Résumés
Résumé
L’authenticité de l’Alcibiade majeur est depuis le xixe siècle souvent remise en cause ; on y voit notamment un mélange incongru de socratisme et de platonisme. Inséparable du débat sur l’authenticité du dialogue, l’étude du passage clé sur la connaissance de soi (127e-133c, en particulier 132c-133c) est confrontée à deux interprétations opposées, habituellement estimées irréconciliables, soit les lectures théocentrique et anthropocentrique. Le commentaire d’Olympiodore a le mérite d’unir habilement, à la lumière du contexte dramatique, les dimensions « érotique » et « démonique » des activités pédagogiques de Socrate et par là de concilier ces deux lectures.
Abstract
Since the nineteenth century the authenticity of the First Alcibiades has been repeatedly called into question ; many scholars regard it as an awkward mix of Socratism and Platonism. The key passage on self-knowledge (127e-133c, esp. 132c-133c), whose study is inseparable from the debate about the dialogue’s authenticity, is generally interpreted in two ways that are usually considered to be irreconcilable, namely the theocentric and anthropocentric readings. The commentary of Olympiodorus has the merit of skilfully uniting, in the light of the dramatic context, the “erotic” and “demonic” dimensions of Socrates’ pedagogical activities and thus of reconciling these two readings.
Corps de l’article
L’ Alcibiade majeur (désormais l’Alcibiade)[1] contient l’une des rares discussions du corpus platonicien sur la connaissance de soi. En rapport au précepte delphique, « connais-toi toi-même » (γνῶθι σαυτόν), la connaissance de soi y est identifiée à la connaissance de l’âme. Cette identification entre le soi véritable et l’âme se retrouve certes dans d’autres dialogues platoniciens, mais c’est l’Alcibiade qui en offre la formule la plus claire : « L’âme, c’est l’être humain (même) » (ἡ ψυχή ἐστιν ἄνθρωπος, 130c6)[2]. L’idée selon laquelle le soi véritable est l’intellect a connu une grande fortune dans l’Antiquité, comme l’a admirablement montré Jean Pépin, dont j’aimerais saluer ici la mémoire[3]. La connaissance de soi en tant que connaissance de la divinité de l’intellect constitue, en outre, l’interprétation la plus positive du précepte delphique par comparaison à ses interprétations traditionnelles, qui soulignent la finitude humaine par opposition à la permanence et à la perfection divines[4].
Une précision s’impose tout d’abord sur l’approche inhabituelle adoptée dans cette étude. Le commentaire d’Olympiodore d’Alexandrie (vers 505 ap. J.-C.-565 ap. J.-C.) sur l’Alcibiade reste encore largement inconnu, y compris de bien des spécialistes de l’Antiquité tardive (il n’en existe d’ailleurs aucune traduction en langue moderne)[5], et mériterait un traitement systématique, ce que je me propose pour une autre occasion. Tel n’est pas ici mon propos. Je cherche ici plutôt à voir en quoi ce commentaire oublié peut nous aider à éclairer quelques points précis d’exégèse platonicienne. L’étude conjointe de Platon et de la réception du platonisme dans l’Antiquité, par opposition à leur traitement séparé, est loin d’être pratique courante dans la recherche actuelle ; elle constitue pourtant un nouveau champ d’exploration de grande valeur notamment pour les platonisants. Certains travaux récents d’Harold Tarrant en livrent déjà quelques riches spécimens[6]. Ce fut d’ailleurs une joie de constater, après la rédaction de la présente étude, que la thèse principale d’un article récent de Tarrant sur le même sujet[7] s’accorde avec la nôtre. Selon nos deux études, dont les préoccupations initiales sont pourtant fort différentes, l’importance de l’interprétation de l’Alcibiade par Olympiodore réside dans le fait de concilier, d’unir habilement la dimension érotique (plus généralement anthropologique) et la dimension démonique (plus largement théologique) des activités de Socrate[8].
I. La réception de l’Alcibiade
1. Le statut incertain de l’Alcibiade de nos jours
L’Alcibiade est un dialogue, à bien des égards, énigmatique. Sa place dans le corpus platonicien est difficile à déterminer et son authenticité même fait l’objet de controverses depuis le xixe siècle. Le caractère énigmatique de l’Alcibiade tient notamment au fait qu’il semble contenir un mélange de socratisme et de platonisme. La première section du dialogue (106c-116e) est essentiellement réfutative et apparaît nettement socratique. La deuxième comporte un discours long (121a-124b) qui rappelle certains dialogues de la maturité. Enfin, la dernière section a une teneur métaphysique et didactique (128a-130c, 132c-133c), dans le style des dialogues tardifs, voire selon certains du moyen platonisme[9]. Les études stylistiques pour leur part relèvent quelques hapax, mais surtout confirment le fait curieux que le dialogue comporte des caractéristiques linguistiques communes aux trois périodes selon la chronologie traditionnelle (dialogues de jeunesse, de la maturité et de vieillesse). Par ailleurs, on reconnaît que le dialogue présente un bon résumé (selon certains, trop bon, c’est-à-dire artificiel) de l’éthique socratique. En effet, le thème dominant du souci et de la connaissance de soi ainsi que l’évocation répétée du dieu personnel de Socrate rapprochent des dialogues dits socratiques ou de la jeunesse (τι δαιμόνιον : 103a ; [ὁ] θεός : 105b-e, 124c, 127e, 135d)[10]. En somme, s’agit-il d’une oeuvre authentique ou non ? Si oui, de quelle période ? Étant donné le caractère « hybride » de ce dialogue, tant du point de vue du style que du traitement, les diverses hypothèses de périodisation sont difficilement recevables. Il se peut que la question soit mal posée, car elle suppose la chronologie traditionnelle et, plus particulièrement, la théorie du développement. Cette approche herméneutique est depuis quelques années remise en cause à la faveur d’une approche plus unitaire ou moins linéaire aux dialogues[11]. Quoi qu’il en soit, prendre l’Alcibiade au sérieux comme une oeuvre éventuellement authentique — comme le propose cette étude —, nous force à repenser la classification traditionnelle et, par là, les rapports entre socratisme et platonisme[12]. Or la lecture d’Olympiodore peut contribuer à ce réexamen. Quelques rappels donc, d’abord, sur le statut de l’Alcibiade dans l’Antiquité.
2. Le statut privilégié de l’Alcibiade dans l’Antiquité et chez Olympiodore
Dans l’Antiquité, l’authenticité et la place de l’Alcibiade dans le corpus platonicien ne posent pas problème. Rappelons que pendant plus de trois siècles de néoplatonisme, il est lu et commenté comme la base de l’enseignement sur la philosophie de Platon. Envisageant le corpus comme une unité et non pas en termes de chronologie ou de développement, les Anciens expliquent les divergences entre les dialogues à la lumière de ce qui est considéré comme les intentions pédagogiques et didactiques de Platon. Le seul commentaire ancien complet du dialogue qui nous soit parvenu est celui d’Olympiodore (= In Alc., L.G. Westerink, ed., Olympiodorus, Commentary on the First Alcibiades of Plato, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1956)[13]. Le commentaire de Proclus, dans son état actuel, est incomplet ; il couvre seulement le premier tiers du dialogue (103a-116a) et perd ainsi de son intérêt pour la présente étude, quoique j’y ferai parfois appel dans les notes.
De manière générale, Olympiodore suit les principes herméneutiques et pédagogiques de ces prédécesseurs, principes qui remontent au moins au cursus de Jamblique. Cette approche s’applique à déterminer notamment le but ou le sujet (σκοπός)[14]. L’Alcibiade est dans le cursus le premier dialogue platonicien à lire (en tant qu’ἀρχή de la philosophie)[15] parce qu’il est estimé le plus à même de nous enseigner le sujet le plus pressant, la connaissance de notre nature, à savoir notre âme rationnelle[16]. C’est pourquoi il est en outre classé parmi les dialogues maïeutiques[17]. La principale vérité latente que Socrate révèle à Alcibiade est précisément celle de la connaissance de l’âme comme le soi véritable (In Alc. 12.6-7)[18]. Sous-jacent à cette approche maïeutique est le principe herméneutique selon lequel il existe une concordance entre les dispositions des interlocuteurs du dialogue et celles des lecteurs auxquels le dialogue est destiné[19].
