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Une série d’articles relativement courts, introduits par Samia Amor et Mohamad Fadil qui peinent à définir le « projet d’ouvrage collectif » (p. 2) qu’ils se proposent de présenter à un lecteur qui aurait aimé savoir d’où vient le projet qui sous-tend très probablement ce collectif et quel en était l’objectif. Le livre est divisé en trois séries de points de vue, censément ancrés dans la société québécoise, le premier touchant l’islam politique, le second les femmes et l’islam, et le dernier la pensée islamique, le tout sur fonds « de bouillonnement et de controverses autour de l’islam » (ibid.).
La première partie du livre est intitulée « L’islam et politique » (p. 5-60). Brahim Kerroumi a choisi d’interroger l’idéologie salafiste en termes de mémoire qui se superpose à d’autres mémoires et finit par dominer le monde musulman actuel. L’auteur convainc aisément son lecteur de la pertinence de sa réflexion, bien que sa présentation des théories concernant la mémoire collective paraisse laborieuse. Sa conclusion sur la maîtrise de cette mémoire collective par les wahhabites est éclairante et mériterait d’être davantage étayée. Mohamed Fadil a écrit un texte bien documenté sur le concept d’islamisme, ses origines possibles, l’oscillation de ces groupes entre radicalisme extrême et diverses formes de déradicalisation, entre échec et expansion, et réfléchit finalement à ce que pourrait vouloir dire la notion de post-islamisme proposée par Olivier Roy. L’article de Wael Saleh (ailleurs dans le livre, ce nom est écrit « Salah ») porte sur l’importance du fiqh politique pour comprendre l’idéologie des Frères musulmans et leur conception de l’État et s’appuie sur une bibliographie impressionnante. Le lecteur est vite convaincu qu’il est urgent de réaliser une véritable histoire de cette organisation fermée (p. 52), de ce mouvement plus diversifié qu’il n’apparaît, et qu’il faut pour cela combiner à l’étude du politique une approche du religieux, en particulier du droit religieux.
La deuxième partie du livre touche l’islam et les femmes (p. 60-95). L’article de Carmen Chouinard brosse un portrait des débats actuels autour du féminisme en contexte d’islam, mais sans que l’objectif précis de sa contribution ne soit clairement décelable. On peut se demander s’il suffit de parler d’« approche herméneutique du Coran » (p. 71) pour bien se faire comprendre ; les herméneutiques sont multiples et il aurait été nécessaire de préciser ce que ce terme signifie dans le contexte précis où il est utilisé. S’agit-il d’une « herméneutique théologique traditionaliste » (p. 80) ou d’une herméneutique « textuelle et contextuelle » (p. 90), comme le précise l’article suivant ? Le texte demeure très général et procède davantage par allusions que par développement d’une thématique précise. De son côté, Mounia Ait Kabboura aborde la question de l’interprétation de la polygamie en islam. Un travail bien ciblé, nuancé et dont la conclusion mérite réflexion.
La troisième partie du livre est intitulée « Islam au Québec » (p. 99-152). Daniel Proulx, qui poursuit à Louvain un doctorat portant sur la philosophie de l’histoire chez Henry Corbin, réfléchit à la notion de « philosophie islamique ». L’hypothèse qui sous-tend son texte est que les islamistes remplacent « l’effort de réalisation spirituel personnel par un ensemble de règles collectives divines » (p. 112), une pseudo-divinisation qui viderait le sujet de sa capacité à penser et annulerait la philosophie islamique en tant que contrepoids efficace à une sacralisation de la loi islamique (cf. p. 111). Un texte stimulant, mais qui cadre mal avec le titre de cette partie du livre. Dans une contribution originale, Samia Amor étudie les transformations de la fonction de l’imam du contexte de pays à majorité islamique au contexte québécois où certains imams en viennent à combiner « dans leurs services le rôle de confident, de pédagogue, de conciliateur et de conseiller ». Cette doctorante en droit puise les témoignages sur lesquelles elle s’appuie dans une recherche exploratoire antérieure menée à Montréal entre 2005 et 2007 et portant sur les musulmanes canadiennes en situation de divorce. Sans doute avec raison, elle tire de ces données des conclusions nouvelles, mais j’aurais souhaité plus de clarté dans la façon de renvoyer à ces interviews. Il aurait également été souhaitable qu’elle s’explique sur les limites de données réutilisées ici, mais qui n’avaient pas été collectées à cette fin. Le livre se termine par un excellent article de Rachid Mrani intitulé : « L’islam au Québec : une lecture finaliste de l’intégration ». Après avoir survolé les problèmes posés par l’intégration des communautés musulmanes au Québec et fait prendre conscience de leur grande diversité, l’auteur montre l’importance des finalités suprêmes de la loi religieuse (maqāsid al sharī‛a), un concept souvent oublié mais qui permettait aux anciens juristes musulmans de se distancier d’une approche littéraliste en intégrant la question de la finalité du message religieux et de l’esprit dans lequel celui-ci a été d’abord prononcé. Aux yeux de l’auteur de ce texte, cette vision dynamique de la religion devrait faciliter l’intégration des musulmans croyants à d’autres cultures. Malheureusement, la bibliographie qui aurait dû accompagner cet article a été omise.
Ce livre, dont chacun des contributeurs s’avère sans doute individuellement compétent et capable de développer une pensée originale, semble avoir été publié à la hâte par des éditeurs qui n’avaient de toute évidence pas les compétences pour le faire (multiples fautes de français, de ponctuation, coquilles trop nombreuses). Ces auteurs ne semblent pas savoir par exemple qu’il n’est pas facultatif d’indiquer la date de consultation de sites internet forcément éphémères. Il s’ensuit un travail original, mais globalement décevant, dont en particulier le français et les normes de présentation auraient dû avoir été soigneusement révisés. Je ne peux que m’étonner que les Presses de l’Université Laval aient endossé telle quelle cette publication. Derrière ce livre plane l’ombre de Patrice Brodeur dont le nom ne fait qu’apparaître parmi les auteurs. Aucune allusion à lui dans l’introduction, aucun article ne réfère à lui à l’intérieur du livre. Rien ne vient préciser sa fonction spécifique dans l’entreprise, et rien non plus n’est dit d’un éventuel projet de recherche, à moins qu’il faille comprendre de cette façon le fait qu’absent de l’Université de Montréal, il soit toujours officiellement le « titulaire de la Chaire du Canada Islam, Pluralisme et Globalisation » (note sur les auteurs, p. 153) de l’Université de Montréal, dont ce livre semble relever.