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Jean Laporte, spécialiste des Pères de l’Église, commet, dans la collection « Initiations », un ouvrage sur un sujet tout à fait étranger à son champ de spécialisation, l’oecuménisme. L’ouvrage, réparti en huit chapitres, présente de manière successive les grandes Églises chrétiennes non catholiques (chapitre 3, l’Église grecque orthodoxe, 4, la Réforme de Luther et de Calvin, 5, l’Église anglicane, 6, l’Église américaine, 7, les sectes), après avoir traité de manière générale du mouvement oecuménique dans le premier chapitre. À ces différents chapitres s’ajoutent un chapitre (2) consacré à « Notre mère la Synagogue », ce qui peut se justifier, un autre (8), ce qui est assez étonnant en regard du titre (L’oecuménisme et les traditions des Églises), à l’Islam, et un épilogue sur « Les voies ouvertes par l’oecuménisme ». Les chapitres 3 à 7, sauf le chapitre 6 consacré à l’Église américaine, sont construits de la même façon : on présente une tradition chrétienne (fondation, histoire et caractéristiques doctrinales, liturgiques ou disciplinaires) avant de consacrer quelques pages (au plus trois) à la contribution de cette tradition au mouvement oecuménique. Le tout, dans une perspective pédagogique sans doute, est suivi d’un questionnaire et d’une bibliographie.
L’ensemble est finalement très décevant, pour ne pas dire davantage. D’abord, sur le plan systématique, les lacunes sont nombreuses et importantes. Il est dommage, en effet, dans un volume d’« initiation », de ne pas distinguer l’oecuménisme du dialogue interreligieux et de ranger l’Islam dans une énumération « des principaux groupes chrétiens » comme on le fait en quatrième de couverture et comme cela est implicite dans l’ouvrage (sauf à la p. 315), en raison du fait qu’on le rencontre « à tous les coins de rue, mais aussi parce que cette religion préserve l’essentiel de notre foi en Dieu telle qu’elle apparaît dans l’Ancien Testament » et qu’elle contient « une critique de la doctrine chrétienne de la Trinité » (p. 257). Que l’essentiel de la foi chrétienne proposée dans le Nouveau Testament ne s’y retrouve pas ne semble donc pas faire problème, non plus qu’elle refuse le dogme trinitaire qui ne serait plus, du coup, un élément essentiel de la foi chrétienne ! Toujours sur le plan systématique, on se demande ce que vient faire « l’Église américaine », notamment l’Église catholique, parmi les « principaux groupes chrétiens », sans compter qu’il est assez réducteur de ramener l’Amérique aux États-Unis. Faut-il penser que « l’Église américaine » — si une telle chose existe puisque sous ce couvert on situe l’Église catholique romaine aux États-Unis et différentes formes du protestantisme —, est un groupe chrétien ? Sur le plan systématique encore, on procède, au chapitre 8, avec un concept non défini de sectes, plaçant ici les Témoins de Jéhovah et Moon. Exceptionnellement, ce chapitre (comme celui sur l’Islam) n’apporte pas d’éclairage sur la contribution de ces groupes à l’oecuménisme. On le comprend bien, plusieurs spécialistes auraient hésité à les ranger parmi les « principaux groupes chrétiens ». Enfin, dans tout cet ensemble, sauf l’unique page consacrée à l’Église catholique romaine aux États-Unis, nulle part on ne présente l’Église catholique comme on le fait pour les autres principaux groupes chrétiens (parmi lesquels on range ce que l’on sait), ce qui laisse entrevoir la conception de l’oecuménisme que l’on a. Elle serait simplement au-dessus de la mêlée, en dehors du cercle de ces dissidents. Un tel ouvrage qui prétend initier à l’oecuménisme risque de confondre davantage les lecteurs que les éclairer. Toutefois, comme l’auteur a décidé que « la discussion des principes de l’oecuménisme […] n’intéresse plus personne », il s’est affranchi des principes les plus élémentaires du domaine avec les résultats que l’on voit.
Le contenu est tout aussi décevant. On trouve d’abord de très nombreuses erreurs de fait. À titre d’exemple, on attribue à Jean XXIII (et non à Paul VI) la levée des excommunications prononcées au xie siècle à l’endroit de Byzance (p. 10, mais on se reprend à la p. 306). À la page 17, parlant d’un ouvrage de Congar, il écrira : « […] son livre Chrétiens désunis remonte à 1941 », alors qu’il aurait fallu lire 1937.