Plus particulièrement, Olympiodore rend compte du caractère mixte, évoqué plus haut, de l’Alcibiade, en considérant les trois parties du dialogue comme parfaitement intégrées : la première section (106c-119a) réfutative, la seconde (119a-124a) protreptique, la troisième (124a-135d) maïeutique, dont il sera ici question (127b-133c, en particulier 132c-133c). Tandis que dans les deux premières sections Socrate s’applique à réfuter les faux savoirs d’Alcibiade et le persuade de s’amender par le travail sur soi, dans la troisième partie il évoque le précepte delphique (124a7-8) et opère, enfin, la révélation maïeutique du soi véritable. En d’autres termes, l’Alcibiade commence par la réfutation et la protreptique et se termine par la maïeutique. Olympiodore considère comme non problématique l’hétérogénéité du dialogue ou, pour le dire en termes positifs, il défend l’harmonie notamment entre réfutation et maïeutique[20]. La pertinence du commentaire d’Olympiodore sera mise à contribution surtout dans la seconde moitié de cette étude. Il faut d’abord commencer par le contexte dramatique qui, comme nous le verrons, revêt une importance décisive pour l’interprétation du passage sur la connaissance de soi.
II. La connaissance de soi
1. Le contexte dramatique : la pédagogie érotique de Socrate
Jeune, beau, riche, assuré de ses talents et de ses appuis, Alcibiade est sur le point de se lancer en politique, mais sans en avoir les compétences. Amoureux du jeune homme, Socrate l’aborde avec le désir — caché — de le libérer de ses ambitions politiques, afin de l’attirer à lui et, par là, à la philosophie. La stratégie amoureuse de Socrate peut se résumer comme suit. D’abord, il flatte la vanité d’Alcibiade, qui n’est pas petite. Dès le prologue, Socrate explique la raison pour laquelle il a attendu si longtemps avant de lui parler : c’est qu’Alcibiade est enfin mûr pour écouter ce que Socrate, son amant le plus fidèle, a à lui dire, et c’est pourquoi le dieu (τι δαιμόνιον, 103a ; ὁ θεὸς, 105b-c, e) ne le lui permettait pas jusqu’alors afin que le dialogue (διαλέγεσθαι) ne soit pas vain. Alcibiade doit prendre à coeur ce que Socrate désire lui communiquer, car celui-ci est le seul à pouvoir l’aider dans la réalisation de ses ambitions. Mais progressivement, Socrate détruit cette vanité par la réfutation des opinions les plus chères à Alcibiade. Car pour pouvoir donner des conseils à l’Assemblée concernant la guerre et la paix, Alcibiade doit posséder la connaissance du juste et de l’injuste, connaissance qu’il n’a ni cherchée par lui-même ni apprise d’un maître, et qu’il ne peut donc posséder. Socrate doit donc d’abord libérer Alcibiade de sa présomption en lui dévoilant sa double ignorance. Cette réfutation est suivie d’un discours protreptique. Alcibiade est alors incité à travailler à se rendre meilleur, c’est-à-dire à prendre soin de lui-même. Mais puisqu’il est impossible de prendre soin de quoi que ce soit sans en connaître la nature, Alcibiade doit d’abord se connaître lui-même. Pour sauver leur amour, précise Socrate, Alcibiade aura à choisir entre Périclès et Socrate (124c). Enfin, Socrate lui redonne en quelque sorte sa fierté en lui révélant sa véritable puissance (δύναμιν, 105e5), c’est-à-dire son âme, plus précisément la partie divine en lui, la raison.
2. Interprétations théocentrique et anthropocentrique (127e-133c)
Résumons d’abord rapidement l’argumentation qui précède le passage clé (127e-132c). Socrate fait admettre à Alcibiade l’idée selon laquelle l’être humain ne peut pas être son corps. Que signifie prendre soin de quelque chose (ἐπιμελεῖσθαι) ? Cela ne signifie pas prendre soin des choses qui lui appartiennent, mais prendre soin de la chose elle-même (128d). Afin de pouvoir prendre soin de nous-mêmes, il faut savoir qui nous sommes. Pour le savoir, il faut distinguer l’instrument (ὄργανον) de la personne qui l’utilise. Car l’être humain se sert (χρῆται) du corps comme d’un instrument (129b-e). Par ailleurs, l’être humain ne peut être un ensemble du corps et de l’âme, car le corps ne peut gouverner (ἄρχει), et ce que l’on recherche ici, c’est ce qui gouverne et non pas ce qui est gouverné. L’être humain, le soi véritable, doit donc être l’âme, et l’âme seule (130c1-3). Se connaître, c’est donc connaître son âme.
C’est ici que commence le passage qui nous intéresse de plus près (132c-133c). Socrate a recours au paradigme de la vue et du miroir afin d’expliquer à Alcibiade le sens du précepte delphique, c’est-à-dire notre vraie nature. De même que l’oeil, pour pouvoir se voir, doit regarder dans un miroir (ἐν κατόπτρῳ), ainsi l’âme qui veut se connaître « doit regarder une [autre] âme, et dans cette âme, la partie où résident l’excellence propre à l’âme, la sagesse (σοφία) et autres choses à qui elle est semblable » (133c). Or, dans l’âme, demande Socrate à Alcibiade, « n’y a-t-il rien de plus divin (θειότερον) que cette partie où résident la connaissance et la pensée (τὸ εἰδέναι τε καὶ φρονεῖν) » ? Alcibiade en convient. « Cette partie, poursuit Socrate, est semblable (ἔοικεν) au divin (τῷ θείῳ)[21], et celui qui la regarde, et qui sait y reconnaître le divin dans sa totalité (πᾶν τὸ θεῖον γνούς), dieu et la pensée (θεόν τε καὶ φρόνησιν), celui-là a le plus de chance de se connaître lui-même. » Cette connaissance de soi, c’est la σωφροσύνη, sagesse morale et intellectuelle (133b-c, trad. Croiset modifiée)[22].
La plupart des interprétations de ce passage difficile se résument par deux lectures opposées, mais en partie compatibles comme je tenterai de le montrer, savoir l’une théocentrique, l’autre anthropocentrique.
L’interprétation théocentrique souligne le fait qu’il n’est pas seulement question du divin (τὸ θεῖον) en nous, mais aussi de Dieu (ou d’un dieu) (θεόν, 133c5). Puisque la partie intellectuelle de l’âme est divine, la connaissance de l’âme est directement liée à Dieu ; cette connaissance coïncide même avec celle de Dieu. Or, selon certains commentateurs, cette référence à Dieu (ou au dieu) prouve l’inauthenticité de l’Alcibiade ou du moins de ce passage, car l’idée d’un dieu intérieur éclairant l’âme serait plutôt néoplatonicienne que platonicienne, et en tout cas nullement socratique[23]. Même les défenseurs de l’authenticité admettent que la formulation θεόν τε καὶ φρόνησιν (« dieu et la pensée ») est curieuse et difficile à interpréter, notamment parce qu’elle est en quelque sorte accolée aux mots précédents (πᾶν τὸ θεῖον γνούς : « [re]connaissant le divin dans sa totalité »), sans verbe, sans que soit explicité le rapport exact entre les deux groupes de mots[24]. Loin d’être déductif, le style est allusif, voire elliptique. Toutefois il importe de souligner d’abord que θεόν τε καὶ φρόνησιν sont dans tous nos manuscrits[25]. Et non sans raison, car ces mots apparaissent indispensables, dans la mesure où ils expliquent, en le précisant, le sens des mots qui précèdent, πᾶν τὸ θεῖον (litt. « tout le divin »). Par ailleurs, l’âme est dite semblable à Dieu et au divin (133a8-10 : ἄλλο, ὅμοιον ; 133c4 : ἔοικεν). Elle n’est donc pas Dieu. Dieu (le dieu) n’est pas simplement « le divin en nous », il est autre, et doit être compris comme supérieur à nous, c’est-à-dire comme transcendant[26]. Quant aux affinités apparentes de ce passage avec le moyen platonisme et le néoplatonisme, celles-ci pourraient éventuellement s’expliquer, inversement, par l’influence du dialogue sur ces écoles, comme en font foi les commentaires dont il fut l’objet à ces époques[27].
En revanche, l’interprétation anthropocentrique fait valoir que l’analogie de l’oeil et du miroir implique l’impossibilité de la connaissance de soi solitaire, c’est-à-dire la nécessité du dialogue avec autrui. L’introspection directe, la conscience immédiate de soi-même y serait déclarée impossible. Socrate a recours, à deux reprises, à l’exemple du dialogue (διαλέγεσθαι) pour illustrer l’idée selon laquelle l’âme utilise le corps comme un instrument et que l’âme doit donc être le soi véritable : parler, c’est se servir du langage (τὸ λόγῳ χρῆσθαι, 129c2 ; cf. 130d-e). La connaissance de soi n’est pas immédiate, mais s’opère par le détour d’un objet qui joue le rôle de miroir, et cet objet, cet autre, est une âme semblable à la sienne. La connaissance de soi dépend donc de la connaissance d’autrui, et celle-ci mène à la contemplation du divin en soi (et du dieu). L’anthropologie implicite du passage serait donc, selon cette interprétation, similaire à celle d’un passage bien connu des Magna moralia (1213a10-26), où il est écrit que l’on ne peut parvenir à la connaissance de soi que par l’entremise de l’ami, notre alter ego, par lequel on peut se voir objectivement comme dans un miroir[28]. Selon cette lecture, la seule différence entre ces deux textes serait le type de rapport interhumain privilégié : un rapport érotique dans le dialogue socratique et l’amitié (φιλία) dans les Magna moralia[29].
