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Instrumenta studiorum
1. Julienne Côté, Cent mots-clés de la théologie de Paul. Ottawa, Novalis ; Paris, Les Éditions du Cerf, 2000, 503 p.
Voici un ouvrage de référence qui présente un choix de cent mots tirés des sept épîtres de Paul dont l’authenticité est acceptée par la majorité des exégètes. Ces épîtres sont la lettre aux Romains, les deux lettres aux Corinthiens, la lettre aux Galates, la lettre aux Philippiens, la première lettre aux Thessaloniciens et celle à Philémon.
Chacun des mots est présenté sous forme d’article par ordre alphabétique en français et est accompagné du mot grec qu’il traduit. Ces articles sont divisés en cinq sections. On fournit d’abord une liste exhaustive des occurrences de ce mot grec dans les lettres de Paul, suivie d’une définition générale, le plus souvent limitée à un seul paragraphe, mise sous l’autorité d’un ou deux exégètes contemporains. Nous avons parfois l’agréable surprise de lire dans ces sections quelques références intertextuelles qui nous livrent de l’information sur l’usage de ce mot dans la version grecque de l’Ancien Testament (LXX) ou chez les auteurs grecs classiques. En troisième lieu, on expose au moyen d’une étude en plusieurs points, appuyée sur des citations des épîtres, diverses utilisations de ce mot ainsi que leur mise en application dans la théologie paulinienne. Les positions d’auteurs modernes, biblistes, historiens ou théologiens y sont aussi abondamment discutées. On trouve ensuite en caractère gras un choix d’autres mots étudiés dans ce volume, en lien avec le lemme, suivi d’une bibliographie spécialisée.
Le volume se termine par une brève bibliographie générale consacrée aux études pauliniennes, ainsi que par quelques index. Soulignons particulièrement la présence d’un index des termes complémentaires et des associations de mots, et d’un index des mots grecs.
Il s’agit là d’un outil de base fort utile et bien fait. L’A. a voulu avant tout rendre service aux néophytes qui s’intéressent aux études bibliques. Elle précise que son volume a été conçu en pensant aux croyants, aux homélistes, aux agents de pastorale, aux animateurs de groupes bibliques ou autres qui veulent se familiariser avec le vocabulaire paulinien, ou à ceux qui veulent entreprendre un « bon voyage au pays de l’apôtre Paul » (p. 9). L’ouvrage s’adresse donc à un public très large. Il est à notre avis conçu sur mesure pour les étudiants de premier cycle en théologie qui devraient l’avoir en tout temps sur leur table de travail.
Serge Cazelais
Bible et histoire de l’exégèse
2. Pierre Bonnard, L’évangile selon saint Matthieu. Genève, Éditions Labor et Fides (coll. « Commentaire du Nouveau Testament », 1), 20024, 463 p.
L’A., un des artisans de la Traduction oecuménique de la Bible (T.O.B.), n’a plus besoin de présentation. Son volume, qui parut pour la première fois en 1963, est devenu depuis un véritable incontournable, dont tout travail sur l’Évangile selon Matthieu devrait maintenant tenir compte. Même si la dernière mise à jour du texte date de 1969, ce travail conserve encore toute sa valeur. Les mises à jour sont signalées dans les marges du texte au moyen d’astérisques (*) et sont regroupées sous la forme de notes complémentaires en appendice. Le volume est une réimpression de la troisième édition (1992), dans laquelle seule la bibliographie avait été mise à jour. Le lecteur y trouve une analyse exégétique de l’intégralité du texte du premier évangile fondé sur son état final, tel qu’édité dans les éditions critiques modernes, et non pas une étude historique sur la préhistoire du texte ou de ses sources présumées. L’A. ne cherche aucunement, et il insiste pour le préciser, à reconstruire un portrait du personnage quasi insaisissable que fut le Jésus historique. Il cherche avant tout à comprendre qui était Jésus-Christ et quel fut son message tel qu’il fut reçu, compris et interprété par l’évangéliste qui mit la dernière main au texte que nous avons sous les yeux. L’A. précise encore que, selon lui, comprendre un évangile c’est avant tout en arriver à expliquer l’articulation de son rédacteur, afin de faire passer son message théologique dans son milieu propre. Cela étant dit, il ne discrédite aucunement les travaux historico-critiques et les travaux d’intertextualité qui ont été faits sur les synoptiques. Ceux-ci ont pour lui leur valeur en propre. Preuve en est que, malgré son explication très claire à ce sujet dans l’introduction, il évoque constamment dans le corps de son propre commentaire des travaux critiques, la littérature rabbinique, les textes de la mer Morte, Flavius Josèphe et de nombreux auteurs classiques du premier siècle.
Le texte évangélique qui est fourni en français est celui de la T.O.B. L’A. renvoie régulièrement au texte grec qui n’est toutefois pas reproduit. Il est découpé en péricopes et imprimé en italique afin qu’on le distingue bien du commentaire. Suit un bref exposé, généralement d’un seul paragraphe, qui met en situation cette portion du texte. Vient ensuite le commentaire lui-même, verset par verset.
La seule lacune de cette nouvelle édition concerne la bibliographie. Il aurait été souhaitable que les éditeurs y annexent une liste, fût-elle succincte, de travaux récents, ou encore incluent un nouvel appendice qui aurait tracé le bilan des études matthéennes depuis la première parution de cet ouvrage. Mais l’ensemble demeure utile, très utile même. Comptons-nous heureux de pouvoir bénéficier d’une nouvelle édition accessible et peu coûteuse d’un tel classique des études néotestamentaires contemporaines.
Serge Cazelais
3. John W. Marshall, Parables of War. Reading John’s Jewish Apocalypse. Waterloo, Ontario, Wilfrid Laurier University Press (coll. « Studies in Christianity and Judaism/Études sur le christianisme et le judaïsme », 10), 2001, vii-258 p.
Ce volume présente la version révisée d’une thèse de doctorat rédigée à Princeton University. Pour l’essentiel, cette thèse propose de situer la rédaction de l’Apocalypse de Jean de Patmos en 69, en plein coeur de la guerre juive, comme une réponse à la menace que faisait peser ce conflit sur les communautés juives de la diaspora d’Asie mineure, à laquelle appartenait Jean et à laquelle il s’identifiait. Écrit de crise, l’Apocalypse serait un manifeste de protestation et de retrait, exprimant un refus d’intégration dans une société courant à sa perte et une dénonciation de tous ceux qui, parmi les juifs, qu’ils soient ou non « disciples de l’agneau », prônaient cette intégration à la société ambiante.
D’entrée de jeu, l’A. propose que l’Apocalypse est un document juif et non pas chrétien. Cette proposition se fonde sur quatre complexes textuels : l’invective contre la synagogue de Satan (Ap 2,9 ; 3,9), la description de ceux qui « gardent les commandements de Dieu » (Ap 12,17 ; 14,12), la représentation des 144 000 tirés d’Israël et réunis à Sion (Ap 7,4 et suiv. ; 14,1 et suiv.) et la vision de l’épreuve de la cité sainte et de la destruction de la grande cité (Ap 11,1-4). Pour l’A., ces passages, à l’exception des deux premiers sans doute, sont des « paraboles », au sens où ce terme est employé, en contexte apocalyptique, dans le corpus énochique et dans le Pasteur d’Hermas.
