Résumés
Résumé
L’innovation religieuse est une catégorie heuristique qu’il est possible d’appliquer aux institutions de la structure de base des sociétés séculières. En effet, malgré leur « sortie de la religion », certaines de ces institutions laïques sont des lieux de production de discours et de pratiques spirituels inédits, là où, dans un passé plus ou moins récent, les traditions religieuses ont pu avoir un rôle structurant. Dans ce texte, j’identifie les facteurs et les normativités qui président à l’institutionnalisation de discours et de pratiques spirituels dans les milieux de soin du réseau public québécois de soins de santé.
Abstract
Religious innovation is a heuristic category which it is possible to apply to institutions at the basis of secular societies. Indeed, in spite of their “exit from religion”, some of those lay institutions are places of production of discourse and spiritual practices that prove novel, especially where, in a more or less recent past, religious traditions are likely to have had a structuring role. In this text, I identify factors and normativities that preside over the institutionalisation of discourse and spiritual practices in health care settings of the Quebec public health care network.
Corps de l’article
Les institutions occidentales du soin, ce qui inclut les institutions du réseau public québécois de santé, sont le lieu d’une mutation importante du religieux. Il s’agit de l’émergence de ce que je nomme la « question spirituelle ». Les institutions contemporaines « innovent[1] » sur le plan religieux en ce que le régime de cohabitation sans interférences entre la religion et la médecine, régime qui marquait les institutions héritières des traditions chrétiennes d’hospitalité[2], est remplacé par de nouveaux rapports qui affectent jusqu’à la représentation même de la religion et, ultimement, du sens de la maladie. Les nouvelles représentations issues de cette mutation sont inscrites par les acteurs institutionnels eux-mêmes sous la bannière de la spiritualité. Il me semble pertinent d’aborder ce phénomène relativement récent, qui remonte à moins d’une quarantaine d’années, comme un exemple de mutation du religieux, puisque l’émergence de la question spirituelle dans le monde du soin rompt un équilibre séculaire entre le soin et la religion. C’est à la description et à l’interprétation de ce phénomène que ce texte est consacré.
Je poursuis deux buts :
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illustrer les effets de la laïcisation des établissements de soin sur l’accueil de ce que je vais nommer la « question spirituelle » ;
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mettre ce facteur de la laïcisation en contexte, afin de rendre compte de la production de pratiques et de discours spirituels inédits dans le monde de la santé.
Pour atteindre ces buts, je propose une démarche en trois étapes. Il s’agira, premièrement, de présenter des éléments historiques et contextuels du processus de laïcisation des hôpitaux québécois. Cette perspective historique est indispensable pour bien comprendre l’émergence des discours et des pratiques spirituels. Le deuxième temps de la présentation sera consacré à une description des mutations du discours religieux en discours spirituel dans le monde clinique[3]. Enfin, quelques indications seront suggérées pour faire l’interprétation du phénomène.
Cet article a une visée précise, soit d’analyser l’apport de la culture biomédicale dans la production de discours spirituels au sein du monde des soins et d’en proposer une interprétation. Il s’agit d’une étude spécifique ; elle n’embrasse pas l’ensemble des facteurs qui peuvent contribuer à l’émergence de ces discours spirituels. Ainsi, outre l’influence de la culture biomédicale que j’entends décrire, on ne saurait négliger les changements culturels qui ont marqué l’Occident depuis les années 1960, notamment l’émergence de discours spirituels autonomes en regard de toute tradition religieuse[4], comme je l’évoque rapidement dans la troisième partie de ce texte. Il faut donc considérer cette contribution comme un travail qui appelle d’autres travaux de recherche sur ce phénomène récent et particulier.
I. Éléments d’introduction
Les transformations vécues par la société québécoise à partir des années 1960 ont changé le visage des institutions de santé et de la prestation des soins. En une quinzaine d’années, la laïcisation des institutions sanitaires québécoises a produit deux changements importants.
Le premier changement concerne les modes de gestion des établissements[5]. Les institutions privées, relevant de communautés religieuses catholiques ou d’autres communautés de foi, adoptent un mode laïque et public de gouvernance. L’adoption de la Loi des hôpitaux en 1962 crée des comités de direction indépendants des communautés religieuses fondatrices ou gestionnaires des établissements sanitaires. De plus, la mise sur pied d’un programme d’assurance-hospitalisation (1957) et la promulgation de la Loi d’assistance médicale et chirurgicale (1966) autorisent le gouvernement québécois à payer les honoraires des médecins et les frais des examens diagnostiques effectués sous ordonnance médicale dans les services externes des hôpitaux. Ces deux initiatives législatives posent les fondations du financement public des établissements sanitaires et, partant, de la constitution d’un réseau public de prestation de soins.