S’il est vrai selon le texte que l’on parvient le mieux à la connaissance de soi par le miroir d’un objet apparenté, comme dans le reflet de l’oeil dans l’oeil d’un vis-à-vis, il n’en demeure pas moins vrai, comme le fait valoir l’interprétation théocentrique, que l’intellect, qui est divin, est l’essence de l’âme et que, par voie de conséquence, la connaissance de l’âme est directement liée à Dieu (au dieu), et qu’en pensant (le) dieu, cet être distinct de soi, l’âme indirectement se pense elle-même[30]. Cela dit, l’interprétation anthropocentrique ou dialectique a le mérite de souligner le contexte dialogique, et plus précisément de répondre à une question importante que soulève notre passage allusif et que l’interprétation théocentrique laisse dans l’ombre : les âmes humaines sont-elles toutes également capables d’offrir à qui en a besoin, comme Alcibiade, le reflet du soi véritable, ou faut-il plutôt supposer — comme cela semble être le cas — que seules certaines personnes, comme Socrate, en sont capables ? Cet aspect humain ou intersubjectif est par ailleurs inhérent à la dimension dramatique, plus précisément érotique, du dialogue. En effet, l’Alcibiade dans son ensemble est traversé, du début à la fin, par le thème de la séduction : Socrate s’efforce de persuader Alcibiade de porter attention aux paroles de son plus fidèle amant, la seule personne capable de l’aider à réaliser ses ambitions.
La dimension dramatique est en outre inséparable de deux épineuses questions philosophiques qui sont sous-jacentes à notre passage et aux deux interprétations, anthropocentrique et théocentrique. Premièrement, la conception unitaire de l’âme de l’Alcibiade est-elle compatible avec la conception tripartite de la République (cf. λογιστικόν, θυμοειδές, ἐπιθυμητικόν) ? Deuxièmement, quel est le rapport entre le dieu du passage clé (θεόν, 133c5) et le dieu personnel de Socrate plusieurs fois évoqués dans le dialogue (τι δαιμόνιον : 103a ; [ὁ] θεός : 105b, 124c, 127e, 135d) ? L’analyse qui suit se limite à quelques aspects du texte et des problématiques évoquées, et à formuler deux hypothèses à la lumière du commentaire d’Olympiodore et, en particulier, de l’action dramatique dont ce dernier tient justement compte.
III. L’âme et (le) dieu : action dramatique et contenu doctrinal
1. Conceptions unitaire et tripartite de l’âme
La plupart des commentateurs, qu’ils soient défenseurs de l’interprétation théocentrique ou anthropocentrique, s’entendent pour dire que le soi véritable dont il est question dans l’Alcibiade est un soi impersonnel, non individuel. Comme Socrate lui-même le précise (130c-d) : il voulait enquêter sur l’essence de ce que nous sommes pris absolument (« le même en soi », αὐτὸ ταὐτό, 129b1), mais jusqu’à présent il n’a examiné que le soi individuel (αὐτοῦ ἑκάστου, 128d3). Après cette première étape, il ne sera plus question de l’âme de chacun, mais de ce qui existe de plus divin en tout être humain, la raison, qui est objective et universelle[31]. Dans le contexte du souci de l’âme, l’examen n’est possible qu’après avoir découvert « qui nous sommes nous-mêmes » (τί ποτ᾿ ἐσμὲν αὐτοί, 128e11). Le αὐτὸ du αὐτὸ ταὐτό désigne ce que nous sommes, notre essence. C’est pourquoi il convient d’interpréter l’αὐτὸ ταὐτό comme signifiant l’élément rationnel et impersonnel en nous, et non le soi individuel, personnel ou subjectif [32]. Ainsi faut-il entendre par le soi individuel, le soi que Socrate a défini comme « l’âme se servant d’un corps », dont l’incarnation constitue l’individualisation, par opposition à notre nature prise absolument (αὐτὸ ταὐτό), ou ce que nous pourrions appeler, quoique imparfaitement, « le soi véritable », qui est l’âme sans le corps[33].
C’est également l’avis d’Olympiodore. Selon lui, le soi véritable est l’âme rationnelle commune (ψυχὴ λογική)[34]. Cette définition semble de prime abord correspondre à la conception intellectualiste du soi associée au Socrate historique, conception selon laquelle la nature humaine, c’est-à-dire l’âme humaine, est essentiellement simple, entièrement rationnelle, par opposition semble-t-il à la conception tripartite de l’âme telle qu’exposée au Livre IV de la République (436a-441c). D’où la première difficulté soulevée plus tôt : la conception unitaire de l’âme de l’Alcibiade est-elle compatible avec la conception tripartite de la République ? Olympiodore formule une interprétation qui cherche à concilier ces deux conceptions de l’âme. En cela réside notamment l’intérêt de son interprétation.
Suivant Damascius, et contre Proclus, Olympiodore estime que le but (σκοπός) du dialogue n’est pas simplement la connaissance de soi, du soi véritable : « Le but de ce dialogue ne concerne pas simplement (οὐχ ἁπλῶς) la connaissance de soi, mais la connaissance de soi sur le plan de la vie politique (πολιτικῶς) ; […] en effet, dans ce dialogue, l’homme est défini comme une âme rationnelle (ψυχὴν λογικὴν), se servant du corps comme d’un instrument » (In Alc. 4.15-22, cf. 203.20-205.7 ; trad. F.R.)[35]. Par la connaissance « politique », Olympiodore entend ce qui a trait aux vertus politiques, ce qui convient au citoyen, entendu comme l’âme rationnelle usant d’un corps (y compris des passions) comme d’un instrument.
Le dialogue se situe donc, selon lui, à la fois sur le plan politique ou moral et sur le plan contemplatif. Plus précisément, Olympiodore distingue dans l’Alcibiade divers modes de la connaissance de soi. Outre la connaissance des choses extérieures et du corps, on peut se connaître : πολιτικῶς, c’est-à-dire selon les parties constitutives de l’âme usant du corps (πολιτικῶς donc, dans le sens de la constitution, πολιτεία, de l’âme tripartite et de la modération des passions) ; καθαρτικῶς, dans le processus de se libérer des passions liées au corps, lorsque l’âme est tournée vers soi (ἐπιστρέφουσα πρὸς ἑαυτήν) ; et θεωρητικῶς, lorsque l’âme, une fois libérée du corps, est rationnelle et entièrement tournée vers les choses supérieures, en dernière instance le bien, vers ce qui est supérieur (ἐπιστρέφουσαν πρὸς τὰ κρείττονα; In Alc. 224.3-10)[36].
Olympiodore décèle dans l’Alcibiade, y compris dans l’action dramatique, la division tripartite de l’âme comme étant celle de l’âme imparfaite : en prouvant que ce qui se connaît soi-même n’est ni le corps ni l’ensemble du corps et de l’âme, Socrate montre qu’il s’adresse à « l’âme rationnelle, rationnelle mais qui n’est pas toujours parfaite, qui s’ignore encore parfois (λογική, καὶ λογικὴ οὐκ ἀεὶ τελεία, ἀλλὰ ποτὲ καὶ ἀγνοοῦσα) » (In Alc. 171.16-17 ; trad. F.R.). En effet, Socrate reproche à Alcibiade de s’intéresser à la politique alors qu’il devrait d’abord chercher à se connaître lui-même. Il ne voit en lui-même que ses appétits de pouvoir, de richesse, etc. La tâche du philosophe est de lui tendre le miroir. Mais incapable qu’il est de voir en lui le caractère pur, autonome (αὐτοκίνητον) de la partie rationnelle, Alcibiade doit regarder dans l’âme de Socrate, où il découvre la pensée (φρόνησις, νοῦς) et la divinité (In Alc. 7.9-14)[37]. La question centrale de l’Alcibiade (Qui sommes-nous nous-mêmes ?) comprend donc non seulement la connaissance de l’âme rationnelle (‘αὐτὸ τὸ αὐτό’), qui est commune à tous les êtres humains, mais encore de l’âme individuelle (‘αὐτὸ τὸ αὐτὸ ἕκαστον’ ; τὸ ἄτομον ; τὸν πολιτικὸν ἄνθρωπον ; In Alc. 204.2-205.5). Ainsi Olympiodore insiste-t-il sur la dimension morale de la connaissance de soi comme condition à la dimension intellectuelle de celle-ci, qui en constitue le sommet.
