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Par cet ouvrage, l’auteur Geert Van Oyen souhaite atteindre spécialement le sujet contemporain de tous horizons qui, souvent situé hors de l’institution ecclésiale et de l’institution universitaire, n’a pas d’ordinaire l’occasion d’une lecture biblique signifiante. L’auteur insiste donc sur une exploration simplifiée du texte qui, d’emblée, ne nécessite pas un bagage académique de type « exégétique », ni même la foi. L’auteur invite « tous ceux qui veulent entendre » (Mc 4,9.23 ; 7,16), incluant ceux qui se soucient des questions de sens et de foi. L’angle avec lequel l’auteur aborde l’Évangile permet même de considérer les lecteurs de toutes époques eu égard au parcours programmatique proposé par la narration de l’évangéliste Marc.
Ce livre contient deux parties distinctes. La première (chapitres 1 à 3) traite de certaines considérations plutôt générales portant sur la manière d’envisager la littérature biblique ; il est notamment question des écueils liés à la Bible elle-même, des fausses croyances largement répandues à son sujet, ainsi que de possibles difficultés du côté des lecteurs. La seconde partie porte spécifiquement sur l’Évangile de Marc, selon l’angle d’approche choisi par l’auteur. Elle est subdivisée comme suit : la façon de raconter de l’auteur (chapitre 4), les multiples questions posées dans le récit (chapitre 5) et les hésitations sur l’utilisation des titres attribuées à Jésus (chapitre 6), les relations entre Jésus et ses disciples (chapitre 7), la ligne narrative se rapportant à Jésus (chapitres 5 et 6) et aux disciples (chapitre 7), la logique de la Passion (chapitre 8), et enfin, une courte considération au sujet de la résurrection (l’épilogue : chapitre 9). À la fin de chaque chapitre, il y a une modeste bibliographie, laquelle est constituée de suggestions de lecture concernant le sujet ayant été traité. Il se trouve très peu de références — l’auteur précise en Préface qu’il s’agit là d’un choix, ajouté à celui d’éviter les débats disciplinaires.
Plutôt que d’attendre d’une démarche exégétique l’obtention d’informations purement théoriques, l’auteur souhaite de préférence que le contact avec l’Évangile marcien produise un effet de transformation chez son lecteur ; l’auteur recherche ainsi l’effet performatif du récit. Il s’agit de responsabiliser le lecteur sur le rôle qu’il peut assumer dans son rendez-vous avec le texte évangélique. La lecture se fait donc dans une perspective personnelle et actuelle, permettant à tout un chacun de se faire sa propre idée, à partir de ses propres questionnements. L’implication personnelle et l’engagement pratique sont recherchés (p. 170-171).
L’exégète désire occuper ici la fonction de guide (p. 33, 88-89). Un guide pour la lecture, partageant sa propre perspective sur le récit, montrant au lecteur une manière possible de lire l’évangile. Pour ce faire, il utilise certains outils-concepts propres aux méthodes analytiques de type synchronique. Sous la dominance d’une approche narratologique, s’ajoutent des éléments habituellement référés à la discipline de la rhétorique, ainsi qu’à l’étude s’intéressant à la reader response criticism. À titre indicatif, l’auteur explique qu’il y a, à plusieurs endroits dans l’Évangile, notamment à la fin de celui-ci, des informations manquantes — des « blancs » ou des « trous » volontairement laissés par l’évangéliste — afin que soit activée la créativité du lecteur (p. 89). Ainsi, l’exégète explique le nécessaire apport d’un « lecteur réel » au regard du récit évangélique marcien, en raison de la fonction constitutive du lecteur dans l’élaboration du sens textuel (p. 165). C’est ce qui explique, selon l’auteur, la pluralité d’interprétations applicables à un même texte. D’autre part, afin de baliser quelque peu l’aventure herméneutique subjective, l’auteur met à profit certains éléments empruntés à David Rhoads, lesquels représentent une certaine éthique de la lecture (p. 36-38).
Selon Geert Van Oyen, le message contenu dans l’Évangile selon Marc se révélerait par l’observation des procédés littéraires mis à contribution par l’évangéliste lui-même. Ainsi, le médium utilisé constituerait en quelque sorte le message… L’auteur met en exergue l’importance d’une lecture attentive du début à la fin, sans isoler les différentes parties en compartiments séparés les uns des autres.
Concrètement, par un processus identificatoire associant principalement le lecteur aux disciples, celui-ci pénètre peu à peu dans un périple initiatique dont le but est essentiellement de découvrir l’identité du personnage principal, Jésus ; et en même temps de se situer personnellement vis-à-vis de ce dernier. Pour ce faire, plusieurs éléments textuels agissent tels des signaux visant à capter l’attention du lecteur. À titre illustratif, ajoutées à la caractérisation des personnages et au procédé rhétorique de présentification que sont les répétitions, les nombreuses questions — plus de cent dix (p. 89) — déjà présentes au sein de la narration, exprimées par les divers personnages du récit, permettent au lecteur de repérer des réponses à ses propres interrogations. Plus que toute autre, tel un moment charnière du récit, la question formulée par Jésus lui-même : « Mais pour vous, qui suis-je ? » (Mc 8,29) semble avoir un impact sans pareil chez le lecteur de tout temps.
