Corps de l’article
Ce collectif nous fait parcourir plus de 400 ans d’histoire concernant le protestantisme francophone québécois. À travers les différents fragments d’histoire qui nous y sont présentés, on nous replonge sans cesse dans des questions d’articulation mémorielle. Le protestantisme francophone n’a pas toujours été présent dans l’historiographie religieuse québécoise. Par contre, depuis l’étude de Marc-André Bédard sur les protestants en Nouvelle-France, il y a de cela 37 ans, la recherche portant sur ce patrimoine occulté en a occupé certains. Ce collectif s’inscrit dans ce récent intérêt de la recherche universitaire pour le domaine. Intérêt qui dépasse le sol québécois, comme en témoigne cette équipe de direction formée de deux Québécois, Marie-Claude Rocher et Marc Pelchat, et de deux Français, Philippe Chareyre et Didier Poton. L’ouvrage est partiellement le fruit d’un colloque organisé autour de l’exposition Une présence oubliée, les huguenots en Nouvelle-France présentée par le Musée de l’Amérique française lors des festivités du 400e de la ville de Québec. En feuilletant l’ouvrage, on ressent clairement l’influence du milieu dans lequel il est né et la collaboration avec les Musées de la civilisation du Québec ; grâce à 250 éléments iconographiques, on nous plonge dans une véritable expérience muséale.
Ce collectif nous présente dix-sept articles divisés en quatre parties, soit « Les huguenots : sujets protestants d’un royaume catholique », « Les huguenots en Nouvelle-France : interdits, mais tolérés », « Les franco-protestants au Québec : tolérés, mais occultés » et « Huguenots et franco-protestants dans la mémoire du Québec ». Y sont insérées dix-huit capsules d’une à deux pages abordant des sujets variés allant des liens entre la célèbre montre suisse et l’austérité calviniste jusqu’aux débats publics du prêtre apostat Charles Chiniquy. Ces capsules sont originales et fort intéressantes, mais il aurait été intéressant d’en connaître les auteurs.
Les premières pages nous présentent plus qu’il n’en faut la possibilité d’un protestantisme souterrain et persistant malgré l’oppression, sans toutefois s’appuyer sur des recherches concrètes. Si Philippe Joutard ne fait qu’évoquer un « hypothétique marranisme huguenot » (p. xv), Marie-Claude Rocher nous révèle que, malgré l’oppression, un nombre restreint « maintient, privément, son attachement à la foi protestante et à la langue française, pratiquant un culte discret, mais tenace » (p. xviii). Quoi qu’il en soit des parallèles que l’on peut faire avec la situation française, la rareté et le mutisme des sources et l’absence d’études sérieuses sur le sujet permettent difficilement de faire de tels liens.
Si ce livre peut être profitable autant au chercheur s’intéressant au protestantisme francophone qu’à celui qui traite des questions portant sur la construction et la préservation de la mémoire ; il le sera aussi pour le lecteur tout simplement curieux d’en apprendre davantage sur la minorité protestante franco-québécoise. La première partie est particulièrement utile pour situer le néophyte. S’il semble évident que la présentation des figures marquantes de la Réforme, qu’un rappel des cinq solae, ou qu’une présentation des événements entourant l’édit de Nantes nous aident à bien cerner le protestantisme en Nouvelle-France, l’étude de la construction du mythe d’Henri IV ne l’est pas autant. L’article d’Hugues Daussy, « Henri IV, de la légende au mythe » ne traite pas d’un sujet directement lié au protestantisme québécois. Cependant, l’étude de la construction d’un mythe et de la mémoire collective constitue une bonne entrée en matière dans la mesure où cela nous prépare à aborder le protestantisme du point de vue de la construction mémorielle des minorités.
La deuxième partie s’ouvre sur la présence des huguenots en Nouvelle-France, nous présentant la place prépondérante qu’ont occupée les marchands huguenots dans le développement économique de la Nouvelle-France. Au-delà de leur influence à l’époque précédant la Compagnie des Cent-Associés que nous exposaient déjà Francois-Xavier Garneau ou Émile Salone, Didier Poton nous présente les périodes de restrictions pour les protestants où le commerce devenait souvent biconfessionnel et les capitaux des protestants finançaient les marchands catholiques. On aborde aussi le retour en force des protestants avant la Conquête, où, faute d’avoir des commerçants catholiques, les protestants étaient tolérés. Philippe Chareyre enchaîne ensuite avec l’origine huguenote de la famille de Louis-Joseph Montcalm. Bien que Louis-Joseph ait lui-même professé la foi catholique, on retrace le passé protestant de sa famille, celle-ci ayant joué un rôle important dans la protection des camisards. Frank Lestringant, aborde, d’un point de vue mémoriel, la présence huguenote chez les corsaires et flibustiers au Brésil et en Floride. Marianne Carbonnier-Burkard se penche elle aussi sur la mémoire par l’étude de la légende de celle que l’on a surnommée Marguerite de Roberval. Il s’agit de l’histoire d’un couple qui aurait été laissé sur une île canadienne lors d’une expédition de Roberval. Après avoir lutté contre les animaux de l’île et survécu à la mort de son mari, la femme fut recueillie par le navire La Rochelais. Cette légende a été reprise à maintes reprises pour servir la cause évangélique en présentant l’héroïne comme le modèle féminin par excellence de la foi protestante. On oscille donc encore entre le thème des protestants francophones au Québec et l’exploration de la construction de la mémoire dans d’autres contextes similaires.
