin, 2014, 381 p.

Après un Paul VI (1993, 2008), un Pie IX (1995), un Pie X (1999) et un Pie XI (2004, 2013), voici qu’Yves Chiron nous offre un Benoît XV, ce pape qui régna de 1914 à 1922 et qui est probablement le moins connu de ceux qui furent sur le trône de Pierre au xxe siècle.

Giacomo della Chiesa naquit à Pegli (près de Gênes), dans une famille d’ancienne noblesse génoise, le 21 novembre 1854. Après ses études classiques, il fit des études de droit jusqu’à l’obtention d’un doctorat en droit civil en 1875. Il poursuivit ensuite des études ecclésiastiques au collège Capranica et il fut ordonné prêtre le 21 décembre 1878. L’année suivante, il entra à l’Académie des nobles ecclésiastiques, institution dont la mission consistait à former de jeunes ecclésiastiques au service diplomatique du Saint-Siège et au service administratif de la curie. En 1880, il obtint un doctorat en droit canonique. Remarqué par le cardinal Rampolla, dont il devint le protégé, il fut appelé à le suivre dans sa nonciature en Espagne en 1882. Lorsque Rampolla devint Secrétaire d’État, en 1887, Giacomo della Chiesa fut nommé minutante aux affaires ordinaires. En 1901, il devint substitut de la secrétairerie d’État, poste qu’il garda jusqu’au pontificat de Pie X. En 1907, il fut nommé archevêque de Bologne et sacré le 22 décembre de la même année. Il fut créé cardinal lors du consistoire secret du 25 mai 1914 et la barrette lui fut imposée le 28 mai suivant. Lors du conclave qui suivit la mort de Pie X, il fut élu pape le 3 septembre 1914 et prit le nom de Benoît XV. C’était en pleine guerre. Dans ces circonstances dramatiques, il intervint à plusieurs reprises en faveur de la paix, proposa la médiation du Saint-Siège entre les belligérants, créa une agence d’information sur les prisonniers de guerre et agit, par des mesures humanitaires concrètes, en faveur des populations plongées dans la misère. Au niveau religieux, il fonda la Congrégation pour l’Église orientale et il encouragea les missions ainsi que la constitution d’un clergé autochtone. C’est sous son pontificat que s’acheva la rédaction du code de droit canonique lancé par Pie X et qui fut promulgué le 27 mai 1917. Au niveau politique, il révoqua le non expedit imposé par Pie IX en 1874 et c’est sous son pontificat que la France renoua ses relations diplomatiques avec le Vatican. Il mourut le 22 janvier 1922.

C’est la vie de cet homme que raconte Yves Chiron dans Le pape de la paix. Dans les quinze chapitres qui constituent l’ouvrage, les cinq premiers sont consacrés à la vie et à la carrière de Giacomo della Chiesa avant son élection. Les dix suivants s’attardent sur des aspects particuliers de sa vie et de son oeuvre comme pape, avec tout d’abord, comme il se doit et comme l’annonce le sous-titre de l’ouvrage, un grand nombre de pages consacrées à son action pendant la Première Guerre mondiale. Des chapitres sont également consacrés à la question des missions, à celle de l’Orient chrétien (c’est-à-dire la création de la Congrégation pour l’Église orientale et de l’Institut pontifical oriental, avec leurs prolongements dans les années d’après-guerre), à la défense de la foi, à la politique italienne, ainsi qu’aux affaires de France.

Pour écrire cette biographie, en plus des sources imprimées (notamment le Diario du baron Carlo Monti[5]) ainsi que des articles et ouvrages écrits sur Benoît XV et son pontificat, Yves Chiron a travaillé à partir de l’Archivio Segreto Vaticano, des archives diplomatiques françaises (La Courneuve et Nantes), des archives de l’Institut Catholique de Paris et des archives de la Province dominicaine de France. Le résultat de ses recherches est un livre de référence bien écrit et bien documenté, complété par une liste des sources utilisées ainsi que par un index, qui contribue à combler une lacune qui était importante dans l’historiographie, notamment française, avant la publication du Benoît XV (1914-1922). Un pape pour la paix[6], paru quelques mois avant celui d’Yves Chiron, et du Benoît XV et la Grande Guerre[7] de Paul Christophe.

Philippe Roy-Lysencourt

5. Yves Chiron, Jean XXIII. Un pape inattendu. Paris, Éditions Tallandier, 2017, 460 p.

Yves Chiron vient d’ajouter, avec son Jean XXIII, une autre pièce à ses biographies papales. Comme le précédent, cet ouvrage comporte quinze chapitres qui nous font appréhender la vie d’Angelo Giuseppe Roncalli, de sa naissance à Sotte il Monte le 25 novembre 1881 à sa mort à Rome le 3 juin 1963. Dans ce livre, nous suivons donc le futur pape comme enfant, séminariste, étudiant à Rome, prêtre, secrétaire de Mgr Tedeschi (évêque de Bergame), aumônier militaire pendant la Première Guerre mondiale, professeur d’histoire de l’Église au séminaire de Bergame, président du Conseil central de l’Opera della propagazione della fede, visiteur — puis délégué — apostolique en Bulgarie, délégué apostolique en Turquie, nonce apostolique en France, patriarche de Venise et pape. Une attention particulière est accordée au concile Vatican II qu’il convoqua durant son court pontificat et qui se termina sous le règne de son successeur. Yves Chiron nous présente également le magistère de Jean XXIII. Un chapitre, le dernier, est consacré aux procès de béatification et de canonisation (« avec dispense de miracle ») de celui qui fut considéré comme le « bon pape Jean ».

Pour composer son ouvrage, Yves Chiron a essentiellement travaillé à partir des abondantes sources imprimées disponibles, notamment en italien, et dont on trouve la liste à la fin de l’ouvrage. Il a également fait des recherches au Centre des archives diplomatiques de Nantes, et il a utilisé les nombreuses sources de seconde main qui permettent d’appréhender Jean XXIII et son pontificat. L’auteur a également pu profiter d’échanges avec Mgr Capovilla, qui fut le secrétaire du pape. Un index onomastique complète cet ouvrage bien écrit et dépassionné (ce n’est pas le cas de plusieurs travaux sur ce pape) qui apporte un renouvellement de l’historiographie francophone sur le personnage.

Philippe Roy-Lysencourt

6. Philippe Roy-Lysencourt, Le cardinal Rafael Merry del Val (1865-1930). Aperçu biographique. Strasbourg, Institut d’Étude du Christianisme (coll. « Études », 1), 2016, 93 p.

Hormis les travaux récents de Laura Pettinaroli et de François Jankowiak[8], nous manquons d’une littérature francophone universitaire qui traite de la vie et de la carrière du personnel curial romain à l’époque contemporaine, y compris pour celui de premier plan. Les documents qui les concernent abondent pourtant dans les fonds d’archives du Vatican. Philippe Roy-Lysencourt, spécialiste de cette période, interprète cette lacune comme une invitation. Il pose ce constat critique comme point de départ d’un court aperçu biographique consacré au cardinal Merry Del Val (1865-1930).

L’ouvrage se concentre sur l’ascension et la vie de cet Espagnol, fils d’un de ces diplomates cosmopolites qui gravitent autour des chancelleries et des cours européennes de la fin du xixe siècle. Philippe Roy-Lysencourt nous fait découvrir la trajectoire de cet aristocrate en trois parties très équilibrées qui vont de sa jeunesse jusqu’au sommet de l’appareil d’État pontifical. L’auteur nous explique que, remarqué alors qu’il est encore jeune par Léon XIII, Rafael Merry del Val connaît dès lors une ascension fulgurante grâce à ses qualités humaines et professionnelles. Créé cardinal et nommé Secrétaire d’État (1903-1914) par Pie X, puis Secrétaire du Saint-Office (1914-1930), Merry del Val fait figure d’élément essentiel de l’appareil papal durant tout le premier tiers du siècle. Le format restreint de l’ouvrage impose des choix. Celui assumé par Philippe Roy-Lysencourt est de se focaliser strictement sur le parcours curial de l’aristocrate. Au fil de la trajectoire fulgurante de Raphael Merry del Val, l’auteur nous présente les questionnements et les épreuves d’un homme pieux, simple et totalement dévoué au pouvoir pontifical.

Le lecteur saura apprécier dans ce livre le fruit d’un long travail d’érudition et d’années de recherches dans les archives de plusieurs pays d’Europe. Le résultat est une biographie résolument vivante à l’apparat critique très précis. La bibliographie exhaustive sera d’une grande aide pour les chercheurs en histoire religieuse. On aurait pu espérer des annexes photographiques ou encore une chronologie succincte en fin d’ouvrage afin de compléter l’effort pédagogique de l’auteur. Car là réside l’autre force de cet ouvrage destiné autant aux initiés qu’aux novices des arcanes des palais sacrés. Facile à prendre en main et d’excellente facture, cette biographie du prélat se lit très facilement.

Le petit ouvrage de Philippe Roy-Lysencourt aborde la thématique du service de l’Église par le truchement d’un personnage complexe. Il interpelle aussi nos pratiques d’enseignants et de chercheurs tant dans la forme (offrir un précis scientifique, solide, agréable et volontairement accessible) que dans le fond (synthétiser et documenter un parcours ecclésial et curial de premier plan qui couvre tout le début du xxe siècle). Ce faisant, l’oeuvre est doublement utile. Il est à espérer que d’autres numéros soient publiés dans la même collection.

Nadir Amrouni

7. Marcel Clément, Esquisse inédite d’une autobiographie. Suivi de Vie et oeuvre par André Clément, Paris, Les Éditions de L’Homme Nouveau, 2017, 243 p.

Marcel Clément fut un philosophe, sociologue et journaliste français né à Crépy-en-Valois (Oise) le 11 mars 1921 et mort à Paris le 8 avril 2005. Après l’obtention de son baccalauréat en philosophie, il prépara une licence ès lettres, puis un D.E.S. en philosophie à la Sorbonne. En 1943, il rejoignit la Résistance où il fut « chargé de mission à l’économie nationale ». C’est dans le cadre de cette fonction qu’il rédigea, pendant la guerre et dans l’immédiat après-guerre, des rapports sur les dommages subis par la France. Entre-temps, en 1944, il avait passé un D.E.S. en économie politique et terminé une licence en droit. Après la guerre, il devint secrétaire-adjoint de la Commission française des Réparations et il fut envoyé en Indochine pour établir le coût de l’occupation japonaise dans cette région et dans les possessions françaises d’Extrême-Orient. Il devint également membre du Cabinet de travail de l’amiral d’Argenlieu et il remplit des missions à Tokyo et à Washington. En 1946, lors de son séjour aux États-Unis, on lui proposa des postes de professeur à l’Université Laval, à l’Université de Montréal, ainsi qu’à l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal. Il accepta après une rencontre avec la mystique Marthe Robin qui l’encouragea dans ce sens. Il enseigna donc dans ces établissements de 1948 à 1962, année où il rentra définitivement en France. Lors de son séjour au Canada, Marcel Clément enseigna également au Grand séminaire de Montréal, ainsi que dans différents instituts et collèges. Il publia plusieurs livres, un grand nombre d’articles dans des journaux et il prononça de nombreuses conférences. En 1953, il soutint une thèse à l’Université d’Ottawa sur L’économie sociale selon Pie XII. Malgré ses charges au Canada, il resta très présent en France : en 1955, il fonda, avec Gustave Thibon, le Centre français de sociologie ; il fut très impliqué dans le Centre de formation de moniteurs et de vulgarisateurs agricoles ; en 1956, il fut nommé professeur à l’École des chefs d’entreprise et des cadres supérieurs ; il enseigna à l’Institut Catholique de Paris. En 1962, il rentra définitivement en France où il devint rédacteur à l’Homme Nouveau (rédacteur en chef en 1963, puis directeur de 1972 à 1998) et professeur à l’Institut Catholique de Paris. Pendant le concile Vatican II, il couvrit l’événement à Rome. À partir de 1969, il enseigna à la Faculté libre de philosophie (qui deviendra la Faculté libre de philosophie comparée), créée par son frère André.

Marcel Clément s’est spécialisé sur la doctrine sociale de l’Église. C’était un thomiste, un conservateur et un ultramontain. Sa ligne de conduite se voulait d’une fidélité absolue au souverain pontife. C’est ainsi qu’il s’est opposé à Mgr Marcel Lefebvre et qu’il a oeuvré pour empêcher les traditionalistes de le suivre, ce qui a fait perdre à son journal un grand nombre d’abonnés et de lecteurs. C’était par ailleurs un proche de Marthe Robin (avec laquelle il a eu une centaine d’entretiens) et il resta toute sa vie fidèle à l’oeuvre des Foyers de Charité.

L’ouvrage publié par les Éditions de l’Homme Nouveau est à la fois un livre hommage et un album. Il est composé de trois parties. La première, intitulée « Marcel Clément : autobiographie inédite et non achevée », est l’édition d’un manuscrit découvert dans les papiers du philosophe par son neveu, François-Xavier Clément, chargé de trier les documents de son oncle. Il s’agit du commencement d’une autobiographie dans laquelle Marcel Clément relate les vingt-cinq premières années de sa vie. La suite de son existence est racontée dans la deuxième partie du livre, intitulée « Suite de la vie de Marcel Clément par son frère André », lequel fut son compagnon de toujours. Le volume comporte une troisième partie composée de témoignages. Il est complété par des annexes parmi lesquelles on notera une chronologie de la vie et des écrits de Marcel Clément. Il aurait été intéressant d’ajouter une bibliographie des nombreux livres écrits par l’auteur ainsi qu’un index onomastique.

Il ne s’agit pas d’une biographie savante, mais d’un livre hommage qui se révèle néanmoins une source intéressante pour appréhender la vie et l’oeuvre d’un personnage qui a marqué la vie de l’Église au xxe siècle. Pour terminer, nous ne pouvons que souhaiter la parution d’un ouvrage scientifique qui nous permettra d’évaluer la place de Marcel Clément dans le catholicisme contemporain.