On peut faire valoir, en faveur de cette lecture, que certains passages dans la République (Livre X) semblent en effet relativiser la doctrine de la tripartition de l’âme (Livre IV) et affirmer que seule la partie rationnelle (λογιστικόν) constitue le soi véritable : la division tripartite de l’âme correspondrait à la constitution (temporaire) de l’âme dans un corps ; l’âme elle-même, le soi véritable, serait fondamentalement uniforme, c’est-à-dire rationnelle. En effet, au Livre X de la République (611a-e), Socrate affirme que si l’on considère la vraie nature (τῇ ἀληθεστάτῃ φύσει) de l’âme, dans sa pureté (καθαρὸν), c’est-à-dire dans son amour de la sagesse (φιλοσοφίαν), on découvre alors qu’elle est simple et non pas composite, quoiqu’elle nous apparaisse telle en raison de son attachement au corps et aux affects qui en découlent[38]. D’ailleurs il n’est pas exclu que Platon, même dans la République, hésite entre la conception unitaire et l’autre tripartite (ou bipartite) de l’âme. En tout cas, il convient de souligner que même si Platon souscrit finalement à la conception tripartite, il maintient la thèse selon laquelle toute âme en tant que rationnelle désire le bien, comme au Livre VI de la République, où Socrate affirme que le bien est « ce que chaque âme poursuit et ce en vue de quoi elle fait tout ce qu’elle fait [τούτου ἕνεκα πάντα πράττει] » (Rep. 505d11-e1) ; nous désirons en réalité toujours ce qui est (réellement) bon (pour nous)[39].
La discussion de l’âme et de la connaissance de soi dans l’Alcibiade s’inscrit dans un contexte moral et éminemment socratique, soit celui du souci de soi de l’Apologie, c’est-à-dire l’effort pour devenir le meilleur possible (ὡς βελτίστη)[40]. Dans l’Alcibiade, se connaître, c’est aussi devenir tempérant (σώφρων, 131b5 ; cf. σωφροσύνην, 133c18[c8]). De plus, puisque le meilleur en nous est l’âme et que le meilleur dans l’âme est l’intellect, la connaissance de soi coïncide avec l’excellence de l’âme, c’est-à-dire la sagesse, dans son sens moral autant qu’intellectuel[41]. Enfin, l’idée selon laquelle l’être humain est son âme (rationnelle et désincarnée) constitue le fondement même du paradoxe socratique de la vertu-savoir : puisque le savoir est localisé dans l’âme et la vertu est l’affaire de l’âme, il ne peut exister de conflit, dans l’âme bien constituée, entre la raison et la non-raison. La pensée constitue l’excellence de l’âme et, du même coup, le trait distinctif de l’être humain (ou du divin) par rapport aux animaux[42]. Toutefois, le caractère divin de l’être humain est à la fois un donné et une tâche à accomplir : il y a affinité naturelle (συγγένεια) au divin, mais l’assimilation (ὁμοίωσις) à celui-ci reste une tâche qui nécessite une ascèse. La simplicité est quelque chose à conquérir ; l’âme doit chercher à se purifier en s’unifiant. C’est en ce sens que l’anthropologie essentiellement unitaire de l’Alcibiade est, selon Olympiodore, parfaitement compatible avec la conception tripartite de la République et d’autres dialogues.
2. Le divin intellect et le divin tuteur
L’interprétation conciliatrice d’Olympiodore permet ainsi d’harmoniser la conception intellectualiste associée au Socrate historique et la conception tripartite platonicienne. Cette conciliation permet en outre de mieux concevoir le lien entre la rhétorique socratique et la psychologie tripartite. Olympiodore rapproche, en effet, le Livre IV de la République, où sont exposées la division tripartite, et la rhétorique philosophique esquissée dans le Phèdre[43]. Plus précisément, le lien entre tripartition et rhétorique permet de formuler une interprétation du dieu énigmatique de l’Alcibiade (τι δαιμόνιον, [ὁ] θεός)[44].
Le paradigme de la vue et du miroir peut être interprété comme faisant partie d’un artifice habile de la rhétorique de la séduction, sur laquelle insiste Olympiodore[45]. Comme nous l’avons vu, Socrate désire avant tout convaincre Alcibiade qu’il doit voir en Socrate celui qui peut l’aider à réaliser ses ambitions, quoique bien entendu Socrate entende cette aide en termes ironiques, soit en vue d’un renversement des opinions et des désirs d’Alcibiade[46]. Cette pédagogie érotique suppose que l’argumentation soit adaptée à l’interlocuteur. Socrate affirme explicitement que son discours sur la connaissance de soi s’adresse directement à l’âme d’Alcibiade (πρὸς τὴν ψυχήν, 130d9-10 ; cf. In Alc. 7.5-9). Socrate s’adapte aux préjugés de son jeune interlocuteur en faisant notamment appel aux valeurs de ce dernier, tels que la renommée et le pouvoir, afin de mieux le réfuter, c’est-à-dire le libérer de sa double ignorance[47].
S’agissant de la question du dieu énigmatique, Socrate au début de la dernière section du dialogue (124c-d) affirme qu’Alcibiade devra choisir entre Périclès et lui, ou plus précisément entre Périclès et le tuteur supérieur de Socrate, le dieu (ou Dieu). Le passage mérite d’être cité :
[Socrate] : C’est que mon tuteur (ἐπίτροπος) est meilleur et plus savant que Périclès, qui est le tien. [Alcibiade] : Ton tuteur, Socrate ! Qui est-ce donc ? [Socrate] : C’est un dieu (ou Dieu) (θεός), Alcibiade, celui qui ne me permettait pas jusqu’à ce jour de m’entretenir avec toi. Ayant foi en lui (ᾧ καὶ πιστεύων), j’affirme que la révélation (ἐπιφάνεια) de qui tu es ne se fera à toi par nulle autre personne que moi. [Alcibiade] : Tu plaisantes (Παίζεις)), Socrate. [Socrate] : Peut-être (Ἴσως) (124c5-d1 ; trad. F.R.).
Quelle est donc cette divinité ? Et quel est son rapport avec le dieu (θεός) évoqué dans le passage de la connaissance de soi ? Rappelons d’abord quelques aspects du « dieu » de Socrate pour ensuite formuler une hypothèse. Dans les dialogues platoniciens, Socrate fait allusion à son dieu comme quelque chose de divin (τι δαιμόνιον), comme une voix (φωνή) ou plus souvent comme un signe (σημεῖον) divin. Le dieu de Socrate ne semble pas désigner un démon (τό δαιμόνιον, dans la forme substantive), mais plutôt un signe (dans la forme adjectivale, sous-entendant le signe, comme dans τό δαιμόνιον [σημεῖον]) par lequel se manifeste une divinité[48]. Platon associe directement le signe divin de Socrate à l’accusation d’impiété, celle d’introduire de nouvelles divinités (δαιμόνια καινά), et il y voit la principale cause de condamnation de celui-ci (Apol. 26b5 ; 27c8). C’est donc dire son importance à ses yeux. Si en outre on songe à l’opprobre que s’attira Alcibiade et, par ailleurs, à son association bien connue avec Socrate, on prend alors toute la mesure de l’intention apologétique de l’Alcibiade dans son ensemble.
Dans l’Apologie de Platon, Socrate ne nomme jamais le dieu qui l’a investi de sa mission de philosopher et dont il se considère comme le serviteur. Il se contente de parler du dieu de Delphes, sans toutefois le lier explicitement au signe divin[49]. Pourquoi Socrate ne le nomme-t-il jamais dans l’Apologie ou ailleurs, et pourquoi est-il si peu bavard sur le signe divin ? Ce vague s’explique, selon certains, par le fait que Socrate ne sait pas lui-même qui est ce dieu. Mais en fait il n’est pas exclu que le laconisme de Socrate et de Platon relève plutôt d’une stratégie apologétique, vu le caractère peu orthodoxe des convictions religieuses de Socrate. Il s’agirait alors d’une imprécision délibérée sur un sujet trop sensible. En tout cas il est parfaitement possible et conséquent de considérer le dieu privé de Socrate et le dieu du passage sur la connaissance de soi (ou le dieu de l’Apologie) comme une seule et même divinité (cf. In Alc. 217.16-17)[50].
