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Xavier Morales est un ancien élève de l’École Normale Supérieure. Il est patrologue de formation. Il a publié, en 2006, La théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie (Paris, Institut d’Études Augustiniennes [coll. « Études Augustiniennes », série « Antiquité », 180]). Le présent ouvrage de Xavier Morales, Dieu en personnes, a une importance capitale du point de vue de sa thématique. L’auteur examine avec une grande précision conceptuelle, terminologique et théologique la notion de personne attribuée au Fils (Jésus), ainsi que son usage analogue aux deux autres personnes de la trinité, en l’occurrence le Père et l’Esprit.
Au début de son livre, il expose de façon succincte, mais fragmentaire, l’historicité de la notion de « personne » qui constituera le leitmotiv de son analyse ultérieure. Dans son introduction, il expose de façon rapide les points de vue de quelques théologiens et contemporains qui ont traité la notion de personne dans leurs travaux respectifs. Il s’agit de Karl Barth (p. 12-13), Karl Rahner (p. 13-16) et Hans Urs von Balthasar (p. 16-19). Pour Barth, la notion de personne est intrinsèquement liée à l’essence exclusive de Dieu et non aux trois personnes de la trinité. Karl Rahner s’inscrit également dans la logique barthienne, celle qui consiste à suspecter et soupçonner la notion de « personne », susceptible de favoriser « une sorte de tri-théisme vulgaire » (p. 13). L’approche de la notion de « personne » chez Hans Urs von Balthasar est à situer aux antipodes de celles de Barth et Rahner. Parce qu’il estime qu’il est moins opportun et légitime de « réduire le concept à la signification stricte, en quelque sorte archaïsante, qu’il serait censé avoir dans le dogme trinitaire, mais de donner sa chance au concept moderne de personne et d’en exploiter l’évolution sémantique en théologie trinitaire » (p. 16). Ainsi, Balthasar évite la question complexe, qui préoccupa Barth et Rahner, de l’authenticité en théologie de la notion de « personne » d’origine philosophique.
Pour Morales, l’approche balthasarienne de la notion de « personne » a effectivement favorisé un déplacement paradigmatique important. Parce qu’il « inverse le sens de la transposition analogique du concept : non plus de la définition commune à son application à Dieu, mais du cas particulier et déterminatif du Christ à son application aux créatures par analogie fondée sur une participation à la mission du Christ » (p. 17-18).
Toutefois, pour Balthasar, la notion de « personne » renvoie à la relation et à la distinction (p. 21). Ici apparaît l’une des notions fondatrices de l’ouvrage, la bipolarité du concept de personne. C’est à partir de l’expérience et de l’exigence logico-théologique de Balthasar, consistant à définir la notion de « personne » en parfaite osmose et adéquation avec celle de la mission dans sa christologie, que Morales oriente le projet de la présente étude. Ainsi donc, en partant de la christologie balthasarienne, Morales s’engage à « présenter une analogie qui permette de préserver la bipolarité du concept de personne » (p. 29).
Dans les trois chapitres de son livre, il réhabilite la notion de personne avec les notions suivantes : mission, trinité immanente et personne. Par là, il réalise un véritable travail de réhabilitation pour que le concept de personne ne soit plus à la merci des critiques et interprétations erronées. C’est ainsi qu’il pense réhabiliter le concept de personne contre toutes les critiques qui l’ont remis en cause au cours du xxe siècle. L’auteur justifie de cette manière l’évolution sémantique récente de la notion de personne, tout en montrant que « cette reconquête consiste concrètement à lui redonner toute sa dimension relationnelle » (p. 34).