Philippe Roy-Lysencourt

Encyclopédies et dictionnaires

8. Jean LeBlanc, D’Agagianian à Wyszynski. Dictionnaire biographique des cardinaux de la première moitié du xxe siècle (1903-1958). Montréal, Wilson & Lafleur (coll. « Gratianus - Instruments de recherche »), 2017, 905 p.

Nous devions déjà deux précieux dictionnaires à Jean LeBlanc, collaborateur du Centre de recherche en histoire religieuse du Canada dirigé par Pierre Hurtubise. Tout d’abord, son Dictionnaire biographique des évêques catholiques du Canada […] 1658-2002, qui a connu une deuxième édition revue et augmentée en 2012, ainsi que son Dictionnaire biographique des cardinaux du xixe siècle. Contribution à l’histoire du Sacré Collège sous les pontificats de Pie VII, Léon XII, Pie VIII, Grégoire XVI, Pie IX et Léon XIII (1800-1903), paru en 2007. Le dictionnaire que nous présentons ici est la suite de ce dernier ; il couvre les pontificats de Pie X, Benoît XV, Pie XI et Pie XII.

L’auteur a travaillé seul. Dans la préface de l’ouvrage, il mentionne qu’il n’est « ni historien, ni canoniste, ni théologien » et il se qualifie lui-même de compilateur en mentionnant qu’il « n’a utilisé que les sources secondaires, n’ayant pas eu recours aux archives, publiques ou privées, religieuses ou profanes ». Son but était « de rassembler en un seul ouvrage, au bénéfice des chercheurs et du public cultivé, la masse des informations dispersées dans un grand nombre de sources, et ainsi de réunir sur ces personnages, en français, assez de données, tant relatives à la vie et la carrière qu’au caractère et aux contributions dans divers domaines, pour se faire un portrait assez fidèle de l’homme autant que du prélat » (p. 1).

L’objectif est indéniablement atteint. Pour chacun des deux cent quatorze cardinaux de la période qu’il étudie, Jean LeBlanc fournit une notice biographique synthétique dans laquelle il prend soin de les situer géographiquement, mais aussi dans leur contexte historique. Sur ce dernier point, malgré l’érudition incontestable de l’auteur, on aurait parfois souhaité plus de nuances et des connaissances plus fines. Je pense, par exemple, à la longue notice consacrée au cardinal Merry del Val et dont la contextualisation laisse à désirer sur certains aspects, trop dépendante vraisemblablement de certaines sources de seconde main. Mentionnons par ailleurs que chacune des notices est utilement complétée par les renseignements suivants : devise, armoiries, iconographie, mandements, oeuvres, sources, bibliographie.

Les notices sont précédées d’une « Présentation », composée de six parties, dans laquelle l’auteur propose d’abord, d’une façon très générale, différents contextes (protagonistes, panorama, guerres et après-guerres, vie intellectuelle, etc.). Il présente ensuite des tableaux des consistoires durant lesquels il y a eu création de cardinaux entre 1903 et 1958, ainsi que des réflexions sur le nombre de cardinaux dans l’histoire, sur les créations in petto, sur les orientations entre 1903 et 1958, sur les parcours, sur les cardinaux religieux, sur l’origine géographique des cardinaux, ainsi que sur les lieux de formation romaine qui ont vu passer un grand nombre de ces personnages. Une troisième partie présente les cardinaux qui participèrent aux différents conclaves qui se sont tenus entre 1914 et 1978, une quatrième, la répartition géographique des cardinaux, une cinquième, les cardinaux appartenant à des ordres religieux. Une sixième, intitulée « nécrologie », comporte un tableau chronologique présentant la date de la mort de chacun des cardinaux de cette période.

Après les notices biographiques, l’ouvrage est complété par différents outils. Jean LeBlanc propose tout d’abord une liste des cardinaux qui sont passés par les représentations pontificales. Elle est suivie d’un tableau qui présente le parcours épiscopal de chacun des cardinaux, puis d’une liste des fonctions curiales qu’ils ont occupées dans les congrégations permanentes, dans les tribunaux et offices, au vicariat de Rome, dans les secrétariats de la Curie et dans la maison pontificale. Enfin, une dernière partie présente 1) une liste des titres cardinalices avec ses détenteurs (en séparant les titres épiscopaux des titres presbytéraux et des diaconies) ; 2) différentes listes des doyens, sous-doyens, camerlingues, protoprêtres et protodiacres qui ont composé le sacré collège pendant la période 1903-1958 ; et enfin 3) une liste des archiprêtres des basiliques romaines. Le livre est complété par une liste des sources utilisées par l’auteur, ainsi que par un index des notices. À celui-ci, il aurait été utile d’ajouter la page à laquelle on peut trouver la notice en question. Ces différents outils font de ce livre un instrument de travail complet et très utile.

S’il est certain qu’un tel dictionnaire aurait gagné à être rédigé par plusieurs auteurs — car un seul homme ne peut être spécialiste de tout — il faut tout de même souligner l’immense intérêt de cet ouvrage, et cela malgré le fait que l’on peut aisément trouver des notices biographiques sur Internet aujourd’hui (on pense en particulier au précieux travail de Salvador Miranda). Les notices de Jean LeBlanc sont rédigées avec beaucoup de rigueur, ainsi qu’avec un grand souci du détail et d’exactitude. On sent également l’effort fait par l’auteur pour se dépouiller de tout préjugé idéologique, même si l’on peut voir, çà et là, quelques remarques qui montrent qu’on ne peut jamais complètement échapper aux valeurs de son temps. En définitive, il s’agit d’un très bel outil de travail qui sera utile non seulement à ceux qui s’intéressent à l’histoire des cardinaux, mais aussi à tous ceux qui portent de l’intérêt à l’histoire de l’Église contemporaine, ainsi qu’aux historiens qui travaillent sur le xxe siècle.

Philippe Roy-Lysencourt

Essais

9. Marc-Alain Ouaknin, Philippe Markiewicz, Mohammed Taleb, Jérusalem, trois fois sainte. Paris, Groupe Artège - Éditions Desclée de Brouwer (coll. « Arpenter le sacré »), 2016, 213 p.

Jérusalem, ville sainte par excellence, tient une place centrale dans le judaïsme, le christianisme et l’islam. À ce titre, la ville a été victime de nombreux conflits. En 1980, dans Jerusalem, Problems and Prospects, Joël L. Kraemer écrivait : « D’abord, ville sainte d’une seule foi, ensuite de deux et puis de trois, Jérusalem est devenue, au cours de l’Histoire, la pierre de touche du prestige et de la gloire, un symbole de puissance et de suprématie et, de ce fait, le prix de la rivalité perpétuelle de ces fois et des peuples les professant[9] ». Jérusalem, pour les mêmes raisons, a suscité de nombreux travaux de recherche, des livres, des articles, des films. Avec la parution que nous présentons ici, les éditions Desclée de Brouwer nous offrent un nouveau regard sur la ville à travers le témoignage de trois écrivains sollicités par Olivier Germain-Thomas, directeur de la collection « Arpenter le sacré », pour « faire vivre Jérusalem avec leur foi et leur sensibilité, mais sans intervenir sur la question politique » (p. 7). Trois contributions composent donc cet ouvrage.

1) Celle de Marc-Alain Ouaknin, rabbin et docteur en philosophie, professeur associé de l’Université Bar-Ilan, auteur de plusieurs ouvrages et producteur de l’émission Talmudiques sur France Culture, qui livre un texte intitulé « Lire (à) Jérusalem », dans lequel il présente sa vision de la ville à travers certains lieux qu’il aime profondément. Le style est alerte et léger, agréable, intimiste. Nous avons l’impression d’accompagner l’auteur à Jérusalem, de nous promener avec lui dans la ville et de découvrir, en suivant les pas d’un guide, ici une bibliothèque, là une porte, ici encore un café, là un cimetière, tout en apprenant des choses sérieuses, par exemple sur l’histoire de Jérusalem ou ses noms.

2) Celle de Philippe Markewicz, moine bénédictin de l’abbaye de Ganagobie, fondateur et directeur de la revue Arts sacrés. Dans « Sion, ma mère », il raconte ses deux voyages à Jérusalem, à trente ans de distance, sur le ton personnel d’un récit dans lequel il mêle souvenirs personnels et réflexions plus générales sur la ville, ce qu’elle lui a inspiré, mais aussi sur le judaïsme et la Bible, sur l’architecture, sa première passion avant d’entrer au monastère. Il est intéressant de voir le regard différent qu’il porte sur la ville entre les deux voyages, entre celui de ses jeunes années et l’excursion de l’homme mûr qui se préoccupe davantage des hommes.

3) Celle de Mohammed Taleb, philosophe algérien qui s’intéresse notamment à l’écopsychologie et aux interactions entre l’écologie et la spiritualité. Ici, il propose des « Fragments d’histoire et de spiritualité de la Jérusalem musulmane ». Il présente la place de la ville de Jérusalem dans la conception du monde ainsi que dans la conscience spirituelle de l’islam, la question du « voyage nocturne » de Mohammed, Jérusalem comme lieu d’orientation de la prière musulmane, la ville comme enjeu de la conquête arabo-musulmane au viie siècle et pôle de civilisation, ainsi que « le visage musulman de Jésus ». La contribution de Taleb est moins personnelle et plus historique que celle des deux autres auteurs du livre. Les références sont peu nombreuses, mais le style voulu par l’ouvrage l’impose probablement. On y apprend réellement des choses sur la représentation de Jérusalem dans la conscience des musulmans.

Un juif, un chrétien et un musulman. Tous les trois, selon l’approche qu’ils ont choisi d’adopter, parlent de leur rapport personnel à Jérusalem ou de la vision que leurs coreligionnaires s’en font. Ces auteurs, il faut le souligner, sont des représentants « ouverts » de leur tradition religieuse respective : il y a un engagement personnel, il est présent et marqué, mais la lecture « libérale » prévaut indéniablement. Cet ouvrage au ton léger ne remplacera pas les nombreux ouvrages scientifiques qui existent sur Jérusalem et sur le rapport du judaïsme, du christianisme et de l’islam à cette ville, mais il a tout de même un certain intérêt, notamment parce qu’il invite au voyage et à la réflexion.

Philippe Roy-Lysencourt

10. Florian Michel, La chapelle vide. Entre sécularisation et laïcité impérative, itinéraire historien. Paris, Éditions CLD, 2017, 140 p.

Pour obtenir son habilitation à diriger des recherches (HDR), ultime diplôme universitaire en France, l’enseignant-chercheur doit notamment rédiger une synthèse de son activité scientifique. Cet exercice, requis par un arrêté ministériel de 1988, est diversement interprété par les candidats comme en témoigne, par exemple, la collection « Itinéraires » des Éditions de la Sorbonne où certains impétrants publient les résultats de leurs réflexions. L’essai que nous présentons ici « a pour origine cet impératif académique » et correspond, comme Florian Michel l’écrit explicitement, à son « interprétation toute personnelle de l’arrêté » (p. 5). Ainsi, ce qu’il propose dans cet ouvrage, c’est « à la fois une sorte d’autobiographie intellectuelle, un point de méthode, une réflexion sur l’histoire en général et l’histoire religieuse en particulier » (p. 5-6). Quant au titre de l’ouvrage, il évoque la chapelle de la Sorbonne : « Ce qui était autrefois le centre de gravité est devenu à la fois un symbole et un non-lieu. Le temple de la science positive se structure autour d’une chapelle mal entretenue et vide, laïcité oblige. C’est sur ce symbole qu’à travers mon “mémoire de synthèse”, repris et augmenté pour la présente publication, je voudrais essayer de réfléchir » (p. 7).

Agrégé d’histoire, docteur de la Ve section de l’École Pratique des Hautes Études, maître de conférences HDR en histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et vice-président du Cercle d’études Jacques et Raïssa Maritain, Florian Michel a soutenu son habilitation à diriger des recherches en novembre 2016. Auteur de nombreux ouvrages et articles en histoire politique, intellectuelle, culturelle et religieuse, il a reçu plusieurs bourses prestigieuses. Ses recherches portent essentiellement sur l’histoire culturelle et religieuse de la France et de l’Amérique du Nord, ainsi que sur l’histoire des relations internationales.

Dans cet ouvrage, Florian Michel présente son itinéraire « au croisement de trois historiographies » (p. 33), « cherchant […] à renouveler, dans leurs contours ou détails, certains questionnements et certaines limites posées : ouvrir l’histoire des relations internationales et de la diplomatie vers l’histoire religieuse, ouvrir l’histoire atlantique vers le xxe siècle, ouvrir l’histoire religieuse française vers le monde atlantique » (p. 33-34). Après le liminaire et l’introduction, son livre comporte cinq chapitres. Les quatre premiers traitent de son parcours et portent respectivement sur ses origines (« Sources languedociennes »), sur ses études universitaires (« Universitas magistrorum de Toulouse à Paris (1995-2006) »), sur ses nombreux voyages (« On the road »), ainsi que sur ses premières publications et les débats qui ont suivi certains d’entre eux (« Publier, débattre »). Le cinquième chapitre contient pour sa part des réflexions et perspectives de recherche autour de la chapelle de la Sorbonne (« Le fait religieux en Sorbonne »). L’ouvrage se termine par des considérations conclusives dans lesquelles Florian Michel formule quelques « remarques générales sur ce que pourrait être à la fois le futur de l’histoire religieuse dans un contexte de laïcité et celui de [ses] propres recherches et enseignements » (p. 135).

Je me permettrai de réagir sur un seul point, relatif à une question sur laquelle je travaille moi-même depuis plusieurs années — en parallèle jusqu’à présent à mon éminent collègue — et à propos de laquelle je voudrais appeler à un approfondissement des recherches. Il s’agit des liens entre l’Action française et le traditionalisme catholique. Dans cet ouvrage, à la lumière des critiques qui lui ont été adressées sur le sujet et qu’il expose avec une grande honnêteté avant d’apporter quelques arguments en faveur de sa position, Florian Michel me semble nuancer un peu les propos qu’il a tenus dans d’autres écrits. Sans développer mes propres intuitions, car elles ne reposent pour l’instant que sur des recherches plutôt sommaires, je me permets d’en appeler à l’organisation d’une journée d’étude où cette question cruciale serait posée et débattue par ceux qui ont déjà travaillé le sujet (Florian Michel, bien sûr, mais aussi Paul Airiau, Luc Perrin, Yves Chiron) et où l’on pourrait régler, une bonne fois pour toutes, cette question importante.