À la toute fin du dialogue, Socrate fait une dernière référence au dieu (θεός), comme celui qui décidera du succès ou de l’échec de l’éducation d’Alcibiade, comme si en effet tout dépendait de la volonté du dieu (« Si [le] dieu le veut », ἐὰν θεὸς ἐθέλῃ : 135d, 127e ; si le dieu le « permet », εἴα : 105e, 124c)[51]. Le dieu de Socrate s’est ainsi substitué à Périclès comme nouveau tuteur d’Alcibiade. Vu les occurrences du mot θεός, entendu comme le dieu privé de Socrate, ainsi que leur contexte, il apparaît parfaitement plausible de l’identifier au dieu de la connaissance de soi. L’identité des deux divinités peut s’expliquer, en outre, en termes de l’action dramatique. Dans sa stratégie de séduction, Socrate se présente comme un simple médiateur entre Alcibiade et le divin tuteur[52]. Cette séduction vise le renversement des désirs d’Alcibiade vers l’objet de son Grand Désir, qu’il ignore, le divin, l’éternel[53]. Tel est du moins l’espoir de Socrate pédagogue[54]. Cet espoir est toutefois accompagné de graves inquiétudes, comme le révèlent les toutes dernières remarques de Socrate (135e)[55]. Animé par cette soif politique et tourné exclusivement vers la cité pour la confirmation de lui-même, Alcibiade est incapable de découvrir en lui ce qui fait l’excellence de son âme, la pensée. En regardant en lui-même, il ne découvre que ses passions. C’est pourquoi il a besoin d’observer quelqu’un qui « réfléchit ». Ainsi le dieu personnel de Socrate assumerait-il, dans le paradigme de la vue et du miroir, sa forme pure et authentique, en constituant la part divine de l’âme, la divinité de l’intellect, telle qu’elle est néanmoins visible en la personne de Socrate[56].
⁂
Cette brève étude sur la connaissance de soi dans l’Alcibiade se proposait d’offrir, à la lumière notamment de son cadre dramatique, quelques éléments de réponse à la vaste et difficile question du rapport entre l’humain et le divin chez Platon. Si ces pistes ont quelque mérite, elles peuvent contribuer à éclairer la question de l’authenticité du dialogue et, par là, à repenser le rapport des dialogues entre eux, en particulier le rapport entre socratisme et platonisme — tâche pour laquelle le commentaire d’Olympiodore offre des pistes qui méritent aujourd’hui encore notre attention.
Parties annexes
Remerciements
Je remercie vivement les auditoires du colloque de Côme, Psychè in Platone (février 2006) et de l’Institut d’études anciennes de l’Université Laval (octobre 2006) ainsi que Michel Narcy et deux lecteurs anonymes de la revue pour leurs judicieuses remarques. La traduction italienne d’une version antérieure de ce texte a paru dans M. Migliori, dir., Interiorità e anima.Psychè in Platone, Milan, Vita & Pensiero, 2007, p. 225-244. Cette étude, faisant partie d’un projet plus large sur Olympiodore exégète de Platon, a bénéficié de l’appui financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, que je tiens également à remercier.
Notes
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[1]
Je me référerai à l’édition de J. Burnet, Platonis opera, II, Oxford, Clarendon Press, 1901. J’ai consulté en outre celles de M. Croiset, Platon, Oeuvres complètes, t. 1 : Introduction, Hippias Mineur, Alcibiade, Apologie de Socrate, Euthyphron, Criton [notices, édition et traduction par M.C.], Paris, Les Belles Lettres, 1963 ; L. Carlini, éd., Platone, Alcibiade, Alcibiade secondo, Ipparco, Rivali [introduction, édition et traduction par L.C.], Torino, Boringhieri, 1964 ; et N. Denyer, éd., Plato, Alcibiades [introduction, édition et commentaire par N.D.], Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
-
[2]
Mieux encore, et plus exacte peut-être, la formule légèrement différente, tirée du même passage : μηδὲν ἄλλο τὸν ἄνθρωπον συμβαίνειν ἢ ψυχήν, « l’être humain n’est rien d’autre que (son) âme » (130c3).
-
[3]
Cf. en particulier J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et sur Dieu, Paris, Les Belles Lettres, 1971.
-
[4]
Selon une troisième interprétation, le précepte constitue un avertissement contre la surestimation des capacités individuelles (cf. Aristote, Rhétorique, 1395a18). Pour un survol des interprétations auxquelles a donné lieu dans l’Antiquité le précepte delphique, voir par exemple H. Tränkel, « ΓΝΩΘΙ ΣΕΑΥΤΟΝ. Zu Ursprung und Deutungsgeschichte des delphischen Spruchs », Würzburger Jahrbuch für die Altertumswissenschaft, 11 (1985), p. 19-31.
-
[5]
Une traduction en anglais au soin de Michael Griffin est en préparation pour publication dans l’Ancient Commentators on Aristotle Series (Londres, Duckworth), dirigée par Robert Sorabji.
-
[6]
Voir en particulier H. Tarrant, Recollecting Plato’s Meno, London, Duckworth, 2005 ; cf. J. Annas, Platonic Ethics Old and New, Ithaca, Cornell University Press, 1999 ; D. Sedley, « Socratic Irony in the Platonist Commentators », dans J. Annas, C. Rowe, éd., New Perspectives on Plato, Modern and Ancient, Cambridge [Mass.], Harvard University Press, 2002, p. 37-57 [trad. fr. : « L’ironie dans le dialogue platonicien selon les commentateurs anciens », dans F. Cossutta, M. Narcy, dir., La forme dialogue chez Platon. Évolutions et réceptions, Grenoble, Jérôme Millon, 2001, p. 5-19].
-
[7]
H. Tarrant, « Olympiodorus and Proclus on the Climax of the Alcibiades », International Journal of the Platonic Tradition, 1 (2007), p. 3-24, en particulier p. 9-12.
-
[8]
Harold Tarrant et moi-même avons commencé la co-rédaction d’un livre intitulé The Platonic Alcibiades I: The Dialogue and its Ancient Reception (à paraître, Cambridge University Press).
-
[9]
Contre l’authenticité, voir p. ex. R.S. Bluck, « The Origin of the Greater Alcibiades », Classical Quarterly, 3 (1953), p. 46-52 ; P.M. Clarck, « The Greater Alcibiades », Classical Quarterly, 5 (1955), p. 231-240 ; et, plus récemment, N.D. Smith, « Did Plato write the Alcibiades I ? », Apeiron, 37 (2004), p. 93-108.
-
[10]
Pour une défense de l’authenticité (et de l’unité) du dialogue, mais non unanimement comme « dialogue socratique » (ou « dialogue de jeunesse »), voir p. ex. Croiset, Platon, Oeuvres complètes, t. 1, p. 50 ; J. Annas, « Self-Knowledge in Early Plato », dans D.J. O’Meara, dir., Platonic Investigations, Washington, Catholic University Press of America, 1985, p. 118 ; J.-F. Pradeau, Platon, Alcibiade [introduction et notes par J.-F.P., traduction par J.-F.P. et C. Marboeuf], Paris, Flammarion, 1999, p. 21-22 ; N. Denyer, éd., Plato, Alcibiades, p. 5-11. La conclusion de l’étude stylistique de G.R. Ledger, Re-counting Plato : A Computer Analysis of Plato’s Style, Oxford, Oxford University Press, 1989, sur l’Alcibiade a de quoi étonner certains : « It seems astonishing that, if this work is spurious, the author should have had such success in matching the Platonic style as to be closer in many instances to genuine works than they are to each other » (p. 218).
-
[11]
Cf. J. Annas, Platonic Ethics Old and New ; N. Denyer, éd., Plato, Alcibiades, p. 20-26 ; C. Gill, « The Platonic Dialogue », dans M.L. Gill, P. Pellegrin, éd.,A Companion to Ancient Philosophy, Oxford, Blackwell, 2006, p. 140-147 [version abrégée en trad. fr., dans L. Brisson, F. Fronterotto, éd., Lire Platon, Paris, PUF, 2006, p. 53-75] ; pour une discussion générale sur le débat méthodologique en cours, voir M. Vegetti, Quindici lezioni su Platone, Torino, Einaudi, 2003, p. 66-85.
-
[12]
Cf. R. Weil, « La place du Premier Alcibiade dans l’oeuvre de Platon », Information littéraire (1964), p. 84. Il ne s’agit pas tant ici de défendre directement l’authenticité que d’explorer certaines implications directes et indirectes de cette hypothèse. Le statut incertain du dialogue de nos jours est tel que peu de commentateurs de Platon « osent » y faire appel, ce qui a en outre comme conséquence que de telles implications, pour notre compréhension de Platon, sont insuffisamment discutées.
