Résumés
Résumé
Les Diuinae institutiones de Lactance sont souvent citées lorsqu’il s’agit d’analyser le passage du mot religio de la langue latine à la pensée du christianisme. On ne doit toutefois pas lire ce texte du ive siècle de notre ère avec la conception moderne du mot religion. Les sociologues du xxe siècle ont élaboré des définitions de la religion à partir de l’opposition sacré/profane, mais cette dichotomie n’est toutefois pas une catégorie interprétative valide dans l’ouvrage de Lactance. Non seulement il oppose ces deux notions que très rarement, mais la conception de sacer et de profanus diffère des définitions qui se sont imposées depuis un siècle. L’utilisation de concepts modernes pour l’analyse des Diuinae institutiones constitue dès lors un frein à la compréhension des notions de religion, sacré et profane dans l’ouvrage de Lactance.
Abstract
The Diuinae institutiones of Lactantius are often referred to when analyzing the transition of the word religio from Latin to Christian thought. However, one should not read this fourth century A.D. text with the modern definition of religion in mind. Twentieth century sociologists put forth definitions of religion based on the sacred-profane opposition, but this dichotomy is not a valid category for the interpretation of religio in the book of Lactantius. Not only does he scarcely oppose these two terms, but also the very notion of sacer and profanus differ from the received definitions of the last century. Therefore, the use of modern concepts is a stumbling block for the understanding of the terms religion, sacred and profane in the Diuinae institutiones of Lactantius.
Corps de l’article
Les Diuinae institutiones de Lactance demeurent une source incontournable pour l’étude de la notion de religion dans l’Antiquité. On mentionne souvent cet ouvrage lorsqu’il s’agit de préciser la signification du terme religio à cette époque. On ne saurait toutefois analyser la conception de la religion présente dans l’ouvrage de Lactance à l’aune des théories proposées par les sociologues du xxe siècle, même s’ils ont abondamment traité de ce sujet. À prime abord, on peut dire qu’il faut toujours demeurer prudent avant de faire appel à cette conception moderne de la religion lorsqu’il s’agit d’étudier une source du ive siècle ap. J.C. Les définitions de la religion proposées par les sociologues — tout spécialement les sociologues français — accordent beaucoup d’importance à l’opposition sacré/profane, à tel point que cette dichotomie est devenue une catégorie explicative du fait religieux, et même le « trait distinctif de la pensée religieuse[1] ». Cette approche du phénomène religieux date d’à peu près un siècle[2] et pourrait nous éloigner des catégories utilisées par Lactance. Même si l’utilisation de théories sociologiques récentes peut être tentante, il vaut mieux lire ces notions dans leur propre contexte, et mettre de côté de telles constructions, du moins pour le moment. On évitera ainsi l’écueil de l’anachronisme, c’est-àdire le « […] travers [qui] consiste à projeter dans le passé des catégories que l’on a présentes à l’esprit […][3] ».
Les définitions de la religion centrées sur l’opposition sacré/profane, une opposition toutefois bien attestée dans le monde romain[4], semblent en effet constituer un obstacle majeur dans la compréhension de la religion chez Lactance. De plus, les catégories mêmes de sacré et de profane doivent être également remises en question pour la compréhension des Diuinae institutiones, car l’auteur paraît s’éloigner de la conception romaine de ces deux notions. De plus, pour Lactance, le concept de religion se fonde plutôt sur la piété[5] — c’est-àdire le sentiment de piété, la pietas[6] — comme en témoigne le célèbre passage au sujet de l’étymologie de religio (Diu. Inst., IV, 28, 3 et 12, fasc. 2, p. 425, 1-2 et p. 427, 7-10) :
[…] nous sommes attachés et liés à Dieu par ce lien de piété : c’est de là que nous tirons le mot même de religio […] Nous avons dit que le mot religion était déduit à partir du lien de piété, parce que Dieu reliait (religauerit) l’homme à lui et le retenait par la piété, puisqu’il nous est nécessaire de le servir comme un maître et lui obéir comme un père[7].
Lactance laisse dès lors peu de place, sinon aucune, au sacré dans sa définition de la religion. De plus, l’analyse des textes semble indiquer que l’auteur n’oppose pas le sacré et le profane, et que ces deux notions renvoient à des sphères qui ne sont pas toujours reliées. On doit dès lors rester prudent avant de supposer que l’opposition sacré/profane possède une réalité objective, et surtout de penser trouver dans l’oeuvre de cet auteur du ive siècle un sacré qui s’oppose au profane. L’analyse de vocabulaire qui suit a justement pour but de contourner l’écueil que pourraient constituer certains a priori concernant la religion et l’opposition sacré/profane, et de jeter les bases d’une compréhension de ces notions davantage fidèle aux propos d’un auteur du ive siècle.
I. L’écueil des concepts modernes
Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, John Scheid rappelle que la compréhension de chacun des éléments contenus dans les sources écrites de l’Antiquité ne suffit pas. On doit, dit-il, les interpréter à l’aide de concepts, car « sans concept […] il n’y a pas d’histoire[8] ». Or, les concepts de religion, de sacré et de profane, sous-jacents aux mots qu’utilise Lactance dans les Diuinae institutiones, ont donné lieu, de la part des chercheurs en sciences des religions, à toutes sortes de conceptualisations qui ne correspondent pas nécessairement à ce que voulait dire cet auteur au moment où il écrivait. Le travail d’analyse doit donc être fait avec beaucoup de prudence. John Scheid en est tout à fait conscient. Le chercheur, poursuit-il, doit donc utiliser avec précaution les « concepts préalablement élaborés par des disciplines qui ont pour objet des époques plus récentes[9] ». Et il ajoute : « L’excès commence quand des concepts, souvent forgés par des chercheurs occupés à l’étude de civilisations et de sociétés fort différentes de celles des Anciens, sont plaqués sans précaution sur les données romaines[10] ». Tel est l’écueil sur lequel nous nous proposons de réfléchir dans cet article.
