Résumés
Résumé
Invité à rassembler les principaux éléments de sa pensée sur le magistère de l’Église, l’auteur esquisse une notion de magistère ecclésial (définitions, rapport à la conscience historique qui sous-tend la foi chrétienne et rôles spécifiques) et propose quelques pistes de réflexion sur la nature de son autorité qui devrait être considérée comme étant d’abord de l’ordre du sacramentel, du synergique, de la fiabilité et de la réception.
Abstract
Invited to gather the main elements of his thought on the magisterium of the Church, the author outlines a notion of ecclesial magisterium (definitions, relationship with the historic consciousness which underlies the Christian faith and specific roles) and offers some reflections on the nature of its authority which should be considered as being at first in the order of the sacramental, of the synergic, of the reliability and of the reception.
Corps de l’article
Au départ de ce colloque[1], on me demande de rappeler quelques insistances de ma réflexion sur le magistère de l’Église. Cette réflexion remonte à plus de vingt ans, soit à l’époque où j’enseignais la théologie fondamentale. Bien qu’elle ait donné lieu à quelques publications[2], cette recherche a surtout fait l’objet de mon enseignement et de quelques communications. Elle s’inscrivait dans le contexte plus large de l’analyse du fonctionnement de la régulation de la foi dans le christianisme, en particulier dans le catholicisme. Mon regard sur le magistère portait donc la marque de ce questionnement. Bien que conscient du fait que le magistère ecclésial se présente comme l’amalgame d’une fonction kérygmatique et d’une fonction normative, c’est cette dernière qui était mon principal angle d’approche. Mon but n’était pas de décrire la conception que l’Église se faisait de la fonction magistérielle, ni le fonctionnement concret de cette instance normative. Il était plutôt d’esquisser ce qu’elle devrait être idéalement et comment elle devrait s’exercer pour répondre à sa vocation propre dans l’Église.
Ce texte n’a pas d’autre ambition que de rassembler, par mode de synthèse, les principaux éléments de cette théologie du magistère que les circonstances ne m’ont pas permis de mener à terme. Après avoir esquissé une notion de magistère ecclésial (définitions, rapport à la conscience historique qui sous-tend la foi chrétienne et rôles spécifiques), je proposerai quatre forages sur ses modalités d’exercice afin de mettre en lumière certains aspects fondamentaux qui mériteraient d’être pris en considération.
I. Notion de magistère ecclésial
La notion de magistère renvoie à une fonction régulatrice présente plus ou moins explicitement dans toute confession chrétienne. Nous l’observerons cependant à travers une critique de sa version catholique puisque c’est dans le catholicisme que le magistère a pris le plus d’importance, au point d’en devenir sa marque distinctive en matière de régulation de la foi.
1. D’une histoire sémantique à une définition opératoire
Pour saisir la notion de magistère, on peut partir d’une histoire sémantique du terme magisterium. Ce travail a déjà été fait[3]. Une telle approche permet de constater que le mot lui-même n’est pas le plus approprié aujourd’hui puisqu’il évoque une forme particulière d’exercice de cette fonction ecclésiale, portant la marque d’une culture qui n’est plus la nôtre et de contextes particuliers qui ne correspondent plus à la réalité actuelle. Retenons simplement que le mot est dérivé du latin magis (évoquant « ce qui est le plus grand ») qui s’oppose à minus (« ce qui est le plus petit »). Il s’inscrit dans le couple classique magister-minister (maître-serviteur). Ce mot, que le pape Grégoire le Grand avait employé à la fin du vie siècle pour désigner la fonction pastorale d’enseignement (magisterium pastoralis)[4], s’est progressivement imposé au Moyen Âge pour désigner plus précisément la fonction d’enseignement de l’Église (magisterium cathedrae pastoralis) par opposition à celle des « maîtres en théologie » de l’Université (magisterium cathedrae magistralis). À partir du xviiie siècle, le mot fait de plus en plus référence à l’exercice du pouvoir d’enseigner réservé au pape et aux évêques[5], dans le contexte de l’apparition de la distinction entre « Église enseignante » et « Église enseignée »[6]. Cette notion de magistère au sens de pouvoir d’enseignement de la hiérarchie ecclésiale s’imposera entre Vatican I (1869-1870) et Vatican II (1962-1965) à la faveur d’une insistance inédite sur l’autorité du magistère ecclésial comme instance de régulation de la foi.