Il est intéressant d’aborder la réflexion qu’un historien porte sur son parcours et sur son travail, surtout s’il le fait, comme Florian Michel, avec humilité et honnêteté. Cet ouvrage sera vraiment à verser au dossier Florian Michel lorsque l’heure viendra de porter un jugement sur son oeuvre et sa contribution à l’historiographie. L’ouvrage est bien écrit, dans le style qu’on lui connaît, descriptif et démonstratif, fluide et limpide, profond et savant, toujours précis. Nous ne pouvons que féliciter notre collègue et ami, ainsi que lui souhaiter tout le succès voulu pour la suite de sa carrière.

Philippe Roy-Lysencourt

Franc-Maçonnerie

11. La Constitution des francs-maçons. 1723. Édition critique bilingue par Philipe Langlet. Paris, Honoré Champion éditeur, 2018, 570 p.

Ce qu’on appelle communément les « Constitutions d’Anderson », considérées comme le texte fondateur de la franc-maçonnerie dite spéculative, est paradoxalement un ouvrage bien connu, par son titre et les références qu’y ont faites une multitude d’auteurs, mais c’est un texte peu lu. Ce n’est pas qu’il soit peu accessible — Philippe Langlet en recense 24 traductions françaises, totales ou partielles, parues entre 1735 et 2001.

Il propose une nouvelle traduction intégrale qui a comme premier mérite d’offrir le texte anglais original en regard. P. Langlet est sévère pour ses prédécesseurs. La traduction de Maurice Paillard, publiée en 1952 et la plus répandue dans les loges maçonniques, présente « plusieurs erreurs manifestes de compréhension sur différentes notions » (p. 103). La traduction, partielle, proposée il y a quelque vingt ans par Patrick Négrier, pour une publication destinée au grand public (Textes fondateurs de la tradition maçonnique, 1390-1760, Paris, Grasset, 1995), livre « un texte parfois incompréhensible » (p. 115).

Mgr Ernest Jouin (1844-1932), originaire du diocèse d’Angers, curé de Saint-Augustin de Paris, protonotaire apostolique, fondateur de la Revue internationale des sociétés secrètes (1912-1922) et de la Ligue franc-catholique (en 1913), avait été le premier, en 1930, à proposer une édition bilingue, sous le titre Livre des constitutions maçonniques. Bien que Jouin ait été un des représentants de l’antimaçonnisme, Philippe Langlet qui, lui, appartient à la tradition maçonnique, reconnaît que cette « traduction est le travail d’un historien serrant le texte au plus près » (p. 101). Cette traduction, « très littérale », est souvent « difficile à lire » ; mais beaucoup de maçons « considèrent même que c’est une des meilleures traductions ».

L’édition critique bilingue de Philippe Langlet ne vient donc pas combler une lacune. Elle fournit néanmoins un travail qui désormais fera référence, ne serait-ce que par l’abondante annotation comparatiste qui accompagne, en bas de page, la traduction.

L’ouvrage, paru pour la première fois à Londres en 1723, a un titre problématique. La page de titre est au pluriel : The Constitutions of the Free-masons containing the History, Charges, Regulations, &c. of that most Ancient and Right Worshipful Fraternity. Le titre complet est au singulier et plus précis : The Constitution, History, Laws, Charges, Orders, Regulations, and Usages, of the Right Worshipful Fraternity of Accepted Free Masons ; collected from their general Records, and the faifhtful Traditions of many Ages.

Le choix du titre de cette traduction française, La Constitution des francs-maçons, se comprend donc mieux. Anderson, traditionnellement donné comme auteur, est absent de la couverture de l’ouvrage. Dans la très longue « Présentation » (p. 9-154) qui ouvre le livre, Philippe Langlet montre bien la part qu’a prise le pasteur James Anderson à cette Constitution. Il n’en est pas l’auteur, ni non plus un simple prête-nom. Né à Aberdeen en Écosse, pasteur de l’Église presbytérienne (non reconnue par l’Église anglicane), il fut reçu franc-maçon dans la loge de sa ville natale plusieurs années avant la publication de la Constitution. C’est une fois établi à Londres qu’il a rassemblé et mis en forme des textes anciens, oeuvre que d’autres avaient commencée avant lui. Le pasteur d’origine française Desaguliers (« Ce nom ne prend jamais d’accent. C’est la contraction de Des Aguliers », p. 161), ordonné dans l’Église anglicane, fut un des initiateurs de cette entreprise. En tant que « Vice-grand maître des Francs-Maçons » il signera la longue dédicace de l’ouvrage.

Cette édition devrait donc faire disparaître l’expression « Constitutions d’Anderson », comme s’il en était l’auteur, et imposer l’expression Constitution ou Constitutions de 1723, éditées par Anderson, qui en fut le compilateur et le rédacteur.

Philippe Langlet souligne l’importance respective des quatre parties de cette Constitution : l’Histoire (légendaire, de la Maçonnerie), les Devoirs, les Règlements généraux et les Chants. N’en éditer ou n’en traduire qu’une partie — les Devoirs, comme cela s’est produit souvent — c’est tronquer voire trahir l’ensemble. Le lecteur constate qu’aucune partie ne traite du rituel. P. Langlet précise : « […] rien ne décrit avec précision un rituel, même si l’on peut trouver différentes allusions, généralement annoncées par une formule plutôt vague et dilatoire » (p. 45). Et il convient : « […] il semble qu’Anderson (comme beaucoup d’autres auteurs) avait une prévention à mettre ces éléments par écrit » (p. 45). Il y a, ici et là, « allusion à des procédures rituelles, que l’auteur ne veut pas écrire » (p. 81). Cela fait partie des fameux secrets francs-maçonniques, dont, dans la Constitution, il n’est fait mention que dans les Chants (p. 75-79, 81-84, 86, 89 du texte original).

La franc-maçonnerie, en ses origines, n’est pas athée, ni anti-chrétienne. Le franc-maçon « ne sera jamais un athée stupide, ni un incroyant sans principes religieux », dit le premier chapitre des Devoirs (p. 50 du texte original). La franc-maçonnerie rompt néanmoins avec la doctrine et la tradition catholiques. Philippe Langlet reconnaît que la Constitution de 1723 n’est pas un simple « regroupement » des Old Charges (les vieux règlements corporatifs de la maçonnerie opérative), mais il souligne qu’il ne s’agit pas non plus d’une « dé-christianisation des usages, lois, règles et traditions » de ces corporations (p. 28). Il estime que si les maçons à l’origine de cette Constitution (Desaguliers, Anderson et quelques autres) « ont “lissé” certains aspects encore trop catholiques à leurs yeux, il ne semble jamais avoir été question, pour eux, de s’inscrire ailleurs que dans la tradition chrétienne. On peut même dire que c’est un christianisme renouvelé, celui des réformateurs. Une sorte de passage d’une tradition à une autre, sans aller jusqu’à affirmer qu’il s’agit du passage d’une Loi à une autre… Mais l’effort est comparable » (p. 28).

Reste que le principe maçonnique de la tolérance envers les personnes trouve son fondement dans un indifférentisme doctrinal affirmé. Au premier chapitre des Devoirs, déjà cité, il est affirmé : « Dans les temps anciens, les Maçons étaient obligés d’appartenir à la religion, quelle qu’elle fût, du pays où ils se trouvaient. On estime maintenant plus approprié de ne leur imposer que cette religion sur laquelle tout le monde est d’accord, en laissant à chacun de ses opinions personnelles » (p. 50 du texte original). Plus loin, elle est qualifiée de « religion universelle » (p. 54 du texte original).

Ce sera le premier motif de condamnation de la franc-maçonnerie par la papauté : « […] des hommes de toute religion et de toute secte, affectant une apparence d’honnêteté naturelle, se lient entre eux par un pacte aussi étroit qu’impénétrable » (Clément XII, constitution In Eminenti, 24 avril 1738).

Philippe Langlet n’aborde pas cette question dans son ouvrage, ce n’en était pas l’objet. Son but était de procurer une édition critique et une traduction fidèle, non surinterprétée ou anachronique, de ce qu’il qualifie, justement, de « premier livre officiel imprimé de la Maçonnerie ».

Yves Chiron

Miscellanées

12. Dall’Archivio Segreto Vaticano. Miscellanea di testi, saggi e inventari. Città del Vaticano, Archivio Segreto Vaticano, vol. VIII, 2015, 591 p.

Ce huitième volume de Miscellanées publié par l’Archivio Segreto Vaticano est, comme à l’accoutumée, varié dans ses sujets, dans les périodes concernées et dans le type des travaux publiés (études, édition de documents, publication d’inventaires). Le point commun de ces travaux est qu’ils ont été réalisés à partir de fonds conservés à l’ASV.

Angela Frascadore, dans « Citazioni, processi e scomuniche degli anni 1409-1411 » (p. 9-141), présente, décrit minutieusement, analyse et édite les bulles d’excommunication qui ont visé, entre 1409 et 1411, le roi de Naples Ladislas Ier dit le Magnifique (1377-1414), de la branche d’Anjou-Durazzo. Dans l’ultime décennie du Grand Schisme, la papauté de bicéphale est devenue tricéphale. En effet, au pape de l’obédience romaine, Grégoire XII (Angelo Correr) — seul pape légitime au regard de la nomenclature qui figure dans l’Annuario pontificio — et au pape de l’obédience avignonnaise, Benoît XIII (Pedro de Luna), s’est ajouté un troisième pape, Alexandre V (Pierre Filargis) élu par d’autres cardinaux réunis à Pise, le 26 juin 1409. La mort prématurée de celui-ci sera suivie de l’élection de Jean XXIII (Baldassarre Cossa), l’Église continuant à être divisée dans une « satanée trinité » selon l’expression du temps.

Le roi Ladislas était resté fidèle au pape de l’obédience romaine, Grégoire XII. Il a donc reçu des papes de la lignée pisane quatre litterae sollemnes ou bulles : deux d’Alexandre V, le 1er novembre 1409 et du 31 janvier 1410, et deux de Jean XXIII, le 11 août et le 9 septembre 1411. Pour chacun des papes, la procédure suivie était la même : dans un premier temps le souverain est cité à comparaître devant le pape et la curie, puis une sentence d’excommunication lui est adressée.

À chaque fois, il s’agit de très longues lettres. Elles exposent non seulement les motifs et les conséquences de la sentence encourue, mais font un récapitulatif des événements qui ont amené aux décisions prises. Les documents présentent donc pour l’historien un intérêt de premier plan. Ces litterae sollemnes d’Alexandre V et de Jean XXIII peuvent ainsi être considérées comme une sorte de chronique du Grand Schisme d’Occident vue par la lignée pisane.

David R. Marshall, « The Letters of cardinal Patrizi to his brothers Mariano and Francesco concerning the Villa Patrizi (1718-1727) » (p. 143-520). L’auteur édite le corpus impressionnant des 401 lettres, en italien, que le cardinal Patrizi a adressées à ses frères qui veillaient à la construction d’une somptueuse demeure qu’il faisait édifier à Rome, hors-les-murs. Créé cardinal en 1715 par Clément XI, Giovanni Battista Patrizi (1658-1727) avait décidé aussitôt la construction d’une villa sur un terrain que sa famille possédait, au-delà de la Porte Pia, Strada di S. Agnese (aujourd’hui Via Nomentana). Le cardinal Patrizi a pu surveiller les premiers travaux et constructions, notamment le bâtiment principal, le Casino, mais, nommé légat à Ferrare en 1718 et maintenu en fonction par les papes suivants (Innocent XIII et Benoît XIII), il a dû faire suivre les travaux par ses frères, Mariano Patrizi (1663-1744) et l’abbé Francesco Felice Patrizi (1665-1734). Le cardinal Patrizi s’apprêtait à quitter Ferrare et à revenir de manière définitive à Rome lorsqu’il mourut, en juillet 1727.

Les 401 lettres, conservées par la famille Patrizi puis entrées à l’ASV dans les années 1950, s’étalent sur une période de dix ans : du 22 juin 1718 au 26 juillet 1727. Elles portent principalement sur la construction de la villa monumentale (deux étages surmontés d’une terrasse) et de ses annexes (dont une chapelle) et sur l’aménagement des jardins et vergers. Elles constituent « une extraordinaire source d’informations sur le processus (decision-making process) dans la construction et la décoration d’une villa au début du xviiie siècle et le rôle des artisans et des artistes » (D. Marshall). On doit signaler que l’éditeur de cette riche correspondance a consacré déjà une riche étude à l’histoire de cet édifice : Rediscovering a Baroque Villa in Rome. Cardinal Patrizi and the Villa Patrizi, 1715-1909 (Rome, 2015).

Carlo Taviani et Andrea Vanni, « Le Istruzioni di Leone X a Gian Pietro Carafa e Federico Fregoso », p. 521-544. Les Instructions qu’a données le pape Léon X (élu le 11 mars 1513) à Mgr Carafa, évêque de Chieti, nommé nonce à la cour du roi d’Angleterre Henri VIII, datent des premiers mois du pontificat. Elles ont été probablement précédées d’Instructions données à Mgr Fregoso, archevêque de Salerne, envoyé comme légat en Angleterre pendant l’été 1513. Seules les instructions données à Carafa ont été intégralement conservées. Le texte original des instructions à Fregoso a été perdu, une copie en a été conservée et permet de constater la similitude des deux instructions.

Carlo Taviani et Andrea Vanni éditent, avec une riche annotation, les Instructions à Carafa. Ils émettent l’hypothèse (p. 535) qu’en considération des difficultés militaires et diplomatiques qui persistaient à la fin de l’été 1513, le francophile Carafa a été préféré à Fregoso qui, finalement, n’a peut-être jamais rejoint l’Angleterre.