Après une brève introduction qui en annonce le propos, le livre est divisé en deux grandes parties : la première (chap. 2 à 7) se livre à une réflexion herméneutique portant sur les problèmes et apories posés par certains passages de l’Apocalypse et sur les facteurs qui en conditionnent l’interprétation courante ; la seconde (chap. 8 à 12) propose une nouvelle interprétation des quatre complexes textuels énumérés plus haut à la lumière du paradigme herméneutique proposé dans les chapitres 2 à 7.
Comme le signale l’auteur dans l’introduction (chap. 2), l’argument qu’il propose dépend de la volonté de considérer les effets de la catégorisation religieuse sur l’interprétation d’un texte religieux, plus précisément, il suppose que l’on accepte de ne pas faire reposer la classification chrétienne d’un texte sur le seul fait qu’un « Christ » s’y trouve présent. À la suite des Trocmé[1] et Stowers[2], l’A. met en question la pertinence historique de catégoriser comme chrétien un texte dont la rédaction est antérieure à la distinction du christianisme et du judaïsme, même si ce texte a par la suite a été reçu exclusivement au sein du christianisme et y a gagné un statut canonique. À cet égard, l’A. rejoint l’argument formulé à propos de l’Évangile selon Matthieu par Daniel J. Harrington et Anthony Saldarini pour lesquels ce texte serait un « livre juif », témoignant d’une rivalité entre différents groupes cherchant à exercer le leadership au sein du judaïsme[3].
Le chap. 2 (« Aporias : Passages without Passage ») est consacré aux apories du texte (les complexes énumérés plus haut), qui, pour la plupart, seraient occasionnées non pas tant par le texte lui-même que par les présupposés qui forment le cadre de l’interprétation chrétienne de l’Apocalypse. Les chap. 3 et 4 sont consacrés à une réflexion herméneutique et montrent que les apories examinées plus haut sont en fait le produit de taxonomies mal construites et de l’utilisation par les chercheurs d’un méta-récit anhistorique (ahistorical metanarrative) dans leur étude des origines chrétiennes. Au chap. 4, l’auteur, reprenant la question formulée par Schüssler Fiorenza, pose spécifiquement le problème de l’identité religieuse de Jean : « Who is John ? Who is this fellow with “fellow Christians” and “fellow Jews” ? » Pour l’A., la réponse est claire. Dans le contexte de l’Apocalypse, le christianisme apparaît comme une sous-catégorie (« subset », p. 38) du judaïsme et non comme une catégorie distincte. Par conséquent, Jean se définit lui-même comme un juif et il définit ceux à qui il destinait son livre comme un groupe particulier de fidèles et de témoins de l’agneau (du Christ) au sein du judaïsme et non en dehors de celui-ci. Autrement dit, pour Jean et ceux à qui il s’adresse, on ne serait pas juif ou chrétien, mais juif et chrétien.
Le chap. 5 pose la question du sine qua non du christianisme : pour les besoins de la taxonomie, que doit-on considérer comme le caractère spécifique du christianisme, qui le distingue du judaïsme ? L’A. avance comme élément de réponse, reprenant les travaux de Geertz (et pastichant la définition du genre apocalyptique formulée par Collins, p. 51[4]), que, dans le domaine de la taxonomie religieuse, ce n’est pas un seul caractère, mais un ensemble de caractères qui doivent présider à la catégorisation. Le chap. 6 propose une critique de la « grande histoire collective » (« the great collective story », p. 55) ou, si l’on veut, du méta-récit des origines chrétiennes dans le cadre duquel les énoncés particuliers des chercheurs prennent sens. Le chap. 7 propose une réflexion critique sur l’utilisation du terme « chrétien » pour définir une catégorie de faits historiques ou littéraires du premier siècle.
La seconde partie du volume, consacrée aux problèmes spécifiques de l’Apocalypse, s’ouvre avec le chap. 8. Ce chapitre s’intéresse au problème de datation et remet notamment en cause l’utilisation qui est faite de la « critique des sources » en faveur d’une datation basse, en attribuant à des sources juives ou judaïsantes certains passages de l’Apocalypse incompatibles avec une telle datation. Le chap. 9 est consacré à la localisation du texte dans le contexte de la diaspora juive d’Asie mineure pendant la guerre juive. Les chap. 10 et 11 (Parables I et Parables II), se penchent sur les complexes textuels énumérés dans l’introduction, pour en proposer une interprétation dans le cadre herméneutique et historique mis en place dans les chapitres précédents. Le chap. 12 expose les résultats obtenus, que l’A. résume ainsi : « Considered squarely within the framework of the Second Temple Judaism, the Apocalypse of John presents with greater clarity its overall message and function, illuminates a poorly known stage in the prehistory of Christianity, and illustrates an important movement in second temple Judaism » (p. 174). Une abondante bibliographie de sources primaires et secondaires citées complète le volume.
Ce livre provocant propose une interprétation de l’Apocalypse qui, pour n’être pas absolument nouvelle, soulèvera néanmoins des débats. La rigueur théorique et méthodologique, l’ampleur de l’information et la clarté du propos font de ce livre une lecture obligée pour quiconque s’intéresse de près ou de loin à l’Apocalypse de Jean de Patmos, à l’histoire des origines chrétiennes et à celle du judaïsme du Second Temple. On pourra ajouter au dossier du caractère « juif » de ce texte, ou en tous les cas, de son originalité par rapport aux autres textes du Nouveau Testament, l’usage positif qu’il fait de la pureté rituelle pour accéder à la Jérusalem céleste. En effet, d’après Ap 21,27, « il n’y entrera rien d’impur » (καὶ οὐ μὴ εἰσέλθῃ εἰς αὐτὴν πᾶν κοινὸν) ; or l’adjectif grec κοινός, qui est utilisé ici, que l’on traduit généralement par « impur » ou « souillé », mais dont le sens premier est « commun », est un terme technique servant à désigner ce qui est « profane » ou « rituellement impur » dans le judaïsme palestinien du ier siècle de l’ère commune. Cette catégorie associée à l’alimentation, unanimement et explicitement rejetée par les autres textes du Nouveau Testament là où elle apparaît (Mc 7,2.5 ; Ac 10,14.28 ; 11,8 ; Rm 14,14), est ici le premier critère d’exclusion du salut, dont la Jérusalem céleste est la métaphore. L’Apocalypse de Jean de Patmos serait donc un texte pour lequel la pureté rituelle telle que rejetée par Paul et par les auteurs de l’Évangile de Marc et des Actes, serait nécessaire au salut[5].
Louis Painchaud
4. Pierre Prigent, Les secrets de l’Apocalypse. Mystique, ésotérisme et apocalypse. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Lire la Bible », 124), 2002, 104 p.
L’A. est à l’heure actuelle, dans le monde de l’exégèse francophone, le principal spécialiste de l’Apocalypse de Jean de Patmos. Se présentant à la fois comme historien et comme bibliste, il propose dans ce petit livre une sorte d’initiation à la lecture croyante de l’Apocalypse dont le principal mérite est de mettre en évidence les parentés thématiques et formelles que l’on peut observer entre certains textes de la mer Morte et l’Apocalypse d’une part, et entre celle-ci et les Odes de Salomon d’autre part, situant ainsi l’Apocalypse sur une trajectoire précise dans l’histoire du judaïsme et du christianisme au tournant de l’ère commune.