Pour une définition opératoire de la fonction magistérielle dans le catholicisme, il me semble éclairant de partir de la notion la plus large possible, à savoir le magistère conçu comme l’enseignement officiel de l’Église. Il s’agit de son discours institutionnel : ce type de discours officiel qui se retrouve dans toute institution, qu’il s’agisse de la constitution ou la législation d’un État, des statuts et règlements d’une association, etc. En ce sens large du mot magistère, il y a un magistère dans toutes les Églises chrétiennes, même si le mot n’est pas toujours là. Ce magistère peut jouer un rôle plus ou moins explicite ou prendre différentes formes d’une confession chrétienne à l’autre. Au départ cependant, elles partagent toutes le credo de Nicée-Constantinople. On y utilise certaines structures similaires d’autorité doctrinale, comme les synodes. C’est cependant dans le catholicisme que le magistère joue le plus explicitement son rôle, au point où le magistère catholique est devenu le premier signifié du mot dans les dictionnaires. Ce magistère, cette fois entendu au sens strict, peut se définir comme l’autorité pastorale du pape et des évêques exerçant collégialement l’enseignement officiel dans l’Église. Il s’exerce sous un grand nombre de modalités (définitions solennelles, conciles et synodes, lettres encycliques, discours, catéchismes, etc.) et revendique divers niveaux d’autorité : c’est ainsi qu’on parle de magistère ordinaire ou authentique et de magistère extraordinaire ou infaillible.
2. Le magistère, une forme seconde d’expression de la tradition vivante de la foi
Pour éviter toute équivoque, précisons que le concept de tradition utilisé ici n’est pas celui du discours ecclésial et de la théologie qui l’a abondamment étudié depuis plus d’un siècle. Je propose de travailler en amont de ce concept ecclésio-théologique en utilisant la notion philosophique de tradition, celle qui va de pair avec le concept d’historicité. Il s’agit de la tradition entendue au sens de « conscience historique » ou de la tradition au « sens plénier » comme le sociologue et théologien Fernand Dumont aimait le dire[7]. Cette notion fait référence au processus naturel par lequel l’être humain assume son historicité, construisant ainsi son identité sur le terrain de son devenir. Il s’agit de ce mécanisme fondamental de construction de toute identité humaine, qui permet d’hériter du passé sans en devenir l’esclave, d’affronter le moment présent sans en être écrasé et d’envisager constructivement le futur. Tout au contraire de cette tradition qui brime la liberté qu’a combattue la modernité, la tradition ainsi entendue est chemin de liberté, pour ne pas dire la voie fondamentale de conquête de la liberté. C’est le moyen naturel par lequel l’être humain prend le contrôle de son devenir.
Toute religion est un phénomène de tradition. Croire religieusement implique d’être inscrit dans une tradition[8], un processus de conservation et de renouvellement d’un héritage. La tradition ainsi entendue est même le mécanisme fondamental de régulation de toute croyance religieuse, voire le lieu de passage incontournable de la religion à la foi. C’est par ce chemin de mémoire profonde, vivante et partagée, que se construit l’identité religieuse collective. C’est par là qu’on hérite de sa foi, la partage et la transmet. On peut le vérifier tout particulièrement dans le christianisme, qui se définit explicitement comme une religion d’histoire du salut, héritier en cela du judaïsme.
Cette tradition, que je propose de regarder comme le mécanisme de base de régulation de la foi chrétienne, est un processus de transmission de croyance, voire un mode de croyance. C’est l’Évangile vivant, reçu en partage de ses ancêtres dans la foi et sans cesse redécouvert dans sa nouveauté essentielle. C’est l’Évangile avant et par-delà les évangiles. On est bien loin de la tradition conçue comme simple « dépôt à conserver » puisqu’il s’agit d’abord d’un dynamisme, voire d’un esprit. Est « authentique » une foi reçue par mode de tradition, s’inscrivant dans une tradition vérifiable, et non pas d’abord une foi héritière de traditions toutes faites[9]. Parce que vécu par mode de tradition, le christianisme est indissociablement continuité et changement ; il est expérience collective avant d’être expérience individuelle ; il est partage d’une expérience de Dieu aux dimensions de toute l’histoire humaine et de toute l’expérience humaine.
Ce processus de tradition s’incarne dans tout le vécu chrétien. Mais il s’exprime aussi de façon instrumentale, plus visible, sous certaines modalités privilégiées par l’usage au fil de l’histoire. Comme nous le verrons plus loin, ces dernières ont un caractère normatif en ce qu’elles sont appelées à servir de guide au fonctionnement de la tradition dans la vie de tous les jours. Le catholicisme en est venu historiquement à faire appel à cinq de ces modalités plus particulières.
Comme le montre le tableau précédent, il s’agit d’abord, à titre de mécanismes primaires, de l’Écriture et de la Tradition, le mot tradition étant ici employé en un sens restreint renvoyant à l’expérience ecclésiale. Les documents officiels de l’Église rendent le concept par les expressions « tradition non écrite » et « tradition apostolique » en insistant sur le caractère passif de cette tradition qui est considérée d’abord comme un « dépôt à conserver ». Il m’apparaît plus juste et moins équivoque de parler de « foi de la communauté » ou de « foi des fidèles », en insistant sur son caractère actif d’« instinct de foi de la communauté chrétienne de partout et de toujours », ce qui renvoie alors aux notions théologiques de sensus fidei, consensus fidei, et de sensus communis fidelium. Dans ce qui suit, nous dirons « foi de la communauté ».