Le problème se présente donc de la façon suivante. Lorsque l’on étudie la religio dans les Diuinae institutiones de Lactance, on a inévitablement en tête la conception moderne de la religion. Celle-ci a été très influencée par les travaux des sociologues du xxe siècle, si bien qu’aujourd’hui on doit, non pas remettre en question leurs travaux, mais plutôt remettre en question l’application aveugle de leurs définitions à une source aussi ancienne que l’oeuvre de Lactance. Au siècle dernier, l’opposition sacré/profane est devenue peu à peu la pierre angulaire de la religion. On peut penser aux travaux d’É. Durkheim, fondateur de l’école de sociologie française qui relie explicitement le sacré à la religion[11]. M. Mauss et H. Hubert, pour qui la religion est « l’administration du sacré[12] », ont également lié le sacré à la religion[13]. Mais plus encore, c’est l’opposition sacré/profane qui, selon F.A. Isambert, devient importante aux yeux d’É. Durkheim : « Notons que ce n’est pas d’abord le sacré en lui-même qui dénote la religion, mais son opposition au profane […][14] ». C’est bien ce qu’affirme É. Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse :
Toutes les croyances religieuses connues, qu’elles soient simples ou complexes, présentent un même caractère commun : elles supposent une classification des choses, réelles ou idéales, que se représentent les hommes, en deux classes, en deux genres opposés, désignés généralement par deux termes distincts que traduisent assez bien les mots de profane et de sacré. La division du monde en deux domaines comprenant, l’un tout ce qui est sacré, l’autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse […][15].
La dichotomie sacré/profane constitue en effet pour Durkheim le « trait distinctif » de la religion[16]. Puis, pour ceux qui s’inscrivent dans la lignée de cet auteur[17], cette opposition devient la « catégorie explicative du fait religieux[18] ». Puisque cette conception est moderne, celui qui étudie un texte aussi ancien que les Diuinae institutiones de Lactance ne peut s’appuyer sur de telles théories. P. Borgeaud lui recommande plutôt
la nécessité de travailler dans le détail, sans rejeter les théories et les modèles, mais en recommandant de raisonner dans le contact permanent avec les sources, de demeurer attentif à l’altérité et à ce qu’il nous est difficile de comprendre. […] Si nous raisonnons uniquement dans l’abstrait, en nous fondant sur des synthèses et des généralités souvent éloignées des sources, ou sur des théories qui n’ont jamais subi l’épreuve de la vérification détaillée, nous imposons inévitablement des idées et des concepts d’aujourd’hui aux civilisations du passé[19].
Ajoutons qu’en plus d’être ancien, le texte de Lactance a été écrit en latin ; et tout comme le concept, la langue d’origine peut être une source de problème. Comme le rappelle J. Rudhardt, les mots ne renvoient pas, d’une langue à l’autre, à une réalité nécessairement identique à celle qu’évoque le mot moderne apparenté. En parlant des chercheurs du xxe siècle qui ont tenté de remonter à l’essence du sacré, cet auteur mentionne d’ailleurs qu’« [ils] traitent tous du sacré comme s’il s’agissait d’une réalité homogène et transposent d’une langue à l’autre les concepts qui s’y réfèrent. Or, il ne nous paraît pas certain que ces concepts soient équivalents. L’allemand heilig ne correspond exactement ni à saint ni à sacré[20] ». Pour D. Sabbatucci, les mots religio, sacer et deus ont eu un parcours différent dans l’évolution des langues romanes et modernes. Tandis que religio se répand dans les langues modernes en raison d’un phénomène de christianisation, que deus se propage par un phénomène de latinisation, le terme sacer a une relation beaucoup plus complexe avec les langues modernes[21]. Cette situation fait donc en sorte que l’on doit non seulement utiliser les concepts modernes avec beaucoup de précaution, mais que l’on doit inévitablement se questionner sur le sens des mots employés dans le texte étudié. En d’autres termes, si l’on ne doit pas accepter aveuglément telle ou telle conception et la plaquer sur une source ancienne, on doit sans cesse s’interroger sur la signification des mots dans les sources anciennes.
II. Le « sacré » dans les Diuinae institutiones de Lactance
1. L’opposition sacrum/profanum chez les Romains
Avant d’appliquer les remarques qui viennent d’être faites au texte de Lactance, quelques remarques s’imposent à propos de l’utilisation du terme sacer en latin, et plus particulièrement dans le monde romain. La dichotomie sacré/profane existe bel et bien dans l’Antiquité romaine à tel point que l’on a pu affirmer que « [r]ien ne paraît plus simple et plus clair que l’opposition sacrum-profanum chez les Romains[22] ». Comme l’explique H. Fugier, « [p]our nier sacer il n’existe pas de *in-sacer, suivant le type impius ≠ pius, iniustus ≠ iustus […] ou en grec, ἀνίερος ≠ ἱερός, ἀνόσιος = ὅσιος ; mais la fonction sémantique correspondante est exactement remplie par profanus[23] ». Les deux termes sont par ailleurs des adjectifs qui signifient, pour sacer, ce qui est sacré et, pour profanus, ce qui est profane. Plus précisément, pour les Romains, sacer signifie ce qui a été consacré à un dieu, tandis que profanus — qui vient de pro fano — signifie ce qui est devant (pro) l’enceinte consacrée (fanum) et donc ce qui n’est pas consacré ou sacré[24]. Bien qu’il s’agisse d’adjectifs, il arrive régulièrement que sacer et profanus soient employés comme adjectifs substantivés. Dans ce cas, sacer est fréquemment utilisé au neutre pluriel (sacra) au sens de « choses sacrées », et non au sens abstrait de « sacré », comme à l’époque moderne. L’emploi de l’adjectif sacer signifie en revanche, comme en français, quelque chose ou quelqu’un de « sacré » ; on trouve un exemple de cet emploi dans les Géorgiques de Virgile (II, 395)[25] : sacer hircus, c’est-àdire le bouc sacré[26]. Notons également que l’adjectif peut également désigner quelque chose de maudit comme dans le même texte de Virgile (III, 566)[27] : sacer ignis, qui signifie le feu maudit. Cependant, la forme substantivée, sacra, littéralement « les choses sacrées », est généralement traduite par des termes comme cultes, cérémonies, mystères, sacrifices, offrandes. C’est principalement cette dernière manière d’employer sacer, c’est-àdire la forme substantivée, qui est utilisée par Lactance.