Dans la foulée de ces transformations institutionnelles s’inscrit une modification de l’encadrement éthique, moral et déontologique des prestations de soins. La bioéthique séculière remplacera graduellement la morale médicale issue des traditions religieuses, héritage de l’appartenance confessionnelle des établissements. En d’autres mots, la régulation éthique, morale et déontologique des décisions et des actes de soins change d’assise, passant d’un régime de régulation religieuse à un régime séculier[6].
Ces deux effets indiquent clairement que les établissements québécois du réseau de la santé sont « sortis de la religion[7] », c’est-à-dire que leur fonctionnement et leur mandat social ne sont plus soumis à une régulation religieuse.
Un troisième effet, plus récent et non moins significatif que les deux premiers, découle de l’achèvement du processus de laïcisation des institutions sanitaires québécoise. Il s’agit de la transformation de la question religieuse/pastorale en « question spirituelle ». Dans la longue tradition hospitalière occidentale, l’accompagnement religieux et pastoral des personnes malades a fait partie des pratiques des institutions sanitaires. L’accompagnement des personnes malades est toujours présent et promu dans les établissements de santé québécois. Il est même soutenu par la loi régissant la prestation des soins de santé et des services sociaux[8]. Pour autant, le curseur se déplace dans le vocabulaire et les pratiques, passant d’un accompagnement rituel et traditionnel religieux vers un accompagnement spirituel qui se veut, par principe, délié d’une appartenance religieuse. Il ne s’agit pas de changements simplement cosmétiques. C’est le signe d’un déplacement plus profond : le déplacement des questions du sens de la maladie et du sens de la vie vieillissante, celles-ci passant de l’horizon exclusivement religieux à un horizon principalement occupé par ce qui est nommé « la spiritualité » par les contemporains.
Modalités d’émergence de la question spirituelle
L’émergence de la « question spirituelle » au sein des établissements de soin se donne à voir de deux façons.
Elle est d’abord signalée par les mutations de l’accompagnement des personnes malades, de leurs proches et des membres du personnel soignant, lorsque ces derniers sont confrontés aux limites de leur action. Entre les années 1960 et les années 1985, les pratiques de l’accompagnement se modifient passant d’un accompagnement principalement structuré par les rites religieux à un accompagnement fondé sur la relation d’aide et l’écoute active. Dans cette nouvelle donne pratique, les rites religieux ne sont pas complètement exclus, mais ils côtoient d’autres types de rites provenant, selon le cas, de sources autres que les traditions religieuses habituellement rencontrées dans les milieux de soin québécois. L’augmentation du nombre de laïques (femmes et hommes) affectés à l’accompagnement spirituel, couplé à une diminution du nombre de prêtres catholiques, est un facteur explicatif important pour rendre compte du déplacement du rite religieux vers la relation d’aide.
La « question spirituelle » prend corps, en second lieu, dans le monde de la biomédecine[9] via la manifestation d’un intérêt clinique pour l’expérience spirituelle en temps de maladie[10]. Un tel intérêt s’institutionnalise par la mise en oeuvre de discours et de pratiques soignants ayant pour objet l’expérience spirituelle en temps de maladie, ces discours et pratiques étant appuyés sur la recherche fondamentale et la recherche clinique, comme il se doit dans le monde de la technoscience médicale.
L’étude de l’« innovation » religieuse dans le monde de la santé doit absolument se pencher sur ces deux volets. Tous deux méritent d’être examinés avec sérieux, car ils témoignent chacun de la production de discours inédits et de pratiques nouvelles en ce qui concerne la prise en compte de l’expérience spirituelle en temps de maladie. Je redis qu’il s’agit d’une étude sur les transformations du religieux dans une institution déjà existante. L’étude de ce type d’objet permet de repérer comment les normativités présentes dans les institutions, des forces qui ne cessent de reconfigurer les divers aspects de l’institution, influencent les déplacements du langage et de la pensée religieuse.
On ne devrait pas s’étonner d’ailleurs de la force, de l’ampleur et de la portée des normativités du monde biomédical. C’est ici, et non ailleurs, que des réalités autrefois tenues pour immuables ont été radicalement changées (à la racine même) par la technoscience. C’est ainsi que les Occidentaux actuels ne voient et ne conçoivent plus la santé, la maladie et la mort de la même façon que les générations qui les ont précédés[11].
Jusqu’à maintenant, soit depuis plus de huit ans à la Chaire « Religion, spiritualité et santé », ma recherche s’est portée sur le deuxième enjeu que je viens tout juste d’évoquer. En concentrant le regard du chercheur sur le monde biomédical et sa capacité de reconfiguration de réalités anthropologiques fondamentales, je serai en mesure de montrer quelles sont les forces internes et externes au monde biomédical qui influencent le déplacement de l’accompagnement des personnes malades.
