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Théologien, coordonnateur du « Carrefour d’animation et de participation à un monde ouvert » (CAPMO) à Québec (Canada), Yves Carrier retrace en trois grandes parties l’histoire, l’itinéraire étonnant et bouleversant de l’archevêque de San Salvador Oscar Arnulfo Romero (1917-1980). Figure emblématique de l’Église latino-américaine qui rayonne au-delà de ce continent, son existence et sa destinée, son assassinat et son martyre continuent de susciter l’intérêt de nouvelles générations de croyants comme un exemple d’authenticité, de courage et de don de soi.
Dans la première partie, l’auteur rapporte l’histoire, souvent douloureuse, du peuple salvadorien, les origines et les différentes phases de l’oppression qui ont déchiré la société salvadorienne jusqu’à nos jours. Il décrit notamment la conquête culturelle, religieuse et militaire subie par les indigènes au profit des Espagnols durant l’époque coloniale, l’indépendance postcoloniale caractérisée par la domination de l’oligarchie créole et la défense des intérêts des puissants, les temps modernes et les différents acteurs sociaux à partir de 1960 : les Américains, les militaires et la société civile. L’auteur rappelle également les événements essentiels qui ont marqué l’Église et son option préférentielle pour les pauvres : le pontificat de Jean XXIII, le concile Vatican II, les conférences de Medellín et de Puebla qui situent le contexte historique de la praxis de libération de Mgr Oscar Romero (p. 95).
Après avoir établi le contexte, l’auteur présente dans la deuxième partie le parcours humain et spirituel d’Oscar Romero, ses origines modestes, prêtre à tout faire, vaillant pasteur et ardent défenseur des traditions de l’Église, des valeurs morales et du statu quo social, membre de l’Opus Dei dont il reconnaît une « mine de richesse pour l’Église » (p. 115). Mais la force de certains événements, comme les assassinats, la vie simple des paysans et des ouvriers, l’exploitation des pauvres, le conduira finalement à prendre conscience de l’énorme injustice dont est victime son peuple et à se situer devant l’histoire.
Dans la troisième partie qui constitue le coeur de l’ouvrage, l’auteur se concentre sur l’archevêque de San Salvador (1977-1980) prophète et pèlerin au service de son peuple, particulièrement des pauvres. C’est la rencontre de l’histoire d’un peuple avec la destinée d’un homme choisi de Dieu pour exprimer sa volonté. L’auteur s’étend davantage en montrant bien le processus de sa conversion et en reconstituant le contexte sociopolitique tendu de ces trois brèves années. L’action de Mgr Oscar Romero au Salvador s’inspire de l’engagement de Jésus-Christ en faveur de l’établissement du Règne de justice. Dans le cas contraire, écrit-il, il s’agirait « d’une trahison à la mission des croyants et des Salvadoriens qui forment une nation sous les auspices du Sauveur de l’humanité » (p. 188). Pour souligner l’engagement et le courage de Mgr Oscar Romero, l’auteur analyse avec soin ses lettres pastorales et ses homélies au style et au contenu nouveaux qu’il cite tout au long de l’ouvrage.
Cet ouvrage bien documenté et rédigé dans un style clair, rend hommage à un pasteur hors du commun et rend justice aux nombreuses victimes de l’intolérance politique et des intérêts oligarchiques qui ont dévasté le Salvador. Plus qu’une biographie individuelle, c’est l’histoire d’un peuple confronté aux exigences de survie, l’Église du Salvador au service de l’Évangile et de la libération. Mgr Oscar Romero est comme un phare de la conscience universelle, un apôtre de la non-violence et un prophète des temps modernes. Par son discours et sa pratique, il inaugure une manière inédite d’être pasteur en proposant à son peuple une authentique mystique de la solidarité humaine en accord avec le projet de Dieu de construire un monde fraternel.