De plus, si l’on y regarde attentivement, c’est non seulement l’utilisation que fait Lactance de la dichotomie sacré/profane dans les Diuinae institutiones qui pose problème, mais la façon dont ces termes y sont utilisés. En effet, cet auteur utilise presque exclusivement la forme substantivée sacra lorsqu’il parle de la réalité des cultes romains traditionnels, tandis qu’il utilise l’adjectif sacer pour présenter deux réalités chrétiennes. L’analyse de la signification des termes sacer et profanus doit dès lors se faire séparément pour chacune des réalités religieuses concernées, c’est-àdire que le sens diffère suivant qu’il s’agit de la réalité romaine ou chrétienne. Lactance utilise sacer et profanus dans plusieurs sens différents et il importe de vérifier la signification de chaque occurrence. Selon l’emploi qu’il fait de formes adjectivées ou de formes substantivées, on doit s’attendre à ce que le sens donné par Lactance varie. On doit par ailleurs être attentif à la réalité religieuse qui se dissimule derrière ces emplois puisqu’il est question tantôt de réalités chrétiennes et tantôt de réalités romaines reliées aux cultes traditionnels. De plus, Lactance s’éloigne de la signification généralement reçue de profanus, tandis qu’il suit l’utilisation généralement reçue de sacer et utilise ce mot pour désigner tant la réalité des chrétiens que celle des Romains. Nous analyserons donc en premier lieu l’emploi que Lactance fait de profanus, puis celui qu’il fait de sacer.
2. Le profanum dans les Diuinae institutiones de Lactance
Le mot profanus revêt plusieurs sens chez Lactance et ces significations sont reliées à la fonction grammaticale de ce mot. Par exemple, le mot profanus n’aura pas la même signification s’il est utilisé comme adjectif ou substantif, ou si l’on recourt au verbe ou à l’adverbe qui lui sont apparentés. Ce terme a dès lors attiré plus particulièrement notre attention, car il désigne dans les Diuinae institutiones trois réalités différentes.
Tout d’abord, lorsque Lactance s’en sert comme adjectif qualificatif, profanus désigne tout simplement ce qui s’oppose au sacré ; cet usage correspond à ce que l’on peut généralement lire au sujet de l’emploi de profanus dans la langue latine[28], c’est-àdire ce qui s’oppose au sacré (Diu. Inst., II, 8, 70, fasc. 1, p. 162, 22-163, 1) : « […] Dieu a voulu que nous sachions seulement ce qui était utile à l’homme de savoir […] quant à ce qui touchait à un désir curieux et profane, il l’a gardé caché […][29] ». Il s’agit d’un emploi de l’adjectif qui, dans ce cas-ci, ne semble confiné ni à la réalité des chrétiens, ni à celle des Romains. Les autres utilisations de cet adjectif sont toutefois rattachées à la réalité des cultes romains (Diu. Inst., I, 21, 12, p. 92, 17-18) : « Que feront-ils dans les lieux profanes, eux qui commettent les pires crimes au milieu des autels de leurs dieux[30] ? » L’adjectif profanus est utilisé à quatre reprises par Lactance dans les Diuinae institutiones, et correspond, à l’exception d’une occurrence[31], à la signification ordinaire du mot en latin.
Dans l’Antiquité tardive, profanus prend parfois un sens différent[32]. Comme le mot vient de pro fano, devant l’enceinte, il vient à prendre le sens plus large de « celui qui est en dehors de » (d’un certain savoir), de sorte que l’adjectif substantivé finit par prendre le sens d’« ignorant[33] » (Diu. Inst., II, 15, 2, p. 188, 11) : « ceux qui sont ignorants (profani) des mystères de la vérité[34] ». Il va sans dire que ces « ignorants » sont toujours ici les non-chrétiens. Lactance utilise le mot en ce sens à cinq reprises dans les Diuinae institutiones et il s’agit, en contexte chrétien, d’une façon plutôt récente d’utiliser ce terme. Peu avant, Tertullien (160-220 ap. J.C.) employait encore profani dans le sens d’impies[35]. L’utilisation de profanus au sens d’ignorant est par ailleurs attestée chez certains auteurs latins de l’Antiquité tardive, notamment chez Macrobe[36]. Il ne s’agit donc pas là d’une nouveauté chrétienne, puisque les non-chrétiens l’utilisent également en ce même sens.
Finalement, Lactance fait également usage de la forme verbale profanare, « profaner ». Contrairement à la signification généralement répandue dans le monde romain, ce verbe chez Lactance ne veut pas dire « rendre profane » au sens de « retirer quelque chose de l’aire du sacré[37] » ; en dehors d’une exception[38], il signifie plutôt « souiller » et Lactance utilise ce terme lorsqu’il parle de morale sexuelle (Diu. Inst., V, 8, 7, fasc. 3, p. 463, 11-12) : « […] la nécessité ne pousserait pas la femme à profaner sa pudeur pour se procurer un pain très impudique […][39] ». Notons également que l’emploi de l’adverbe est comparable à celui du verbe et signifie impudiquement (Diu. Inst., VI, 23, 10, fasc. 3, p. 624, 8-10) : « […] ces hommes, pour qui le sexe donné par Dieu ne suffit pas, s’ils se moquent encore de leur sexe de façon impudique et offensante, je ne peux les appeler rien de mieux qu’impies et parricides[40] ». L’utilisation par Lactance des formes verbales et adverbiales correspond dès lors à « souiller ». En trois de ces quatre occurrences, il s’agit de souillure, et en une seule de profanation au sens habituel.