-
[13]
Titre complet : ΣΧΟΛΙΑ ΕΙΣ ΤΟΝ ΠΛΑΤΩΝΟΣ ΑΛΚΙΒΙΑΔΗΝ ΑΠΟ ΦΩΝΗΣ ΟΛΥΜΠΙΟΔΩΡΟΥ ΤΟΥ ΜΕΓΑΛΟΥ ΦΙΛΟΣΟΦΟΥ. La datation du commentaire sur l’Alcibiade est incertaine ; selon L.G. Westerink (The Greek Commentaries on Plato’s Phaedo I : Olympiodorus [édition et traduction par L.G.W.], Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1976, p. 21), il date aux environs de 560 ap. J.-C. Ce commentaire d’Olympiodore, comme tous les autres qui nous sont parvenus de lui, consiste en des notes de cours prises par un étudiant (cf. M. Richard, « ΑΠΟ ΦΩΝΗΣ », Byzantion, 20 (1950), p. 191-222 ; pour une étude introductive à Olympiodore, voir p. ex. H. Tarrant, « Introduction », dans R. Jackson, K. Lycos, H. Tarrant, Olympiodorus. Commentary on Plato’s Gorgias [introduction, traduction et notes explicatives par R.J., K.L., H.T.], Leiden, Brill, 1998, p. 1-52). Ses commentaires se divisent en leçons, elles-mêmes partagées en explications générales (θεωρία) et explications détaillées (λέξις). Sur les méthodes d’enseignement d’Olympiodore, voir A.J. Festugière, « Modes de composition des commentaires de Proclus », Museum Helveticum, 20 (1963), p. 77-80 ; F. Renaud, « Tradition et critique : lecture jumelée de Platon et Aristote chez Olympiodore », Laval théologique et philosophique [numéro thématique intitulé Le commentaire philosophique dans l’Antiquité et ses prolongements : Méthodes exégétiques (I)], 64 (2008), p. 89-104 ; Id., « Perspective pédagogique et exégèse de l’implicite chez les néoplatoniciens tardifs : le cas d’Olympiodore d’Alexandrie », dans M. Achard, W. Hankey, J.-M. Narbonne, dir., Perspectives sur le Néoplatonisme. Actes du Congrès de l’International Society for Neoplatonic Studies, 2006, Québec, PUL (coll. « Zêtêsis »), 2009, p. 137-152.
-
[14]
Selon Jamblique, l’Alcibiade « enferme la totalité de la philosophie de Platon […] comme en une semence [ὥσπερ ἐν σπέρματι] » (fr. 1, éd. J. Dillon, Iamblichi Chalcidensis in Platonis Dialogos Commentarium Fragmenta [introduction, édition et commentaire par J.D.], Leiden, Brill, 1973, p. 72-73 = Proclus, In Alc. Prooim., 11.15-17, trad. A.P. Segonds, éd., Proclus sur le premier Alcibiade de Platon. Tome 1 [édition, traduction et commentaire par A.P.S.], Paris, Les Belles Lettres, 1985) ; Olympiodore, In Alc. 10.17-11, 6. Pour une étude minutieuse sur les introductions des commentaires néoplatoniciens où ces questions sont d’abord débattues, voir I. Hadot, « Les introductions (προλεγόμενα) aux commentaires exégétiques chez les auteurs néoplatoniciens et les auteurs chrétiens », dans M. Tardieu, dir., Les règles de l’interprétation, Paris, Cerf, 1987, p. 99-122, en particulier p. 109.
-
[15]
Cf. Proclus, In Alc. 1-11.
-
[16]
Cf. Prolégomènes à la philosophie de Platon (26.24-26) : « Il faut donc expliquer en premier lieu l’Alcibiade, parce que, dans ce dialogue, nous apprenons à nous connaître nous-mêmes ; or il est juste, avant de connaître les objets extérieurs (τὰ ἔξω), de se connaître soi-même (ἑαυτοὺς γνῶναι) » (L.G. Westerink, Prolégomènes à la philosophie de Platon [édition par L.G.W., traduction par J. Trouillard, avec la collaboration d’A.-P. Segonds], Paris, Les Belles Lettres, 1990).
-
[17]
Albinus, Prologue 3.36 (éd. O. Nüsser, Albins Prolog und die Dialogtheorie des Platonismus, Stuttgart, Teubner, 1991) ; Diogène Laërce 3.51. Les idées latentes qu’un dialogue maïeutique met en lumière sont appelées notions naturelles (φυσικὰς ἐννοίας, p. ex. Albinus, Prologue 6.33) ou notions communes (κοιναὶ ἔννοιαι, p. ex. Olympiodore, passim).
-
[18]
Selon Olympiodore (In Alc. 92.4-9), un consensus est un signe, non pas une preuve, de vérité. Les démonstrations reposent en dernière instance sur les notions communes (In Alc. 18.2-5).
-
[19]
Selon Albinus, les raisons qui président au choix de l’Alcibiade comme la meilleure introduction à la philosophie ont trait aux dispositions que devrait posséder le lecteur s’initiant à la philosophie, dispositions à l’image de celles d’Alcibiade envisagé comme interlocuteur idéal : les aptitudes naturelles (κατὰ φύσιν), l’âge (κατὰ τὴν ἡλικίαν), la motivation (κατὰ προαίρεσιν), la formation (κατὰ ἕξιν) et les conditions matérielles au loisir (κατὰ τὴν ὕλην, Prologue 5.1-37). Sur la place de l’Alcibiade chez les médioplatoniciens et les néoplatoniciens, voir A.P. Segonds, éd., Proclus sur le premier Alcibiade de Platon. Tome 1, p. vii-xx ; H. Tarrant, Plato’s First Interpreters, Ithaca, Cornell University Press, 2000, p. 119-121.
-
[20]
Sur l’alliance entre réfutation et maïeutique dans son commentaire du Gorgias, voir F. Renaud, « Rhétorique philosophique et fondement de la dialectique : Le commentaire du Gorgias par Olympiodore », Philosophie antique, 6 (2006), p. 137-161 [version abrégée intitulée « Rhétorique, dialectique, maïeutique : Le commentaire du Gorgias par Olympiodore », dans M. Erler, L. Brisson, dir., Gorgias-Menon : Selected Papers from the Seventh Symposium Platonicum, Sankt Augustin, Academia Verlag, 2007, p. 309-316]. La défense, par Denyer, du bien-fondé d’une variété de styles et d’approches en un même dialogue mérite d’être citée : « Why should Plato have wished to mix in the Alcibiades elements of all three different literary manners ? There is a simple and obvious answer. Plato wished to show Socrates taking Alcibiades from his original and quite unphilosophical condition to a condition in which he is prepared, at least for the moment, to do some fairly serious philosophising. These changes in Alcibiades, and the sorts of conversation he is able to cope with, are reflected in the changes of literary manner, from “early”, through “middle”, to “late” » (N. Denyer, éd., Plato, Alcibiades, p. 24). Denyer considère l’Alcibiade comme un dialogue de vieillesse et propose le début des années 350 av. J.-C. comme date de rédaction.
-
[21]
Je ne suis pas ici la lecture de Burnet (τῷ θεῷ) mais, comme bon nombre de commentateurs et traducteurs, l’un des principaux manuscrits (T = cod. Venetus).
-
[22]
J’ai omis les dix lignes suspectes (133c8-17) qui sont considérées, par un accord quasi unanime, comme une extrapolation tardive.
-
[23]
L. Havet (« Platon, Alcib. 133 c », Revue de philologie, 45 [1921], p. 88) propose de modifier le texte de Burnet et de la tradition manuscrite en lisant θέαν (« vision ») au lieu de θεόν, lecture suivie par Clarck, « The Greater Alcibiades », p. 237. Puliga, pour sa part (dans G. Arrighetti, Platone, Alcibiade primo, Alcibiade secondo [introduction par G.A., traduction et notes par D. Puliga], Milano, Rizzoli, 1995, p. 149, n. 42), adopte la modification d’Ast : νοῦν τε καὶ φρόνησιν, et traduit par « intelletto e pensiero ». Toutefois de nombreux éditeurs, traducteurs et commentateurs acceptent la lecture des manuscrits et ne modifient pas le texte ; p. ex. Annas, Brunschwig, Croiset, Desclos, Denyer, Friedländer, Gatti, Johnson, Pradeau ; pour les informations bibliographiques complètes voir les notes précédentes ou suivantes, sauf pour : M.-L. Desclos, Platon, Alcibiade [édition et traduction de M. Croiset, 1920, avec révision, introduction et notes par M.-L.D.], Paris, Les Belles Lettres (coll. « Classiques en poches »), 2002 ; et M.-L. Gatti, Alcibiade Maggiore [présentation, traduction et notes par M.-L.G.], dans G. Reale, éd., Platone. Tutti gli scritti, Milan, Bompiani, 2000, p. 595-632). Je reviendrai sur cette question dans ce qui suit.