La troisième partie s’attarde véritablement au protestantisme francophone de la deuxième moitié du 19e siècle et du début 20e siècle, instauré par des missionnaires suisses et américains. À cette période, les protestants ont réussi à s’implanter de façon plus solide que dans les années précédentes, et leurs traces sont plus tangibles. Parmi celles-ci, on peut compter l’ensemble Feller, comprenant l’église Roussy-mémorial, une ferme, un presbytère, un cimetière, quelques maisons, mais également des bâtiments aujourd’hui disparus, comme l’institut Feller et un château d’eau. La communauté de Saint-Blaise-sur Richelieu s’était organisée afin d’être autosuffisante. Marie-Claude Rocher nous présente l’organisation de cet ensemble témoignant de l’ostracisme de cette communauté qui a fini par se ghettoïser. On peut comprendre que certains ont dû s’angliciser pour survivre, ou encore abjurer et se recatholiciser. Claire Cousson, nous fait explorer l’intelligentsia protestante avec les membres de l’institut canadien de Montréal appartenant à la communauté francophone. Le plus illustre représentant étant Daniel Coussirat, professeur au collège presbytérien de l’Université McGill et réviseur de l’édition de 1881 de la Bible d’Ostervald. Le discours franco-protestant s’est aussi exprimé de façon plus populaire à travers les 122 ans de publication du périodique Aurore dont Jean-Louis Lalonde nous rappelle l’histoire. On y rassemblait des contributions des différentes dénominations protestantes francophones. En outre, l’église baptiste française de l’Oratoire a conservé la mémoire des personnages importants de son histoire grâce à une courtepointe sur laquelle est brodé leur nom, remontant jusqu’au fondateur de l’Église, mais Marie-Claude Rocher nous apprend que l’origine de cette courtepointe n’est pas connue. On nous présente aussi le nom de cette église comme un souvenir de l’oratoire de Genève où prêcha Calvin, une « affirmation des racines de la Réforme et des liens avec les premiers huguenots » (p. 211). Bien que cette Église ait accepté la plupart des points doctrinaux de Calvin, il aurait été intéressant de se pencher sur la part d’oubli nécessaire à ce genre de commémoration ; rappelons-nous que Calvin combattait farouchement le baptême des adultes qui est si cher aux baptistes. On voit, ici, que le besoin des franco-protestants de se rattacher à quelque chose de plus ancien n’est pas chose nouvelle.
Dans la quatrième partie, on essaie d’identifier ce qui nous reste aujourd’hui de ce patrimoine légué par les protestants francophones du passé. Avec une culture essentiellement orale et une ecclésiologie fragmentaire, les archives protestantes québécoises sont rares et peu explicites. En revanche, le catholicisme québécois a beaucoup mieux conservé sa mémoire documentaire. À travers les livres protestants mis à l’Index du Séminaire de Québec et la correspondance de certains ecclésiastiques se plaignant des protestants, que nous présente Marc Pelchat, on arrive à retracer une partie du protestantisme québécois. Enfin, à travers un examen de la toponymie québécoise, Marie-Claude Rocher nous fait découvrir des lieux porteurs d’une mémoire protestante comme le Domaine Joly de Lotbinière, la rue Cyrille-Côté ou encore les îles Vessots, tous nommés en l’honneur d’illustres protestants.
L’ouvrage se conclut par un panorama du protestantisme québécois depuis 1960. Glen Smith, fait remarquer que, bien qu’il reste encore quelques églises issues de celles du 19e siècle, la majorité du paysage protestant québécois appartient aux évangéliques des dénominations pentecôtistes et baptistes. Les fidèles de ces dénominations récentes sont principalement des immigrants et de nouveaux protestants convertis depuis les années 1960. Il y a donc là un renouvellement des effectifs protestants, ce qui complexifie la tâche de la conservation d’une mémoire religieuse.
En somme, ce collectif s’impose à tous ceux qui s’intéressent au protestantisme québécois et à sa mémoire. On a certes tenté de pallier les lacunes de cette mémoire en ratissant un peu large, en joignant parfois des thèmes éloignés du protestantisme franco-québécois. Les articles qui ne traitent pas du protestantisme québécois sont néanmoins de très bonne qualité. Ce livre nous fait explorer une minorité parfois oubliée, tout en nous montrant qu’il nous reste encore beaucoup à découvrir sur celle-ci.