Les 21 points des Instructions données par Léon X montrent le grand dessein politique des débuts de son pontificat : établir « la paix universelle des chrétiens ». Puis quand les nations d’Occident auront été ramenées « à un terme honorable et sûr », elles pourront « se tourner contre les ennemis et les persécuteurs du nom du Christ », au premier rang desquels le Turc, « jeune, belliqueux, riche, victorieux, ennemi plus important (capitalissimo inimico) des chrétiens ».

Gianni Venditti, « Le carte Gramiccia-Pagliucchi in Archivio Segreto Vaticano », p. 545-567. Mgr Pietro Paolo Gramiccia (1804-1881) fit l’essentiel de sa carrière dans les États pontificaux. Il fut, à partir de 1847, en charge successivement des Délégations apostoliques de Benevento, d’Ascoli, de Civitavecchia, de Ferrare et enfin de Pérouse. La prise de Pérouse par les troupes piémontaises le 14 septembre 1860, suivie de l’annexion de l’Ombrie au Royaume d’Italie en décembre suivant, marqua la fin de la carrière de Mgr Gramiccia. Revenu à Rome, en 1864 seulement semble-t-il, ses dernières années furent obscurcies par une escroquerie financière à laquelle il fut mêlé par imprudence.

Gianni Venditi publie l’inventaire des papiers de Mgr Gramiccia qui furent donnés à l’ASV par l’archiviste Pio Pagliucchi, d’où le nom du fonds. Outre des actes du Magistère (encycliques, brefs, etc.), qu’on ne s’étonne pas de trouver dans les papiers d’un prélat, on trouve principalement, en lien avec les fonctions successives de Gramiccia dans les États Pontificaux, une documentation politique, soit générale (édits politiques de Pie IX ou de la Secrétairerie d’État, règlements, instructions, circulaires des ministères pontificaux et de l’administration du Stato Pontificio), soit locale (presse, brochures, prospectus). L’inventaire contient aussi le descriptif de la correspondance de Gramiccia avec la Secrétairerie d’État, les ministères pontificaux de l’Intérieur et de la justice, la Chambre Apostolique, le nonce à Naples, etc. Il s’y montre attentif à l’administration ordinaire des Délégations successives qu’il dirige, mais aussi à l’évolution de l’opinion publique, à la présence et à l’activité des partisans de l’unité et des adversaires du Gouvernement pontifical, à la diffusion de la propagande « révolutionnaire ».

Le fonds Gramiccia-Pagliucchi ne pourra plus être ignoré des historiens des dernières décennies des États Pontificaux.

Yves Chiron

Missions

13. Timothy P. Foran, Defining Métis. Catholic Missionaries and the Idea of Civilization in Northwestern Saskatchewan, 1845-1898. Winnipeg, University of Manitoba Press, 2017, 229 p.

L’oeuvre des missionnaires catholiques dans l’Ouest et le Nord canadiens est, pour ainsi dire, mondialement connue. Cependant, leur rôle dans la catégorisation des différents groupes autochtones reste un champ d’étude fort intéressant. C’est à cela que s’attelle Timothy Foran dans son dernier livre Defining Métis. Se basant sur une kyrielle de sources, il présente un portrait des Métis du nord de la Saskatchewan tel que vu, décrit et perçu par les missionnaires Oblats de la mission Saint-Jean-Baptiste de l’Île-à-la-Crosse pendant la deuxième moitié du xixe siècle.

Nous n’avons pas toujours tenu compte du fait que les observations des missionnaires sur les communautés autochtones étaient influencées par leur « agenda missionnaire ». Comme ils désiraient avant tout évangéliser les autochtones, il apparaît normal que leur perception de la communauté métisse en soit tributaire et évolue selon leurs priorités spirituelles. C’est ainsi que les Oblats ont en fait participé au modèle conceptuel des Métis et même, à une certaine formulation de leur identité. Ceci revient à dire que l’idée première que l’on s’est faite des Métis est une construction sociale des missionnaires qui est probablement bien différente de la perception que les Métis pouvaient ou peuvent avoir d’eux-mêmes.

Le premier chapitre se consacre à la mission elle-même qui se positionnera comme plaque tournante du réseau des missions de la terre de Rupert et des Territoires du Nord-Ouest. Ce chapitre décrit admirablement bien la vie quotidienne des Oblats de la mission Saint-Jean-Baptiste. Le rôle des frères constructeurs, agriculteurs et commerçants est brillamment décrit ainsi que celui des Soeurs Grises qui ont pris en charge l’éducation, les soins de santé et le travail social.

À la lecture de ce chapitre, on peut sentir l’enthousiasme qui anime les religieux et religieuses dans l’établissement de la mission, mais aussi, leur désarroi lors de l’incendie du dortoir des écoliers et des magasins des produits de la ferme en 1867. Cet événement marque le début d’un déclin pour l’Île-à-la-Crosse qui se voit maintenant désavantagée par sa position nordique depuis le développement d’infrastructures plus au sud telles que le train du Canadien Pacifique et l’afflux de colons en ces régions.

Le deuxième chapitre nous fait comprendre que les missionnaires Oblats arrivés à l’Île-à-la-Crosse étaient, avec les employés du poste de la compagnie de la Baie d’Hudson (HBC), les seuls Blancs qui y résidaient en permanence. Entre eux, se développent des relations d’entraide et d’interdépendance. La HBC fourni transport, couvert, hébergement et interprètes alors que les Oblats engagent et rémunèrent des employés de la HBC, offrent l’éducation à leurs enfants et s’opposent aux « free traders » qui fragilisent son monopole.

Le troisième chapitre se consacre à l’école, active pendant quarante ans avant que le gouvernement n’en fasse une école résidentielle en 1898. Cette transformation a été possible à la condition que les Oblats se conforment aux règles fédérales, telle que l’abandon de l’instruction en langue autochtone. Toutefois, les missionnaires peuvent dès lors se consacrer plus complètement à leur travail d’apostolat.

Le dernier chapitre, et certainement le plus intéressant puisqu’il répond à la prémisse de départ, dépeint le rôle hybride joué par les Oblats : évangéliser les autochtones et informer les Européens et les Canadiens à propos de ceux-ci. Ce sont les débuts de l’anthropologie et l’État canadien veut assurer son expansion dans l’Ouest et le Nord canadiens. Pour ce faire, l’apport de connaissances des missionnaires sur le terrain est indispensable. Cependant, les objectifs, les priorités et les préoccupations missionnaires des Oblats teintent leurs descriptions.

La première préoccupation des Oblats est d’évangéliser les autochtones dans leur langue. Ainsi, les « sauvages », comme ils les nomment d’abord, sont catégorisés selon leur langue : Cris et Chipewyan. À ce moment, les Métis, que l’on ne nomme pas encore comme tel, se trouvent partagés entre ces deux groupes, parlant l’une ou l’autre de ces langues. Les prédications et les services religieux sont offerts dans ces langues et l’organisation liturgique est pensée en conséquence.

La dénomination « métisse » apparaît dans les années 1870. Les Métis résident maintenant en permanence à l’Île-à-la-Crosse, ils ont appris le français et pratiquent une dévotion particulière au Sacré-Coeur. De par leur proximité, les Métis semblent mieux intégrés au catholicisme et plus facilement influencés par le clergé. Ils deviennent un groupe distinct des « sauvages ». Ils participent à la messe, reçoivent les sacrements et sont enterrés au cimetière de la mission.

L’ouvrage de Timothy Foran est bien écrit et intéressant à lire. Abondamment référencée, la recherche est méticuleusement documentée. Le seul point qui nous a déplu, est que les citations ont manifestement été traduites en anglais, alors que la plupart d’entre elles sont en français dans les documents originaux. Pour un lecteur, il est très appréciable de pouvoir consulter les citations dans leur version originale. Il n’est pas indiqué, non plus, si c’est l’auteur qui a fait les traductions, et quelles citations ont été effectivement traduites versus celles qui sont reproduites dans leur forme originale anglaise.

À la fin du volume, une annexe présente des cartes de la région de l’Île-à-la-Crosse et illustre l’évolution de son réseau au fil du temps, ce qui permet de situer avantageusement l’action. L’ouvrage s’accompagne d’une bibliographie étoffée sur le sujet ainsi que d’un index des noms de lieux et de personnes, un bonus pour les chercheurs.

L’ouvrage de Timothy Foran est un incontournable pour quiconque s’intéresse à l’histoire des Métis et à la façon dont ils ont été décrits par les Oblats, eux-mêmes influencés par leurs propres perceptions et préoccupations missionnaires.

Élaine Sirois

Patrimoine religieux

14. Mgr Alain Castet, dir., Vendée. Luçon, Maillezais, Saint-Laurent-sur-Sèvre. Strasbourg, Éditions La Nuée Bleue (coll. « La grâce d’une cathédrale »), 2017, 453 p.

La collection lancée il y a dix ans par Mgr Joseph Doré, alors archevêque émérite de Strasbourg, compte à ce jour vingt titres. Le dernier, consacré à la Vendée, a les mêmes caractéristiques que les précédents : un ouvrage monumental, de grand format et de poids, avec une très abondante iconographie (520 illustrations). Il relève du même esprit : à mi-chemin entre évocation du patrimoine et études historiques confiées aux meilleurs spécialistes du territoire. Si l’évêque du diocèse, comme dans les autres volumes, est le directeur en titre du volume — ici, Mgr Castet, évêque de Luçon, qui signe la préface —, la coordination générale des contributions a été assurée par Dominique Souchet, ancien député-maire de Luçon et président de l’association des Amis de la cathédrale de Luçon. Il signe, avec Thierry Heckmann, directeur des Archives départementales de Vendée, la longue « Introduction générale » (p. 17-27).

L’originalité du volume est qu’il porte en titre non pas le nom d’une ville mais celui d’un territoire et qu’il évoque plusieurs édifices : la cathédrale actuelle du diocèse (Luçon), l’ancienne cathédrale de Maillezais, et les deux hauts-lieux montfortains de Saint-Laurent-sur-Sèvre (la basilique, qui est le plus grand édifice religieux de la Vendée, et la chapelle néo-gothique des Soeurs de la Sagesse).

À l’origine rattaché au vaste diocèse de Poitiers, le territoire du Bas-Poitou (qui correspond à l’actuel département de la Vendée et à une partie du département des Deux-Sèvres) en a été détaché en 1317 par le pape Jean XXII pour former deux diocèses : celui de Maillezais et celui de Luçon. Dans les deux cas, le pape s’appuie sur une abbaye bénédictine florissante. Les églises abbatiales deviennent cathédrales et les abbés respectifs deviennent les premiers évêques des nouvelles circonscriptions ecclésiastiques : Pierre de La Voyrie, premier évêque de Luçon, et Geoffroy Pouvreau, premier évêque de Maillezais. Robert Durand, dans sa contribution sur « La création des diocèses de Luçon et de Maillezais » souligne que ce remodelage du territoire poitevin n’est pas un cas isolé et illustre le volontarisme du nouveau pape, grand juriste et canoniste : « […] la création des diocèses de Luçon et de Maillezais intervient dans le cadre d’un vaste mouvement qui intéresse notamment l’ensemble du Midi de la France et qui se traduit par la naissance en quelques mois de seize nouveaux évêchés ainsi que de l’archevêché de Toulouse » (p. 165).

La disparition du siège épiscopal de Maillezais, trois siècles et demi après sa création, est la conséquence des guerres de religion. Entre 1562 et 1598 (promulgation de l’édit de Nantes), le Poitou fut le théâtre de multiples affrontements. Le château épiscopal de Maillezais fut à plusieurs reprises assiégé et le territoire environnant dévasté. Puis en 1587 Agrippa d’Aubigné, au nom du prince Henri de Navarre, s’empara de l’édifice et y resta pendant trente ans. Ce n’est qu’en 1621 que l’évêque du diocèse, Henri d’Escoubleau, put récupérer ce qui restait de sa cathédrale et commencer à démanteler les fortifications qui l’avaient défigurée pendant des décennies. Lucien-Jean Bord, dans sa contribution sur la fin du diocèse de Maillezais, note que le siège épiscopal était « réputé dès 1622 comme non viable : plus d’église pour assurer l’office divin ni de bâtiments susceptibles de recevoir et de loger l’évêque et son chapitre » (p. 315). En 1666, l’abbaye est définitivement sécularisée, le siège épiscopal de Maillezais est supprimé et transféré à La Rochelle.

À l’opposé, l’essor de Saint-Laurent-sur-Sèvre, qu’on qualifiera bientôt de « ville sainte de la Vendée », doit tout à l’apostolat de Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716). La basilique abrite sa tombe et celle de Marie-Louise Trichet (1684-1759), avec laquelle il fonda la congrégation des Filles de la Sagesse. Louis-Marie Grignion de Montfort donnait comme but aux missions que lui et ses confrères prêchaient dans les diocèses de Luçon et de La Rochelle de « renouveler l’esprit du christianisme dans les chrétiens » (Règle des prêtres missionnaires de la Compagnie de Marie). Les moyens en sont bien connus : procession, cantiques, prédication, confession, communion, renouvellement des promesses du baptême ; comme leur influence durable sur le comportement et la mentalité des populations.

Par un paradoxe qui n’est pas propre au diocèse de Luçon, alors que la Vendée allait connaître des épreuves dramatiques sous la Révolution (ce que Reynald Secher, dans sa thèse célèbre, a qualifié de « génocide »), l’évêque, Mgr de Mercy, était absent : « L’évêque de Luçon fut au nombre des députés de son ordre élus aux États Généraux. On sait qu’il refusa de voter la Constitution civile du clergé et préféra s’exiler en Suisse. Il ne devait jamais revenir à Luçon. En 1802, il fut nommé archevêque de Bourges en récompense pour son soutien actif au Concordat. C’est là qu’il devait mourir, en 1811. Il ne connut jamais la guerre de Vendée » (J.-F. Tessier, p. 183). Sa cathédrale de Luçon, bien que située hors de la zone insurgée, avait été pillée et profanée par les révolutionnaires.