-
[24]
Cf. P. Friedländer, Der Grosse Alkibiades. Zweiter Teil : Kritische Erörterungen, Bonn, Cohen, 1923, p. 15.
-
[25]
Cf. L. Carlini, éd., Platone, Alcibiade, Alcibiade secondo, Ipparco, Rivali, pour un exposé détaillé des six manuscrits médiévaux (ixe-xiie siècles), qui semblent indépendants les uns des autres.
-
[26]
Cf. H.J. Krämer, Der Ursprung der Geistesmetaphysik. Untersuchungen zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon und Plotin, Amsterdam, B.R. Grüner, 1964 (19672), p. 136-138 ; J. Brunschwig, « La déconstruction du “Connais-toi toi-même” dans l’Alcibiade majeur », Recherches sur la philosophie du langage, 18 (1996), p. 77-80 ; D.M. Johnson, « God as the True Self : Plato’s Alcibiades I », Ancient Philosophy, 19 (1999), p. 8-17. On lit dans J. Whittaker, éd., Alcinoos, Enseignement des doctrines de Platon [édition et commentaire par J.W., traduction par P. Louis], Paris, Les Belles Lettres, 1990 : « […] l’âme est faite naturellement pour commander (ἡγεμονεύει ἡ ψυχὴ φύσει). Or, ce qui est fait naturellement pour commander ressemble à ce qui est divin (τῷ θείῳ ἔοικεν) : en sorte que l’âme puisqu’elle ressemble au divin, doit être indestructible (ἀνώλεθρος) et impérissable » (177.33-35). De plus, selon Olympiodore, « celui qui connaît l’essence (οὐσίαν) de l’être humain, celui-là découvre qu’il est âme ; celui qui connaît l’âme connaît aussi les principes (λόγοι) qui sont en elle, et celui qui connaît les principes en elle connaît toutes les réalités (τὰ ὄντα πάντα) » (In Alc. 198.21-23 ; trad. F.R.).
-
[27]
Cf. J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et sur Dieu, p. 107, n. 1.
-
[28]
P. ex. A. Soulez-Luccioni, « Le paradigme de la vision de soi-même dans l’Alcibiade majeur », Revue de métaphysique et de morale, 79 (1974), p. 219-221 ; A. Languiti, « Amicizia e conoscenza di sé nell’Alcibiade primo e nelle Etiche di Aristotele », Annali dell’Istituto di filosofia di Firenze, 5 (1983), p. 1-28. Une remarque générale de R. Soradji (dans Soradji, dir., The Philosophy of the Commentators 200-600 ad : A Source Book, Volume 1 : Psychology [with Ethics and Religion], Ithaca, Cornell University Press, 2005, p. 161) va également en ce sens : « There is a theme in Plato’s Alcibiades I which is opposite to Descartes’ assurance that one knows oneself, but can only make inferences to the minds of others. According to Alcibiades I, the eye sees itself by seeing its reflection in the eye of another, 132C-133C. This discussion seems to have influenced Aristotle EN 9.9, 1169b33-1170a4 ; pseudo-Aristotle Magna Moralia 2.5, 1213a10-26, and possibly EE 7, 12, in their accounts of the value of friendship ».
-
[29]
Pour une analyse approfondie des deux types d’interprétation, voir J. Brunschwig, « La déconstruction du “Connais-toi toi-même” dans l’Alcibiade majeur », p. 72-80.
-
[30]
Le passage trouve des parallèles dans le Timée (51e5-6) et le Philèbe (28c7-8). La proximité entre la doctrine de la raison comme l’essence humaine (cf. αὐτὸ ταὐτό) dans l’Alcibiade et la doctrine de la raison (νοῦς) comme divine chez Aristote (cf. Protreptique, Métaphysique Λ ; De anima III, 5 ; Éthique à Nicomaque 10, 1177b26-78a7) a suscité la suspicion de certains commentateurs, qui y voient un autre argument contre l’authenticité du dialogue (p. ex. R.S. Bluck, « The Origin of the Greater Alcibiades » ; H.J. Krämer, Der Ursprung der Geistesmetaphysik. Untersuchungen zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon und Plotin, p. 137). En réalité toutefois, cette similitude ne préjuge pas forcément de la question de la datation : la doctrine allusive du νοῦς dans l’Alcibiade pourrait éventuellement être comprise comme une préfiguration embryonnaire de celle d’Aristote (cf. P. Friedländer, Der Grosse Alkibiades. Zweiter Teil : Kritische Erörterungen, p. 16). Pour une étude comparative de la problématique du rapport entre l’humain et le divin chez Platon et Aristote, voir notamment M. Migliori, « Divino e umano : L’anima in Aristotele e in Platone », dans U. LaPalombara, G.A. Lucchetta, dir.,Mente, anima e corpo nel mondo antico : Immagini e funzioni, Pescara, Opera Editrice, 2006, p. 21-56.
-
[31]
D.M. Johnson, « God as the True Self : Plato’s Alcibiades I », p. 16, et in finis.
-
[32]
À quelques exceptions près (p. ex. V. Tsouna, « Socrate et la connaissance de soi : quelques interprétations », Philosophie antique, 1 [2001], p. 37-64), tous les commentateurs estiment que cette remarque de Socrate indique que la suite de la discussion portera sur le soi véritable, entendu comme le soi désincarné et impersonnel. Selon Tsouna (ibid., p. 50-56) toutefois, l’individualité est partiellement préservée dans cette conception du soi véritable : le processus dialectique notamment, dans lequel a lieu cette découverte, suppose l’altérité individuelle. Johnson (« God as the True Self : Plato’s Alcibiades I », p. 14-17) défend la version extrême de l’interprétation inverse, celle d’un soi impersonnel et universel : αὐτὸ ταὐτό, le soi véritable serait l’Esprit pur, c’est-à-dire Dieu. Pour une analyse du concept de soi objectif chez les Grecs, notamment chez Aristote, par opposition au concept moderne de soi comme subjectif et individuel, voir C. Gill, « Is there a concept of person in Greek philosophy ? », dans S. Everson, dir., Companions to Ancient Thought 2. Psychology, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 166-193.
-
[33]
Pour une critique de la traduction fréquente de l’expression αὐτὸ ταὐτό par « le soi (véritable) », voir C. Gill, « Self-Knowledge in Plato’s Alcibiades », dans S. Stern-Gillet, K. Corrigan, éd., Reading Ancient Texts, Volume 1 : Presocratics and Plato : Essays in Honour of Denis O’Brien, Leiden, Brill, 2007, p. 97-113 (version abrégée en trad. fr. : « La Connaissance de soi dans l’Alcibiade de Platon », Études platoniciennes, IV [2007], p. 153-162). Au-delà de la question de la traduction, Gill défend néanmoins, d’un point de vue conceptuel, l’interprétation ici avancée d’une conception non individuelle ou impersonnelle du soi. Par ailleurs, parce qu’inhabituelle, l’expression αὐτὸ ταὐτό a également été considérée par certains comme médioplatonicienne ou néoplatonicienne plutôt que platonicienne (cf. E. Dönt, « Vorneuplatonisches im Grossen Alkibiades », Wiener Studien, 77 [1964], p. 40-44 et 50-51). Mais en réalité l’expression ne semble pas assumer un sens technique, selon la tendance reconnue de Platon à dédaigner le souci terminologique excessif. Toutefois, on ne peut guère nier que l’expression reste inhabituelle dans le grec courant de l’époque.
-
[34]
Cf. l’appui d’Annas, « Self-Knowledge in Early Plato », p. 131 : « I incline to think that the Neoplatonists were more on the right lines in finding here [cf. αὐτὸ ταὐτό] a reference to a “rational soul” which is the true self and is not individual to each person ». Dönt, « Vorneuplatonisches im Grossen Alkibiades », p. 42, est du même avis, quoiqu’il prenne par ailleurs position contre l’authenticité du dialogue.
-
[35]
Sur la controverse entre Damascius et Olympiodore d’une part et Proclus d’autre part, voir A.P. Segonds, éd., Proclus sur le premier Alcibiade de Platon. Tome 1, p. liii-lxix.