Le premier chapitre est intitulé « L’invention du concept de mission dans la révélation » (p. 37-68). Dans ce chapitre, l’auteur se met à l’écoute de la Révélation de Dieu dans la Bible pour ensuite examiner la notion de mission dans le sillage de l’économie du salut. C’est dans ce sens que l’auteur développe l’hypothèse qui consiste à élucider la notion de personne trinitaire en parfaite corrélation avec celle de la mission. Dans ce premier chapitre, Morales s’assigne comme tâche essentielle de réaliser « une forme de prédication analogique en deux temps. Dans le premier temps, le concept de mission doit être exploré pour lui-même, afin d’en faire apparaître les principaux éléments. Dans un deuxième temps, ces éléments devront être transposés analogiquement au concept de personne trinitaire » (p. 37). C’est ainsi qu’il aborde, dans un premier temps, la question de la personne à partir de la catégorie de mission. L’étude analogique de ce premier chapitre s’effectue à l’aide des Écritures. Telle est d’ailleurs la raison de l’affirmation suivante : « La Révélation de Dieu, telle qu’elle est consignée dans l’Écriture sainte, propose un concept de mission et l’emploie pour définir l’identité d’une personne, de sorte que l’analogie entre personne et mission est non seulement une analogie fondée en raison mais une “analogie de la foi” (Rm 12,6) » (p. 38). Cette analogie de la foi est visible non seulement dans la première phase de la relation première, celle qu’il qualifie d’origine, mais aussi dans la seconde phase, véritable lieu du déploiement de la notion de mission dans la trinité.
Par la suite, il analyse « l’autorité de l’envoyeur, la compétence de l’envoyé et le retour à l’envoyeur » (p. 35). Morales montre que le Fils ne doit pas être saisi et pris conventionnellement comme simple représentant ou mandataire du Père. Cependant, il est un mandataire par essence. De même, il emploie deux concepts fondateurs pour illustrer le rapport analogique existant entre les notions de mission et de personne. Il s’agit des notions de manipulation et de compétence, car « la manipulation permet de rendre compte de l’existence d’un autre “rôle actantiel” en relation auquel se définit l’identité du sujet opérateur, le Christ envoyé aux hommes : en l’occurrence son Père. La compétence, quant à elle, permet d’élucider ce en quoi l’Envoyé est apte à représenter celui qui l’envoie » (p. 56). Les deux nouveaux concepts fondamentaux, enchâssés par Morales, montrent comment la notion de mission facilite la compréhension de la structure relationnelle et de la structure pragmatique au sein de la trinité éternelle. Par ailleurs, la notion de mission rend compte de façon évidente de l’identité relationnelle de Jésus avec son envoyé. C’est ainsi qu’il met en exergue l’aspect de la mission du Christ : « Dans le cas du Christ, et seulement dans ce cas singulier, être mis au monde, c’est “être envoyé dans le monde”, l’existence est mission, de sorte que la mission n’est pas une analogie de l’existence dans le monde, mais sa détermination la plus propre. Dans un second temps, l’existence de ceux qui participent par inclusion à la mission du Christ, reçoit, par analogie, la forme de la mission et la dignité personnelle » (p. 68).
Le deuxième chapitre est intitulé « L’analogie de la mission dans la trinité immanente » (p. 69-151). Tout au long de celui-ci, Morales prolonge l’analyse du chapitre précédent, mais dans une nouvelle perspective. Ce second chapitre analyse effectivement la notion de mission et facilite la connaissance de la personne du Fils telle qu’elle est au sein de la trinité éternelle (p. 68). Pour faire face à cette préoccupation christologique, l’auteur pose trois questions essentielles pour chercher à comprendre l’analogie de la mission au sein de la trinité immanente. L’une de ces questions consiste à chercher, à montrer et à prouver comment, justement, l’identité économique de Jésus donne-t-elle accès de façon irrévocable à son identité trinitaire. Cette fois-ci, il entend défendre « l’invention d’un concept trinitaire de mission » (p. 68). D’emblée, il pose deux principes fondateurs intrinsèquement liés. Le premier est le principe balthasarien qui consiste à saisir la personne plutôt comme substance que comme répondant. Le second est celui de la mission, qui de toute évidence permet de rendre compte de façon effective de la relationnalité de la personne christologique.