Les trois autres modalités particulières d’expression de la tradition devraient être considérées comme des formes secondes par rapport à la foi de la communauté. Elles n’en seraient que des aménagements plus concrets. Il s’agit du magistère qui fait l’objet de cette étude, de la liturgie que nous pourrions regarder comme une forme douce de la tradition et de la théologie, ici considérée dans sa fonction ecclésiale[10]. À titre de forme seconde par rapport à la foi de la communauté, le magistère n’a qu’une autorité relative à cette dernière. Ainsi, l’« infaillibilité » du magistère est à comprendre en référence à l’« infaillibilité » du « Peuple de Dieu »[11]. Le schéma proposé fait ressortir les limites de l’expression regula proxima fidei pour qualifier la fonction magistérielle.
3. Le rôle spécifique du magistère
Quel est le rôle propre du magistère comme forme particulière d’expression de la tradition chrétienne ? Quelle est l’autorité propre de cette fonction exercée exclusivement par le pape et les évêques, sur la base du fait qu’ils sont les seuls à posséder la « plénitude du sacerdoce » selon la théologie traditionnelle ? Comme il a été dit plus haut, il s’agit essentiellement d’une fonction d’autorité en matière d’enseignement. Mais comme le pape et les évêques ne sont pas les seuls à enseigner avec autorité dans l’Église, la question porte sur ce qui caractérise leur autorité particulière en matière d’enseignement.
Arrêtons-nous d’abord sur la notion d’autorité en rappelant que son rôle premier est d’autoriser : ce qui veut dire « permettre », « rendre possible », voire littéralement « instituer comme auteur ». On l’oublie facilement : tous les mots s’usent à l’usage. C’est pourquoi il peut être utile de le dire autrement, par exemple en termes de leadership. L’évêque et martyr Ignace d’Antioche, l’un des précurseurs de la notion de magistère au iie siècle, suggère la notion de présidence en parlant de l’Église de Rome qui présidait à la charité des Églises[12]. Le leader ou le président ont d’abord pour rôle de mobiliser, de convoquer à la parole et à l’action. Ils sont entièrement au service du groupe. C’est pourquoi, par exemple, un bon président d’assemblée renonce à son droit de parole individuel pour favoriser la liberté d’expression. Il ne se prononce que pour dénouer les impasses. Ce faisant, il n’impose pas sa vérité, mais il propose un consensus provisoire qui appelle une poursuite de la réflexion. On pourrait utiliser une foule d’autres analogies comme celle du chef d’orchestre, ce musicien qui ne joue d’aucun instrument pour être tout entier au service de la symphonie.
L’autorité du magistère en matière d’enseignement est de type pastoral, à la différence de celle de la théologie considérée dans sa vocation ecclésiale. Comme tel, le magistère est une mise en oeuvre du ministère de convocation et d’animation de la communauté chrétienne, et par là, de tout être humain de bonne volonté.
Comme ministère de convocation de l’Église, le magistère est un service d’unité dans la diversité des fidélités à l’Évangile. Son rôle est de rassembler l’Église dans l’espace et le temps. Il est de travailler au dialogue des croyants de partout et de toujours afin que rien ne se perde de la riche diversité de la foi. Il est d’entretenir la fraternité. Dans l’exercice de ce service de communion, la grande tentation sera de chercher à bâtir l’unité en prenant le raccourci de l’uniformisation, que ce soit par la simple répétition du passé ou par le culte de la parole unique.
Indissociablement, le magistère est un service d’animation dans une Église où chacun et chacune est responsable de l’Évangile. Un des principaux acquis de Vatican II est la redécouverte que la responsabilité fondamentale de l’Évangile appartient au Peuple de Dieu, soit à tous les baptisés. La succession apostolique sur laquelle se fonde la mission de l’Église est l’affaire de tous les disciples du Christ. L’appellation d’apôtre est un titre eschatologique évoquant l’universalité de la mission chrétienne[13]. Elle évoque la responsabilité commune des chrétiens et chrétiennes et non pas la mission réservée à quelques-uns comme on l’a trop souvent suggéré. Dans cette Église tout entière ministérielle, le rôle de ceux qui exercent la fonction magistérielle est de veiller au partage de la tâche entre tous les baptisés, de coordonner les efforts, et ce dans une perspective d’ouverture au monde puisque l’Évangile se dit dans toute expérience humaine en vertu du mystère de l’Incarnation.
