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Ce livre propose une réflexion critique et interdisciplinaire entre la biomédecine et la spiritualité sur le terrain des soins. Dirigé par Guy Jobin, Jean-Marc Charron et Michel Nyabenda, il combine les différentes visions de cette réflexion. Cette oeuvre trouve sa conception dans les présentations données en avril 2010 à la Journée de la recherche à l’Université Laval sous les auspices de la Chaire Religion, spiritualité et santé et en mai 2010 au colloque La prise en compte du religieux et du spiritual dans les milieux de santé : état des lieux de l’Association francophone pour le savoir (Acfas).
Les premiers trois chapitres ont pour objectif d’identifier les enjeux épistémologiques de la rencontre entre la biomédecine et la spiritualité. Maxime Allard (chapitre 1) s’appuie sur les approches de Vincent Descombes dans un contexte philosophique aux frontières de la phénoménologie. Sa conclusion est d’identifier deux dangers aux abords du « spirituel » : de le voir comme un instrument de soins parmi d’autres ou comme un rapport direct avec la transcendance. Didier Caenepeel (chapitre 2) écrit sur la manière dont le « spirituel » se structure dans le champ des soins. Pour cet auteur, les soins sont essentiellement relationnels (ou spirituels). C’est à la fin du Moyen Âge que les soins ont pris une posture objectivée et ont commencé à se distancier de la médecine. Quoique le religieux ait encouragé la sollicitude par la valeur de la charité, pour cet auteur deux mouvements se sont développés concurremment pour encourager l’objectivation dans le champ des soins : les actes religieux, dans l’accompagnement pastoral et l’évacuation du religieux dans l’espace des soins, par la sécularisation ; suivi par l’objectivation du patient dans la biomédecine. L’évacuation de la sphère religieuse et la remise en question de la médicalisation des soins signent un retour du spirituel dans le champ des soins. Pour Guy Jobin (chapitre trois), l’intégration de la spiritualité dans le champ des soins en santé globale est bien illustrée dans la littérature du monde des soins infirmiers. Il remet également en question l’accueil sans critique de la compréhension de la spiritualité dans les cadres épistémologiques de la biomédecine. Pour Jobin, même ceux qui critiquent ces cadres partagent un présupposé : le rapport contemporain de la biomédecine à la spiritualité procède d’une réduction de l’expérience spirituelle à une quête d’harmonie avec soi et d’une expérience personnelle réussie.
Les chapitres suivants, du quatrième au sixième, examinent les transformations de la religion et du spirituel dans les institutions de santé québécoises. Après avoir donné une courte mise en contexte de ces transformations dans le paysage des soins spirituels au Québec, Danièle Bourque, au chapitre quatre, partage le chemin qu’elle a suivi dans sa recherche pour fournir aux intervenants spirituels en milieu de santé les outils nécessaires favorisant une écoute distanciée et non confessionnelle. Au chapitre cinq, Jacques Cherblanc résume les résultats paradoxaux de son enquête qualitative sur les notions de religion et de spiritualité dans les centres de santé et de services sociaux au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Malgré le fait que la spiritualité soit de plus en plus valorisée au détriment de la religion dans ces centres de santé, la religion et ses symboles demeurent omniprésents. Au sixième chapitre, Jean-Marc Charron affirme que la perception de la religion au Québec, du point de vue politique et institutionnel, peut être illustrée par les décisions du ministre de la Santé et des Services sociaux. Les textes fondateurs de la relation entre le ministre et les quatre principales communautés de foi présentes au Québec (l’Église catholique romaine, l’Église anglicane, l’Église unie du Canada, la Fédération des services de la communauté juive de Montréal) ont été dénoncés, en 2007, par le ministre, pour être ensuite remplacés par les orientations ministérielles en 2010. Ces orientations instaurent une rupture dans la collaboration entre le ministre et les communautés de foi. En d’autres mots, du point de vue politique, les services pastoraux sont passés d’une perspective confessionnelle à une spiritualité laïque inspirée de la sécularisation, du pluralisme et de la charte des droits et libertés.
La dernière section se veut le prolongement de la spiritualité et la biomédecine dans ses enjeux cliniques. Pierre Gagnon et son équipe, au chapitre sept, résument les interventions en psycho-oncologie qui tentent d’améliorer la qualité de vie sur le plan existentiel et spirituel. Bien qu’ils admettent les lacunes d’une épistémologie et d’une méthodologie scientifique dans ces approches visant à améliorer le bien-être existentiel et spirituel des patients, Gagnon affirme que ces approches complètent et enrichissent les approches plus classiques et théologiques. Martine Tremblay, animatrice de pastorale en milieu de santé, remet en question la compréhension de la spiritualité de ceux qui, dans la dispensation des soins, essaient de se tenir le plus loin possible de la mort. Dans l’avant-dernier chapitre, Mélany Bisson propose un modèle d’intervention qui aide le clinicien, d’une part à se détacher du patient par l’empathie, d’autre part à partager l’espace intime du patient. Pour clore cette série de présentations, Suzanne Boutin considère le vécu de la spiritualité dans les milieux de la santé d’une perspective confessionnelle, celle des pèlerinages catholiques. Les organisateurs de ces centres visent à changer la perception des pèlerins à deux niveaux : le visage de la santé comme quête de salut (recherche de bien-être et d’harmonie en ce monde) et le regard que l’individu malade porte sur lui-même. Elle pose la question suivante : si ces sanctuaires s’ouvrent aux discours du monde biomédical, les institutions de santé ne peuvent-elles pas aussi s’ouvrir aux discours des diverses traditions religieuses ?
À la lecture de cet ouvrage, le lecteur verra les différents visages de la spiritualité dans les institutions de santé contemporaines du Québec. De plus, il comprendra que l’approche biopsychosociale a contribué à une réorganisation des rapports entre la spiritualité et la médecine dans notre société sécularisée. Grâce à cette approche, la médecine fait place à la spiritualité comme un partenaire de par son importance dans la guérison.
Quoique la vision holistique de cette approche ait abouti à l’accueil de la spiritualité comme partenaire à part égale dans son milieu, les auteurs témoignent du fait qu’il reste des pistes à éviter afin d’assurer une union complémentaire. Une recherche critique de cette intégration doit éviter deux écueils : la médicalisation de la spiritualité comme option épistémologique et le remplacement de la religion par la spiritualité dans nos établissements de santé.