Après une introduction dans laquelle il formule son propos d’une manière pour le moins discutable, soit d’apprendre « ce que signifient vraiment les mots et les images de l’Apocalypse de Jean » (p. 8) et de déterminer la vraie patrie, la famille spirituelle de l’oeuvre (p. 9), l’A. aborde dans un premier chapitre la question de savoir s’il y a ou non dans la Bible et dans le judaïsme des prédictions de l’avenir. À cette question, il répond oui sans hésitation (p. 11), pour ensuite démontrer le mécanisme de ces prédictions, soit la pseudonymie et l’antidatation, c’est-à-dire l’utilisation de la figure d’un prestigieux ancien pour annoncer un avenir déjà advenu, de sorte que ces prédictions sont d’une grande précision pour les temps révolus et la période contemporaine de leur rédaction, mais bien incertaines et générales pour le temps futur. Dans le second chapitre, l’A. aborde la lecture « prophétique » de l’Écriture sainte, autrement dit, l’Apocalypse lit les Écritures comme si elles s’appliquaient au temps actuel ; ainsi, les prophéties de Jérémie concernant Babylone deviennent pour Jean de Patmos des prophéties qui s’appliquent à la Rome de son temps. Le chapitre suivant montre qu’à cet égard, Jean de Patmos pratique une lecture des Écritures analogue à celle que l’on trouve dans de nombreux textes de la mer Morte. Ce chapitre se conclut sur une présentation sommaire de l’eschatologie de ces textes : le temps de la fin est arrivé et on n’attend plus que son achèvement, la communauté des fidèles est devenue le Temple véritable et son culte participe de la liturgie céleste. Le chapitre suivant reprend le thème de la prophétie, mais cette fois dans l’Apocalypse. Nourri des Écritures, ce livre ne les cite pourtant jamais ; il les reprend pour en proposer sans le dire une interprétation nouvelle (p. 63), contrairement aux commentaires qoumraniens. Pour terminer, l’A. s’attache à montrer que cette oeuvre étrange, qui est si fortement enracinée dans la littérature du judaïsme palestinien représenté par les textes de la mer Morte, n’est pas restée sans postérité dans le christianisme, où les étranges Odes de Salomon en prolongent l’esprit et la manière.
Ce petit livre remarquable de clarté représente certes un excellent effort de vulgarisation des acquis de la recherche la plus récente sur l’Apocalypse, en particulier les liens qu’elle entretient avec les textes de la mer Morte. On lui reprochera de faire le silence sur quelques problèmes fondamentaux du point de vue de l’histoire, ainsi l’identité de son auteur, parfois désigné comme « saint Jean » (p. 9), qui n’est pas discutée. De même, il perpétue le mythe maintenant dépassé d’un empire dont le souverain aurait exigé qu’on l’adorât comme un dieu (p. 20 et 85). Sur la délicate question de la place des prescriptions rituelles juives dans l’Apocalypse, il se contente de parler de « spiritualisation des commandements de pureté » (p. 83), y versant une notion que l’on trouve un peu partout ailleurs dans le Nouveau Testament, mais que l’Apocalypse elle-même semble plutôt combattre. Finalement, il propose aux pages 29 et 30 une interprétation allégorique du millénium parfaitement orthodoxe, mais qui passe sous silence les apories du texte. Autrement dit, tout en mettant en oeuvre les acquis les plus récents de la recherche à certains égards, il propose, on me pardonnera cet anachronisme, une interprétation parfaitement « orthodoxe » d’un livre biblique qui l’est bien peu.
Louis Painchaud
Histoire littéraire et doctrinale
5. Dominique Côté, Le thème de l’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines. Paris, Institut d’Études Augustiniennes (coll. « Études Augustiniennes », série « Antiquité », 167), 2001, vii-300 p.
Depuis un siècle et demi, la recherche sur les Pseudo-Clémentines s’est concentrée sur le problème des sources de cette oeuvre complexe, sur la question des rapports existant entre les Homélies, conservées en grec et les Reconnaissances latines, et sur celle des rapports respectifs de ces deux formes du roman pseudo-clémentin avec une éventuelle Grundschrift. L’impasse à laquelle a conduit cette approche historico-critique, tout entière consacrée à l’histoire du texte et de ses variantes, a amené l’A. à adopter une nouvelle approche, non plus centrée sur les rapports de celui-ci avec son ou ses auteurs ou avec le milieu qui l’a produit, mais orientée vers le rapport de ses deux versions avec leur lecteur (p. 3). Il s’agit donc d’une approche pragmatique, qui privilégie les effets produits par les Homélies et Reconnaissances sur leur lecteur et les moyens qu’elles mettent en oeuvre pour obtenir ces effets. S’inspirant en partie de Riffaterre[6], l’A. propose donc une approche formelle du texte et délaisse ce qui concerne sa genèse.
Le thème central de l’opposition entre Pierre et Simon se présentait tout naturellement comme objet de cette approche pragmatique. Comment ce thème est-il construit, quels sont les effets potentiels de ce thème sur le lecteur, qu’est-ce qui distingue la version des Homélies de celle des Reconnaissances à cet égard ? Voilà en quelques mots l’objet de cette étude.
Dans une introduction développée, l’A. présente son propos et la méthode qu’il entend adopter, la nature du roman, le plan de son ouvrage, et finalement, le problème littéraire et historique des Pseudo-Clémentines. Un premier chapitre, consacré à l’analyse du thème de l’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, est subdivisé en deux parties portant respectivement sur la forme que prend cette opposition dans les Homélies et dans les Reconnaissances. Chacune de ces parties suit le fil des « journées » du roman, prises comme unités narratives, en analysant la position initiale des deux personnages, leur affrontement et leur position finale. Le deuxième chapitre porte sur les types qui ont pu inspirer l’opposition entre Pierre et Simon, le type du philosophe et du magicien tels qu’on les rencontre dans la littérature gréco-romaine contemporaine.
Le troisième chapitre enfin est consacré aux variations du thème de l’opposition entre Pierre et Simon. L’A. distingue deux temps dans cette évolution, un premier temps marqué par la fixation littéraire initiale du thème dans les Actes des apôtres 8,9-24 et sa reprise dans les notices de Justin et d’Irénée jusqu’à sa forme brève dans la Didascalie des apôtres et dans les Constitutions apostoliques ; un second temps est marqué par les formes longues ou apocryphes du thème dans les Acta Petri et dans le roman pseudo-clémentin. Une conclusion générale résume le chemin parcouru et expose les acquis de cette étude. Deux excursus portant sur le personnage d’Hélène et sur le problème du judéo-christianisme, une bibliographie et une table des matières détaillée complètent utilement le volume et en facilitent la consultation.