De ces trois emplois comme adjectif, substantif et verbe, seul le premier — profane utilisé comme adjectif dans le sens « ce qui n’est pas consacré ou sacré » — se rapproche de l’opposition traditionnelle entre le sacré et le profane. Cet emploi ne constitue toutefois que le tiers des occurrences de profanus dans l’ouvrage de Lactance qui utilise très peu les mots reliés à profanus en comparaison avec les mots associés à sacer. On peut également ajouter que l’utilisation de l’adjectif dans sa signification traditionnelle renvoie principalement à la réalité des cultes romains. Les deux autres significations, « ignorants » pour l’adjectif et « souiller » pour le verbe, qui correspondent respectivement à la réalité des non-chrétiens et des chrétiens, ne sauraient constituer une opposition avec sacer qui ne signifie jamais « savant » ou « pur », du moins dans les Diuinae institutiones.
3. Le sacrum dans les Diuinae institutiones de Lactance
Le mot sacer doit également faire l’objet d’une analyse puisqu’il correspond à une réalité quelque peu différente chez les chrétiens et les non-chrétiens[41]. Lactance l’emploie toutefois davantage lorsqu’il s’agit de traiter de la réalité des Romains, quoique l’on puisse distinguer une utilisation comme adjectif substantivé et une autre comme adjectif qualificatif. Comme adjectif substantivé, sacra se réfère aux « choses sacrées » et désigne toujours, dans l’ouvrage de Lactance, les cérémonies, les festins et les mystères. Ces sacra sont d’ailleurs toujours liés à un dieu, par exemple, les cérémonies en l’honneur d’Hercule (Diu. Inst., II, 7, 15, fasc. 1, p. 145, 3) : en latin sacra Herculis. En cela, cette utilisation est comparable à celle qu’en fait Tertullien qui emploie le même terme pour désigner les cultes, les cérémonies et les sacrifices (Ad nat., II, 17 ; Apol., 12, 1 ; 19, 2 ; 35, 10)[42]. Comme adjectif qualificatif, sacer se rapporte à des objets particuliers ; il s’agit dès lors d’inscriptions sacrées (sacrae inscriptiones)[43], de chants sacrés (sacra carmina)[44], d’images sacrées (sacrae imagines)[45], de festins sacrés (sacrae dapes)[46] et d’objets sacrés (sacrae res)[47]. Cet emploi comme adjectif qualificatif est beaucoup moins fréquent que l’utilisation de l’adjectif substantivé. Au total, Lactance utilise sacer 35 fois pour désigner les cérémonies (adjectif substantivé) et seulement sept fois pour qualifier des objets ou des textes (adjectif qualificatif).
Lactance utilise cependant beaucoup moins le terme sacer quand il parle de la réalité chrétienne. En effet, il se sert de l’adjectif sacer seulement sept fois et n’emploie jamais le neutre pluriel de façon substantivée (sacra), comme c’était le cas pour désigner les cérémonies des religions traditionnelles. Il n’utilise donc pas sacra pour désigner le culte chrétien ou les cérémonies chrétiennes. Sacer se rapporte seulement à deux réalités chez les chrétiens : « le lien sacré » qui unit les hommes, et les Saintes Écritures. Tout d’abord, ce lien sacré entre les hommes n’apparaît qu’une seule fois dans les Diuinae institutiones (V, 8, 6, fasc. 3, p. 463, 1-4) : « Mais si Dieu seul était adoré, il n’y aurait ni désaccord ni guerres parce que les hommes sauraient qu’ils sont les fils du Dieu unique et, pour cette raison, qu’ils sont unis par un lien sacré et inviolable de parenté divine […][48] ». En revanche, on trouve six utilisations de sacer pour qualifier les Écritures : il s’agit de l’usage principal de sacer en contexte chrétien (Diu. Inst., IV, 5, 9, fasc. 2, p. 324, 16-18) : « Et je rapporte tout cela afin qu’ils reconnaissent leur erreur ceux qui, ignorants, s’efforcent de réfuter l’Écriture Sacrée (scriptura sacra) sous prétexte qu’elle serait nouvelle et de composition récente[49] ». Cette utilisation de sacer pour qualifier les Écritures est une nouveauté pour les chrétiens. Les auteurs chrétiens de langue latine ont longtemps évité d’employer l’adjectif sacer puisque ce terme était associé aux cultes non chrétiens[50]. Tertullien n’utilise en effet ni sanctus ni sacer pour désigner les Écritures, il parle plutôt des « Écritures de Dieu », Dei litterae (De anima, 2). Quant à Cyprien (200-258), il emploie l’expression scripturae sanctae, les Écritures saintes (Ad Demetrianum, 3 ; 7 ; 22 ; 24 ; Ad Quirinum, I, praef. ; I, 4 ; III, praef). La situation s’avère identique chez les écrivains de langue grecque. Dans son Protreptique, Clément d’Alexandrie (150-220) utilise le terme « Écritures » de deux manières. D’abord sans épithète ; il emploie aussi l’« Écriture de Dieu », à la façon de Tertullien[51]. Les premiers écrivains chrétiens ont donc tendance à s’éloigner du mot sacré qui leur apparaissait sans doute comme trop associé aux cultes païens[52].
Lactance désigne les Écritures de plusieurs façons et l’adjectif sacer n’est pas le seul adjectif utilisé par cet auteur. Il emploie parfois « Écriture » sans y apposer d’épithète (Diu. Inst., IV, 20, 4, fasc. 2, 9-10) : « Mais, toute l’Écriture se divise en deux testaments[53] ». On trouve le mot scriptura dans les deux seuls passages qui présentent les « Écritures » sans épithète. Scriptura est donc utilisé sans épithète, avec sacer ou avec sanctus. Le mot litterae, les Écritures, est employé avec plusieurs adjectifs ; il apparaît avec l’adjectif sacer dans les Diu. Inst., III, 16, 16 ainsi que dans l’Epitome, 29, 1. Il est tout naturel que litterae soit toujours utilisé avec un adjectif qualificatif puisque ce terme possède plusieurs significations dans la langue latine ; il peut s’agir de lettres de l’alphabet (littera, une lettre), de lettres (litterae), c’est-àdire d’une missive. Lactance utilise les autres adjectifs suivants pour qualifier les Écritures, litterae : saintes (sanctae)[54], divines (diuinae)[55], célestes (caelestes)[56], de vérité (ueritatis)[57] et prophétique (propheticae)[58]. Lactance n’utilise jamais litterae sans épithète.