II. Description des mutations
Je présenterai l’intérêt biomédical pour l’expérience spirituelle en temps de maladie en explorant deux « lieux » particuliers. Le premier lieu est le monde quotidien des soins. J’en ferai l’exploration par une description des représentations (ou des conceptions) de la spiritualité portées par des soignants impliqués en soins palliatifs. Le second lieu est théorique ; il s’agit de la littérature biomédicale. J’y repérerai les efforts de théorisation du phénomène spirituel en temps de maladie, qui sont aussi des efforts de légitimation de la prise en charge biomédicale de la question spirituelle.
1. Les discours sur la spiritualité en soins palliatifs[12]
Sont présentés ici les résultats d’une recherche de terrain menée sur les représentations de la spiritualité portées par les différentes professions impliquées au chevet des personnes en fin de vie.
1.1. La teneur des discours
Recueillies auprès d’une trentaine de répondants de la région de Québec-Chaudière-Appalaches, les entrevues faites avec des infirmières, des médecins, des travailleurs sociaux et des intervenants en soins spirituels donnent les résultats suivants, regroupés par profession, quant à leurs représentations de la spiritualité et de son accueil dans la prise en charge des patients.
Pour les infirmières, l’attention à l’expérience spirituelle des patients fait partie d’un regard global, nommé « holistique », qui englobe toute la personne du malade et tous les « lieux » d’impact (biologique, psychologique, social et spirituel) de la maladie. L’expérience spirituelle du patient est dite par les infirmières dans le langage du besoin : la spiritualité se manifeste comme un besoin d’intériorité, un besoin de donner du sens à l’épisode de la maladie. Enfin, l’attention à la spiritualité, en soins palliatifs, contribue, selon elles, au confort et à la pacification de la personne malade dans ses derniers jours.
Tout en endossant la dimension holistique du soin liée à l’approche palliative des soins, les médecins rencontrés discutent d’enjeux éthiques reliés à la prise en compte de la spiritualité en clinique. Le premier élément concerne le respect de l’autonomie du patient sur les questions spirituelles et religieuses. La prise en compte de l’expérience spirituelle et son accompagnement doit respecter les volontés du patient ou de sa famille. Ensuite, l’intervention spirituelle est une affaire de compétence professionnelle. Conscients qu’ils ne sont pas formés à cette fin, les médecins délèguent aux autres professionnels la prise en compte de cet aspect de l’expérience de la maladie. C’est pourquoi, selon eux, l’inclusion de la spiritualité dans le soin doit se faire à l’aune de la multidisciplinarité.
Les travailleurs sociaux souscrivent aussi à l’approche holistique pour justifier la prise en compte de l’expérience spirituelle des patients. Comme les infirmières, ils voient la recherche du confort du patient comme motif de l’intérêt pour sa vie spirituelle. Par contre, ils émettent une sérieuse réserve devant la tendance biomédicale à « protocoliser » les interventions spirituelles, c’est-à-dire à vouloir développer des outils de mesure de l’expérience spirituelle[13]. De même, ils résistent à l’idée de désigner par le terme « soin » l’accompagnement spirituel en temps de maladie. Force est de constater que ces résistances sont liées au refus d’une forme de médicalisation de l’expérience spirituelle en temps de maladie.
Enfin, les intervenants/es en soins spirituels (IISS) adhèrent aussi à la perspective holistique de leurs collègues travaillant en soins palliatifs. Ils abordent le phénomène spirituel à partir de références provenant des traditions spirituelles et des théologies chrétiennes, lesquelles viennent de leur formation initiale. Se considérant les représentants de l’intérêt spirituel des patients devant les autres intervenants, ils résistent tout autant que les travailleurs sociaux à la bureaucratisation de l’intervention spirituelle, c’est-à-dire à des formes de contrôle administratif sur les conditions d’exercice de l’accompagnement spirituel. Ici la résistance est face à l’appareil bureaucratique hospitalier qui peut imposer des quotas de visite ou des indices de rendement qui, pour les IISS, sont étrangers à la nature même de la vie spirituelle et de son accompagnement.
Ce rapide tour d’horizon des discours professionnels sur la spiritualité dans le monde des soins palliatifs permet déjà de faire prendre conscience que les discours des professionnels impliqués en soins palliatifs comportent des similitudes et des différences. Comment expliquer les visages que prend la spiritualité dans le monde des soins palliatifs, à partir du matériel recueilli ?
1.2. Un modèle explicatif
La figure suivante montre schématiquement le modèle proposé pour rendre compte des forces qui façonnent le discours spirituel sur le terrain étudié.