Le principal mérite de cet ouvrage est très certainement de mettre en lumière une fonction du roman pseudo-clémentin, qui serait de définir une identité narrative, « c’est-à-dire une sorte d’identité que le sujet humain atteint par la médiation de la fonction narrative » (p. 270[7]). L’A. pose en conclusion que le problème auquel le roman pseudo-clémentin entend apporter une solution est celui du rapport à établir entre judéo-christianisme et hellénisme, entre d’une part la vérité des mythes, de la magie et de la philosophie (c’est-à-dire l’hellénisme) et celle, d’autre part, du miracle et de la prophétie. Le problème de Clément et des siens est de faire un choix entre ces deux identités, l’identité judéo-chrétienne (qui semble entendue ici au sens large) représentée par Pierre, le type du barbare qui résiste à l’hellénisme, dont les miracles proviennent de Dieu seul et qui défend la vérité prophétique, et l’identité du barbare hellénisé, habile dans l’art de la magie, défendant la thèse de la philosophie et comptant au nombre de ses amis des philosophes et des astrologues. Il est intéressant d’observer toutefois que c’est finalement par sa supériorité dialectique que Pierre l’emporte sur Simon, c’est-à-dire par un trait typique de la culture savante et de l’hellénisme. Le personnage de Pierre apparaît donc comme opérant une synthèse entre certains aspects formels de la culture hellénistique et le contenu de la révélation judéo-chrétienne procurant un modèle identitaire à un judéo-chrétien syrien du ive siècle tenté par la philosophie, l’astrologie et la magie ou la théurgie.
En amont de cette conclusion générale, on créditera l’ouvrage d’une analyse particulièrement fine de la forme que prend le thème de l’opposition entre Pierre et Simon dans ses nombreuses variantes. Particulièrement intéressante et intrigante à cet égard est la principale différence observée entre les Homélies, qui feraient de Pierre et Simon les deux pôles d’une opposition totalement symétrique, suivant un principe énoncé par Pierre lui-même sur la nature duelle de la création selon lequel « tout se présente à notre vue selon une forme double et opposée », alors que les Reconnaissances paraissent vouloir réduire cette opposition à une simple paire antithétique. On pourra se demander s’il est judicieux de définir ce type d’opposition comme une syzygie ou la « règle syzygique ». Cela ne remet toutefois pas en cause l’intérêt de cette analyse qui fait du traitement de l’opposition entre Pierre et Simon dans les Reconnaissances la parfaite illustration d’une vision du monde mise dans la bouche de Pierre lui-même et fortement teintée de dualisme.
Louis Painchaud
6. Charles E. Hill, Regnum Caelorum : Patterns of Millennial Thought in Early Christianity. Grand Rapids, Michigan, William B. Eerdmans Publishing Co., 20012, xx-324 p.
Hill’s work — a revised and updated version of his doctoral dissertation of 1991 — is an investigation of chiliasm, or millennialism, in the Early Church, a phenomenon which he defines as “belief in a temporary, earthly, Messianic kingdom to be realized sometime in the future […] typically with Jerusalem as its capital” (p. 5). Many have argued that chiliasm was dominant in the Early Church, with non-chiliastic approaches only emerging later and gradually gaining strength, aided by Origen’s revolutionary “spiritualizing of eschatology and allegorizing of Scripture” (p. 3) and the discredit brought upon chiliasm by its alleged association with the Montanist movement. Hill disagrees : he asserts that, while present, it was by no means prevalent, and even some of its greatest champions in the Early Church — such as Tertullian, Irenaeus, and Justin Martyr — varied during their careers as to the degree of their support for it.
A major feature of Hill’s work is his identification of the common, one is tempted to say universal, link between millennial beliefs and the belief that, after death, all souls are stored in a subterranean Sheol, where they await the millennium. The former belief seems invariably to involve the latter, although the reverse is not true. Hill argues that those who believe that the soul of the Christian goes up to a heavenly paradise or to be with God or Jesus never hold chiliastic beliefs, and supports his argument both with citations from Justin (Dial. 99.3) and Irenaeus (Adv. Haer. V.30.4), and with logic : for how could a return to earth be anything but a grievous anticlimax if in the interim one has been in Heaven with the Lord ?
Using this argument as a basic criteria, Hill surveys the writings of the early Christian authors (up to the mid-third century, and including the New Testament). Although most of these writers have left no explicit indication of their views vis-à-vis chiliasm, Hill assumes that the presence of a belief in the ascent of the soul immediately after death is a relatively certain indication that the author was not a chiliast. By this means, Hill is able to suggest that chiliasm was probably (for the test is, of course, not foolproof) not so widespread as had been previously assumed.
Hill traces the roots of Christian chiliasm back to 2 Baruch and 4 Ezra, both probably composed in the first century c.e., and which seem to have had a profound influence on Papias and Irenaeus, two of the fathers of Christian chiliasm. Both these works combine the millennial reign on Earth of a Messiah with the idea that the souls of the just slumber in Sheol until the end of time. However, there is one glaring difference between these texts and those of the Christian chiliasts, namely that in the Jewish works the souls of the righteous do not arise until the Messianic reign is completed, at the final judgement. Hill himself notes this difference (p. 47, note 8) but does not develop it, which is unfortunate : one is left wondering what would have motivated the Christian authors to change, albeit only slightly, the Jewish schema.
Particularly interesting is Hill’s analysis of Irenaeus’ conversion to chiliasm. The great heresiologist opposes it at various points in the Adv. Haer., but in the fifth book of that work, the last to be written, Irenaeus supports it wholeheartedly, arguing that those who believe that the soul rises directly to Heaven after death, although not necessarily heretics themselves, have been misled by heretics. Hill argues that over time Irenaeus came to see that “the non-chiliastic eschatology of his parishioners and his former self, which allotted to the Christian dead a place in heaven […] could easily provide a way of access to Gnostics” (p. 258). Irenaeus, preferring orthodoxy to consistency, therefore seems to have decided to embrace chiliasm in order to protect himself and his flock from the threat of gnosticism.
Overall, this is a fascinating and daring work. It is written in a scholarly English which, while not tremendously attractive, is at least clear. Hill’s thesis is simultaneously ground-breaking and reasonable, and he applies it meticulously. My only complaint with his work is his obvious prejudice against gnostic Christians — they are “troublemakers”, they “taunt the orthodox”, they have an “apostate eschatology”, they engage in “heretical boasting”, they possess “aggravating […] pretensions to a super-celestial existence after death”. His comments are, first of all, inappropriately emotional for a scholarly work. Secondly, they are ridiculously biased in favour of the proto-orthodox, who were but one Christian sect among many — thus there can be no question, in the second and third centuries, of “apostate eschatologies”, but merely a number of variant eschatologies. One also notes that, while it is true that the Gnostics may have taunted their opponents, their opponents taunted them right back, and later murdered them and burned their writings to boot. Furthermore, as Hill’s own research proves, non-chiliastic eschatologies such as the gnostic groups presented were at least as common as the chiliastic sort, and were backed up by the authority of the New Testament itself. Hill’s unhistorical propagandizing weakens the impact of an otherwise notable work.
Michael Kaler
7. Goulven Madec, Le Christ de saint Augustin. La patrie et la voie. Paris, Desclée (coll. « Jésus et Jésus-Christ », 36), 2001, 288 p.
Dans cette étude, Goulven Madec pose une question simple : quelle est la place de la christologie dans les oeuvres d’Augustin ? Quelques savants ont avancé que la pensée d’Augustin est généralement plus « théocentrique » que « christocentrique » (p. 256). En effet, il semble à première vue que les questions christologiques jouent un rôle mineur dans ses écrits. Par exemple, dans ses Confessions, Augustin adresse la plupart de ses prières à Dieu le Père. Mais on doit aller au-delà de cette impression pour constater comment la christologie s’insère dans le cadre de la théologie d’Augustin. En fait, l’A. signale qu’une recherche sur les banques de données électroniques nous apprend que le mot Christus apparaît environ 20 000 fois dans les oeuvres d’Augustin (p. 155, n. 61). Pour découvrir le rôle joué par le Christ dans la théologie d’Augustin, l’A. a décidé d’examiner ses oeuvres chronologiquement, période par période.