Or, Lactance utilise l’adjectif sacer pour qualifier, non seulement les Écritures chrétiennes, mais également les écrits non chrétiens. L’utilisation de cet adjectif pour parler des Écritures n’est donc pas exclusive au contexte chrétien, et il ne s’agit pas d’opposer la littérature profane à la littérature sacrée. De plus, Lactance aurait tout aussi bien pu se passer de l’adjectif sacer ; pour qualifier les Écritures, on remarque que l’adjectif sanctus[59] est plus fréquent que l’adjectif sacer ; Lactance se sert à quatorze reprises de sanctus tandis qu’il n’a recours à sacer que sept fois. Sanctus est également utilisé pour décrire les textes sacrés non chrétiens et donc, tout comme sacer, cet adjectif n’est pas employé de façon exclusive pour parler du contexte chrétien. À cela s’ajoute le fait que Lactance présente parfois les Écritures sans épithète. Chez Lactance, la façon de nommer les Écritures est dès lors variable : avec sacer, sanctus et sans épithète.
En résumé, l’adjectif sacer, lorsqu’il est utilisé pour décrire les éléments de la religion des Romains, possède la signification traditionnelle que l’on trouve généralement dans la langue latine. Or, il s’agit d’un emploi très peu répandu dans l’ouvrage de Lactance. La réalité des non-chrétiens est plutôt désignée par le substantif neutre pluriel sacra qui signifie cérémonies, mystères, sacrifices, etc. Lactance emploie également l’adjectif pour désigner les écrits chrétiens, comme il le fait d’ailleurs pour les écrits reliés aux cultes traditionnels ; il n’y a donc pas d’opposition entre la littérature profane — celle des Romains — et la littérature sacrée — celle des chrétiens.
Conclusion
Le sacré est devenu une notion incontournable dans la définition de la religion à la fin du xixe siècle. Les chercheurs ont eu tendance à substantialiser cette notion et elle est devenue peu à peu une catégorie servant à interpréter le phénomène religieux. Or, non seulement le sacré est devenu fort important dans les sciences des religions, mais l’opposition même entre le sacré et le profane est devenue inévitable dans la description des phénomènes religieux. Bien que cette opposition soit attestée dans la langue latine, il n’en demeure pas moins qu’elle ne s’impose pas pour l’étude du Diuinae institutiones de Lactance et que l’on doit même s’en méfier. L’étude du vocabulaire de Lactance révèle que le sens des mots sacer et profanus s’éloigne parfois considérablement des définitions qui se sont imposées depuis environ un siècle. De plus, les différents sens donnés par l’auteur font que ces deux notions renvoient à des sphères qui ne sont pas toujours reliées ou opposées.
La notion de religio est centrale dans les Diuinae institutiones, mais il serait malaisé de l’analyser avec la catégorie interprétative de religion définie par l’opposition sacré/profane. En effet, cette vision moderne de la religion fondée sur une telle dichotomie ne saurait convenir à cet ouvrage du ive siècle dans lequel profanus ne signifie pas automatiquement « ce qui n’est pas sacer » et où la sphère du sacré n’est pas toujours reliée à celle du profane. Ces deux termes apparaissent par ailleurs très peu à propos de la religion de Lactance — à peine quatre fois pour les mots liés à profanus et sept fois pour les mots liés à sacer. Ces emplois en contexte chrétien peuvent donc se résumer à deux utilisations : le verbe et l’adverbe liés à profane — verbe qui signifie « souiller » et l’adverbe qui signifie « impudiquement » — et l’adjectif sacer employé comme épithète à propos des Écritures. La religion chrétienne de Lactance ne saurait dès lors se résumer en une opposition entre profane et sacré puisque le premier terme renvoie à la notion de souillure — qui concerne la moralité — et le second renvoie aux « Écritures Saintes ». De plus, la notion de religio chez Lactance semble plutôt s’enraciner dans la pietas, la piété, tout comme c’est le cas de la religion romaine. On doit donc nécessairement remettre en question les catégories interprétatives du xxe siècle lorsque l’on étudie la religion dans l’Antiquité.
Une analyse de la pensée de Lactance s’impose donc afin de mieux comprendre sa conception de la religion qui ne peut être expliquée par la dichotomie sacré/profane. Cette opposition, qui en vint à se substantialiser au cours du siècle dernier, constitue dès lors un frein et un obstacle à la compréhension des textes lactanciens.
Parties annexes
Notes
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[1]
É. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1960, p. 50-51.
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[2]
« Du côté des historiens des religions un consensus semble en train de s’établir, depuis quelque temps, sur le fait que la religion comme catégorie désignant un ensemble de phénomènes homogènes et spécifiques est une invention occidentale, chrétienne, et relativement récente » (P. Borgeaud, Aux origines de l’histoire des religions, Paris, Seuil, 2004, p. 251) ; « […] the terms ‘religion’, ‘ritual’ and the opposition ‘sacred vs. Profane’ originated or became redefined around 1900 » (J.N. Bremmer, « “Religion”, “ritual” and the opposition “sacred vs. profane” : notes towards a terminological “genealogy” », dans F. Graf, dir., Ansichten griechischer Rituale : Geburtstags-Symposium für Walter Burkert, Castelen bei Basel, 15. bis 18. März 1996, Stuttgart, Teubner, 1998, p. 31) ; « [c]’est un fait que, depuis le début de notre siècle, nombre de spécialistes des diverses sciences de la religion, historiens, sociologues, phénoménologues, ont estimé que la notion de sacré, en son opposition à celle de profane, constitue le phénomène central de toute religion, à tel point que la meilleure définition de la religion en général serait, d’après eux, la référence au sacré » (H. Bouillard, « La catégorie de sacré dans la science des religions », dans E. Castelli, dir., Le sacré : études et recherches, Paris, Aubier, 1974, p. 33).