-
[36]
Cf. L.P. Gerson, « The Neoplatonic Interpretation of Platonic Ethics », dans M. Migliori, L.M. NapolitanoValditara, D. DelForno, dir., Plato Ethicus, Sankt Augustin, Academia Verlag, 2004, p. 162-164. Olympiodore complète ailleurs (In Alc. 172.1-14) cette liste de trois types fondamentaux de connaissance de soi comme suit : connaître ses possessions (κατὰ τὰ ἐκτός), son corps (κατὰ σῶμα), son être « politique » et émotionnel (κατὰ τὴν τριμέρειαν τῆς ψυχῆς), son soi purifié de tout affect (ἀπολυόμενον τῶν παθῶν), le soi contemplatif (ἀπολελυμένον ἑαυτόν τις θεάσηται), le soi théologique ou le soi idéal (κατὰ τὴν ἰδέαν τὴν ἑαυτοῦ) et enfin l’union mystique avec l’Un, c’est-à-dire ἐνθουσιαστικῶς (κατὰ τὸ ἕν).
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[37]
Précisons que dans son commentaire, Olympiodore ne cite pas l’expression discutée plus haut, θεόν τε καὶ φρόνησιν. Toutefois, cela ne constitue pas en soi un argument valable contre l’authenticité du passage. Quoique Carlini propose, comme nous l’avons vu, de remplacer θεόν par νοῦν, il défend néanmoins l’authenticité du passage clé dans son ensemble : « Il Wilamovitz (sic) (Platon II, Berlin, 1920, 2. Aufl., p. 327 sg.) credeva di poter trovare nel silenzio di Olimpiodoro una conferma della sua conclusione circa la non autenticità di queste due parole. Ma Olimpiodoro, contrariamente a quello che pensava il Wilamowitz e come ha fatto notare il Friedländer (Platon II, p. 320, n. 13), commenta diffusamente anche questo passo (In Alcib., 217, 4 sgg.), per cui si deve ben credere che lo legesse come leggiamo noi » (L. Carlini, « Studi sul testo della quarta tetralogia platonica », Studi italiani di filologia classica, 34 [1963], p. 176, n. 3).
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[38]
Cf. Phédon 79d1-7 ; T.A. Szlezák, « “Seele” bei Platon », dans H.-D. Klein, dir., Der Begriff der Seele in der Philosophiegeschichte, Würzburg, Könighausen & Neumann, 2005, p. 67 et 85-86.
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[39]
Sur cet aspect décisif et son rapport à la théorie du développement, voir C. Rowe, « All our Desires are for the Good : Reflections on Some Key Platonic Dialogues », dans M. Migliori, L.M. NapolitanoValditara, D. DelForno, dir., Plato Ethicus, p. 265-272.
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[40]
Cf. Apologie 29e2, 36c7 ; Criton 47d4-5 ; Banquet 216a4-6.
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[41]
Cf. L.P. Gerson, « ΕΠΙΣΤΡΟΦΗ ΠΡΟΣ : History and Meaning », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 7 (1997), p. 5.
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[42]
Cf. République 508b3, 509a2.
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[43]
Cf. Phèdre 270c9-d7, 271c10-d8.
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[44]
Voici la liste de toutes les occurrences du terme θεός (hormis celle du passage sur la connaissance de soi) : 105b8, 105d5, 105e5, e7, 124c8, 127e6, 135c5, 135d6 (et 103a5 : τι δαιμόνιον).
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[45]
Cf. Phèdre 255d, où l’amour de l’aimé se réfléchit dans l’âme de l’amant (cf. J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et sur Dieu, p. 80 ; D. Halperin, « Plato and Erotic Reciprocity », Classical Antiquity, 5 [1986], p. 69).
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[46]
Ce renversement en entraîne un autre, celui du rapport amoureux : Alcibiade, d’aimé (ἐρώμενος) qu’il est, doit devenir l’amant (ἐραστής) de Socrate, comme c’est le cas dans le Banquet (217a-219d) ; cf. H. Neuhausen, « Der pseudo-platonische Alkibiades II und die sokratischen Alkibiadesdialoge », dans K. Döring, M. Erler, S. Schorn, dir., Pseudoplatonica, Stuttgart, Franz Steiner, 2005, p. 178.
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[47]
Cf. Brunschwig, « La déconstruction du “Connais-toi toi-même” », p. 64. De cette constatation concernant l’importance de l’interlocuteur, il est possible de formuler un argument de portée générale adressé contre la théorie du développement : « We can allow that what Plato makes his characters say depends also or instead on who is being made to speak, to which audience ; and with what motives : and we can attempt to explain in these terms the similarities and differences between his various works » (Denyer, éd., Plato, Alcibiades, p. 25).
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[48]
Cf. P. Destrée, N.D. Smith, dir., Socrates’ Divine Sign : Religion, Practice and Value in Socratic Philosophy (= Apeiron : A Journal for Ancient Philosophy and Science, 38), Kelowna, B.C., Academic Printing and Publishing, 2005, recueil collectif sur cette question (et d’autres connexes) concernant le signe divin de Socrate ; et L.-A. Dorion, « Socrate, le daimonion et la divination », dans J. Laurent, dir., Les dieux de Platon, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2003, pour une analyse comparative de Platon et Xénophon. Selon Dorion, τό δαιμόνιον signifie toujours « la divinité » (οἱ θεοί ou ὁ θεός). Cela semble en effet le cas chez Xénophon, mais peut-être pas toujours chez Platon ; cf. p. ex. Euthyphron 3b, Théétète 151a.
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[49]
Cf. p. ex. Apologie 30a, 31a, 33c ; pour le récit sur l’oracle de Delphes : 21a-23e ; cf. Xénophon, Apologie 14.
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[50]
Cf. Tarrant, « Olympiodorus and Proclus on the Climax of the Alcibiades », p. 11 ; P. Destrée, « The Daimonion and the Philosophical Mission - Should the Divine Sign Remain Unique to Socrates ? », dans Destrée, Smith, Socrates’ Divine Sign, p. 74-79.
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[51]
Vu notamment la confiance inconditionnelle que Socrate accorde au signe divin, le dieu de celui-ci apparaît comme un dieu bon et omniscient.
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[52]
Cf. S. Soulez-Luccioni, « Le paradigme de la vision de soi-même dans l’Alcibiade majeur », p. 219.
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[53]
Ce désir, ἔρως, est au fond le désir du bien, celui de posséder le bien pour toujours (Banquet 206a) ; le soi véritable et le Grand Désir (Ἔρως) sont inséparables (cf. Banquet 202d-e : Ἔρως comme un grand δαίμων). Cf. Szlezák, « “Seele” bei Platon », p. 86.
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[54]
Alcibiade propose à Socrate d’échanger le rôle d’aimé par celui d’aimant ; Socrate réplique : « En ce cas, mon brave Alcibiade, mon amour (ὁ ἐμὸς ἔρως) ressemblera fort à celui de la cigogne ; il aura élevé au nid, dans ton âme, un petit amour (ἔρωτα) ailé, qui ensuite prendra soin de lui » (135e1-3, trad. Croiset modifiée).
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[55]
« Je souhaite que tu y persévères. Mais j’ai grand peur. Non pas que je me défie de ta nature, mais je vois la puissance de la cité (τὴν τῆς πόλεως ὁρῶν ῥώμην) et je redoute qu’elle ne l’emporte sur moi et sur toi (ἐμοῦ τε καὶ σοῦ) » (trad. Croiset, modifiée). Ironie tragique, et double, car Platon et son lecteur savent qu’Alcibiade ne pourra résister aux flatteries du peuple athénien (cf. République 494a-495c ; 517a) et que cet échec contribuera à la condamnation de Socrate (cf. Arrighetti, Platone, Alcibiade primo, Alcibiade secondo, p. 27). Platon dans l’Alcibiade, comme dans tant d’autres dialogues, pratique une apologétique à certains égards opposée à celle de Xénophon : défendre l’innocence de Socrate, non pas en exhibant toujours ses succès pédagogiques, mais en soulignant que la responsabilité des nombreux échecs pédagogiques de Socrate revient au disciple et, en dernière instance, au peuple athénien !
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[56]
Cf. J.-F. Pradeau, Platon, Alcibiade, p. 78, n. 2. C’est également l’avis, semble-t-il, d’Épictète, pour qui la connaissance de soi consiste dans la délibération avec soi, c’est-à-dire avec son δαιμόνιον (ici substantivé, donc comme synonyme de θεός) ; se connaître, c’est aussi découvrir en soi ce que l’on a en commun par nature avec les autres êtres humains, pareils aux choreutes attentifs à la symphonie dont ils font partie (Entretiens III, 22, 53 ; fr. 1, éd. H. Schenkl, Epicteti Dissertationes, Leipzig, Teubner, 1894, p. 456 ; cf. P. Courcelle, Connais-toi toi-même : De Socrate à Saint Bernard, t. 1, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1974, p. 61). La rationalité humaine, étant pour Socrate d’origine divine, constitue à la fois une forme de communion qui unit tous les êtres humains (dimension anthropologique) et une forme d’obéissance à l’égard de qui leur est supérieur (dimension théologique).