Et qu’a-t-il découvert ? Bien sûr, Monique, la mère d’Augustin, était chrétienne et son christianisme a laissé une forte impression sur son jeune fils. Mais pour trouver la foi de sa mère, Augustin a dû suivre un long chemin d’explorations intellectuelles. Après sa lecture de l’Hortensius de Cicéron, Augustin a développé un grand intérêt pour les philosophes, mais en même temps, il a déploré le fait qu’on ne pouvait pas trouver le nom du Christ dans leurs écrits (p. 24-25). Il a trouvé ce nom dans les paroles des manichéens, qui manifestaient beaucoup d’enthousiasme pour le Christ (comme l’attestent les « psaumes à Jésus » dans le Psautier manichéen copte). Augustin écrit dans ses Confessions que le nom du Christ « était toujours sur leurs lèvres » (Conf. 3, 6). Mais le fait que ses amis manichéens ne pouvaient pas répondre à ses questions astrologiques (Conf. 5, 3) a causé son départ du mouvement et son passage au scepticisme philosophique. Le Christ a cependant continué d’avoir un impact sur son développement spirituel et intellectuel. Un point très intéressant que souligne l’A. est le fait qu’au moment de sa conversion, lors de la fameuse scène du jardin (le Tolle, lege, Conf. 8, 12), le verset qui frappe Augustin est Romains 13,14 : « Mais revêtez le Seigneur Jésus Christ ». Le Christ est donc bien central au moment de sa conversion.
Après sa conversion, Augustin a participé à une sorte de « retraite philosophique » (otium philosophandi, Contra academicos, 2, 2, 4) à Cassiciacum, où il a composé ses oeuvres philosophiques, telles que le Contra academicos, le De beata vita, et le De magistro. Selon l’A., Augustin a conçu le Christ dans ces écrits comme un magister ou un « maître d’école », qui encourage le développement de l’âme par l’instruction philosophique. C’est une conception idéale et philosophique, qui reflète la tranquillité de cette période de retraite. Plus tard, quand Augustin fut évêque, sa conception du Christ fut plus celle du pastor et de la tête du « corps divin » (p. 154-155). Mais, dans toutes ces périodes, l’influence du néoplatonisme, reflété particulièrement dans le prologue johannique, est omniprésente. Généralement, l’A. démontre qu’Augustin a perçu le Christ comme le médiateur entre l’humanité et Dieu, mais d’une manière vraiment néoplatonicienne et selon les catégories empruntées notamment au Timée (p. 258-259). Il voit les oppositions platoniciennes entre « être » et « devenir », entre l’éternité et la temporalité, résolues dans la nature duelle du Christ. En fait, l’A. suggère que, pour Augustin, le platonisme était vraiment accompli dans le christianisme.
L’étude de Madec est très bien construite. Chaque chapitre est complété par des notes en annexe sur des points particuliers, et illustré de nombreuses citations, qui constituent presque la moitié du livre. Peut-être aurait-on pu envisager un long article sur le sujet, n’était-ce de cette abondance. Néanmoins, l’auteur, qui connaît admirablement le corpus augustinien, a fourni une contribution importante sur un aspect négligé des études augustiniennes.
Timothy Pettipiece
8. Charles Munier, Le pape Léon IX et la Réforme de l’Église 1002-1054. Strasbourg, Éditions du Signe, 2002, 374 p.
L’année 2002 marque le millième anniversaire de naissance du pape Léon IX, né Brunon, qui siégea sur le trône de Pierre de 1049 à 1054. C’est à l’occasion de ce millénaire que l’historien Charles Munier, dont un ancêtre fut gardien de l’ermitage de saint Léon au Leonsberg de Walscheid, a publié une biographie du saint pape. Munier est principalement connu pour ses études sur le christianisme ancien, de même que par ses éditions et traductions d’actes conciliaires et d’oeuvres de Justin et de Tertullien.
Pape de 1049 à 1054, Léon IX fut l’un des précurseurs de la réforme grégorienne. Influencé par Hildebrand de Cluny, le futur Grégoire VII, il fut l’un des premiers à combattre systématiquement la simonie et le nicolaïsme qui sévissaient dans le clergé de l’époque. Léon IX a également effectué quelques réformes de l’administration pontificale, en mettant en place la structure du collège cardinalice et en permettant la nomination de cardinaux « étrangers », c’est-à-dire, non romains. Grand voyageur, il ne séjourna que neuf mois à Rome pendant les cinq années de son pontificat. Léon IX fut également un prince temporel et eut à combattre les Normands qui occupaient l’Italie. Mais cette prise d’armes fut un échec, tout comme sa tentative de rapprochement avec l’Église byzantine et son patriarche Michel Cérulaire.
L’ouvrage est d’abord et avant tout biographique et, malgré son titre, on y traite peu de la réforme de l’Église effectuée par Léon IX. Des treize chapitres que comprend le livre, seulement quatre y sont consacrés. Soulignons cependant la mise en contexte minutieuse des événements marquants de la vie du pape et des épisodes historiques qui l’ont ponctuée.
Jean Labrecque
9. Servais Pinckaers, En promenade avec saint Augustin. À la découverte de Dieu dans les Confessions. Paris, Éditions Parole et Silence, 2002, 161 p.
L’auteur, un dominicain, est réputé pour ses apports à la théologie morale. Militant pour un renouveau de la morale, il a enseigné cette discipline durant vingt ans à l’Université de Fribourg en Suisse. Le titre de l’ouvrage est fidèle au but que poursuit l’A. : faire découvrir Dieu aux lecteurs à travers les Confessions d’Augustin, qui nous sert ici de maître spirituel. Divisé en six chapitres, ce court ouvrage s’ouvre sur une introduction destinée à nous situer par rapport à l’oeuvre d’Augustin. On y étudie les obstacles à affronter pour l’aborder, l’histoire de la spiritualité, de même que l’attitude d’esprit qu’il convient d’adopter avant de débuter la lecture des Confessions. Le premier chapitre est consacré à un résumé de la vie de ce Père de l’Église et à une énumération de ses oeuvres. L’A. procède ensuite à l’analyse de la structure des Confessions, en rendant compte du plan, de la forme et du but de l’oeuvre. Il s’emploie ensuite à découvrir Dieu dans les livres VII et IX des Confessions, et à porter un regard théologique sur la célèbre vision d’Ostie. La découverte de Dieu par Augustin lui servira d’ailleurs de prétexte pour fournir aux lecteurs les moyens de connaître ce même Dieu. L’A. considère Augustin comme un mystique chrétien et en veut pour preuve l’épisode d’Ostie, qui constitue à ses yeux une authentique vision mystique. L’ouvrage se conclut par un court examen de la dernière partie du treizième livre des Confessions : le repos de Dieu lors du septième jour. Nonobstant une orientation fortement théologique et l’absence de bibliographie, l’A. a su respecter les données historiques, tout en demeurant fidèle à son but premier.
Pascale Dubé
10. Raymond Winling, La Résurrection et l’Exaltation du Christ dans la littérature de l’ère patristique. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Théologies »), 2000, 515 p.