Plus que les volumes précédents de la collection, celui-ci ne se limite pas à présenter historiquement un édifice. Il veut montrer et faire comprendre les origines de l’« identité » — le mot revient à plusieurs reprises — d’un territoire. D’où le contraste entre de solides études historiques qui couvrent les sept siècles de l’histoire des deux diocèses et des pages davantage liées à l’actualité (notamment le chapitre « Un maire et “sa” cathédrale », p. 208-213, qui est l’évocation par D. Souchet lui-même de son action à Luçon comme maire puis conseiller général…).

Si les notes et références abondantes (444 notes), placées en fin de volume, permettent de compenser en partie l’absence d’une bibliographie, on regrettera qu’un index des noms n’ait pas été établi.

Yves Chiron

15. Philippe Cordez, Trésor, mémoire, merveilles. Les objets des églises au Moyen Âge. Paris, Éditions de l’EHESS (coll. « L’histoire et ses représentations », 11), 2016, 285 p.

Cette monographie est une version remaniée de la thèse de doctorat de Philippe Cordez, dans laquelle il s’est intéressé aux objets que l’on retrouve dans les églises au cours de la période médiévale. Historien de l’art, l’auteur a fait ses études à l’École du Louvre et à l’École des hautes études en sciences sociales. Actuellement, il est directeur adjoint du Centre allemand d’histoire de l’art (Paris).

Dans cet ouvrage, P.C. étudie « comment [les objets des églises] ont été conçus, appréhendés, mis en oeuvre avant de devenir des objets d’histoire et de musée » (p. 9). Il analyse ces objets, qui proviennent essentiellement de musées allemands tel que le Bayerisches Nationalmuseum, en utilisant une méthodologie propre à l’histoire de l’art, tout en étant très attentif à l’histoire des mots étant donné que des termes tels qu’« objet » et « trésor » n’avaient pas la même définition au Moyen Âge.

Le livre est divisé en trois chapitres : 1) « L’imaginaire du trésor », 2) « Mémoire et histoires » et 3) « L’émerveillement et la nature ».

Le premier chapitre pose le problème « de la notion de “trésor”, qui joue encore de nos jours un rôle important dans l’imaginaire des accumulations » (p. 13). S’appuyant sur différents événements historiques, l’auteur démontre que le terme « trésor » fut lié à de nombreux débats polémiques et théoriques. Se basant sur les saintes Écritures, de nombreux théoriciens de l’aumône développèrent la notion de « trésor d’église » durant la réforme carolingienne ainsi que la notion de « trésor commun » au xiiie siècle. Ces théories justifiaient la thésaurisation chrétienne, le principe de thésaurisation étant considéré auparavant comme païen. P.C. souligne que, dans un monde où l’économie prend une place grandissante, l’Église « s’est définie à partir de pratiques impliquant les objets précieux » (p. 13).

Le deuxième chapitre concerne le concept de memora qui explique « la fonction mémorielle des objets ecclésiastiques médiévaux » (p. 13). En se penchant sur trois cas particuliers (le bâton de saint Pierre, le prépuce du Christ et les figures du jeu d’échecs), l’auteur démontre que ces objets avaient une valeur liturgique qui maintenait le pouvoir des institutions ecclésiales tout en rappelant l’importance des figures chrétiennes du passé.

Le troisième chapitre concerne la notion de natura. L’auteur s’intéresse aux objets de nature animale et végétale auxquels on accordait une nature miraculeuse. Il démontre que ces objets étaient fréquemment exposés pour émerveiller les pratiquants tout en leur donnant des connaissances sur l’origine du monde.

En conclusion, Philippe Cordez fait un lien entre la conservation des objets ecclésiastiques et les objets de collections que l’on retrouve dans les musées, croyant que tous deux « portent en eux des “signaux” qui permettent la connaissance des pratiques et des savoirs du passé » (p. 225).

Ce qui est particulièrement intéressant dans l’ouvrage de Philippe Cordez, c’est qu’il ne se concentre pas tant sur le contexte de création des objets d’églises ainsi que sur les artistes qui les ont créés, que sur l’importance des objets dans le rapport entre l’Église et le peuple au Moyen Âge. C’est précieux pour comprendre la portée du symbolisme dans la société médiévale. De plus, l’ouvrage, qui comporte de nombreuses références, est richement illustré et peut intéresser autant les historiens de l’art que les historiens s’intéressant au monde médiéval chrétien. Il est complété par une bibliographie, un index, ainsi que par une liste exhaustive des illustrations.

Marc-Antoine Belzile

Périodiques

16. Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne. Paris, Éditions CLD.

Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne fait suite au regretté Histoire du christianisme magazine qui a été créé en 1999. Le petit frère est un trimestriel dont le premier numéro est paru à l’automne 2016. Il aborde le christianisme à travers l’histoire, l’archéologie, la culture et le patrimoine. Il s’agit d’un magazine grand public de 178 pages, mais qui s’appuie sur un conseil scientifique composé d’une trentaine d’universitaires reconnus par leurs pairs.

Édité par les Éditions CLD, Codex est un mook, c’est-à-dire un livre-magazine. — La forme est agréable : la maquette est élégante et moderne, les illustrations sont riches et variées. — La formule est pédagogique : on y trouve des quiz, des cartes, des vrais ou faux, ainsi qu’un cahier pédagogique qui « aborde un thème au programme des collèges ou des lycées ». Pour les enfants, ou les amateurs, on trouve même des bandes dessinées. — Le fond est d’une grande qualité et permettra à chacun d’enrichir non seulement sa culture chrétienne, mais aussi sa culture générale.

Chaque numéro comporte un dossier thématique ainsi que des rubriques : actualité, tribunes, culture, cahier pédagogique, jeux, B. D., patrimoine. On y trouve aussi des enquêtes, des interviews, des portfolios, des recensions, des revues de presse, des idées de sorties et de voyages, etc.

Philippe Roy-Lysencourt

17. Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne, 01 (automne 2016), 178 p.

Dans son premier numéro, Codex propose un dossier composé de six articles sur le vandalisme sous la Révolution française : « 9 clés pour comprendre » (Priscille de Lassus) ; « Les victimes de la fureur révolutionnaire » (Priscille de Lassus, Séverine Blenner-Michel, Régis Singer, Yves Bruley) ; « L’abbé Grégoire, pourfend les Barbares » (Paul Chopelin) ; « Les Montagnards au chevet du patrimoine » (Paul Chopelin) ; « Les rois retrouvés de Notre-Dame de Paris » (Jean-Yves Riou) ; « Le “vandalisme”, au-delà des polémiques » (Paul Chopelin).

Les articles sur l’actualité abordent la question des Mozarabes de Tolède, la découverte archéologique de la plus vieille église de Nîmes, la confrérie de la Sanch qui fête ses 600 ans, la propagande chinoise contre le père Chapdelaine, décapité en 1856, ainsi que les basiliques de Latrun en Lybie.

Le cahier pédagogique, fort bien fait avec des cartes et une belle ligne du temps, porte sur les débuts du christianisme. Il commence par un jeu — « Testez vos connaissances » — et se poursuit par un panorama de Paul à Constantin, un portrait : celui de saint Paul ; un focus : la communauté de Smyrne ; un document : La passion de Perpétue et Félicité ; un autre focus : celui de Cyprien de Carthage ; et un lieu : la domus ecclesiae de Doura Europos, la plus ancienne « église » du monde, découverte en janvier 1932. Ce cahier, réalisé sous l’expertise de Marie-Françoise Baslez, professeur émérite d’histoire des religions de l’Antiquité, se termine par un petit article sur l’état de la recherche actuelle sur le christianisme ancien.

Le dossier culture, dans lequel il est notamment question de différentes expositions, comporte une interview du philosophe Pierre Manent, ancien directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, au sujet de son dernier livre, Situation de la France.

Après la première partie d’une B. D. sur Jeanne d’Arc, le périodique se poursuit par sa section patrimoine qui comprend notamment (pour ne nommer que les deux plus importants) des articles sur les peintres de Pont-Aven et sur l’art des croix en Lituanie.

Philippe Roy-Lysencourt

18. Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne, 02 (hiver 2017), 178 p.

Après une section sur l’actualité, le dossier du deuxième numéro de Codex porte sur l’affaire Galilée. Il s’ouvre par un article intitulé « 7 clés pour comprendre Galilée » (Priscille de Lassus) et il se poursuit par les articles suivants : « Galilée, un génie brillant et remuant » (Éric Picard), « Lieux de savoir, lieux de pouvoir » (Priscille de Lassus), « Saint Office : chronique des deux procès » (Émeline Aubert), « L’Europe des savants et des philosophes » (Priscille de Lassus), « Quel est l’apport de Galilée aux sciences ? » (Rémi Sentis), « L’avènement d’un nouveau rapport au monde » (Éric Picard), « Un épouvantail dans les placards de l’Église » (Éric Picard).

La section culture de ce numéro est intitulée « Entre l’Afrique et le cinéma, des idées de sorties ». Mentionnons l’entretien de Nicole Lemaître, professeur émérite d’histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sur la mémoire chrétienne. Le cahier pédagogique de ce numéro, réalisé par Xavier Boniface, professeur d’histoire contemporaine à l’Université du Littoral Côte d’Opale, porte sur « 1917, l’année où tout bascule ». Il est suivi de la deuxième partie de la B. D. sur Jeanne d’Arc, puis de la section patrimoine intitulée « De la Franche-Comté aux rives de l’Adriatique », dont les deux articles principaux portent sur le « Renouveau baroque en Franche-Comté » (Priscille de Lassus) et sur la fête de saint Blaise à Dubrovnik (Nathalie Duplan et Valérie Raulin).

Philippe Roy-Lysencourt

19. Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne, 03 (printemps 2017), 178 p.

Après les actualités, dans lesquelles il faut souligner un article sur le Liban, le dossier du troisième numéro de Codex — réalisé sous l’expertise de Régis Burnet, professeur à l’Université catholique de Louvain — est consacré à Jésus. Il comporte 7 articles : « 7 clés pour décoder La Passion » ; « La Passion : une histoire, quatre récits » (Gérard Billon) ; « La passion au prisme de l’archéologie » (Jean-Yves Riou) ; « Jésus devant les autorités juives » (Jean-Baptiste Hirigoyen) ; « Juda, Caïphe, Hérode : les acteurs de la Passion » (Jean-Baptiste Hirigoyen) ; « Un magistrat romain dans l’imbroglio judéen » (Jean-Yves Riou) ; « La peine des esclaves : la crucifixion » (Jean-Baptiste Hirigoyen).

La section culture porte le titre suivant : « Le Japon de Silence et Décadence d’Onfray ». Outre la présentation de plusieurs expositions, notons une tribune de Jean Duchesne sur « La dernière tentative de Scorsese » — son film Silence — ainsi qu’un entretien fort intéressant de Nathalie Kouamé, professeur d’histoire de l’Asie à l’Université Paris Diderot, sur les missionnaires chrétiens et le pouvoir japonais aux xvie et xviie siècles. Il faut également noter un petit dossier fort à propos sur le livre Décadence de l’idéologue Michel Onfray, dans lequel ce dernier s’attaque à la civilisation judéo-chrétienne avec une ignorance crasse… ou une malhonnêteté déconcertante (?), car il faut bien dire qu’outre les innombrables erreurs que comporte son brûlot, les clichés, l’ironie, les omissions et les anachronismes y sont monnaie courante. Après une courte recension très bien vue de Priscille de Lassus, cinq universitaires donnent leur opinion sur ce livre : Bernard Pouderon (François-Rabelais de Tours), Marie-Françoise Baslez (Paris-Sorbonne), Ludovic Viallet (Clermont-Auvergne), Édouard Husson (Picardie) et Christian Sorrel (Lyon 2).

Le cahier pédagogique de Codex est cette fois consacré aux hommes de la Renaissance et il est réalisé sous l’expertise de Marie Barral-Baron, maître de conférences à l’Université de Franche-Comté. Après la troisième partie de la B. D. sur Jeanne d’Arc, le dossier consacré au patrimoine, « Entre Rhône et Danube », comprend notamment un article sur « Lyon la catholique au temps des canuts » (Priscille de Lassus) et « Les citadelles sacrées du Danube » (Jean-Yves Riou et Lorraine Garchery).

Philippe Roy-Lysencourt

20. Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne, 04 (été 2017), 178 p.

Les actualités du quatrième numéro de Codex contiennent un article très intéressant de Guillaume Denniel sur les enjeux du marché de l’orfèvrerie qui se développe avec la dispersion du patrimoine de nombreuses communautés religieuses.

Le numéro comporte un excellent dossier sur l’Action française piloté par Jacques Prévotat, le grand spécialiste de la question. Après les traditionnelles « 7 clés pour comprendre », le dossier comporte un article d’Olivier Dard, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 4, intitulé « Charles Maurras, le “maître” ». Suivent ensuite, dans l’ordre, les articles suivants : « Il faut faire barrage à l’esprit chrétien » (Jean-Yves Riou) ; « Des hommes qui comptent » (Priscille de Lassus) ; « Le nationalisme intégral. Des clefs pour décoder » (Priscille de Lassus) ; « Aux sources d’un imaginaire » (Priscille de Lassus) ; « Rome condamne son “meilleur allié” » (Christian Sorrel) ; « Les papes face à l’Action française » (Jacques Prévotat) ; « Maritain à la rescousse de Pie XI » (Florian Michel) ; « Le traumatisme des enterrements civils » (Jacques Prévotat) ; « Le Saint-Office lève l’interdit » (Jacques Prévotat) ; « Au carrefour de la crise, le carmel de Lisieux » (Antoinette Castelnuovo) ; « Maurras, un “contemporain capital” » (Jean-Yves Riou) ; « Que reste-t-il aujourd’hui de cet héritage ? » (François Huguenin). Il faut souligner la qualité de la synthèse et la construction pédagogique du dossier, ainsi que l’objectivité et l’honnêteté intellectuelle des articles.