On pourrait donc dire que l’autorité d’une intervention magistérielle se mesure à sa capacité de rassembler l’Église dans sa pluralité de richesses et à sa capacité de susciter la responsabilité chrétienne. Un tel rôle n’exclut pas la nécessité de rappel occasionnel à l’ordre de ceux et celles qui nuiraient à la communion ecclésiale ou à la mise en oeuvre de la mission chrétienne, notamment en abusant de leur propre autorité.
II. Modalités de fonctionnement
Au départ de cette étude, nous avons insisté sur le fait que la régulation de la foi chrétienne, comme de toute croyance religieuse, s’accomplit fondamentalement par mode de tradition entendue au sens anthropologico-philosophique du terme. Les réflexions qui suivent permettront d’observer le processus de plus près par une analyse de son type de fonctionnement dans l’exercice de la fonction magistérielle. Nous nous limiterons à explorer quatre pistes de réflexion.
1. Une autorité sacramentelle
L’autorité du magistère devrait être vue comme s’exerçant de façon sacramentelle[14], c’est-à-dire par mode d’exemplarité. Nous avons déjà eu l’occasion de montrer que ce type de fonctionnement est celui de tout mécanisme particulier de régulation de la foi[15]. En observant d’abord le processus à l’oeuvre dans les autres modalités de régulation de la foi, il sera plus facile de saisir la dimension sacramentelle ou mimétique de l’autorité magistérielle. Pour les fins de l’exercice, rappelons brièvement comment s’exerce ce type de fonctionnement sacramentel dans l’Écriture, une forme primaire d’expression de la tradition, et dans la théologie, une forme seconde d’expression de la tradition dans le modèle catholique qui nous intéresse ici.
En ce qui concerne l’Écriture, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’elle est née de la tradition d’une double manière. Elle est au départ la mise par écrit d’une tradition fondatrice, orale en particulier. Dans un deuxième temps, cette mise par écrit a fait l’objet d’un tri par des siècles de tradition vivante : c’est la lente formation du Canon des Écritures chrétiennes à la période patristique. L’analyse de ce double processus de naissance de l’Écriture nous permet de constater clairement que la Bible a valeur d’expression privilégiée de la tradition croyante dont elle est issue. L’important est ici de saisir que l’Écriture n’a jamais eu pour fonction de remplacer la tradition multiforme. Au contraire, chaque nouvelle mise par écrit se voulait au service de la relance de l’Évangile vivant. Si les traditions fondatrices ont ainsi été mises par écrit, sélectionnées et conservées, c’est à titre de « canon » (ce qui veut dire « règle » ou « instrument de mesure ») de la tradition vivante de la foi.
L’Écriture n’a pas été voulue comme une sorte de condensé de la tradition fondatrice, c’est-à-dire comme un recueil de la quintessence de la Parole de Dieu. Elle est encore moins une fixation de la conscience historique qui a donné naissance au christianisme, soit la Parole de Dieu achevée, dite une fois pour toutes[16]. Il faut plutôt voir l’Écriture comme un guide de lecture de la tradition vivante, plus précisément comme un modèle d’interprétation de toute l’expérience humaine comme Parole de Dieu. L’Écriture agit comme le témoin privilégié de la lecture chrétienne d’une tranche particulière de l’histoire humaine (histoire particulière du salut) appelée à servir de guide d’interprétation de toute l’histoire humaine (histoire générale du salut) comme Parole de Dieu. En tant que récit de l’expérience fondatrice de notre aptitude à voir Dieu dans l’histoire, elle a valeur de sacrement de la Parole de Dieu qui se dit toujours aujourd’hui dans tout ce qui est humain. Sur le chantier collectif de l’interprétation chrétienne de l’histoire en marche, elle agit comme le gabarit commun de mesure de la teneur en Parole de Dieu de tout ce qui est vécu. La Bible est donc Parole de Dieu à titre exemplaire et non à titre archivistique. C’est à titre de sacrement de la Parole de Dieu toujours actuelle qu’il faut la fréquenter pour acquérir, entretenir ou retrouver l’aptitude à entendre Dieu sur la route de la vie de tous les jours.
La théologie, considérée dans sa vocation ecclésiale, a elle aussi une vocation sacramentelle. Le théologien de carrière n’est pas le seul, ni même le premier responsable de l’intelligence de la foi et par là de l’inculturation de l’Évangile. C’est une responsabilité qui appartient d’office à tout chrétien. La théologie est au service de cette responsabilité commune qui s’exerce dans toute quête de sens. La théologie de métier est service de la théologie de tous et de toutes. Et elle agit d’abord à titre exemplaire, comme sacrement de l’aptitude de toute parole humaine à dire la Parole de Dieu. La théologie travaille à révéler la valeur d’Évangile de toute parole humaine. L’herméneutique théologique a d’abord une valeur révélatrice de l’activité interprétante déjà à l’oeuvre dans toute pratique chrétienne.