Une institution de soins palliatifs est un lieu de production de discours sur la spiritualité. Pour autant, cette production ne se réalise pas ex nihilo. Il y a des sources externes et des sources internes de production. Ce schéma regroupe les sources externes sous l’intitulé « discours spirituels exogènes ». Ce sont des discours (ou des représentations) spirituels qui sont présents dans la culture, dans l’environnement social où les établissements sont plongés. Ces représentations « entrent » dans l’institution via les agents (au sens sociologique du terme) qui en font partie. Toutefois, l’entrée dans l’institution ne signifie pas automatiquement une inscription des discours dans la culture clinique. Pour que cette inscription soit effective, afin que le discours spirituel acquière pour les agents et l’institution une légitimité et une pertinence cliniques, elle doit traverser un filtre qui, en l’occurrence, est la philosophie des soins palliatifs. Les éléments communs retrouvés dans les quatre discours décrits font partie de la philosophie des soins palliatifs, notamment l’attention à la globalité de la personne et la visée de confort et de paix pour le patient en fin de vie. La philosophie des soins palliatifs joue le rôle de fond commun discursif pour les agents du soin. Comme tout filtre, la philosophie des soins palliatifs est à la fois une barrière et un passage. Des éléments que l’on peut retrouver dans les traditions spirituelles religieuses, comme l’idée de la souffrance rédemptrice ou l’idée de l’offrande de sa souffrance à Dieu, ne sont pas présentes dans les discours entendus ici[14]. En somme, les éléments des discours spirituels exogènes passeront avec succès la barrière du filtre parce qu’ils seront en syntonie avec la philosophie des soins palliatifs.
L’opération de filtrage ne signifie pas qu’une inexorable uniformisation des discours en résulte. En effet, ce fond commun discursif est repris par d’autres normativités qui, elles, sont liées aux discours professionnels. Les normativités professionnelles sont, elles aussi, exogènes, c’est-à-dire produites hors de l’institution. Elles y sont pourtant effectives. Ainsi, le langage du besoin utilisé pour désigner l’état spirituel des patients est une création des sciences infirmières, héritières de Virginia Henderson et de sa théorisation des besoins de la personne malade[15]. Que les médecins abordent la spiritualité en mentionnant les enjeux éthiques de sa prise en compte dans les soins est typique de cette profession et de l’importance que les questions bioéthiques ont prises depuis la dernière moitié du 20e siècle. La résistance des travailleurs sociaux et des IISS aux effets de système sur l’accompagnement spirituel sont aussi caractéristiques de ces agents qui, de par la nature de leur travail, sont centrés sur le vécu des personnes face aux systèmes. Ces normativités professionnelles jouent un rôle de diffraction au sein de l’institution. Elles amènent une diversité seconde dans les discours spirituels et font en sorte qu’il peut y avoir des visions divergentes, voire opposées entre différentes professions comme, par exemple, le différend entre IISS et travailleurs sociaux sur l’expression « soins spirituels » pour désigner l’accompagnement spirituel.
2. La littérature biomédicale et le concept de détresse spirituelle[16]
La littérature biomédicale constitue un lieu d’observation pour tout chercheur désirant étudier le phénomène de l’intégration de la spiritualité dans les soins. À l’instar des autres dimensions de l’expérience de la maladie (biologique, psychique, sociale), l’expérience spirituelle et sa prise en compte dans les soins sont devenues objet de recherche et de publication dans la littérature scientifique et dans la littérature de formation des futurs soignants.
C’est dans le travail de conceptualisation de l’expérience spirituelle en temps de maladie que l’institutionnalisation de la question spirituelle se rend visible.
2.1. Définition de la spiritualité dans la littérature : une définition consensuelle
C’est maintenant un lieu commun d’affirmer qu’il n’y a pas de définition unique de la spiritualité dans la littérature biomédicale. Pourtant cette absence de consensus sur une définition n’arrive pas à masquer le fait que les conceptions biomédicales de la spiritualité en temps de maladie sont porteuses de caractéristiques communes. Sans entrer dans tous les détails de la description, je propose cette liste de caractéristiques communes à partir d’une étude de manuels récents de formation en médecine, en sciences infirmières, en psychologie et en travail social[17]. Je mets en miroir les caractéristiques attribuées, dans les mêmes manuels, à la religion.
La quête
La quête de sens souligne le caractère dynamique de la vie spirituelle. Ce caractère dynamique est mobilisé en période de maladie quand la signification de ce qui m’arrive et la direction que prenait ma vie jusqu’à ce moment sont fragilisées, voire occultées. La caractéristique de l’authenticité est liée au fait que le sens à trouver — c’est justement l’idée de la quête de sens qui suppose que le sens de la maladie n’est pas donné d’avance, qu’il faut le chercher et le trouver — est un sens qui est propre à soi, qui part de soi et qui parle de soi.