De plus, l’information est souvent lacunaire et incomplète. Ainsi, à la p. 14, on écrit : « Le secrétaire général [du COE] fut le Néerlandais Willem Visser’t Hooft de 1948 à 1966, et l’Allemand Konrad Raiser, après 1993 ». On abandonne au placard Emilio Castro (1985-1992), Philip Potter (1972-1984) et Eugene Carson Blake (1967-1972). À la même page, dans la liste des assemblées plénières du COE, on omet Harare en 1998 et, à la page suivante, on affirme que « Foi et constitution a tenu trois assemblées mondiales après son incorporation au COE », soustrayant à sa liste les assemblées de Louvain (1971), Accra (1974), Bangalore (1978), Lima (1982), Stavanger (1985) et Budapest (1989).
D’autres informations sont vagues à souhait. On apprend qu’« après la guerre, en 1946-1947, bien des choses changent » ou qu’« à la mort de Jean XXIII, les protestants pleurèrent ». Toute cette page 17 est composée de lieux communs, alors que les pages suivantes résument un ouvrage de Congar avant de tomber, aux pages 24 et 25 (déjà), dans la redite de ce qui a été développé plus haut.
Le reste du volume est à l’avenant. Les développements sur les diverses traditions chrétiennes sont souvent pauvres, imprécis, approximatifs et lacunaires. Ainsi, celui sur l’Église orthodoxe ne nous parle pas de l’orthodoxie russe, pourtant si importante, autrement qu’en soulignant que « l’Église orthodoxe est prospère, non seulement en Europe orientale (Grèce, bassin méditerranéen, Russie […] » (p. 71) ou en évoquant la prière du pèlerin russe ou Séraphin de Sarov (deux lignes), intégrés à un traitement de l’orthodoxie qui ne dépasse pas le xiiie siècle. On ne parle donc pas du mouvement slavophile ni de la contribution à l’oecuménisme de l’émigration russe en Occident, à la suite de la Révolution russe. Du reste, on règle en une page et demie la contribution de l’Église orthodoxe à l’oecuménisme (p. 95-96) et on n’approfondit rien, balayant sous le tapis l’accord si important de Balaman, par exemple, les tentatives d’union à Lyon et Florence ou le dialogue de la charité mené par Paul VI et Athenagoras. Le développement sur la Réforme est de la même farine. Luther serait heureux d’y apprendre qu’il est l’un des « fondateurs du protestantisme » (p. 106), ce qu’il n’a jamais voulu être, et Melanchthon et Zwingli seraient sans doute froissés qu’on ne les mentionne pas dans un chapitre censé faire la lumière sur la Réforme et son enracinement historique. Ici encore, on peine à trouver l’essentiel des intuitions de Luther et de Calvin. Même chose pour le concile de Trente que l’on traite de manière superficielle (c’était déjà le cas à la p. 10), prétendant qu’il n’a pas accordé d’importance au ministère de la Parole (il oblige pourtant évêques et prêtres à prêcher et à faire le catéchisme). Les fruits du dialogue entre protestants et catholiques (moins de deux pages) sont présentés de manière tout aussi superficielle. Les autres sections ne sont pas plus solides, sans parler de l’affligeant épilogue.
Quant aux bibliographies, faites surtout à partir des informations tirées de la Documentation catholique, elles auraient mérité d’être plus scrupuleusement contrôlées. Ainsi, on n’aurait pas mis dans la section sur l’anglicanisme le recueil Face à l’unité qui rassemble l’ensemble des textes adoptés par la Commission internationale de dialogue entre l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale. On n’aurait pas rangé non plus dans la « bibliographie sur l’oecuménisme actuel » la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur « l’Église comprise comme communion », le Catéchisme de l’Église catholique, le Motu proprio Apostolos Suos ou l’encyclique Redemptoris Mater. En matière de mariologie si l’on voulait en parler d’un point de vue oecuménique, on aurait sans doute indiqué le Document du Groupe des Dombes ou le fruit du dialogue de la Commission luthéro-catholique des États-Unis, The One Mediator, the Saints, and Mary. Ce ne sont là que des exemples pour indiquer la faiblesse de la bibliographie, faiblesse proportionnée à celles du reste de l’ouvrage cependant.
Il est franchement dommage que l’on ait confié à un non-spécialiste du domaine la rédaction d’un ouvrage sur l’oecuménisme dans la collection « Initiations ». Heureusement qu’une telle pratique n’est pas coutume. Si ce volume venait à être épuisé, il ne faudrait pas songer à faire un nouveau tirage, mais à demander à quelqu’un qui connaît bien le domaine d’en rédiger un nouveau qui soit à la hauteur de la collection.