De même que la Bible ne monopolise pas la Parole de Dieu, mais qu’elle se veut d’abord le sacrement de la Parole de Dieu toujours actuelle et que la théologie du théologien ne monopolise pas l’intelligence de la foi, mais qu’elle est d’abord le sacrement de la théologie de tous, de même le magistère n’a pas le monopole de la responsabilité évangélique dans l’Église : sa première responsabilité est de sacramentaliser une tâche de rassembleur et une mission prophétique qui appartiennent à chacun des membres de la communauté chrétienne. Le magistère a pour fonction première d’être au service du magistère plus fondamental de tous les fidèles. À titre de premier responsable de l’annonce et de l’actualisation de l’Évangile, chaque baptisé doit être le premier artisan de la cohésion et du dynamisme de l’Église. Chacun, selon ses charismes propres, est l’Église dans son propre milieu et à la face du monde. L’autorité du magistère se fonde d’abord sur sa vocation de témoin de la foi de cette Église tout entière ministérielle : de l’Église d’ici et de maintenant comme de l’Église de partout et de toujours. L’évêque est non seulement le garant de la fidélité au kérygme fondateur, il est le porte-parole de la foi vivante de sa communauté auprès des autres Églises[17].
La première fonction du magistère est d’éduquer à la responsabilité chrétienne. Comme toute éducation, cette responsabilité s’exerce d’abord par l’exemple, par voie de mimétisme comme disent les spécialistes. Il n’y a pas à s’étonner du fait que le magistère se présente sous la figure de l’autorité parentale en empruntant les symboles de la maternité (« mater ecclesia ») et de la paternité (pape, père, etc.). Comme dans la dynamique parentale, son premier rôle est de guider l’apprentissage par voie d’exemplarité. On pourrait aussi faire appel à l’analogie du rôle de la loi dans la société : la loi ne vise pas à remplacer la conscience, mais à l’éduquer ; elle ne se substitue pas à la responsabilité de décider, mais guide l’exercice de la liberté.
Comme l’autorité parentale ou celle de la loi, le magistère peut se pervertir en paternalisme infantilisant ou en légalisme déresponsabilisant. Le magistère faillit ainsi à sa vocation en s’appropriant la responsabilité de l’Évangile au point de réduire les baptisés à de simples collaborateurs du magistère pour l’évangélisation ou pire, à de simples bénéficiaires d’Évangile[18]. La démobilisation des chrétiens et la désaffection de l’Église ne sont pas sans lien avec une pastorale se faisant l’écho d’un magistère qui pense et dit à la place des baptisés au lieu de présider à un réel partage de la foi entre tous. Exprimer sa foi est une nécessité vitale pour le croyant : dans tout être humain, une expérience qui n’arrive pas à s’exprimer est condamnée à mourir et devient mortifère pour la personne elle-même. D’autres confessions chrétiennes, souvent moins riches de tradition, ont été amenées à le comprendre avant le catholicisme.
Bref, le magistère ecclésial est au service du magistère de tous : il en est à la fois le guide et le témoin. Il doit d’abord s’exercer en symbolisant la vocation de tout baptisé.
2. Une autorité parmi d’autres
Le magistère ecclésial doit s’exercer en complémentarité, en concertation et en synergie avec les autres formes normatives d’expression de la foi de la communauté chrétienne, dont il n’est qu’un aménagement particulier. Pour illustrer ce fonctionnement relationnel, regardons brièvement le rapport qu’il entretient avec la théologie. Ce rapport est si étroit que la genèse et le développement de la fonction magistérielle sont impensables historiquement sans tenir compte du contrepoids exercé par la fonction théologique. On pourrait écrire une histoire du magistère en miroir de l’histoire de la théologie et vice versa. Ces deux fonctions ont d’ailleurs mis un certain temps à se distinguer clairement[19].
Le magistère est au service de l’unité de l’expression de la foi nécessaire à la communion ecclésiale tandis que la théologie est au service de la diversité de l’expression de la foi requise à son actualisation et à son inculturation. Le magistère travaille au consensus fidei tandis que la théologie veille à ce que personne ne manque de mots pour dire sa foi. Le magistère a pour préoccupation particulière de veiller à la mise en oeuvre de la mémoire chrétienne tandis que la théologie est d’abord soucieuse de l’inculturation de l’héritage chrétien.
Épistémologiquement, le magistère et la théologie appartiennent à deux univers très différents. Le magistère est un discours pastoral qui, comme tel, se meut dans l’ordre du savoir pratique, du savoir subjectif, du savoir-relation. La théologie tient un discours universel, appartenant au savoir théorique, objectif, instrumental. La vérité du magistère est celle de la sagesse : elle est donc de l’ordre de la fiabilité et de la fidélité ; c’est la vérité opposée au mensonge. La vérité de la théologie est celle de la science : elle est de l’ordre de la raison ; c’est la vérité opposée à l’erreur. S’agissant de deux types de connaissances foncièrement différents, un très bon pape peut être un médiocre théologien et vice versa.