Le dossier culture, « Ce que notre culture doit au Moyen Âge », présente différentes expositions ainsi qu’un entretien passionnant de Michel Pastoureau, professeur émérite à la Sorbonne et à l’École pratique des hautes études, intitulé « L’Église a créé le premier code des couleurs ».

Le cahier pédagogique, chapeauté par Florian Mazel (professeur d’histoire médiévale à l’Université de Rennes II) et rédigé par Antoinette Castelnuovo, porte sur « La chrétienté médiévale ». On y trouve notamment des articles sur la papauté, sur la menace hérétique, sur le concile de Latran IV, sur saint François d’Assise, sur le krak des chevaliers et sur la réforme grégorienne.

Ce numéro comprend la quatrième et dernière partie de la B. D. Jeanne d’Arc, une héroïne française. Enfin, son dossier sur le patrimoine, intitulé « De Carpentras à Algemesi », présente plusieurs articles parmi lesquels nous mentionnerons spécialement celui de Priscille de Lassus sur les Juifs comtadins (de l’ancien Comtat Venaissin) formant une communauté tout à fait particulière jouissant de la protection pontificale, ainsi qu’un article de Marie-Alix Espindola sur la fastueuse fête de la Vierge Marie qui a lieu chaque année à la fin de l’été dans la ville espagnole d’Algemesi.

Philippe Roy-Lysencourt

21. Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne, 05 (automne 2017), 178 p.

La partie « actualité » de ce cinquième numéro de la revue Codex nous amène notamment, avec Priscille de Lassus, « Dans les coulisses du département des manuscrits » de la Bibliothèque Nationale de France qui compte trois cent soixante-dix mille volumes (parmi lesquels dix mille manuscrits médiévaux enluminés) et qui a rouvert ses portes aux chercheurs en décembre 2016, après quatre ans de travaux. Notons également un article d’Amir Harrak, professeur à l’Université de Toronto, sur le monastère de Mar Behnam qui a été saccagé par Daech.

En cette année 2017, Codex ne pouvait pas faire l’impasse d’un dossier sur la Réforme protestante. Le dossier est intitulé « Luther, un moine contre les papes » et il a été piloté par Hugues Daussy, professeur d’histoire moderne à l’Université de Franche-Comté, qui a dédié son HDR à l’histoire du parti huguenot entre 1557 et 1572. Les « 7 clés pour comprendre Luther » présentent bien le cadre et le contexte. Elles sont suivies des articles suivants, presque tous signés par Hugues Daussy qui aborde le sujet avec une grande impartialité : « Martin Luther, l’homme qui a dit non », « La rupture avec Rome était-elle inéluctable ? », « Villes germaniques face à la modernité » (Priscille de Lassus), « L’Écriture, la grâce et la foi… », « Dans le camp des réformateurs », « Un siècle pour changer le destin de l’Europe », « Les mass media de la Réforme », « Les protestants brisent l’unité de la chrétienté occidentale ». Bien d’autres aspects de ce vaste sujet auraient pu être abordés, mais on comprend aisément que l’espace est une contrainte et qu’il fallait faire des choix.

Le dossier sur la culture est intitulé « La révolution des troubadours ». Notons un article sur les magnifiques tapisseries et broderies ornementales de la cathédrale de Reims, ainsi qu’un entretien de Michel Zink, membre de l’Institut et professeur honoraire au Collège de France, sur les chansons d’amour composées par les troubadours du xiie siècle.

Le cahier pédagogique de ce cinquième numéro de Codex est chapeauté par Olivier Chaline, professeur d’histoire moderne à Paris-Sorbonne. Il porte sur « L’Europe des Lumières » et comprend les articles suivants : « La marche triomphale de l’Europe des Lumières », « L’Encyclopédie fille de la censure », « Il faut réformer la “religion” », « Voltaire : le modèle du philosophe », « Pour Emmanuel Kant, l’homme pense par lui-même », « Le palais de Catherine II », « Penser aujourd’hui l’héritage des Lumières ».

Ce numéro ouvre la publication de la première partie d’une nouvelle B. D., cette fois sur Charlemagne, successeur des Césars. Le scénario est de Clotilde Bruneau et Vincent Delmas ; les dessins sont de Gwendal Lemercier.

Enfin, le dossier patrimoine porte sur les « Trésors cachés de la banlieue parisienne ». Codex y présente notamment les jardins ouvriers d’Ivry-sur-Seine, une oeuvre sociale fondée en 1909 par l’abbé Jules-Auguste Lemire, ainsi qu’une exposition de l’Institut du monde arabe consacrée aux chrétiens d’Orient.

Philippe Roy-Lysencourt

22. Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne, 06 (hiver 2018), 178 p.

Dans le premier numéro de l’année 2018, les actualités de Codex nous proposent un reportage d’Antoine Besson sur « Le nouveau combat des Karen » — celui de leur identité et de leur culture — après le cessez-le-feu de janvier 2012. On y trouve également, au milieu d’autres événements mentionnés, un article sur l’ouverture, dans un monastère syriaque catholique situé au nord de Beyrouth, d’un centre de restauration pour les manuscrits des communautés de la région.

Le dossier spécial de cette livraison de Codex est consacré au rôle joué par les femmes dans la société et dans l’Église. Il est chapeauté par Agnès Walch, professeur d’histoire moderne à l’Université d’Artois. Après les « 7 clés pour en finir avec les idées reçues », ce dossier comporte les articles suivants : « Des figures bibliques iconiques » ; « Paul, les choix d’un précurseur » (Marie-Françoise Baslez) ; « Autopsie d’une reine mérovingienne » (Priscille de Lassus) ; « Ces femmes éminentes du Moyen Âge » (Catherine Guyon) ; « Marguerite de Navarre, avocate de la cause des femmes » (Marie Barral-Baron) ; « “Aux périphéries”, le temps des pionnières » (Agnès Walch) ; « 24 heures dans la vie d’une villageoise » (Agnès Walch) ; « Quand les femmes menaçaient la République » (Jean-Baptiste Hirigoyen) ; « Un féminisme en cornettes » (Matthieu Brejon de Lavergnée) ; « Des militantes en première ligne » (Jean-Yves Riou) ; « Vers un changement de civilisation ? » (Agnès Walch).

« Les Arabes et la culture grecque » est le sujet qui compose le thème principal du dossier culture. Celui-ci comporte un entretien fort intéressant du philosophe Rémi Brague, professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de la Ludwig-Maximilians Universität de Munich, qui raconte comment les Arabes ont accédé à la culture grecque. Il y explique notamment que « l’héritage grec est passé en arabe grâce à des traducteurs qui étaient presque tous des chrétiens de diverses confessions, surtout des nestoriens » (p. 109), mais aussi que les Arabes ont été plus que des passeurs : « Ils ont prolongé et dépassé ce qu’ils avaient reçu » (p. 110). « Les chrétiens d’Orient, affirme-t-il, et avec eux les juifs, ont effectivement joué un rôle important dans la constitution de la culture arabe, tout court. Mettre tout le positif de la culture arabe au profit de l’islam — ou d’ailleurs tout le négatif à son débit —, c’est fausser les perspectives » (p. 111).

Le cahier pédagogique, réalisé par Jean-Yves Riou, porte sur « La Pologne terre de Shoah » et contient les articles suivants : « De la “question juive” à la solution finale », « Ils voulaient tuer Hitler », « Josefow, les leçons d’un carnage », « Un jour avec Anne Frank », « Adolf Eichmann devant ses juges », « Le Vatican, terre promise des nazis en fuite ? », « La préhistoire juive des études sur la Shoah ».

Enfin, après la suite (2e partie) de la B. D. sur Charlemagne, ce numéro se conclut par le dossier patrimoine qui propose une « Fugue hivernale au bord du Rhin ». Il nous fait découvrir les « Grandes orgues en Alsace », le Mont Sainte-Odile, mais aussi La Valette, ville musée, la Città Umilissima, capitale de la République de Malte.

Philippe Roy-Lysencourt

23. Codex. 2 000 ans d’aventure chrétienne, 07 (printemps 2018), 178 p.

L’actualité de Codex 07 nous offre les résultats d’une belle enquête de Priscille de Lassus sur la garde Suisse du Vatican. Le dossier spécial de cette livraison, chapeauté par Régis Burnet, professeur de Nouveau Testament à l’Université catholique de Louvain, est quant à lui consacré aux écrits apocryphes chrétiens. Il comprend les articles suivants : « 7 clefs pour décoder les apocryphes » ; « Une Église primitive en forme d’archipel » (Régis Burnet) ; « Aux origines du Nouveau Testament » (Gérard Billon) ; « La gnose sort de l’ombre à Nag Hammadi » (Madeleine Scopello) ; « L’Évangile selon Thomas : un recueil de paroles » (Anne Pasquier) ; « La fabrique des images » (Priscille de Lassus) ; « L’évangile où Jésus et Judas dialoguent » (Madeleine Scopello) ; « Marie-Madeleine, maîtresse spirituelle » (Anne Pasquier) ; « À l’origine des vies des saints » (Bruno Dumézil) ; « Des résonnances jusque dans le Coran » (Jean-Louis Déclais) ; « Entre histoire et fiction, quarante ans de succès » (Régis Burnet).

Les pages consacrées à la culture, outre une revue de différentes expositions accessibles en ce moment, comportent des présentations plus longues de trois expositions : une première sur Eugène Delacroix au Louvre, une deuxième sur Pasteur au Palais de la découverte à Paris et une troisième sur la fuite en Égypte au musée d’Épinal (Vosges). Elles contiennent également une interview de Marie-Hélène Congourdeau, chargée de recherche honoraire au CNRS, sur l’embryon dans l’Antiquité.

Le cahier pédagogique, qui précède la 3e partie de la B. D. sur Charlemagne, porte sur Mai 68. Chapeauté par Florian Michel, maître de conférences HDR à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il a été rédigé par Antoinette Castelnuovo, agrégée et docteur en histoire.

Enfin, le dossier patrimoine, intitulé « Le Tarn, au fil de l’histoire », comporte deux articles de plus grande ampleur, l’un de Priscille de Lassus sur Albi, et l’autre de Nathalie Duplan et Valérie Raulin sur la fête du Saint-Sang à Bruges.

Philippe Roy-Lysencourt

Relations interreligieuses

24. John Connelly, From Enemy to Brother. The Revolution in Catholic Teaching on the Jews, 1933-1965. Cambridge, Mass., London, Harvard University Press, 2012, 376 p.

John Connelly est professeur d’histoire à l’Université de Californie à Berkeley, qui est l’une des plus sélectives et des plus prestigieuses au monde. Ses centres d’intérêt concernent l’histoire politique et sociale moderne de l’Europe de l’Est et du Centre, l’éducation comparée, l’histoire du nationalisme et du racisme, ainsi que l’histoire du catholicisme. Il a remporté de nombreux prix pour ses travaux, dont le John Gilmary Shea Book Prize of the American Catholic Historical Association en janvier 2013 pour le livre que nous présentons ici.

L’ouvrage est divisé en neuf chapitres intitulés respectivement : 1. « The Problem of Catholic Racism » ; 2. « The Race Question » ; 3. « German Volk and Christian Reich » ; 4. « Catholics against Racism and Antisemitism » ; 5. « Conspiring to Make the Vatican Speak » ; 6. « Conversion in the Shadow of Auschwitz » ; 7. « Who Are the Jews ? » ; 8. « The Second Vatican Council » ; 9. « A Particular Mission for the Jews ».

Dans ce livre, John Connelly étudie le changement de regard porté sur les juifs par l’Église catholique à l’occasion du concile Vatican II. Ce qui l’intéresse, c’est essentiellement ce qui s’est passé avant cet événement et ce qui explique la déclaration Nostra Aetate qui marque la fin de la mission catholique à l’égard des juifs. Pour cela, il plonge son regard dans le passé en présentant quelques-uns des acteurs qui ont oeuvré dans l’ombre — en étant parfois désapprouvés par la hiérarchie catholique — pour apporter des modifications dans l’enseignement de l’Église sur le judaïsme. Il montre notamment que la plupart d’entre eux étaient des juifs convertis au catholicisme.

Si l’auteur fait preuve d’une grande érudition, on ne peut pas considérer que ce livre fait le tour de la question ni qu’il clôt le débat. Tout d’abord, la démonstration est théologiquement faible. Et puis, l’auteur ne s’est pas suffisamment attardé sur certains acteurs importants et il me semble trop centré sur la question de la race et du racisme (c’est l’un de ses intérêts de recherche) : trois des neuf chapitres portent sur l’aspect racial et deux de ces chapitres sont écrits exclusivement à partir de sources de seconde main. Enfin, il passe rapidement sur la genèse immédiate de la déclaration Nostra Aetate. À ce sujet, il faut noter qu’il n’a pas travaillé dans l’Archivio Segreto Vaticano alors que le fonds sur le concile Vatican II est ouvert depuis de nombreuses années et qu’il y a là une documentation incontournable pour étudier sérieusement l’élaboration du document. Par ailleurs, on peut déplorer qu’il n’aille pas chronologiquement plus loin dans le temps, car si la déclaration Nostra Aetate est, en quelque sorte, un aboutissement, elle est aussi un point de départ. Il faut également souligner que si l’auteur a consulté les papiers Thieme (Institut für Zeitgeschichte), Oesterreicher (Seton Hall University) et Stransky (North American Paulist Center), son ouvrage est écrit essentiellement à partir de sources de seconde main. Enfin, nous pouvons déplorer que l’auteur ne s’en tienne pas uniquement à l’impartialité requise dans tout travail historique et qu’il se permette des jugements de valeur. Malgré ces quelques réserves, l’ouvrage de John Connelly comporte des renseignements fondamentaux et des éclaircissements nouveaux sur un sujet sur lequel les historiens doivent encore continuer à travailler.