La relationalité
La deuxième caractéristique de la compréhension biomédicale de la spiritualité est la « relationalité ». Ce mot désigne le fait que la vie spirituelle en temps de maladie se vit dans et par les relations. La spiritualité est alors considérée comme cette capacité qui fait entrer la personne malade (et toute personne, en fait) dans des relations significatives et vivifiantes avec l’autre. En langage technique, on dira que la spiritualité est en rapport avec l’altérité. L’autre de la relation prend de multiples visages, des proches, en passant par la nature et le cosmos, jusqu’à Dieu ou une figure de la transcendance.
La capacité d’entrer en relation avec l’autre serait donc un signe, parmi d’autres il faut bien le mentionner, de vitalité spirituelle. La capacité de nouer des liens, une capacité somme toute inhérente à la vie humaine, est interprétée dans le monde du soin comme ayant une dimension spirituelle, ou comme signe de la vie spirituelle chez une personne. Il y a bien sûr d’autres interprétations possibles, soit psychologique, sociologique, anthropologique, etc. Mais dans le monde des soins de santé, la relationalité acquiert une dimension spirituelle centrale.
L’universalité
Par sa troisième caractéristique, la spiritualité est vue comme une dimension propre à la nature humaine. Ainsi, la vie spirituelle est au coeur même du fait d’être membre de la famille humaine. En ce sens, la capacité de vivre une expérience spirituelle fait partie de la fibre profonde de tout être humain. Cela signifie que la spiritualité est une dimension universelle, c’est-à-dire qu’elle est présente chez l’être humain, toujours et partout. Ce sont les éléments essentiels de la notion d’universalité qui sont ici accolés à l’expérience spirituelle. Il s’ensuit que, dans le monde du soin, l’universalité de la spiritualité appuie l’idée qu’il s’agit d’une réalité indépendante de la culture ou des traditions religieuses.
L’harmonie
La quatrième caractéristique identifiée à la vie spirituelle fait d’elle un facteur d’harmonisation dans la vie personnelle, comme dans la vie des institutions. C’est dire que la quête de sens et le dynamisme qui caractérise la vie spirituelle sont orientés ultimement vers un état souhaité d’harmonie. L’harmonie en question est conçue comme une forme d’adéquation de soi avec soi ou avec les différentes figures de l’altérité mentionnées plus tôt.
2.2. Opérationnalisation de la définition de la spiritualité : les concepts cliniques de bien-être spirituel et de détresse spirituelle
Le monde du soin est un monde pragmatique. Les consensus théoriques qui s’y forgent ont visée d’application. C’est pourquoi la représentation biomédicale de la spiritualité est opérationnalisée en concepts opératoires permettant de nommer, puis d’agir sur les réalités cliniques. L’expérience spirituelle en temps de maladie n’échappe pas à cette logique opérationnalisante inscrite au coeur de la logique de la pensée clinique. L’exemple de la détresse spirituelle est à ce chapitre fort éloquent.
Bien-être et détresse spirituels
Le bien-être spirituel est défini par la NANDA International comme la « capacité de ressentir et d’intégrer le sens et le but de la vie à travers les liens avec soi-même, les autres, l’art, la musique, la nature ou une force supérieure[19] ». Le renforcement du bien-être peut être un objectif du soin infirmier, lorsque la personne malade manifeste des signes de détresse. La détresse spirituelle est la face inverse du bien-être spirituel ; elle est une perturbation de la capacité tout juste décrite[20]. Elle se traduit concrètement par l’expression de divers manques : manque d’espoir, de sens et de but de la vie, de paix et de sérénité, d’acceptation de soi, d’amour, de capacité de se pardonner, de courage. Elle se manifeste aussi par la colère, le sentiment d’aliénation, l’incapacité de prier, etc. La détresse spirituelle — que l’on distingue, dans la littérature, de la détresse psychologique — est un état considéré pathologique, notamment par l’angoisse qui lui est associée, du moins dans la définition.
Cadrer l’expérience spirituelle selon des catégories du langage du soin conduit aux définitions que je viens d’évoquer. Les concepts de bien-être et de détresse spirituels reprennent la distinction, fondamentale en biomédecine, du sain et du pathologique, ce qui n’est pas sans conséquence heuristique. En effet, le langage conceptuel clinique assigne des expériences spirituelles au régime de la pathologie alors que ces expériences peuvent être considérées comme habituelles dans un processus religieux de maturation spirituelle.
3. Bilan
Ces quelques exemples témoignent de l’appropriation biomédicale de la question spirituelle. Ce geste de réinterprétation dépasse les frontières de la clinique. En effet, ce vocabulaire biomédical sur l’expérience spirituelle est, à son tour, repris par bon nombre de spécialistes de l’accompagnement spirituel en temps de maladie, les IISS au Québec, les aumôniers en Europe francophone, les « chaplains » partout ailleurs.