-
[3]
M. Sachot, « Religio/superstitio : historique d’une subversion et d’un retournement », Revue de l’histoire des religions, 208 (1991), p. 359.
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[4]
Pour l’analyse du vocabulaire religieux romain, voir D. Sabbatucci, « Terminologia sacrale in Roma », dans U. Bianchi, F. Mora, L. Bianchi, dir., The Notion of « Religion » in Comparative Research : Selected Proceedings of the XVIth Congress of the International Association for the History of Religions, Rome, 3rd-8th September, 1990, Rome, L’Erma di Bretschneider, 1994 ; R. Schilling, « L’originalité du vocabulaire religieux latin », Revue belge de philologie et d’histoire, 49 (1971), p. 31-54 ; H. Fugier, Recherches sur l’expression du sacré dans la langue latine, Paris, Les Belles Lettres, 1963 ; Id., « Sémantique du sacré en latin », dans J. Ries, dir., L’expression du sacré dans les grandes religions, vol. 2, Louvain-laNeuve, Centre d’histoire des religions, 1983, p. 25-85 ; É. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, 2, Paris, Minuit, 1969.
-
[5]
B. Colot, Pietas dans la transformation religieuse du ive siècle. L’apport de Lactance, le « Cicéron chrétien », thèse de doctorat, Paris, Université Paris IV-Sorbonne, 1996 ; Id., « Pietas, argument et expression d’un nouveau lien socio-religieux dans le christianisme romain de Lactance », Studia patristica, 34 (2001), p. 23-32. Notons également que Georg Simmel, sociologue allemand, avait lui aussi placé la piété au centre de sa conception de la religion. Sa pensée, tout comme celle d’É. Durkheim, ne peut toutefois pas être appliquée aveuglément au texte de Lactance (G. Simmel, La religion, Paris, Circé, 1998).
-
[6]
E. Feil, Religio : Die Geschichte eines neuzeitlichen Grundbegriffs vom Frühchristentum bis zur Reformation, vol. 1, Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 1986, p. 63-64.
-
[7]
« […] hoc uinculo pietatis obstricti deo et religati sumus, unde ipsa religio nomen accepit […] Diximus nomen religionis a uinculo pietatis esse deductum, quod hominem sibi Deus religauerit et pietate constrinxerit, quia seruire nos ei ut domino et obsequi ut patri necesse est ». Nous utilisons dans cet article l’édition d’E. Heck et Wlosok (Lactance, Diuinae institutiones, texte établi par E. Heck et A. Wlosok, Leipzig, Teubner, 2005), mais les traductions sont les nôtres.
-
[8]
J. Scheid, Religion, institutions et société de la Rome antique, Paris, Fayard (coll. « Leçons inaugurales du Collège de France »), 2003, p. 39.
-
[9]
Ibid., p. 39.
-
[10]
Ibid., p. 40.
-
[11]
Le sociologue É. Durkheim est le représentant le plus important de l’école française. Il s’est intéressé à la définition de la religion qu’il relie expressément au sacré. Une définition qu’il proposa montre bien ce lien du sacré et de la religion : « […] un système solidaire de croyances et pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-àdire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhérent » (É. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, p. 65). Pour S. Trigano, avec cette définition, É. Durkheim opère un « glissement de la considération de la religion à celle du sacré, ou plutôt — puisqu’il s’agit de formes concrètes — des “choses sacrées” » (S. Trigano, Qu’est-ce que la religion, Paris, Flammarion, 2001, p. 22-23).
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[12]
Dans l’introduction du Manuel d’histoire des religions de Chantepie de la Saussaye, Henri Hubert définit la religion comme l’« administration du sacré » (P.D. Chantepie de la Saussaye, Manuel d’Histoire des Religions, Paris, Armand Colin, 1904, p. xlvii).
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[13]
Pour J.N. Bremmer, le lien entre religion et sacré émane de Mauss et Hubert : « And in 1906 Hubert and Mauss seemed fully convinced that they now had found the key to religion by their notion of le sacré » (J.N. Bremmer, « “Religion”, “ritual” and the opposition “sacred vs. profane” : notes towards a terminological “genealogy” », p. 26). G. Filoramo mentionne que, pour Hubert, « le quadosh hébreu, le tapu et le mana polynésiens sont des équivalents fonctionnels du sacer ; il s’ensuit que la notion de sacré est universelle, ou, plus encore, que cette idée devient la condition même de la pensée religieuse » (G. Filoramo, Qu’est-ce que la religion ? Thèmes, méthodes, problèmes, Paris, Cerf, 2007, p. 95). Or, il est clair que cette notion est bien présente dans l’ouvrage de Durkheim de 1912 (Les formes élémentaires de la vie religieuse). F.A. Isambert explique que la pensée durkheimienne a été enrichie par les travaux de Mauss et Hubert avant la publication de 1912 (F.A. Isambert, « L’élaboration de la notion de sacré dans l’“école” durkheimienne », Archives de sciences sociales des religions, 42 [1976], p. 35-56). Voir aussi l’article de P. Borgeaud, « Le couple sacré/profane. Genèse et fortune d’un concept “opératoire” en histoire des religions », Revue de l’histoire des religions, 211, 4 (1994), p. 387-418. Voir la bibliographie thématique de R. Courtas et F.A. Isambert, « La Notion de “sacré”. Bibliographie thématique », Archives de sciences sociales des religions, 22, 44.1 (1977), p. 119-138 ; et l’article de H. Bouillard, « La catégorie de sacré dans la science des religions », p. 33-56.
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[14]
F.A. Isambert, « L’élaboration de la notion de sacré dans l’“école” durkheimienne », p. 50.
-
[15]
É. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, p. 50-51.