Cet ouvrage se situe dans le cadre des efforts entrepris depuis le milieu du xxe siècle pour redonner à la Résurrection/Exaltation du Christ, quelque peu marginalisée depuis le Moyen Âge, une place centrale dans la théologie et la liturgie de l’Église. Cette tendance est une réponse aux théologiens du xixe siècle, qui ont très peu parlé de la Résurrection et qui ont plutôt insisté sur la souffrance et la mort du Christ sur la croix. À ce titre, l’A. exprime son intention dès le début du livre, par une citation de la Catéchèse de Théodore de Mopsueste[8] :
La Résurrection imprime sa marque à tous les miracles que le Christ a opérés pendant l’économie salvatrice. Car toute l’oeuvre salvatrice du Christ trouve son accomplissement dans la Résurrection ; elle constitue la donnée la plus importante parmi toutes ses actions de restauration : c’est par elle que la mort a été vaincue, la corruption corrompue, les douleurs détruites, la mutabilité anéantie, les élans du péché éteints, le pouvoir de Satan brisé […]. Ce qui est promis maintenant, c’est la vie éternelle et incorruptible.
En introduction, l’A. constate qu’il y a un malaise quant à la place de la Résurrection dans la liturgie. La multiplication des fêtes, des vigiles, des piétés populaires ont tendance à détourner les fidèles des mystères fondamentaux de la foi chrétienne. Déjà, Pie X, Jean XXIII et Paul VI avaient entrepris des démarches afin de redonner au dimanche toute sa valeur et sa dignité de « Jour de la Résurrection » : les fêtes des saints ont été supprimées le dimanche ; les dévotions personnelles ont été éliminées pendant l’Eucharistie ; la célébration pascale a vécu un renouvellement ; l’Église voulut insister avant tout sur la vie redonnée en Jésus Christ Ressuscité.
À partir de ce constat, l’A. se propose de faire une étude approfondie afin de tracer un bilan de la doctrine de la Résurrection/Exaltation dans la littérature patristique, d’une part, et de donner une vue d’ensemble sur la question, d’autre part. Dès le départ il se pose quelques questions auxquelles il essaiera de trouver des réponses par la suite : quelle place la Résurrection/Exaltation occupe-t-elle dans la théologie patristique ? la Résurrection/Exaltation est-elle négligée en raison d’autres questions comme l’incarnation, la passion et la mort du Christ sur la croix ? les Pères voient-ils dans la Résurrection/Exaltation du Christ le fondement de la foi chrétienne selon la parole de Paul : « si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi » (1 Co 15,17) ? Une fois ces questions posées et la pertinence d’une telle étude expliquée, l’A. organise son travail en six chapitres. Il garde toujours au centre de son attention la réflexion des Pères sur la Résurrection/Exaltation du Christ et le rôle qu’ils lui accordent dans les disputes christologiques de leur époque.
Dans le premier chapitre, l’A. traite la question de la place qu’occupe la Résurrection du Christ dans la structuration du temps liturgique et dans les « confessions de foi » des premiers siècles de l’Église. Le deuxième chapitre est consacré à la littérature apologétique chrétienne et la défense de la Résurrection/Exaltation du Christ contre les Juifs, les Païens et les Gnostiques. Les Pères vont insister à chaque fois sur la « radicale nouveauté » apportée par la Résurrection/Exaltation au bénéfice de la foi et de l’espérance humaine. Le troisième chapitre traite de la Résurrection du Christ en elle-même. En partant des données néotestamentaires, l’A. nous fait entrer dans l’univers littéraire patristique riche en argumentations bibliques favorables à la Résurrection. Au quatrième chapitre nous avons un développement de la question de l’Exaltation, ultime étape de la vie terrestre du Christ, au cours de laquelle il promet l’envoi du Paraclet. La littérature patristique insiste beaucoup sur l’Exaltation comme étant l’accomplissement parfait de l’économie divine du salut : le Christ, de Dieu qu’il était, s’est abaissé (kénose), et, par la Résurrection/Exaltation, il nous a ouverts à une vie nouvelle avec Dieu (cf. Phil. 2, 6-11). La dimension sotériologique de la Résurrection/Exaltation occupe le cinquième chapitre. Le Christ, étant le Nouvel Adam, représente les prémices des croyants appelés à partager la gloire de Dieu. Enfin, le sixième chapitre présente le chrétien dans l’attente eschatologique. Il se situe entre la Résurrection/Exaltation et la Parousie du Christ à la fin des temps.
L’ouvrage se termine par un bilan sur la place qu’occupe la Résurrection/Exaltation dans la théologie patristique. L’auteur dégage des perspectives pour mieux tirer profit des réflexions patristiques concernant le Résurrection/Exaltation du Christ. Le lecteur, un tant soit peu familiarisé avec la littérature patristique, trouvera dans ce livre une mine de réflexions pour nourrir sa vie spirituelle et pour affermir sa foi en Jésus Christ ressuscité et exalté à la droite de Dieu le Père.
Lucian Dîncà
Éditions et traductions
11. Origen, Homilies on Joshua. Translated by Barbara J. Bruce. Edited by Cynthia White. Washington, D.C., The Catholic University of America Press (coll. “The Fathers of the Church”, 105), 2002, viii-232 p.
This is the first translation into English of Origen’s homilies on the Book of Joshua. These homilies, among the last that Origen gave before his martyrdom, are attested only in Rufinus’ fourth century Latin translation, the original Greek having been lost.
The topic of the homilies is especially evocative for Origen, not only because Joshua is the successor of Moses, who leads the Israelites into the holy land — that alone would be an endlessly significant relationship for Origen’s allegorization — but also because “Joshua” and “Jesus” are in fact the same name, Yeshua. Thus Origen is able to interpret Joshua as a prefiguration of Christ, completing the salvation begun by Moses, who represents the Jewish Law. This transparency of symbolism makes this work perhaps the easiest of Origen’s commentaries or homilies to read : since the typological relationship between Joshua and Jesus and Moses and the Law is so clear and so evident, Origen is never — or rarely — tempted to delve into obscure Biblical reasoning to prove his points.
Of course, the ancient Christian theme of the supercession of a faithless Judaism by a divinely-favoured Christianity is not a comfortable one for us, for good reason. However, it should be noted that at times Origen is positively irenic towards the Jewish people (cf. 3.2, p. 45), and while his theological views compel him to adopt positions which a modern thinker would find offensive, certainly he does not gloat as so many other early Christian authors do.
It is also interesting to note how Origen deals with gender issues. In commenting on Jos. 1:14, where it is said that “infants and women” do not go out to battle, Origen certainly upholds the misogynistic association of women with weakness and men with strength. However, in a surprising and delightfully Origenian move, he denies that this association necessarily applies to the actual gender divisions of people — “for divine Scripture does not know how to make a separation of men and women according to sex” (Hom. 9.9, p. 106). Rather, it has to do with a spiritual means of expression, and therefore the mere fact of being physically male is no guarantee that one will not be spiritually female, and vice versa. This is, of course, very far from any really feminist critique of ancient patriarchy : nonetheless, it’s amusing, and allows for a glimmer of hope.
