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Il ne fait aucun doute que le livre de Qohélet est de plus en plus populaire. En effet, depuis l’an 2000, près de 120 nouveaux livres ont été publiés sur ce petit texte de sagesse, qui se conclut par un avertissement à ne pas produire en surabondance des livres (Qo 12,12) ! De cette centaine de nouveaux livres publiés depuis l’an 2000, c’est le quatorzième à paraître en italien. Les seize chapitres de l’ouvrage peuvent se regrouper en trois grandes sections : un commentaire général, dans lequel sont traités quelques problèmes classiques (auteur, date, unité du livre, canonicité, etc.) (p. 3-90 ; 231-237), une traduction et un bref commentaire chapitre par chapitre (p. 95-142 et 237) et, enfin, une section intitulée « Relectures et affinité » (p. 143-229 ; 237-244). Une très brève bibliographie d’ouvrages publiés strictement en italien est présentée aux pages 91-92.

À l’instar de maints exégètes, Stefani date le livre aux alentours du milieu du troisième siècle avant l’ère chrétienne (p. 42-44). Pour justifier cette datation, il fait essentiellement appel au livre de Ben Sira (pour la datation ante quem) et à la langue du livre, notamment les nombreux aramaïsmes et les deux mots d’origine perse en Qo 2,5 et 8,11 (p. 39-40). S’il est vrai que l’argument linguistique permet de dater le livre de Qohélet à la période du second Temple, il ne permet pas à lui seul de le dater avec précision à la période hellénistique. En somme, en retenant une telle datation, Stefani se permet de faire maintes affirmations qui ne sont jamais étayées avec des arguments à l’appui. Quelques exemples vont illustrer mon propos. Premièrement, il affirme que la description du roi en Qo 2 évoque non seulement le premier livre des Rois, mais aussi un riche magnat de l’époque ptolémaïque (p. 122). Deuxièmement, il écrit que le roi présenté en Qo 8,1-5 s’apparente à un monarque absolu de l’époque hellénistique (p. 133). Troisièmement, il est d’avis que c’est le Dieu même de Qohélet qui ressemble à un souverain hellénistique, dans la mesure où son pouvoir ne peut être remis en question, et ce, malgré la distance qui le sépare de ses sujets (p. 89). Bien entendu, dans les trois exemples cités, on pourrait très bien remplacer le magnat ou le souverain hellénistique par le roi mésopotamien ou perse. La datation retenue par Stefani lui permet aussi de supposer, sans aucun argument à l’appui, que Qohélet connaissait certaines idées de base provenant du monde grec et que son approche rationnelle s’apparente au carpe diem grec (p. 48). Par contre, plus prudent que maints exégètes, il ne signale aucun texte grec qui aurait pu directement influencer Qohélet et il refuse d’assimiler la « voie médiane » en 7,15-18 au « juste milieu » aristotélicien (p. 60) et l’affirmation de Qo 1,9-11 à l’éternel retour des stoïciens (p. 121). De façon tout aussi prudente, il refuse de justifier la datation du livre à partir de soi-disant allusions à des faits historiques précis ; à ce sujet, il prend pour exemple le passage de Qo 4,14-16 (p. 40-41).

Comme tous les commentateurs, Stefani a dû expliquer les contradictions apparentes ou réelles qui pullulent dans le livre de Qohélet. Il est bien connu que maints exégètes, surtout au 20e siècle, ont été d’avis que ces contradictions provenaient du fait que le livre de Qohélet aurait été rédigé par plus d’un auteur. Stefani rejette cette hypothèse, sauf pour Qo 1,1 et 12,9-14, épilogue qui proviendrait même de deux auteurs différents (p. 9-10 ; 23 ; 50 ; 54 ; 65 ; 68 ; 119 ; 141-142). À mon avis, cette hypothèse rédactionnelle n’explique pas davantage de manière satisfaisante la présence de Qo 1,1 et 12,9-14. Par ailleurs, pour expliquer les soi-disant ou réelles contradictions du livre de Qohélet, Stefani affirme que celles-ci sont le reflet, d’une part, des tensions entre la pensée de Qohélet et la sagesse traditionnelle et, d’autre part, de la réalité elle-même (p. 23). Cette interprétation, qui n’est pas nouvelle, ne permet pas concrètement de résoudre les nombreuses difficultés que pose le texte de Qohélet. Par exemple, bien des auteurs ne partageront pas son avis lorsqu’il affirme que Qohélet, en 3,2-8, reprend peut-être une vieille composition sapientiale dans le but de changer sa signification (p. 33). De la même façon, il me semble simpliste d’identifier Qo 10,8-9 comme une citation de Pr 26,27 (p. 85 ; 137), d’une part, parce que ces textes ne sont pas parfaitement identiques et, d’autre part, parce que maints autres textes du psautier s’apparentent aussi au v. 8a (Ps 7,16 ; 9,16 ; 35,7-8 ; 57,7 ; 141,9-10a) et doivent donc être pris en considération pour bien saisir le ton ironique de Qohélet.