Il y a donc ici tous les signes d’une appropriation, c’est-à-dire d’un emprunt, par la culture clinique biomédicale, d’un vocabulaire séculaire tout en modifiant substantiellement le contenu des notions et des concepts empruntés. Ce processus d’institutionnalisation, au sein du monde clinique occidental, fait de la spiritualité, définie selon les cadres épistémologiques et cliniques de la biomédecine, la réalité première invoquée pour aborder le sens de la maladie et de la mort dans les milieux de soin. En cela, la spiritualité semble avoir remplacé la religion dans le rôle de matrice des discours et des pratiques touchant au sens à donner à la maladie et à la mort. La religion est toujours présente, pour le moment oserait-on dire, mais elle est abordée à travers le prisme de la spiritualité.
Il vaut maintenant la peine d’interpréter ce phénomène de transformation et d’institutionnalisation des discours du sens sous la figure renouvelée de la spiritualité.
III. Discussion
Par quel mot ou concept qualifier l’émergence de ce phénomène où il y a, manifestement, la création d’un langage et de représentations spirituels propres, à partir de matériaux déjà existants ? Le mot « innovation », appliqué au cas de la spiritualité dans le monde de la santé, m’apparaît piégé. Le mot y est déjà utilisé pour désigner une amélioration, quelle qu’en soit la nature (théorique, technique, clinique, etc.). Dans ce contexte institutionnel précis, où le terme innovation est investi d’une charge sémantique nettement méliorative, il y aurait certainement un danger de récupération idéologique, y compris pour le chercheur en sciences sociales qui analyse critiquement le phénomène. C’est pourquoi j’opte pour le vocabulaire de la transformation, du changement et de la mutation pour nommer le phénomène étudié ici.
Maintenant, quel que soit le terme employé, il apparaît clairement que le processus historique de laïcisation des établissements de soin, mentionné au début de ce texte, a ouvert un espace à des sources non religieuses de régulation des pratiques et des discours autour de la vie spirituelle en temps de maladie. L’exemple patent des normativités inhérentes à l’acte de soin est éloquent. Cela signifie aussi le retrait de la régulation religieuse des principaux aspects de la vie institutionnelle des établissements de soin. Que dans certains lieux, comme le Québec, la laïcisation aille de pair avec l’avènement du caractère public des établissements de soins redouble l’assise de la primauté donnée à la spiritualité comme matrice de donation de sens.
Dans les institutions québécoises de soins, le retrait de la régulation religieuse ouvre la porte à la rencontre de régulations. J’en ai identifiées quatre dans le cours de l’exploration faite plus haut. Les discours ambiants de la culture spirituelle, devenue mainstream[21], sont une première source importante de représentations et de contenus rencontrés dans l’institution de soin. Le rapport distancié entre vie spirituelle et expérience religieuse qui est affirmé dans les entrevues des répondants et dans la littérature biomédicale vient en ligne directe de cette source. De plus, l’identification, par les répondants, de la quête individuelle de sens et de l’humanisation des institutions et des pratiques peut être rapportée aux représentations portées par la culture contemporaine. Autre élément issu de la culture ambiante, l’identification étroite entre le bien-être personnel et l’expérience spirituelle constitue un fil de trame important du discours spirituel clinique[22].
En second lieu, les normativités sectorielles du soin jouent un rôle normatif dans le processus décrit plus haut. La philosophie qui préside à l’identification des buts cliniques, des objectifs concrets et des moyens généraux pour réaliser l’idéal soignant des soins palliatifs est à la fois un filtre et un ancrage pour que le discours spirituel puisse pénétrer l’institution.
Aux normativités sectorielles s’ajoute un troisième élément, soit les normativités inhérentes aux professions soignantes.
Enfin, quatrième élément, les manières de connaître (la « mesure » et la généralisation des connaissances) et d’agir (protocolisation/pragmatisme/efficacité recherchée) de la biomédecine, ce que j’ai nommé plus haut les cadres épistémologiques et cliniques, ont une indéniable portée heuristique en cadrant le regard des chercheurs sur ce qui peut être connu de l’expérience spirituelle en temps de maladie et en orientant les applications cliniques des connaissances générées par la biomédecine.
Il est clair que l’établissement de santé laïque est un lieu de focalisation de forces normatives diverses qui interagissent et façonnent les catégories, le vocabulaire, les discours qui cherchent à rendre compte de l’expérience spirituelle en temps de maladie, que cette expérience soit celle de la personne malade ou celle de la personne qui soigne. Or, ces forces font très certainement sentir leur influence dans le monde clinique.