Philippe Roy-Lysencourt

Sciences des religions

25. Jean-Marie Husser, Introduction à l’histoire des religions. Paris, Éditions Ellipses, 2017, 383 p.

Jean-Marie Husser a dirigé durant presque deux décennies l’Institut d’histoire des religions de la Faculté des sciences historiques à l’Université de Strasbourg. En parallèle, ce spécialiste du monde sémitique s’est depuis longtemps investi dans la formation des enseignants du cycle secondaire français. Il les sensibilise aux problématiques religieuses dans un contexte sociétal délicat. Cet ouvrage représente le fruit d’années de réflexions universitaires et d’expérience pédagogique. En effet, il reprend certaines problématiques abordées en cours par l’auteur. Les étudiants et les enseignants apprécieront de pouvoir approfondir leurs connaissances du fait religieux avec des références précises et actuelles, dans un texte bien écrit et compréhensible. Quant au néophyte, il prendra un réel plaisir à appréhender des questionnements universitaires sur les religions sans jamais être assommé par de trop généreuses notes de bas de page. On comprendra que la facture du travail réalisé ici est des plus sérieuses. C’est à un public large et de plus en plus en demande d’outils intellectuels et culturels pour décoder la complexité du monde contemporain que l’auteur adresse son Introduction à l’histoire des religions.

Ce manuel est un outil simple à manipuler. L’auteur structure sa pensée autour de quatre grands thèmes : « penser la religion », « les représentations imaginaires », « les formes de médiations religieuses » et « la religion à ses frontières ». Chaque partie est elle-même divisée en sous-parties d’une vingtaine de pages. Chaque chapitre se suffit à lui-même et se clôt sur une invitation bibliographique. Celle-ci témoigne de l’expérience de l’auteur à manipuler un champ intellectuel particulièrement large. Le manuel de Jean-Marie Husser se démarque des manuels disponibles, comme celui de Filoramo[10], par l’importance consacrée à l’anthropologie des religions et à une lecture transversale, très large, des religions. Cette tendance structuraliste constitue aussi une spécificité strasbourgeoise mais rend parfois le manuel un peu avare en repères chronologiques. Cette vision panoramique qui embrasse toutes les époques et pratiquement toutes les aires géographiques donne parfois le vertige. Il est rare de voir un universitaire manipuler avec autant de bonheur les apports de nombreuses disciplines différentes. Jean-Marie Husser passe avec facilité de l’archéologie à la philosophie, sans oublier la linguistique, l’anthropologie, la sociologie et bien évidemment l’histoire. Nous avons là un ouvrage qui complète parfaitement les grands dictionnaires thématiques parus sur le sujet depuis quelques années, comme celui dirigé conjointement par Régine Azria et Danièle Hervieu-Léger et publié en 2010[11].

Enfin, notons que Jean-Marie Husser ne se permet jamais de mettre ses réflexions personnelles sur tel ou tel sujet en avant. En outre, dès l’introduction, il prend visiblement plaisir à partager ses connaissances et justifie sa préférence pour des références en langue française afin de rester abordable à un public de non-spécialistes. Pari tenu : c’est un ouvrage très complet et accessible que Jean-Marie Husser nous offre en guise « d’introduction » aux sciences des religions. Ce faisant, il donne une vision claire de l’état de la recherche et des grandes thématiques actuelles en s’appuyant toujours sur des références solides. Il s’agit certainement d’une publication qui sera utile à tous les publics.

Nadir Amrouni

Spiritualité

26. Dom Jean-Baptiste Porion, Lettres et écrits spirituels. Paris, Beauchesne éditeur, 2012, 607 p.

Jean-Baptiste (né Maximilien) Porion est né en 1899 à Wardrecques (Pas-de-Calais) et il est mort en 1987 à la Chartreuse de La Valsainte (Suisse). Entré dans l’ordre cartusien en 1924, il y fit profession le 1er novembre 1925. De 1946 à 1981, il fut Procureur général de sa congrégation à Rome où il vécut le concile Vatican II. C’était un spécialiste de Hadewijch d’Anvers (mystique et poétesse flamande du xiiie siècle) dont il a traduit et présenté des poèmes et des lettres[12], mais aussi de Maître Eckhart et des mystiques Rhéno-Flamands, du taoïsme, de l’Advaïta Vedanta, du Zohar, de Thomas d’Aquin. C’était un polyglotte qui s’intéressait à la philosophie, à la littérature, à l’art (il admirait Fra Angelico, mais aussi Rouault !), un homme qui lisait également des traités de mathématiques. Nathalie Nabert, qui a beaucoup travaillé sur lui, dit qu’il était « assoiffé de culture universelle jusqu’à la boulimie et en perpétuelle quête de la transcendance de l’humanité » (p. 28). Cependant, précise-t-elle, « la voie de la connaissance livresque et érudite est […] fortement contrastée chez lui par le goût du silence et de la cessation de tous les mouvements intérieurs qui le conduit périodiquement à partager avec ses interlocuteurs la nudité de l’esprit, le pur recueillement et l’abandon de tous les livres » (p. 29).

Lecteur, dom Porion était aussi un écrivain. Il a écrit, sous le couvert de l’anonymat — humilité d’attitude de l’ordre oblige — plusieurs articles publiés dans Nova et Vetera, La Table ronde et des revues italiennes. Il a également écrit quelques livres dont le plus connu est Amour et silence (1951) qui est devenu un classique de la spiritualité. Il est également l’auteur de Trinité et vie surnaturelle (1975), ainsi que d’un recueil de sermons publiés après sa mort sous le titre Écoles de silence (2001). Récemment, en 2012, Nathalie Nabert (doyen honoraire de la Faculté des Lettres de l’Institut Catholique de Paris, fondatrice et directrice du Centre de Recherches et d’Études de Spiritualité Cartusienne) a publié un recueil de quelques-unes de ses correspondances. C’est de cet ouvrage — qui a nécessité plusieurs années de recherche — dont il est question ici.

Dans Lettres et écrits spirituels, Nathalie Nabert a publié la correspondance de dom Porion avec quelques-uns de ses correspondants (les dates entre parenthèses font référence aux dates extrêmes de la durée de la correspondance) : Stanislas Fumet, son ami de jeunesse (1958-1982) ; Georges Borgeaud (1930-1944), écrivain et libraire valaisan ; Angèle de Radkowski (fille de Stanislas Fumet) et son mari, le philosophe Georges-Hubert de Radkowski (1949-1982) ; l’abbé puis cardinal Charles Journet (1941-1969) ; Jacques et Raïssa Maritain (1947-1971) ; le poète et essayiste Georges Cattaui (1941-1968) ; ses amis Bernard et Geneviève Anthonioz (1949-1982) ; mère Marie-Thérèse de Joannis, carmélite à Rome (1956-1972) ; le chartreux dom GVD (1957-1986) ; le dominicain Jean de Menasce (1965-1972) ; le prieur de La Valsainte (1967) ; l’un de ses confrères, dom JPG (1967) ; le prieur de la chartreuse de Montrieux (1967-1974) ; le père maître de La Grande-Chartreuse (1968) ; le prieur de la chartreuse de Portes (1974) ; le cardinal préfet de la Sacrée Congrégation des religieux (1975) ; Louis-Henri Parias, journaliste et écrivain, directeur de La France catholique (1970-1986) ; dom TC, chartreux (1971-1984). Certaines lettres comportent des documents joints par dom Porion pour compléter un aspect ou l’autre de son courrier.

Divisées en treize liasses, ces correspondances sont introduites par Nathalie Nabert et commentées en note lorsque c’était nécessaire. Par discrétion, certains passages — indiqués par des crochets — faisant référence à des personnes ou à des questions privées ont été supprimés. Enfin, à part quelques exceptions qui concernent « exclusivement les moines chartreux qui ont eu un échange épistolaire avec le procureur général de l’Ordre et ont accepté que leur correspondance soit éditée ici, seules les lettres de dom Jean-Baptiste Porion figurent, révélant en négatif les préoccupations de ses interlocuteurs et fondant indéniablement une unité de style et de pensée (p. 11) ».

Dans son avant-propos, l’éditrice mentionne s’être longtemps demandée si elle n’allait pas adopter « un classement thématique que justifiait la multiplicité des sujets abordés : vie contemplative, poésie, philosophie, notamment la réflexion sur l’art, les sciences et les techniques, Heidegger, l’existentialisme, le taoïsme, les auteurs rhéno-flamands, la mystique des béguines et le témoignage sur Vatican II qui traverse nombre des échanges épistolaires ». Finalement, elle s’est « résolue à éditer par liasses les correspondances appartenant aux différents fonds et les documents y afférant, lorsqu’il y en avait, par ordre chronologique », cette perspective lui ayant « semblé la plus respectueuse pour rendre compte d’une chronologie interne à chaque ensemble de correspondance, du rythme naturel, au fil de la plume et des rapports humains » (p. 10).

Cette correspondance est précédée d’une longue et très instructive introduction dans laquelle Nathalie Nabert présente la vie de dom Porion, sa psychologie, ses nombreux centres d’intérêt, ses sources d’inspirations, ses rencontres, ses écrits et bien d’autres choses encore. Elle s’attarde notamment sur le concile Vatican II qui fut un sujet de grande préoccupation pour dom Porion et qui revient à plusieurs reprises dans ses lettres. Nathalie Nabert précise que :

[…] le concile Vatican II ainsi que la période postconciliaire qui a suivi ont une grande importance dans les correspondances de dom Jean-Baptiste Porion, d’autant qu’il fut, comme procureur général de l’Ordre auprès du Saint-Siège, un témoin obligé des débats, et comme président de la commission de coordination qui a dirigé l’aggiornamento dans l’Ordre, un actant de cette longue période. Il vécut avec inquiétude et une réticence personnelle réelle certaines tendances qui s’affirmèrent au cours des débats conciliaires et leurs conséquences sur l’histoire de l’Église, craignant sans cesse que l’idéal de la vie contemplative ne s’en relevât pas et redoutant les dérives « modernistes et vulgaires » de l’après-concile […] (p. 47).

Selon l’éditrice de sa correspondance, Dom Porion était « d’inspiration traditionnelle et conservatrice pour tout ce qui concerne la liturgie et les réformes de la vie monastiques [mais] ses idées sociales, à l’opposé, sont largement ouvertes et progressistes au nom de l’Évangile […] » (p. 30).

Les lettres que l’on peut lire dans cet ouvrage laissent entrevoir la profondeur de la vie spirituelle et contemplative de dom Porion, mais aussi la richesse de sa vie intellectuelle et sa grande liberté intérieure. Elles permettent également, à travers le truchement d’un homme effacé, d’appréhender sous un angle nouveau plusieurs préoccupations intellectuelles et religieuses qui ont marqué le xxe siècle.

L’ouvrage est utilement complété par une bibliographie de dom Jean-Baptiste Porion, par un index des noms, un index des noms de lieux, un index des périodiques, collections et dictionnaires, ainsi que par un index du concile Vatican II. Ces différents outils font de cet ouvrage à la qualité éditoriale remarquable un véritable et très utile instrument de travail.

Philippe Roy-Lysencourt

27. Dom Jean-Baptiste Porion, Fragments métaphysiques et mystiques. Introduction et notes de Nathalie Nabert. Paris, Groupe Elidia - Éditions Ad Solem, 2017, 77 p.

Le chartreux Jean-Baptiste Porion (1899-1987) était un spécialiste de Hadewijch d’Anvers dont il a traduit et présenté des poèmes et des lettres et à propos de laquelle il affirmait :

Hadewijch m’intéresse comme une amie : étudier minutieusement un auteur nous en apprend davantage que de nous étendre numériquement ; mais le rapport familier que je crois ressentir avec elle est dû sans doute à une affinité indépendante de l’étude. Le fait que je la connais de trop près, et le fait aussi qu’elle est naïve et franche à un degré exceptionnel (se passant probablement de directeur théologique), me rend difficile, si je dois écrire sur elle, de la présenter avec le vernis hagiographique et doctrinal habituel en pareil cas. C’est dans les Visions surtout qu’elle trahit un accord imparfait entre sa vie morale et sociale la plus vertueuse […] et son expérience contemplative, qui est celle d’un baiser de Dieu, sans comparaison ni explication.

p. 21

Fragments métaphysiques et mystiques est un petit livre introduit et annoté par Nathalie Nabert et il « doit sa naissance à l’amitié spirituelle d’un autre moine chartreux » (p. 5-6). Il s’agit « d’une collection de propos tenus au cours de conversations, d’aphorismes, d’extraits de lettres, de développements sur des sujets d’étude communs aux deux moines, notamment sur le taoïsme, la mystique d’Hadewijch d’Anvers et des Rhéno-Flamands, ou les réformes de Vatican II, recueillis sans ordre explicite au fil des ans et des dispositions intérieures » (p. 6). Le recueil a été classé par ordre thématique, « afin qu’il puisse être pleinement tout à chacun dans l’ordre d’une progression cartusienne qui va de l’intelligence de la contemplation à son silence ultime » (p. 7). Neuf thèmes qui constituent autant de chapitres ont été retenus par l’éditrice : 1) « Intelligence et contemplation », 2) « Recueillement, intériorité », 3) « Dépouillement, faiblesse », 4) « Silence et contemplation », 5) « Tranquillité, paix intérieure, équilibre », 6) « Transparence, nudité », 7) « Simplicité », 8) « Solitude », 9) « Itinéraire spirituel ».

Tout au long de ces pages, le lecteur découvrira des réflexions et des maximes d’une grande profondeur, comme celle-ci à propos de la contemplation : « Il n’y a pas de contemplation égoïste. Les deux choses s’excluent par essence ; ce qui empêche de contempler est précisément l’égoïsme — les sages de l’Inde et de la Chine l’ont dit unanimement depuis l’aurore de leur tradition jusqu’à nos jours » (p. 17). Ou encore : « Le primat de la contemplation demeure, et ce primat, justement, est l’abîme où se plonge le regard de l’extatique. La pure intelligence ne s’intéresse qu’à l’Être, elle échange avec lui une bénédiction parfaite, divine » (p. 29).