Même si le magistère et la théologie n’existent plus en symbiose comme à la période patristique, ils ont toujours besoin l’un de l’autre pour incarner la tradition qui fait l’identité chrétienne et qui est indissociablement continuité rendue possible sur la base du changement et changement rendu possible sur la base de la continuité. Le magistère a besoin du regard critique de la théologie comme la théologie a besoin du recul du discours magistériel. Sans la théologie, le magistère serait menacé d’engendrer le traditionalisme, le fondamentalisme, l’idéologie, etc. Sans le magistère, la théologie serait en danger de mener une nouvelle tour de Babel, de tourner au gnosticisme, de perdre de vue son objet, etc. Il y a même place pour une zone de tension entre ces deux instances. Il s’agit de ne pas s’y enliser.
La confusion des compétences et des rôles semble le principal obstacle à la fécondité des relations entre magistère et théologie. Cette confusion se manifeste notamment par ingérence de la fonction magistérielle dans les compétences de la théologie et par ingérence de la théologie dans les compétences du magistère. Ainsi, le magistère empiète sur les compétences de la théologie quand il se présente comme mesure de toute théologie ou comme autorité théologique par excellence ; de même, quand il asservit la théologie à des fins purement institutionnelles. Même si la théologie peut être appelée à épauler la fonction magistérielle, son rôle ne peut être réduit à servir de relais au magistère, ni à le justifier, ni même, en amont, à travailler à son élaboration. La compétence propre de la théologie n’est pas sur le terrain de la pastorale. Elle l’oublie trop souvent elle-même quand elle manque de distance par rapport au discours institutionnel ou encore quand elle s’érige en juge du discours magistériel ou en magistère ecclésial parallèle au nom de sa compétence scientifique. Il ne faudrait cependant pas en conclure qu’on ne peut pas être à la fois pasteur et théologien. Bien au contraire, la formation théologique est essentielle au pasteur. Il suffit de garder en vue de quel lieu on parle.
3. Une autorité infaillible ?
La question de l’infaillibilité du magistère et de ses dogmes[20] fait problème pour de nombreux catholiques. Il est vrai que ce langage, hérité d’une théologie inflationniste pour une Église en mal d’autorité devant la modernité, est devenu équivoque dans la culture scientifique actuelle. Le résultat est qu’on se méprend sur les notions d’infaillibilité et de dogme.
On oublie que l’infaillibilité papale et des conciles, comme l’infaillibilité de l’Église dont elle n’est que l’expression, est de l’ordre de la vérité pratique et non de celui de la vérité théorique. C’est la vérité de l’ordre de la fiabilité et non celle de la certitude intellectuelle. C’est celle de la sagesse qui fait davantage appel à la confiance qu’à la raison. À la limite, comme tout discours de sagesse, le discours magistériel peut passer par des représentations inadéquates aux yeux de la raison, déroutantes intellectuellement. On pourrait ici faire appel à l’analogie du langage parental qui, en situation, est plus éducatif que le langage savant en dépit de sa relative pauvreté théorique. Tout le langage de la foi est d’abord affaire de fidélité, à commencer par celui de l’Écriture. Comme la Bible ne peut pas se tromper scientifiquement puisqu’elle ne fait pas de science, le magistère ne peut pas faire d’erreur (scientifique) puisqu’il ne fait pas davantage de science.
Le magistère parle le langage symbolique de la foi, celui du mystère comme disaient les Pères. Le mystère est ce dont on n’arrivera jamais à épuiser le sens, à saisir pleinement. C’est le langage de l’indicible. L’énoncé dogmatique est de cet ordre. Le dogme porte la marque de la discrétion du mystère. Il n’est pas un savoir de raison : les dogmes mariaux en sont une belle illustration[21]. La vérité du dogme est dans ce qu’il vise à mettre en lumière dans l’expérience de foi. Il fait office de balise indiquant le chemin à suivre, de signe de ralliement sur la route, etc. Il s’agit moins de croire au dogme que de croire avec le dogme comme symbole d’identité chrétienne. Considérer le dogme comme une vérité objective, ce serait illustrer le proverbe qui dit que « quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt ». L’autorité d’un dogme comme de toute activité magistérielle se mesure à son aptitude à rassembler et à animer l’Église. Comme un phare dans la nuit, il rappelle à une Église hésitante sur son identité ce qui est requis à son unité et à la mission.
L’inerrance ou le caractère irréformable d’un enseignement magistériel porte donc sur ce qui est visé par cet enseignement dans un contexte déterminé, et non comme telle sur l’expression historique de cet enseignement. Là aussi, il faut se garder de confondre le contenant et le contenu ou le messager avec le message.