Quiconque lit le livre de Qohélet se heurte à un autre problème majeur : l’organisation et la cohérence de la pensée. À ce sujet, le commentaire est une fois de plus décevant, car Stefani se contente, d’une part, d’écrire que le livre de Qohélet n’est ni un traité, ni une simple anthologie (p. 24) et, d’autre part, de reprendre vaguement l’idée de « circularité textuelle » développée par Vittoria D’Alario (p. 24-25).

Comme tous les commentateurs, Stefani a dû traduire et interpréter le mot hbl, mot clé par excellence du livre de Qohélet. Or, celui-ci est rendu par différents mots ou expressions : souffle (1,14), souffle sur le point de s’évanouir (1,2), souffle sur le point de devenir rien (12,8), souffle sur le point de disparaître (6,9), souffle en train de s’évanouir (2,15), souffle qui se dissipe (8,14b), éphémère (4,7), passager (6,12), transitoire (7,15), fugace (9,9a), qui s’écoule (9,9b), rien (4,8), délires (5,6), absurde (8,14a). Bien entendu, ce choix suscitera inévitablement des critiques, non pas forcément parce qu’il est entièrement erroné, mais simplement parce qu’aucune traduction ne fait présentement l’unanimité. En effet, la traduction du mot hbl ne va pas de soi, car elle détermine le sens que l’on donne à tout le livre. Quoi qu’il en soit de la meilleure traduction du mot hbl, Stefani a raison de souligner que les appels à la joie en constituent le contrepoint (p. 22), qu’ils ont une fonction de narcotique et qu’ils représentent une tentative illusoire de sortir de la sphère du hbl (p. 59).

Du point de vue de l’épistémologie, Stefani souligne que Qohélet est un empiriste (p. 73 ; 82-84) et que son livre se présente comme une sorte de journal de ses expériences (p. 26). Il est vrai que maintes affirmations sont fondées sur des observations et des expérimentations. Toutefois, cela n’est pas suffisant pour faire de Qohélet un empiriste, car plusieurs de ses réflexions n’ont aucun fondement empirique ; c’est notamment le cas de ses nombreuses réflexions théologiques.

La troisième section du livre est sans doute la plus originale, car elle est consacrée à une étude comparative entre Qohélet et divers grands écrivains : l’auteur inconnu de L’Imitation de Jésus-Christ lui permet d’approfondir le thème de l’ascétisme ; avec Francesco Guicciardini et Michel de Montaigne, il explore les thèmes de l’expérience et du scepticisme ; l’oeuvre de Giacomo Leopardi est l’occasion de découvrir un autre Ecclésiaste — à ce sujet, il est étonnant que Stefani ne mentionne pas l’existence du livre de Loretta Marcon, Qohélet e Leopardi. L’infinita vanità del tutto, Napoli, Alfredo Guida editore, 2007 — ; le chapitre sur Johannes Brahms nous plonge dans le thème de la mort que le musicien a repris de Qohélet, notamment de Qo 3,18-22 et 4,1-3 ; avec Léon Tolstoï, c’est le thème des confessions autobiographiques qui prédomine ; enfin, l’ouvrage se termine par une présentation du poète David Maria Turoldo et plus particulièrement de ses deux recueils de poèmes intitulés « Chants ultimes » (1991) et « Mes nuits avec Qohélet » (1992).

En dépit de ces quelques critiques et de plusieurs autres réserves qu’il serait trop long d’exposer — aussi bien à l’égard de la traduction que de l’interprétation —, il s’agit d’un ouvrage qui a le mérite d’être clair et de s’adresser au grand public.