Pour prouver l’existence de cette analogie de la mission dans la trinité immanente, l’auteur passe en revue les écrits d’un bon nombre de théologiens et auteurs qui ont abordé la question de la personne dans leurs travaux. C’est en partant d’eux qu’il pense de façon analogique la notion de mission au sein des rapports intra-trinitaire (les missions ad intra et ad extra, des relations, des processions) entre les personnes trinitaires. Car la notion de mission est présente au sein de la périchorèse, parce que « la trinité est l’intériorité de Dieu en tant que l’extériorisation de l’être du Père dans un autre que soi (le Fils) qui reçoit tout de l’être du soi (l’Esprit) coïncide avec une (re-)prise à l’intérieur de soi. Cette coïncidence entre extériorité et intériorité dans la trinité est traditionnellement nommée “périchorèse” » (p. 149). Un autre élément essentiel de ce chapitre est le mérite de l’auteur de rendre compte avec précision de « la rationalité trinitaire non pas en termes seulement binaires, selon les oppositions relatives, mais d’emblée comme inter-relationnalité (relation de relations) : la distinction de deux opérateurs et l’articulation entre manipulation et performance principale ont permis de décrire les deux processions du Fils et de l’Esprit, non pas comme deux processions indépendantes et pour ainsi dire parallèles, mais comme deux processions articulées l’une à l’autre » (p. 150). Le thème central de ce chapitre porte sur le schéma narratif de l’acte trinitaire, pour que la notion de personne ne soit applicable aux trois personnes trinitaires qu’analogiquement. Donc, il n’est pas possible de parler de la notion de personne en trinité sans avoir recours à l’analogie.
Le troisième et dernier chapitre s’articule autour de « La signification analogique du concept de personne » (p. 153-196). Dans cette dernière partie de son livre, Morales commence par l’analyse de la notion de personne en cherchant à savoir si celle-ci est caractérisée par l’univocité (p. 153) ou l’équivocité (p. 155). Ainsi donc, il part du tableau des travaux de Panikkar pour favoriser la compréhension analogique de la notion de personne. Car elle désigne de part en part le Père, le Fils et l’Esprit Saint. D’après lui, la notion de personne « repose sur les deux pôles de la subsistance distincte et de l’inter-relation » (p. 159). Par ailleurs, pour Morales, seuls les deux pôles qu’il vient d’énumérer sont en mesure de donner la signification analogique de la notion de personne. Telle est la raison pour laquelle Morales affirme, au sujet de la notion de personne, que « sa compréhension analogique dépend d’un équilibre différent entre ces deux pôles, selon que le mot désigne le Père, le Fils ou l’Esprit Saint, de sorte qu’on répartit entre les trois personnes les trois manières de désigner les “trois” comme hypostase, comme personne et comme relation » (p. 158).
L’un des éléments prioritaires de ce dernier chapitre est la présentation qu’effectue l’auteur de l’authentique réciprocité des relations personnelles, spécifiquement « l’engendrement passif du Fils comme performance principale de l’acte trinitaire, ou en distinguant deux aspects de la spiration active de l’Esprit Saint, et surtout en liant les deux processions l’une à l’autre en inter-relationnalité, tout en maintenant une stricte asymétrie » (p. 186-187). Ici, il expose la primauté du Père ainsi que l’asymétrie de la structure trinitaire. Parce que le Père et le Fils sont dans une réciprocité relationnelle, non pas dissymétrique et asymétrique.
Tout au long de son livre, l’auteur pose la notion de mission comme analogon essentiel pour saisir la notion de personne, dans la trinité, ainsi que les différents enjeux relatifs à cette notion. Certes, il développe un sujet complexe, mais très riche pour les étudiants à tous les niveaux, ainsi que pour tous ceux et celles qui ont de la passion pour la théologie trinitaire. Ce livre est intéressant et mérite d’être lu.