Ces pensées sont numérotées : il y en a 112 en tout. Comme l’écrit Nathalie Nabert — et nous ne pouvons qu’acquiescer : « C’est l’essence même de la vocation cartusienne qui est exposée ici à travers le cristal d’une intelligence exceptionnelle, douée d’un rare pouvoir d’analyse et de synthèse, érudite et passionnée et pour qui le chemin de soi à Dieu n’emprunte aucune courbe, attachée à la seule voie droite de l’oubli du monde, le regard plongé dans l’infini » (p. 8-9).

Philippe Roy-Lysencourt

CD audio

28. Philippe Roy-Lysencourt, Le cardinal Rafael Merry del Val (1865-1930). Strasbourg, Institut d’Étude du Christianisme (coll. « Les conférences de l’Institut d’Étude du Christianisme », 1), 2016, CD audio, 67 min.

Un disque compact d’une conférence est un objet qui peut susciter la perplexité, surtout chez les plus jeunes d’entre nous. Avant même de parler du contenu, c’est bien la signification à donner à l’objet en lui-même à l’heure des Tubes et autres Vlogs qui interroge. Quelles sont donc les intentions de l’auteur ? Pourquoi faire presser un disque à l’heure où l’accès à l’Internet est en passe de devenir universel ? Quoi qu’on en dise, le support est encore utilisé et répandu. Il permet peut-être une plus-value émotionnelle qui impacte le contenu et qu’un fichier MP3 n’aura jamais.

Dans ce CD audio, Philippe Roy-Lysencourt nous offre un panorama de la vie du cardinal Merry del Val. La qualité de l’enregistrement est parfaite. Il s’agit d’un travail de professionnel, enregistré en studio. La diction est bonne et claire, la voix se veut dynamique. Le ton ne se fait jamais trop professoral, ce qui aurait pu rebuter certains auditeurs. Le découpage des chapitres est pensé spécifiquement pour le format audio. La démonstration n’est en effet pas conduite en un bloc d’une heure mais est savamment chapitrée en 15 pistes. Cela prouve que le texte a été adapté au support. Les qualités du discours de Philippe Roy-Lysencourt sont les mêmes que celles de son livre, paru en 2016 : sobriété, précision, rigueur. L’exposé est chronologique et suit le parcours curial du prélat avant de s’attarder sur les grandes lignes de sa spiritualité.

C’est en écoutant le disque de Philippe Roy-Lysencourt que l’on comprend l’objectif poursuivi : il s’agit d’un outil pédagogique qui, s’il n’offre pas de nouvelles informations par rapport à la biographie écrite et publiée par l’Institut d’Étude du Christianisme, cherche à toucher un public qui ne veut pas ou ne peut pas accéder au format du livre. Il s’agit d’un exemple inspirant. À quand une présence sur les chaînes vidéo d’Internet qui sont de plus en plus plébiscitées par les jeunes générations ?

Nadir Amrouni

Comptes rendus de colloques

29. « Status quaestionis ». Symposium marquant le 50e anniversaire de la fondation du Centre de recherche en histoire religieuse du Canada/ A Symposium to Mark the 50th Anniversary of the Establishment of the Research Center for the Religious History of Canada. Ottawa, Université Saint-Paul, 10 novembre 2017.

Le 10 novembre 2017, à l’initiative de Pierre Hurtubise, s’est tenu à Ottawa un symposium marquant le 50e anniversaire de la fondation du Centre de recherche en histoire religieuse du Canada (CHRSC) de l’Université Saint-Paul, transformé en avril 2013 en Chaire de recherche en histoire religieuse du Canada et dont le premier titulaire est Pierre Hurtubise. Fondé en 1967 par l’Université Saint-Paul en collaboration avec le Département d’histoire de l’Université d’Ottawa, le Centre « a pour mission de promouvoir et de faciliter la recherche dans le domaine de l’histoire religieuse canadienne, entre autres en réunissant de la documentation et en rédigeant des instruments de recherche utiles aux chercheurs spécialisés dans cette discipline ». Le Centre a pour objectif d’« aider à mieux faire connaître et apprécier à sa juste valeur le passé religieux du Canada ». Plus spécifiquement, il est dédié : « 1. à la promotion, à la coordination et, au besoin, au soutien de projets de recherche dans le domaine de l’histoire religieuse canadienne ; 2. à la création d’instruments de recherche susceptibles d’être utiles aux chercheurs oeuvrant dans ce même domaine ». Actuellement, les activités du Centre concernent principalement la bibliographie et l’archivistique. Ainsi, depuis plusieurs années, le Centre oeuvre à la constitution d’un fichier bibliographique sur l’histoire religieuse du Canada ; en cours de numérisation, le fichier comprend actuellement environ 40 000 titres. De plus, depuis plusieurs années, l’équipe de Pierre Hurtubise réalise une bibliographie annuelle pour Études d’histoire religieuse, revue de la Société canadienne d’histoire de l’Église catholique. Mentionnons en outre que le Centre a publié, en 1974, un guide des archives des communautés religieuses au Canada et, en 1981, un guide des archives des diocèses catholiques du Canada. En outre, depuis 1977, le Centre travaille à inventorier les sources archivistiques d’intérêt canadien dans les archives et les bibliothèques de Rome. À ce propos, en 1999, le Centre a publié un ouvrage intitulé L’Amérique du Nord française dans les archives religieuses de Rome, 1600-1922, guide de recherche. Mentionnons enfin que le Centre a organisé plusieurs séminaires et colloques portant sur l’histoire religieuse du Canada[13]. Ainsi, en 1992, il a coordonné un Status Quaestionis à l’occasion du 25e anniversaire de sa fondation[14]. En 2017, c’est cette expérience qui fut renouvelée par le symposium dont nous rendons compte et qui réunissait un peu plus d’une trentaine de participants.

La séance du matin était présidée par Nicole St-Onge (Université d’Ottawa). Après un mot de bienvenue de Mme Chantal Beauvais, rectrice de l’Université Saint-Paul, Pierre Hurtubise, actuel directeur du Centre, a pris la parole dans une communication intitulée « Le Centre de recherche en histoire religieuse du Canada : hier, aujourd’hui, demain ». Comme le titre l’indique, il a présenté aux participants les principales étapes de l’histoire du Centre, les réalisations les plus importantes, la situation présente, ainsi que les projets éventuels qui pourraient être réalisés.

La communication du père Hurtubise fut suivie par celle de Timothy Foran, jeune conservateur au Musée canadien de l’histoire, auteur d’un ouvrage récent intitulé Defining Métis. Catholic Missionaries and the Idea of Civilization in Northwestern Saskatchewan, 1845-1898. Dans son intervention, « Indigenous People and Christian Churches. New Research and New Horizons », il a présenté un état extrêmement précis des travaux sur le sujet, ainsi que des perspectives de recherche. Notons le grand écart qu’il a relevé entre les travaux universitaires sur le sujet et les connaissances du public.

Gilles Routhier a ensuite pris le relais pour présenter un bilan des recherches faites sur le concile Vatican II au Canada, ainsi que les perspectives d’avenir qui s’offrent à ce domaine d’étude. Les participants ont découvert l’ampleur de ce qui a été réalisé au Canada sur le sujet — et dont il faut dire que Routhier est sans conteste l’élément moteur —, notamment le fait que ce pays est probablement celui sur lequel les études sont à la fois les plus nombreuses et les plus diversifiées. Contrairement à ce qui a été fait ailleurs, les chercheurs canadiens n’ont pas focalisé principalement leur attention sur les évêques, mais ils se sont intéressés au Concile d’une façon globale en étudiant systématiquement les fidèles (prêtres, religieux, laïcs), les periti, les médias, etc.

Durant la séance de l’après-midi, co-présidée par Cornelius Jaenen et Philippe Roy-Lysencourt, deux communications ont été faites. La première, intitulée « “Our Cup Overflows”. Twenty-Five Years of Religious Historical Scholarship in English Canada », fut prononcée par le professeur Mark McGowan de l’University of Toronto. Il a montré à ses auditeurs qu’il y avait une production de recherche d’une grande qualité dans le Canada anglais et dont témoigne, par exemple, la McGill-Queen’s studies in the history of religion series, ainsi que de nombreux articles de qualité dans des revues. Cependant, il reste beaucoup à faire et l’un des grands défis est de trouver des étudiants pour travailler sur le sujet alors que la conjoncture universitaire est actuellement très mauvaise dans le domaine des humanités.

Enfin, Guy Laperrière, dans une conférence haute en couleur et très divertissante, a présenté un bilan de vingt-cinq ans de recherche concernant l’histoire des communautés religieuses. La matière, très abondante, a été classée par lui dans les trois catégories suivantes : 1) le mouvement missionnaire ; 2) l’histoire des communautés religieuses ; 3) les biographies. Le professeur Laperrière a relevé, avec étonnement et satisfaction, le nombre important de thèses de doctorat portant sur l’un ou l’autre aspect de l’histoire des communautés religieuses.

D’une façon générale, les différentes communications ont montré que, bien que les professeurs et chercheurs regrettent la baisse du nombre des étudiants, l’histoire religieuse est tout de même assez vivante au Canada. Le constat de tous les conférenciers était le même : si les études sont relativement nombreuses et de bonne qualité, beaucoup de recherches restent à faire, ce qui est, il faut bien l’avouer, plutôt rassurant, la matière de l’historien étant par nature inépuisable. Aussi, bien que l’on puisse déplorer qu’il y ait moins d’étudiants et que les budgets alloués à la recherche en histoire religieuse soient moins généreux qu’auparavant et plus difficiles à obtenir, le constat est loin d’être négatif ; il est même plutôt encourageant. Un autre constat qui est ressorti des communications et des échanges, plutôt négatif celui-là, est que les francophones et les anglophones se lisent peu les uns et les autres. Il s’agit donc de trouver des solutions à ce problème. La première consisterait à obliger les étudiants à lire dans les deux langues tout au long de leur parcours. Une autre solution serait de développer des chroniques bibliographiques attentives aux travaux faits dans l’une et l’autre langue.

Pour terminer, notons que si à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire du Centre de recherche en histoire religieuse du Canada Pierre Hurtubise écrivait « Les prochaines vingt-cinq années s’annoncent prometteuses[15] », vingt-cinq ans plus tard le ton est différent. En effet, si l’état des travaux réalisés par le Centre montre cinquante années de recherche extrêmement riches et fructueuses, l’avenir n’est malheureusement guère reluisant, faute de financement, et nul ne sait, à l’heure actuelle, si la Chaire de recherche en histoire religieuse du Canada survivra à son premier titulaire. Nous le souhaitons ardemment, car l’expérience montre que les lieux rassembleurs et stimulants que sont les centres et les chaires de recherche sont des acteurs majeurs de la recherche scientifique. Quoi qu’il en soit, nous pouvons et devons souligner la grande fécondité intellectuelle de Pierre Hurtubise et de son équipe et les féliciter pour l’ampleur et la qualité de leurs travaux.

Philippe Roy-Lysencourt

30. Pionieri o profeti ? Figure e luoghi del mondo cattolico per l’ecumenismo prima del Vaticano II. Rome, Université pontificale du Latran, 22-24 novembre 2017.

Du 22 au 24 novembre 2017, dans le cadre du 500e anniversaire de la Réforme, s’est déroulé à l’Université pontificale du Latran à Rome un colloque sur le thème : Pionieri o profeti ? Figure e luoghi del mondo cattolico per l’ecumenismo prima del Vaticano II. L’événement était organisé par le Centre d’études et de recherches sur le concile Vatican II, dirigé par Philippe Chenaux. Mgr Enrico dal Covolo, recteur de l’Université du Latran à laquelle est rattaché le Centre, a ouvert les travaux. Après une présentation de l’historiographie actuelle (Riccardo Burigana, Centre d’études pour l’oecuménisme, Venise) et de quelques grands noms du dialogue oecuménique comme Paul VI (Philippe Chenaux) ou Yves Congar (Giovanni Tangorra, Université pontificale du Latran), nombre d’interventions ont été consacrées à des figures qui, jusqu’à présent, ont peu retenu l’attention des historiens : Costantino Bosschaerts (Donato Giordano, Faculté théologique des Pouilles, Bari), Alberto Bellini (Mauro Velati, Fondation pour les sciences religieuses, Bologne), Edmond Chavaz (Lorenzo Planzi, Institut suisse de Rome), Charles Boyer (Fermina Álvarez Alonso, Université pontificale du Latran), Louis Bouyer (Bertrand Lesoing, Université pontificale du Latran), le cardinal Paul-Émile Léger (Gilles Routhier, Université Laval, Québec).

D’autres interventions ont porté sur des initiatives, couronnées ou non de succès : les conversations anglo-catholiques de Malines (Marie Levant, École française de Rome), la communauté de Taizé (Gianluca Blancini, Centre d’études pour l’oecuménisme, Venise), ou encore le projet d’une chaire oecuménique à l’Université de Louvain (Mathijs Lamberigts, KU, Leuven). Enfin, ont été présentées les expériences de rapprochement oecuménique dans les camps (Jan Mikrut, Université pontificale Grégorienne) et celles menées à Paderborn (Jörg Ernesti, Université d’Augsbourg).

Dans leurs conclusions, Philippe Chenaux et Riccardo Burigana ont tiré un premier bilan des apports du colloque : la mise en lumière d’acteurs, mais aussi de régions ou de familles d’esprit longtemps restés dans l’ombre offre des matériaux solides pour écrire la genèse du mouvement oecuménique, une genèse trop souvent réduite à quelques dates et figures emblématiques. Il est vrai que le champ couvert par le colloque, le monde catholique et l’oecuménisme avant Vatican II, reste largement une terra incognita. Mis à part la monumentale — et encore indépassée — thèse d’Étienne Fouilloux, qui se limitait à l’aire francophone, elle a donné lieu à peu d’études d’ensemble. Des sources importantes, en particulier celles relatives au pontificat de Pie XI, restent encore à exploiter. Ce colloque vient donc partiellement combler une lacune et ouvrir de nouvelles perspectives de recherche.

Bertrand Lesoing