L’auteur Geert Van Oyen fait la démonstration de l’importance qu’ont notamment les titres honorifiques (christologiques) attribués à Jésus, ainsi que l’incompréhension croissante des disciples. Cette impénétrabilité concerne surtout ce qu’à la suite de L.E. Keck, notre auteur appelle l’herméneutique du Golgotha ; c’est-à-dire la logique mise en relief par Jésus lorsqu’il est question de sa Passion prochaine. Les explications que donne alors Jésus aux disciples — les critères de jugements concernant le Royaume de Dieu — permettent au lecteur de connaître les vues intimes de Jésus. Aux yeux de l’auteur, il s’agirait là de la quintessence du message évangélique (Mc 8,34-37 ; 9,35 ; 10,42-45). Ce serait le prisme herméneutique mis à la disposition du lecteur pour l’aider à se forger une opinion sur l’ensemble de la narration marcienne. Mis en lien avec une clé de lecture fort peu banale donnée d’entrée de jeu au lecteur (l’incipit en Mc 1,1), ce cadre interprétatif permet maintenant au lecteur d’évaluer le récit sur d’autres bases que seulement celles des disciples. Il y a donc maintenant une distanciation qui s’opère au niveau identificatoire avec ces derniers. Au terme, le lecteur lui-même se trouve confronté à cette logique déployée sous ses yeux ; incompréhensible si envisagée seulement théoriquement. Bref, l’auteur s’appuie en définitive sur la force de persuasion que possède le texte par lui-même. Ainsi, il fait confiance à l’évangéliste Marc qui a su habilement orienter sa narration en direction de l’image qu’il voulut présenter de Jésus (p. 59, 87).
Ce livre représente un bel effort de vulgarisation adapté au destinataire visé, afin de le ramener au texte évangélique lui-même. Sans revenir sur la valeur certaine de cette entreprise, une question peut malgré tout se poser : y aurait-il d’autres destinataires implicitement visés ? La considération de divers facteurs peut laisser soupçonner un projet transversal différent, parallèle à celui qui est explicitement exprimé par l’auteur.
Il pourrait s’agir d’une mise en garde destinée à la communauté exégétique et à l’institution ecclésiale : « […] dans la relation à la Bible, attention à la ghettoïsation ! ». L’auteur met l’accent sur la préoccupation première qui est la sienne : viser l’ensemble du monde contemporain au titre de destinataire. Dès lors, selon lui, la seule perspective académique ou croyante ne serait plus apte à rejoindre le sujet contemporain commun. Une manière « nouvelle » serait devenue nécessaire. Celle-ci pourrait permettre à nouveau un lieu de rencontre dialogal entre tous, l’Université et l’Église incluses (p. 50).
Considéré selon ce point de vue, le professeur Geert Van Oyen a peut-être voulu « faire la leçon » à ses pairs, leur apprendre comment appliquer la « voie exégétique » qu’il préconise lui-même. L’ouvrage contient donc un nombre significatif d’informations peu utiles pour le grand public. L’auteur utilise un vocabulaire conceptuel souvent étranger à la plupart de nos contemporains. Malgré le désir d’une traduction accessible, que laissent entrevoir les explications jointes à ce langage spécifique, l’ouvrage ne se laisse pas quant à lui lire « comme un roman »… Sans ces « détours » quelque peu techniques, l’écrit serait accessible à un plus grand nombre.
Par ailleurs, selon les propos de l’auteur, l’approche recommandée ici n’exclurait en rien l’apport d’autres perspectives exégétiques. Pourtant, l’ensemble de l’argumentaire développé dans la première partie du livre dégage une tout autre impression. Le modus operandi mis à profit pour légitimer l’angle d’approche choisi par l’auteur est essentiellement un certain « bilan critique » servant particulièrement à relativiser, voire disqualifier, le résultat d’autres approches exégétiques. Il semble que seule l’entreprise de l’auteur soit pertinente eu égard au sujet-lecteur contemporain (p. 5, 11, 24-25, 27-28, 30-31)…
Tout bien considéré, la démarche « exemplarisée » de M. Geert Van Oyen a le mérite de démontrer la cohérence d’ensemble du plus ancien des évangiles canoniques. En fait, il y décèle un parcours performatif proposé au lecteur réel de chaque époque. Ainsi, ce dernier est en mesure de se situer vis-à-vis de ce qui lui est présenté de l’identité de Jésus. La visée pragmatique débordant les frontières de la seule compréhension théorique est à mon avis ce qui constitue la véritable originalité de l’ouvrage. Alliant esthétisme et éthique, puisant à même la logique kénotique du mystère pascal, le lecteur devient réellement disciple s’il se met à la suite concrète du personnage de Jésus ressuscité afin de poursuivre « l’écriture » de l’aventure évangélique. L’ouvrage est donc l’occasion d’une exploration intéressante de l’Évangile marcien selon l’un de ses principaux axes transversaux.