For those of us who are interested in gnosticism, and particularly the Nag Hammadi collection, it will come as a surprise to see Origen citing the Gospel of Thomas (logion 82 — “He who is near me is near to the fire”, cited in Hom. 4.3, p. 56). Elsewhere (Homilies on Luke 1, Fathers of the Church, vol. 94) Origen condemned the Gospel of Thomas, and in his Homilies on Jeremiah 20.3 he also quoted this very logion but questioned its authority. But here there is no indication that he does not fully accept it as a saying of Jesus. It is introduced by the formula, “It is written […]”, in contrast to references to other non-canonical works which are clearly identified as such. The Assumption of Moses, for example, is “a little book [which is not] contained in the canon” (Hom. 2.1, p. 38), and the Shepherd of Hermas is also described as “a little book” (Hom. 10.1, p. 110). This is extremely intriguing : as the editor notes, although he could note accept the G. Thomas as a whole, Origen “evidently felt the saying had the ring of authority” (p. 56, n. 30), indicating that he had thought deeply enough about the G. Thomas to come to his own conclusions about it.
I have criticized previous volumes of the Fathers of the Church series for editorial or proofreading problems. I am pleased to note that no such criticism is necessary here. The Latin text is rendered in a solid, unambiguous English, and the notes are helpful and clear. The introduction is informative, briefly discussing Origen’s life, his career, his publications, the reception of his writings, and Rufinus’ work as a translator.
Michael Kaler
12. Pamphile, Eusèbe de Césarée, Apologie pour Origène, suivi de Rufin d’Aquilée, Sur la falsification des livres d’Origène. Tome I. Introduction, traduction, commentaire et tables par René Amacker et Éric Junod. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 464), 2002, 335 p.
Pour ceux qui ne lisent pas le latin ou seulement avec difficulté, ce nouveau volume dans la série « Sources Chrétiennes » sera vraiment bienvenu. Il s’agit en effet de la première traduction en langue moderne de ce texte de Pamphile et Eusèbe, traduit en latin et augmenté d’un appendice par Rufin, qui nous livre 34 citations d’Origène autrement sans attestation.
L’Apologie nous montre que, même si Origène a eu des adversaires, il a eu aussi des amis influents, prêts à le défendre contre les charges d’hérésie. Il est très intéressant d’examiner comment ceux-ci structurent leur défense : ils signalent qu’Origène lui-même a reconnu la nature spéculative de ses conclusions, et qu’il faut donc le juger avec équité et charité. Même si certains, disent-ils, ont surestimé les mérites de son oeuvre, cela ne signifie pas que les autres doivent en retour surestimer ses défauts. Ils entreprennent en conséquence d’attaquer ses adversaires : maints d’entre eux, disent-ils, n’ont jamais lu les livres d’Origène ; d’autres qui les ont lus ignorent tout ce qui est « approprié à l’édification de l’âme » et citent seulement « avec un zèle extrême les seuls passages qui profitent à la calomnie » (chap. 14). Pour réfuter ces gens, Pamphile et Eusèbe (et peut-être Rufin, qui ne se limite pas toujours au rôle de simple traducteur) présentent une compilation des extraits des oeuvres d’Origène, dont les premières citations ont pour but de montrer qu’Origène connaissait ce qu’est l’orthodoxie (c’est-à-dire « qu’il a respecté la prédication apostolique », chap. 21), et qu’il connaissait également ce qu’est l’hérésie. C’est seulement après cette démonstration qu’ils examinent ses opinions théologiques.
Leur méthode met donc plus de poids sur l’attaque contre ses adversaires — qui sont motivés par l’ignorance, la jalousie ou simplement l’amour de la calomnie — que sur la défense de ses opinions théologiques. S’il est vrai qu’Eusèbe et Pamphile trouvent des citations de son oeuvre pour soutenir leur assertion que sa théologie était orthodoxe, ces citations sont extraites d’une oeuvre si énorme qu’on pourrait y trouver presque n’importe quoi, y compris des idées tout à fait hétérodoxes qu’ils passent évidemment sous silence.
Le texte Sur la falsification des livres d’Origène, écrit par Rufin pour faire suite à l’Apologie, est aussi fascinant que l’Apologie elle-même. Dans ce court texte, il affirme que certains ont falsifié les livres d’Origène en y introduisant des notions hérétiques, et il affirme qu’une telle falsification a aussi été opérée sur quelques copies des livres de Cyprien et du Nouveau Testament. À une époque où toute reproduction de texte était faite à la main, la falsification était toujours une possibilité, voire une tentation, et il est vraiment intéressant de lire l’opinion d’un auteur de cette époque sur ce problème. Le fait qu’il s’agisse de Rufin ajoute un peu d’ironie à la chose : il a lui-même opéré des « falsifications » sur les livres d’Origène, non pour accentuer son hétérodoxie, bien sûr, mais plutôt pour le montrer plus orthodoxe qu’il ne l’était vraiment.
Il reste, à propos de l’Apologie, quelques questions importantes à élucider. On sait que la version originelle de l’Apologie comprenait six volumes. Pourquoi Rufin a-t-il choisi de traduire seulement le premier livre, et pourquoi ne mentionne-t-il jamais les cinq autres ? Il faut également faire la part des éléments imputables à Pamphile de ceux qui relèvent d’Eusèbe, sans compter ceux ajoutés par Rufin. Les A. soulèvent ces questions, mais il faudra attendre le deuxième volume (déjà sous presse) pour obtenir une analyse plus complète.
Michael Kaler
13. Guillaume Postel, Des admirables secrets des nombres platoniciens. Édition, traduction, introduction et notes par Jean-Pierre Brach. Paris, Librairie Philosophique J. Vrin (coll. « De Pétrarque à Descartes », 70), 2001, 287 p.
Au premier livre de la Défense et illustration de la langue française, Joachim de Bellay, contemporain de Guillaume Postel, met en garde le lecteur contre les errements de la traduction : « Mais que dirai-je d’aucuns, vraiment plus digne d’être appelés traditeurs que traducteurs ? Vu qu’ils trahissent ceux qu’ils entreprennent d’exposer, les frustrant de leur gloire, et par même moyen séduisent les lecteurs ignorants, leur montrant le blanc pour le noir ». Si parfois, en parcourant le De admirandis numerorum platonicorum secretis, le lecteur ne parvient plus à discerner le blanc du noir, il ne doit ce crépuscule qu’aux curieuses dispositions de l’esprit de Postel. Ici, nulle trahison n’entache l’admirable travail de Jean-Pierre Brach, responsable de l’édition, de la traduction, de l’introduction et de l’annotation du présent ouvrage.
Né en 1510 dans une bourgade de Normandie, Guillaume Postel s’éleva jusqu’au cénacle des familiers de François Ier par ses seuls dons intellectuels et linguistiques. Ce dernier lui confia la mission d’acquérir des manuscrits en Orient, où il apprit l’hébreu et le turc. Il s’initia à la kabbale auprès de l’imprimeur vénitien Daniel Bomberg. De retour en France, ses critiques lui causèrent une disgrâce partielle qui semble radicaliser sa pensée. Il quitte la cour et se fait jésuite sans plus de succès, Postel ayant des vues sur la papauté incompatibles avec celles d’Ignace. Lors d’un second séjour à Venise, il croit rencontrer un nouveau Christ en la personne d’une modeste soeur contemplative. Dès lors, son messianisme s’exacerbe, ses écrits sont mis à l’Index et lui-même subit l’Inquisition. Il meurt reclus à Saint-Martin-des-Champs en 1581. L’histoire moderne retiendra de lui ses intuitions linguistiques et surtout son ouverture et sa tolérance envers les autres monothéismes. Il est vrai que son désir de concorde universelle frisait parfois un théisme inouï pour l’époque.