-
[16]
« Le sacré, dans son opposition au profane, nous est apparu comme un pur produit de l’école sociologique française. Il surgit à la fin du xixe siècle pour occuper la place qui, dans ce grand rassemblement des primitifs, des modernes et des laïques, correspond à celle de la sainteté dans la tradition judéo-chrétienne » (P. Borgeaud, « Le couple sacré/profane. Genèse et fortune d’un concept “opératoire” en histoire des religions », p. 415). On peut également noter l’importance du sacré dans la conception de la religion de l’article « Holiness » de N. Söderblom, dans James Hastings, dir., Encyclopaedia of Religion and Ethics, 7, New York, Scribner’s Sons, 1910, p. 731.
-
[17]
W.S.F. Pickering fait une bonne recension des chercheurs qui ont adopté cette dichotomie ainsi que de ceux qui s’en sont éloignés (W.S.F. Pickering, Durkheim’s Sociology of Religion : Themes and Theories, London, Routledge & Kegan Paul, 1984, p. 140-147).
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[18]
Selon R. Lloancy, « ce qui est nouveau dans cette notion, ce qui est même fort récent, c’est son usage comme catégorie explicative du fait religieux, son utilisation comme concept opératoire pour rendre compte d’un type particulier de comportement, précisément celui ayant trait à la vie religieuse » (R. Lloancy, La notion de sacré : aperçu critique, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 31). Pour G. Filoramo, la « découverte du sacré comme catégorie interprétative des phénomènes religieux constitue la fin d’un processus complexe, qui accompagne l’histoire culturelle du xixe siècle » (G. Filoramo, Qu’est-ce que la religion ?, p. 85).
-
[19]
J. Scheid, Les dieux, l’État et l’individu : réflexions sur la religion civique à Rome, Paris, Seuil, 2013, p. 26-27.
-
[20]
J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, Genève, Droz, 1958, p. 21.
-
[21]
Il donne l’exemple de l’anglais qui tire le mot sacred du français ; sacred est un participe passé d’un verbe qui n’existe pas en anglais. De plus, il souligne l’ambiguïté dans la langue anglaise de l’emploi de holy et sacred : on dit Holy Bible, mais on parle de sacred books (cf. D. Sabbatucci, « Terminologia sacrale in Roma », p. 141-144).
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[22]
R. Schilling, Rites, cultes, dieux de Rome, Paris, Klincksieck, 1979, p. 54 ; l’article du dictionnaire de vocabulaire de la philosophie d’André Lalande montre bien que ces deux termes se définissent mutuellement : « Sacré et profane sont deux termes corrélatifs qui n’ont de sens que l’un par l’autre » (A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF [coll. « Quadrige »], 2010, p. 937).
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[23]
H. Fugier, « Sémantique du sacré en latin », p. 32.
-
[24]
« Est en effet sacrum tout ce qui appartient aux dieux, en vertu d’une consécration[.] Inversement, est profanum tout ce qui échappe par nature au culte d’un lieu consacré […] ou qui cesse d’être religosum ou sacrum pour revenir à la libre disposition des hommes » (R. Schilling, Rites, cultes, dieux de Rome, p. 55). « Le sacré, en latin, c’est ce qui appartient au domaine des dieux ; dans ce sens sacer s’oppose à profanus, entendu, lui, comme ce que l’on a retiré du temps, ce que l’on a rendu à l’usage humain » (P. Borgeaud, « Le couple sacré/profane. Genèse et fortune d’un concept “opératoire” en histoire des religions », p. 390).
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[25]
Virgile, Géorgiques, texte établi par R.A.B. Mynors, Oxford, Oxford University Press, 1969.
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[26]
Selon É. Benveniste, « c’est aussi en latin qu’on découvre le caractère ambigu du “sacré” : consacré aux dieux et chargé d’une souillure ineffaçable, auguste et maudit, digne de vénération et suscitant l’horreur. Cette double valeur est propre à sacer […] » (É. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, p. 188).
-
[27]
Ibid.
-
[28]
R. Braun, « Sacré et profane chez Tertullien », dans H. Zehnacker, G. Hentz, dir., Hommages à Robert Schilling, Paris, Les Belles Lettres, 1983, p. 50-51.
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[29]
« […] Deus ea sola scire nos uoluit quae interfuit hominem scire […] quae uero ad curiosam et profanam cupiditatem pertinebant, reticuit […] ».
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[30]
« Aut quid in profanis locis faciant qui inter aras deorum summa scelera committunt ? »
-
[31]
M. de Souza souligne l’emploi de profanus dans un sens péjoratif (Diu. Inst., 5, 10, 14) : « ritus impios ac profanus ». Cette utilisation par Lactance est justifiée, selon M. de Souza, par le fait qu’il ne peut retourner l’accusation d’athéisme mais qu’il peut « réfuter la valeur des pratiques cultuelles des païens ». Mais il s’agit ici d’une exception puisque la plupart du temps Lactance emploie l’adjectif profanus pour désigner l’opposition au sacré (M. de Souza, « Repousser les profanes. Les progrès du militantisme religieux d’après les sources latines de Virgile à Augustin », dans É. Rebillard, C. Sotinel, Les frontières du profane dans l’Antiquité tardive, Rome, École française de Rome, 2010, p. 69).
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[32]
B. Caseau a bien montré les différentes significations de profanus du iie au ive siècles. Elle souligne que parfois profanus signifie impies, comme c’est le cas de l’utilisation de ce mot par Lactance dans le de Opificio Dei, 13, 2 et dans le de Mortibus persecutorum, 10, 3. Toutefois, cette façon d’utiliser ce terme ne trouve pas d’équivalent dans les Diu. Inst. (« L’adjectif profanus dans le livre XVI du Code Théodosien », dans Jean-Noël Guinot, François Richard, dir., Empire chrétien et Église aux ive et ve siècles : intégration ou « concordat » ? Le témoignage du Code Théodosien, Paris, Cerf, 2008, p. 195-210).