Il y a certainement de la nouveauté dans ce phénomène. Si, à l’instar de Michel de Certeau, on entérine le fait que tout discours spirituel, toute expérience spirituelle qui se dit, est infailliblement marqué, voire déterminé par les mots des autres qui ont précédé celui qui parle[23], alors force est de constater que l’expérience spirituelle ne peut être découplée d’une tradition de langage, quelle qu’elle soit. Peu importe que cette tradition soit religieuse ou non ; elle est forcément une tradition de langage. Ce caractère « traditionnel », souvent occulté ou omis dans les théories élaborées par les chercheur(e)s du soin, est bel et bien existant.
Pour autant, il faut sortir de l’interprétation un peu rigide que propose Certeau pour mieux apprécier la création langagière réalisée au sein de l’institution biomédicale occidentale, à partir d’un matériau fourni par la culture ambiante et repris par les normativités épistémologiques et cliniques sectorielles. Il faut alors faire appel à cette vieille règle de la réception, que l’on trouve chez Thomas d’Aquin : « Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur », soit « tout ce qui est reçu dans un autre est reçu selon le mode de celui qui le reçoit[24] ».
Au vu de cette analyse, il ne fait aucun doute que le langage biomédical sur l’expérience spirituelle en temps de maladie constitue à la fois une mutation et une nouvelle tradition de langage spirituel dans les institutions laïques de soin.
Parties annexes
Notes
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[1]
Je m’explique, à la fin du texte, sur la mise entre guillemets du terme innovation et de ses diverses déclinaisons.
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[2]
Sur l’hospitalité chrétienne pendant l’Antiquité tardive, cf. Vivian Nutton, « La médecine à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge », dans L.I. Conrad et al., Histoire de la lutte contre la maladie, Le Plessis-Robinson (France), Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, 1999, p. 79-96.
-
[3]
Cette formule ne signifie pas que l’on ne parle plus de religion ou de traditions religieuses dans le monde du soin. Elle signifie seulement que dans l’imaginaire et le vocabulaire cliniques actuels, la catégorie de spiritualité est la catégorie première et fondamentale à l’aune de laquelle seront interprétés les pratiques et les discours religieux.
-
[4]
Peter C. Hill, Kenneth I. Pargament, « Advances in the Conceptualization and Measurement of Religion and Spirituality », American Psychologist, 58, 1 (2003), p. 64-74 ; Brian J. Zinnbauer, Kenneth I. Pargament, Allie B. Scott, « The Emerging Meanings of Religiousness and Spirituality : Problems and Prospects », Journal of Personality, 67, 6 (1999), p. 889-919.
-
[5]
Ce paragraphe puise à l’ouvrage suivant : François Guérard, Histoire de la santé au Québec, Montréal, Boréal, 1996, p. 79-80.
-
[6]
Encore une fois, il ne s’agit pas d’une évacuation complète de toute référence religieuse dans les processus décisionnels cliniques, mais bien d’un recadrage. Les références religieuses, portées par les patients ou par des soignants, seront intégrées dans un processus décisionnel qui, lui, est séculier, c’est-à-dire qu’il ne prend pas ses repères fondamentaux dans une tradition morale particulière.
-
[7]
Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard (coll. « Folio essais », 466), 1985, p. 198-199.
-
[8]
Cf. Gouvernement du Québec, Loi sur les services de santé et les services sociaux, article 100 : « Les établissements ont pour fonction d’assurer la prestation de services de santé ou de services sociaux de qualité, qui soient continus, accessibles, sécuritaires et respectueux des droits des personnes et de leurs besoins spirituels et qui visent à réduire ou à solutionner les problèmes de santé et de bien-être et à satisfaire les besoins des groupes de la population » (http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/ dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/S_4_2/S4_2.html, site consulté le 29 mai 2017).
-
[9]
Par le mot biomédecine, j’entends les sciences cliniques (médecine, sciences infirmières, nutrition, pharmacie, ergothérapie, physiothérapie) et les sciences sociales (psychologie, travail social) mobilisées au chevet des malades, lesquelles s’appuient sur un ensemble de savoirs validés par des procédures scientifiques et sur un arsenal technologique approprié.
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[10]
Sur l’émergence de cet intérêt, je me permets de renvoyer le lecteur aux travaux suivants : Guy Jobin, « La spiritualité : facteur de résistance au pouvoir biomédical ? », Revue d’éthique et de théologie morale, 265 (2011), p. 131-149 ; Nicolas Pujol, Guy Jobin, Sadek Beloucif, « Quelle place pour la spiritualité dans le soin ? », Esprit, 405 (juin 2014), p. 75-89 ; Guy Jobin, « Êtes-vous en belle santé ? Sur l’esthétisation de la spiritualité en biomédecine », dans Id., J.-M. Charron, M. Nyabenda, dir., Spiritualités et biomédecine : enjeux d’une intégration, Québec, PUL, 2013, p. 41-61 ; Guy Jobin, Des religions à la spiritualité. Une appropriation biomédicale du religieux dans l’hôpital, Bruxelles, Lumen vitae (coll. « Soins et spiritualités », 3), 20132, 106 p.
