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L’oeuvre théologique considérable du père Louis Bouyer n’avait jamais encore fait l’objet d’une étude systématique. La publication de cette thèse magistrale vient mettre en lumière la pensée d’un des plus éminents théologiens du xxe siècle. Ce travail, basé sur une étude approfondie du vaste corpus des écrits de l’oratorien français, permet au lecteur de se faire une juste idée de l’itinéraire théologique de Louis Bouyer et cela, à travers un contexte culturel en changement constant, couvrant une période de six décennies, de 1935 à 1994.
L’auteur — membre du Comité organisateur du Festival international du cinéma Religion Today de Trente en Italie —, présente sa thèse en trois grandes parties. La première partie (p. 39-345) vise à identifier les sources ou les fondements de la théologie de Bouyer. De toute évidence, l’auteur insiste sur les origines protestantes du théologien — Bouyer est un ancien pasteur luthérien —, et sur sa profonde connaissance des Écritures. La Bible est Parole du Dieu vivant, en tant qu’elle est assimilée par le fidèle lors de la célébration liturgique. À la Parole écrite doit répondre la Parole célébrée. La Parole éveille la liberté de l’homme qui écoute et elle l’appelle à marcher dans l’histoire, à la rencontre du Christ. L’histoire devient ainsi « le lieu d’émergence du Christ total, l’horizon global d’une expérience prophétique ». L’auteur signale l’influence de Bouyer lors de la préparation des textes conciliaires de Vatican II. Son livre Le mystère pascal rejoint les travaux de Dom Casel. La façon dont Bouyer aborde la dimension sacrificielle de la messe mérite toute l’attention du lecteur. Il reprend la grande tradition patristique tout en se méfiant de ce qu’il appelle « l’apport médiéval » en matière de théologie sacramentaire, à l’exception de saint Thomas. Cette première partie de la thèse montre aussi les échanges épistolaires, les coups de colère de Bouyer, qui n’ont pas toujours rendu service au théologien.
La deuxième partie, intitulée « Dialogues » (p. 349-538), permet de suivre le théologien « dans l’ensemble de ses recherches et contributions oecuméniques ». L’auteur le fait à partir de l’analyse de deux ouvrages clés de la théologie de Louis Bouyer : Du protestantisme à l’Église (1955) et Newman. Sa vie. Sa spiritualité (1952). L’auteur démontre que l’oratorien n’était pas un oecuméniste irénique, conciliant, s’accommodant d’un consensus mou. Une telle pratique de confrontation fera émerger une qualité essentielle de la pensée de Bouyer : sa vigueur polémique. Cela lui valut un certain ostracisme de la part de ses opposants. Les questions soulevées, les débats et les conflits théologiques ne pouvaient, selon lui, se régler qu’à partir d’un retour aux sources et aux racines patristiques.
Une troisième et dernière partie (p. 541-766), nommée « Synthèse », est consacrée à l’ample fresque de la théologie systématique réalisée par Bouyer dans sa maturité. Cette partie reprend l’essentiel des points abordés dans les deux premières parties. Après une analyse approfondie de la christologie de Bouyer qui donne les lignes directrices de toute sa synthèse, l’auteur se « concentre sur l’agencement original des grandes thèses dogmatiques autour de ce double foyer d’unité que les Pères appellent économie chrétienne et théologie ».
Une vision originale achève cette synthèse : « l’intuition fascinante du cosmos tout entier promis à la communion divine de l’agapè, dans un accomplissement eucharistique de l’histoire du salut, elle-même désormais coextensive de l’histoire du monde ». Toutes choses vont vers l’eschaton, vers l’accomplissement en Dieu qui seul donne de saisir le sens ultime de la réalité.
Le titre de cette thèse juxtapose deux notions omniprésentes dans l’oeuvre de Bouyer : connaissance et mystère. La connaissance et le mystère « en appellent à la […] nécessité d’une confrontation, d’une justification de la foi dans un univers culturel et changeant ». La connaissance de Dieu est le but fixé par la Parole divine lorsqu’elle vient à la rencontre de l’homme. Connaître Dieu c’est répondre, dans la foi, à l’initiative divine. Une connaissance par connaturalité, comme le disent les Pères, en faisant appel à la doctrine de la divinisation de l’homme. C’est dans l’Homme-Dieu qu’il nous est donné de connaître Dieu véritablement, dont la symbolique nuptiale peut donner la mesure. Connaître Dieu, c’est finalement connaître l’Adam céleste, venu récapituler l’humanité et lui donne l’Esprit de la filiation, l’Esprit du Père.
Enfin, l’auteur ne présente pas la théologie de Bouyer comme une « science ». Le théologien, affirme l’oratorien, exerce un métier exigeant et méticuleux. Ce métier est « vocation » et « quête » et doit être vécu en Église. Finalement, la théologie lui apparaît comme une « glorification de Dieu par l’hymne qui lui est consacré ». La théologie doit entraîner l’humanité croyante dans une « eucharistie » : « reconnaissance du don de Dieu et de sa gloire, reconnaissance du mystère qui nous fait être ».
La thèse de l’auteur se termine par la présentation d’une bibliographie remarquable. Tous les ouvrages de Bouyer y sont répertoriés. Cette étude fort détaillée redonne souffle à une oeuvre magistrale quelque peu oubliée et que tous les théologiens devraient revisiter, pour savoir, en définitive, comment relier « connaissance et mystère ».