4. Une autorité reçue de façon imprévisible
Un autre aspect important de tout enseignement magistériel est sa réception. Loin de se réduire à l’intention qui l’a suscité, le sens d’un énoncé magistériel se construit à travers un processus d’interprétation pluriel qui échappe à son auteur. L’autorité d’un document magistériel est ainsi indissociable du sens au nom duquel il est reçu dans l’espace et le temps. C’est pourquoi une véritable histoire des conciles est davantage une histoire de la réception des conciles[22]. Il en est de même de toutes les formes d’expression de la tradition. Ainsi, le sens d’un texte scripturaire est bien loin de rester prisonnier de l’intention de son rédacteur. L’exégèse patristique, celle même qui a présidé à la formation du Canon biblique chrétien, l’illustre clairement : les rédacteurs des textes bibliques ne s’y reconnaîtraient pas.
Notre propos ne porte pas comme tel sur ce nécessaire processus de réception inhérent à tout acte magistériel[23]. Il est plutôt de mesurer la portée de cette réception qui fait son autorité. L’analyse de la réception de l’encyclique Humanae Vitae (1968) nous servira de guide.
Au lendemain de la proclamation de cette encyclique sur le mariage et la régulation des naissances, on a parlé de sa non-réception. Elle était perçue comme allant à l’encontre d’une théologie du mariage plus ouverte qui se dessinait alors et d’une pratique établie de paternité responsable adoptée par de nombreux catholiques. Le texte avait provoqué un tollé de réactions non seulement des premiers concernés, les époux chrétiens, mais des pasteurs sur le terrain. Plusieurs conférences épiscopales avaient même cherché à nuancer les exigences de cette encyclique qui heurtait une tendance observée chez les Pères de Vatican II et qui refusait même les conclusions d’une commission théologique que Paul VI avait convoquée sur la question.
Plus fondamentalement, l’encyclique Humanae Vitae était perçue comme un éteignoir de l’Esprit de Vatican II. On y voyait un retour brutal à un magistère paternaliste et autoritaire. L’enseignement proposé était vu comme une intrusion excessive du magistère sur le terrain de la conscience de chacun. C’est dans le refus d’une telle situation que va se jouer, à notre avis, la véritable réception de Humanae Vitae. La réaction populaire à l’enseignement proposé et au style d’Église qu’il véhiculait marquera le commencement d’une tout autre relation de nombreux catholiques avec l’enseignement du magistère. Alors que jusque-là on avait tendance à exagérer l’autorité du magistère, on commence à recevoir de façon plus critique son enseignement. Pour beaucoup, ce sera le début de la fin du fondamentalisme typiquement catholique et d’une Église jugée infantilisante. On est amené à redécouvrir dans sa vie la primauté de la liberté de conscience et la liberté de l’Esprit du baptême. On expérimente existentiellement la portée du concile Vatican II. L’effet imprévu de cette encyclique est majeur.
En ce sens, on dira peut-être un jour que Humanae Vitae aura été l’encyclique la plus percutante du xxe siècle.
⁂
Voilà donc ce que l’auteur de ces lignes retient d’une réflexion menée il y a plus de 20 ans sur le magistère ecclésial. Au lecteur de juger de sa pertinence pour aujourd’hui. Il y a cependant fort à craindre qu’elle soit toujours d’actualité.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Communication présentée à une journée d’études organisée en hommage à ma carrière universitaire.
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[2]
« Autorité et liberté dans l’Église », L’Église canadienne, 16 (1982), p. 79-82 ; « Pour une théologie du Magistère. Un aggiornamento mal engagé ? », dans Questions actuelles sur la foi, Montréal, Fides (coll. « Héritage et projet », 27), 1984, p. 217-236 ; « La fonction magistérielle dans l’Église. À propos d’un ouvrage récent », Laval théologique et philosophique, 44 (1988), p. 375-391 ; « La régulation de la foi : une fonction sacramentelle », dans Enseigner la foi ou former des croyants ?, Montréal, Fides (coll. « Héritage et projet », 41), 1989, p. 83-96 ; « Les centres de théologie et les grands débats publics », Laval théologique et philosophique, 51 (1995), p. 485-496 ; « Magistère et théologie : deux fonctions distinctes et complémentaires », Conférence donnée le 11 novembre 1986 à l’Université Laval dans le cadre d’un débat sur les relations entre magistère et théologie, dans Révélation et théologie. Guide pédagogique. 1999-2000, p. IX-28 à IX-32. On trouvera dans ce recueil un aperçu de la théologie de la révélation sous-jacente à la théologie du magistère proposée.
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[3]
Notamment par un article d’Yves Congar, « Pour une histoire sémantique du terme “magisterium” », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 60 (1976), p. 85-98. Pour l’histoire de la notion de magistère, il faut voir le remarquable article de Bernard Sesboüé, « La notion de magistère dans l’histoire de l’Église et la théologie », L’année canonique, 31 (1988), p. 55-94. Ces deux études demeurent des références incontournables.