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[11]
Pour une analyse de ces déplacements, cf. Céline Lafontaine, La société postmortelle. La mort, l’individu et le lien social à l’ère des technosciences, Paris, Seuil, 2008.
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[12]
Les données complètes de cette étude ont déjà fait l’objet d’une publication : Guy Jobin, Anne Céline Guyon, Maxime Allard, Didier Caenepeel, Jacques Cherblanc, Johanne Lessard, Nicolas Vonarx, « La spiritualité selon les soignants en soins palliatifs. Une analyse systémique » (« Wie Spiritualität in Palliative Care verstanden wird. Eine systemische Analyse »), Spiritual Care. Zeitschrift für Spiritualität in den Gesundheitsberufen, 2, 1 (2013), p. 17-26.
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[13]
De nombreux outils diagnostiques quantitatifs ont été développés par des théoriciens du soin et par des cliniciens afin de faciliter l’évaluation spirituelle des patients, au même titre que d’autres formes d’évaluation destinées à mesurer les capacités physiques ou l’état psychologique d’une personne malade. Le Spiritual Well-being Scale (1983), le FACIT-Sp (1987) et le Brief Serenity Scale (2009) sont des exemples de ce type d’outils.
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[14]
On comprendra que, dans une démarche descriptive, cette remarque sur l’absence d’un élément spirituel traditionnel n’est pas une critique.
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[15]
Virginia Henderson, Principles and Practice of Nursing, New York, MacMillan, 1955. Depuis la publication de ce texte fondateur, les théories des soins infirmiers ont repris les notions de besoin spirituel, de détresse spirituelle et de spiritualité pour en faire des concepts cliniques clés. Parmi la proposition pléthorique de textes sur ces concepts, je retiens, pour leur exemplarité, les contributions suivantes : Mélanie Vachon, Lise Fillion, Marie Achille, « A Conceptual Analysis of Spirituality at the End of Life », Journal of Palliative Medicine, 12, 1 (2009), p. 53-59 ; Barbara Pesut et al., « Conceptualising Spirituality and Religion for Healthcare », Journal of Clinical Nursing, 17, 21 (2008), p. 2 803-2 810.
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[16]
Cette section s’appuie sur l’ouvrage déjà cité : G. Jobin, Des religions à la spiritualité, p. 9-37.
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[17]
Cf. ibid., p. 11-18.
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[18]
Ibid., p. 17.
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[19]
NANDA-I, Diagnostics infirmiers. Définitions et classification 2012-2014, Issy-les-Moulineaux, Elsevier-Masson, 2013, p. 434.
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[20]
Ibid., p. 439. Le NANDA International est un groupe international formé de chercheures et de cliniciennes en soins infirmiers qui proposent des définitions diagnostiques utilisables pour la recherche et la clinique. Le processus d’élaboration des définitions met principalement à contribution des revues de littérature et les conférences de consensus.
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[21]
Paul Heelas, Linda Woodhead, The Spiritual Revolution. Why Religion Is Giving Way to Spirituality, Londres, Blackwell, 2005 ; Paul Heelas, Spiritualities of Life. New Age Romanticism and Consumptive Capitalism, Londres, Blackwell, 2008 ; Raphaël Liogier, Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ?, Paris, Armand Colin, 2012.
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[22]
Dans le modèle explicatif proposé plus haut, ces facteurs culturels façonnent à la fois les discours spirituels exogènes, de même que la philosophie des soins palliatifs et les normativités professionnelles. Ces deux derniers éléments sont représentés comme débordant l’établissement et ayant un pied dans la culture ambiante où baignent lesdits établissements. Sans négliger ces influences importantes, étudiées de manière particulière par les sociologues dans un contexte culturel global (comme en font foi les références indiquées dans la note précédente), j’ai concentré mon attention sur les médiations propres au monde biomédical, ce qui, à ma connaissance, est une première.
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[23]
« Toute expérience spirituelle qui s’exprime, dès là qu’elle s’exprime, se trouve en quelque sorte “aliénée” dans le langage. D’abord, elle emploie les mots des autres ; elle en subit les contraintes. Jean de la Croix, Surin ou l’homme d’aujourd’hui ne parlent qu’un langage reçu d’autrui. […] D’autre part, cette expression est soumise à un “passage obligé”, à savoir le tri et la pression d’un groupe. Elle n’a d’existence qu’en fonction du passeport que lui délivre la communauté où elle est acceptée » (Michel de Certeau, La fable mystique (xvie-xviie siècle) II, Paris, Gallimard, 2013, p. 166).
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[24]
Thomas d’Aquin, Somme théologique, Paris, Cerf, 1984, p. 658 (Ia pars, q. 75, a. 5, respondeo).