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[33]
« L’adjectif “profane”, sans pour autant qu’ait été oublié son sens technique, religieux, a vu son usage multiplié à la suite d’une reprise de l’emploi métaphorique du latin profanus, qui finit par désigner (dès l’Antiquité païenne) l’ignorant par rapport à l’expert, le non-initié par rapport à l’initié, dans le domaine de la création artistique » (P. Borgeaud, « Le couple sacré/profane. Genèse et fortune d’un concept “opératoire” en histoire des religions », p. 391). Augustin utilise parfois le terme profani pour désigner des non-initiés (P.F. Beatrice, « Semantic Shifts in Augustine’s use of the Word profanus », dans É. Rebillard, C. Sotinel, Les frontières du profane dans l’Antiquité tardive, p. 51).
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[34]
« […] qui profani sunt a sacramento ueritatis […] ».
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[35]
Tertullien, Apologétique, 48, 13 : « […] les impies, au contraire, et ceux qui ne se [tiennent] pas de façon irréprochable devant Dieu […] » ; « […] profani uero et qui non integre ad Deum […] ».
-
[36]
Macrobe, Commentarii in somnium Scipionis, I, 18, 2, p. 98, 4, texte établi par M. Armisen-Marchetti, Paris, Les Belles Lettres, 2003 : « […] non solis[um] litterarum profanis […] » ; « […] non seulement ceux qui ignorent les lettres […] ».
-
[37]
H. Fugier, « Sémantique du sacré en latin », p. 32 : « Pour aliquid profanare, “retirer quelque chose de l’aire du sacré”, il faut un acte en bonne et due forme des magistrats ou des prêtres, c’est-àdire une intervention explicite ».
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[38]
Lactance, Diu. Inst., III, 20, 4, p. 278, 4-6 : « […] ceux qui s’interrogent sur les secrets du monde et profanent le temple céleste par leurs disputes impies […] » ; « […] qui arcana mundi et hoc caeleste templum profanares inpiis disputationibus quaerunt […] ».
-
[39]
« […] nec feminam necessitas cogeret pudorem suum profanare, ut uictum sibi obscenissimum quaerat […] ».
-
[40]
« Nihil amplius istos appellare possum quam inpios et parricidas, quibus non sufficit sexus a deo datus, nisi etiam suum sexum profane ac petulanter inludant ».
-
[41]
Le mot sacer, à l’exception d’une seule occurrence dans le de Mortibus persecutorum, 10, 2-3, n’apparaît pas en dehors des Diu. Inst.
-
[42]
L’emploi de sacra chez Tertullien est réservé exclusivement aux cérémonies et aux sacrifices. Voir R. Braun, « Sacré et profane chez Tertullien », p. 46.
-
[43]
Lactance, Diu. Inst., I, 11, 33.
-
[44]
Lactance, Diu. Inst., I, 6, 6.
-
[45]
Lactance, Diu. Inst., II, 17, 8.
-
[46]
Lactance, Diu. Inst., VI, 1, 6.
-
[47]
Lactance, Diu. Inst., II, 4, 23 ; 4, 25.
-
[48]
« Quodsi solus Deus coleretur, non essent dissensiones et bella, cum scirent homines unius se dei filios esse, ideoque diuinae necessitudinis sacro et inuiolabili uinculo copulatos […] ».
-
[49]
« Quae omnia eo profero, ut errorem suum sentiant, qui scripturam sacram coarguere nituntur tamquam nouam et recens fictam ignorantes […] ».
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[50]
R. Braun, « Sacré et profane chez Tertullien », p. 45 : sacer « […] a été senti par les chrétiens d’Occident comme trop intimement associé aux cultes païens ».
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[51]
Clément d’Alexandrie utilise l’expression Écriture divines : Protr., VIII, 77, 1, texte établi par C. Mondésert, Paris, Cerf, 1949, p. 143 : γραφαί αἱ θεῖα. Par la suite, les Écritures sont employées sans épithète : Protr., IX, 88, 1 ; X, 106, 2.
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[52]
« On a observé depuis longtemps que la latinité chrétienne, dans sa constitution comme dans ses développements ultérieurs, avait été marquée par deux tendances contraires : une tendance novatrice, liée à la conscience de l’originalité du message chrétien et à la volonté de se différencier linguistiquement de la société païenne ambiante, et une tendance conservatrice, liée au génie même de la langue latine et au tour d’esprit romain » (R. Braun, « Sacré et profane chez Tertullien », p. 45).
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[53]
« Verum scriptura omnis in duo testamenta diuisa est ». Lactance utilise scriptura seul à un seul autre endroit : Diu. Inst., V, 4, 4, fasc. 3, p. 451 : « non enim scripturae testimoniis […] » ; « non seulement par les témoignages des Écritures […] ».
-
[54]
Lactance, Diu. Inst., II, 8, 63 ; 9, 1 ; 11, 19 ; 12, 21 ; 13, 4 ; 16, 4 ; IV, 7, 2 ; 8, 6 ; 10, 19 ; 11, 3 ; 15, 23 ; 20, 1 ; VII, 15, 1 ; 20, 5 ; 21, 3 ; 25, 5.
-
[55]
Lactance, Diu. Inst., I, 18, 18 ; III, 1, 10 ; 19, 3 ; IV, 8, 13 ; 18, 1 ; V, 2, 15 ; 2, 16 ; 4, 7 ; 18, 4 ; VI, 21, 5 ; VII, 1, 5 ; 7, 7 ; 10, 10 ; 14, 5 ; 14, 15.
-
[56]
Lactance, Diu. Inst., II, 11, 15 ; IV, 22, 1 ; 30, 6 ; 30, 7.
-
[57]
Lactance, Diu. Inst., II, 10, 6.
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[58]
Lactance, Diu. Inst., II, 10, 11.
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[59]
Sanctus apparaît 51 fois dans son ouvrage et qualifie les hommes, les prophètes, les écritures, la religion, la croix, les mystères de Dieu, le Christ, la tête de Dieu, le corps (l’Église), les moeurs, l’âme et la loi.