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[4]
Au début de sa Regula pastoralis (PL 77, 13).
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[5]
Cet usage en viendra même à générer une utilisation impropre du mot magistère désignant le pape et les évêques eux-mêmes, comme détenteurs exclusifs de la fonction officielle d’enseignement dans l’Église. Cette utilisation se retrouve encore occasionnellement dans les textes de Vatican II, ainsi au no 10 de Dei Verbum.
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[6]
« Ecclesia docens/Ecclesia discens ».
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[7]
Voir en particulier le chapitre IV de son Institution de la théologie. Essai sur la situation du théologien, Montréal, Fides (coll. « Héritage et projet », 38), 1987. Cet ouvrage, déroutant à prime abord pour le théologien de métier, mériterait d’être mieux connu.
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[8]
Si mince soit parfois cette tradition, comme dans les nouvelles religions, dont certaines sont de ce fait très éphémères.
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[9]
Le concept de « tradition apostolique » de la théologie des iie et iiie siècles (Hégésippe, Irénée de Lyon, Tertullien, Origène, Clément d’Alexandrie, etc.), qui est à l’origine du concept magistériel de tradition, avait ce sens de « mode de transmission vérifiable de la foi ». Était dite authentique une foi d’origine apostolique vérifiable par opposition, par exemple, à une foi d’abord issue d’une illumination intérieure comme chez les gnostiques ou d’une foi « gnose philosophique ».
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[10]
La théologie est ici entendue en un sens large regroupant tout effort d’intelligence de la foi.
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[11]
Pour employer une expression mise de l’avant par Vatican II.
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[12]
On trouve cette affirmation dans la salutation d’introduction de sa Lettre aux Romains.
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[13]
Les douze apôtres recevant la mission de l’Évangile représentent les douze tribus (soit la totalité) du nouvel Israël, Peuple de Dieu des derniers temps dans lesquels nous sommes entrés.
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[14]
Le mot sacramentel renvoie ici à l’ordre du symbolique (= ce qui relie) et non à celui du sacré (= ce qui sépare, met à distance). Il désigne ce qui opère en signifiant.
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[15]
« La régulation de la foi : une fonction sacramentelle », p. 83-96.
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[16]
Pour justifier cette conception de la Bible comme Parole de Dieu achevée, on s’appuie sur la notion théologique de « révélation close avec la mort du dernier apôtre ». On oublie que la révélation dont il est question, c’est ce que la théologie appelle la « révélation particulière » (relative à l’histoire particulière du salut) et non la « révélation générale » (relative à l’histoire générale du salut). La révélation particulière n’a de sens qu’au service de la révélation générale ou universelle.
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[17]
Sur ce point, il faut retourner à la théologie de l’Église de Cyprien de Carthage au iiie siècle.
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[18]
Ce à quoi invitait la distinction « Église enseignante/Église enseignée », qui a eu cours du xviiie siècle à Vatican II.
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[19]
La théologie du premier millénaire, surtout à compter du ive siècle, se confondait largement avec la fonction pastorale. La plupart des théologiens étaient des évêques ou des abbés. Le développement de la fonction magistérielle est étroitement lié à l’émergence d’une théologie comme fonction distincte de la fonction pastorale. L’avènement de la théologie comme science au Moyen Âge le démontre de façon particulièrement éloquente.
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[20]
Ce qu’on appelle le magistère extraordinaire de l’Église.
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[21]
À commencer par le titre marial de « Mère de Dieu » (theotokos) qui fut le symbole de la victoire de la piété populaire sur la foi savante au concile d’Éphèse (431). C’est aussi le cas des dogmes plus récents de l’Immaculée conception (1854) et de l’Assomption (1950), proposés comme étendard d’une foi catholique voulant redire son identité propre parmi les confessions chrétiennes contemporaines.
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[22]
Même si on peut dire que la réception d’un concile, comme de tout acte magistériel, n’est jamais terminée, il arrive un moment de consensus où on peut dire qu’il est « reçu ». Cette réception est souvent laborieuse. Ainsi, la réception du premier concile oecuménique (Nicée en 325) a donné lieu à la plus profonde crise doctrinale jamais connue par l’Église : il a fallu plus de 50 ans avant que les conclusions de ce concile soient universellement acceptées. Le concile de Chalcédoine (451) a demandé encore plus de temps à être irréversiblement considéré comme entré en processus de réception. D’autres conciles ont été reniés : à la même période, on peut mentionner les conciles d’Arles (353) et le deuxième concile d’Éphèse (449). Par contre, d’autres conciles ont eu une réception allant bien au-delà des attentes initiales.
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[23]
L’ouvrage de Gilles Routhier, La réception d’un concile, Paris, Cerf (coll. « Cogitatio Fidei », 174), 1993, 265 p., constitue toujours une référence incontournable sur la question.