Il nous faut avant tout saluer la publication chez Vrin d’un auteur dont le corpus demeure malheureusement en grande partie inaccessible au seiziémiste, malgré quelques fac-similés et nouvelles éditions chez le suisse Droz notamment. Bien que les mobiles de l’imprimatur ne soient plus les mêmes, la mise à l’Index des oeuvres de Postel en 1555 semble faire preuve d’une étonnante longévité. Pourtant, il fut une figure marquante du seizième siècle dont l’originalité fut relevée tant par la théologie que par l’histoire des sciences, la linguistique et les études féministes. La principale raison de ce désintérêt relatif semble incomber à Postel lui-même. Ses remarquables aptitudes linguistiques et la profondeur de son érudition plombent sa prose, plus près de l’idiotisme que d’une lingua franca. Les méandres de sa pensée, l’exotisme de ses références, la ferveur de son exaltation messianique, les modalités de ses argumentations davantage fondées sur l’analogie que sur la causalité, des étymologies étiologiques erronées (Postel voit dans l’hébreu l’ancêtre des langues romanes et du grec) et une chronologie de l’histoire universelle propre à Postel, tout contribue à transformer la lecture de son oeuvre en une expérience parfois fastidieuse mais toujours déroutante. Mais l’effort à fournir est à la mesure de l’originalité de l’esprit de Postel car, quoi qu’en ait dit l’Inquisition, le taxant de non malus sed amens, il en a un. S’il est vrai que l’on peut douter de l’équilibre du Normand, son intégrité intellectuelle, qu’atteste sa déchéance politique, cautionne les diverses tentatives d’interprétation dont il fut l’objet.
Les études posteliennes modernes connurent une première grande période d’activité sous l’égide de François Secret, directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études, et une seconde, vingt ans plus tard, sous celle de Marion Kuntz. Ces deux figures représentent d’ailleurs assez bien le spectre des études sur le « docte et fol » Postel. F. Secret n’eut cesse de défendre une approche circonstanciée, ponctuelle et synchronique des documents, alors que M. Kuntz privilégia une exégèse plus raisonnée, synthétique et diachronique. Si cette dernière forme d’analyse gagne en intelligibilité, elle rogne quelque peu la fidélité au texte. Lorsque conjuguées, ces démarches permettent une restitution affinée de l’esprit et de la lettre postelienne. Toutefois, le travail strictement éditorial et de traduction devrait plutôt relever de la première facture. En cela, J.-P. Brach règle son pas sur celui de F. Secret. Ce souci de concomitance s’avère des plus opportuns pour deux raisons. D’abord le texte fut rédigé lors d’une période décisive de la vie mouvementée de Postel soit le second séjour vénitien. Il y rencontra Soeur Jeanne qu’il perçoit dès lors telle la nouvelle Ève et partie inférieure de la substance de Jésus-Christ. Les hésitations et les incohérences reflètent donc en partie un messianisme mystique en gestation. La seconde raison provient du mode de création littéraire que préconise notre homme. Sa production semble suivre un cours cyclothymique où les phases frénétiques sont l’occasion d’une activité proprement stupéfiante. Postel se qualifiait de « tachygraphe » et revendiquait une inspiration divine. Une prétention curieuse considérant que la tradition platonicienne dont il se réclame exclut une connaissance discursive des vérités premières. Or la suite de digressions que constitue le De admirandis secretis présente une série d’infléchissements et d’indéterminations qu’il résout progressivement tout au long de l’ouvrage. Là encore, J.‑P. Brach demeure synchrone et s’interdit de clarifier une notion encore nébuleuse avant que Postel ne le fasse lui-même. Il en va de même pour la courte biographie esquissée en introduction omettant les années ultérieures à la rédaction, soit 1549.
Malgré le titre de l’ouvrage, le De admirandis numerorum platonicorum secretis ne se limite nullement au simple traité d’arithmologie. Certes, les nombres, interprétant le Timée de Platon, ont pour tâche de structurer et d’harmoniser les différents degrés ontologiques, de l’âme du monde à la matière. Postel perçoit cette matière telle l’actualisation de l’essence divine et les nombres témoignent de cette procession. Toutefois, le propos de Postel concerne non seulement le salut eschatologique de l’âme humaine, mais aussi celui des corps et de la matière. Postel associe cette sotériologie physique à un principe passif et féminin. C’est au nom de ce principe qu’il voit en Soeur Jeanne le second messie, dont la venue atteste l’ère de la restitution finale.
La diversité des signes de cet âge d’or et les modalités de la concorde qu’il doit instaurer forment la trame, si ténue soit-elle, du traité. Puisque la récession ultime vers l’unité divine reflète la procession des origines, Postel propose plusieurs types de généalogies : linguistiques, ethniques et spirituelles, entre autres. Ces lignées utilisent parfois les métempsychoses dont Postel multiplie les exemples. Les ascendances abordées par l’auteur vont de l’origine japhétique des Gaulois, dont l’hégémonie politique, annoncée pour 1566, est justifiée par la notion de primogéniture, en passant par le rôle des Églises orientales et éthiopiennes dans la transmission de traditions syncrétiques occultées, des cycles de fertilité issus des nombres parfaits aux analogies surprenantes entre la vie politique et la psychogonie platonicienne. Postel dévoile donc tout un vaste réseau de correspondances et de sympathies dont l’ordonnance serait numérique, rapprochant le traité d’une apocalypse.
L’édition de J.-P. Brach est la première impression du texte, bien que Postel lui-même semblait le destiner aux presses, comme en témoignent les nombreux repentirs et corrections qu’offre le manuscrit parfaitement conservé. Ces modifications furent incorporées dans le texte et dans l’apparat critique de la présente édition. Le manuscrit échappa aux avatars habituels et n’exigea qu’un établissement minime, ce qui permet d’affirmer le caractère définitif de l’édition de J.‑P. Brach. Une intégrité que reflète bien la traduction française favorisée d’ailleurs par la prose même de Postel. En effet, la syntaxe latine de la Renaissance expurgée des « barbarismes » médiévaux se révèle chez Postel d’une grande clarté et ne s’empêtre jamais dans un cicéronianisme pourtant fort prisé au seizième siècle, parfois à l’excès. Il semble d’ailleurs éviter le jeu des modes littéraires et les néologismes de la période, répertoriés par René Hoven dans son lexique. Les aspects strictement linguistiques s’estompent rapidement devant les difficultés herméneutiques, les tréfonds de la pensée de Postel étant parfois insondables, pour lui-même peut-être. Mais il demeure que, dans l’ensemble, l’argumentaire de notre illuminé mérite tout l’apparat critique que lui consacre J.‑P. Brach et nous ne saurions trop encenser l’annotation de ce dernier. L’érudition de Postel embrasse un corpus aussi varié qu’imposant. Il puise tant aux traditions chrétiennes, arabes que juives (le texte s’émaille de mots hébreux sans translittération), antiques que médiévales, philosophiques que mythologiques. J.‑P. Brach en vérifie patiemment toutes les références explicites et identifie avec justesse et rigueur les renvois implicites. À titre d’exemple, sur la nature du ciel, Postel affirme : « Nam coelum est materiale et ex elementorum mole ad instar gloriosi corporis aut etiam instar vitri elevatum » (fol. 191v). Et J.-P. Brach de commenter (p. 117) :
L’application du terme « élément » (du grec stoicheia) aux lettres (voir déjà Timée 48b) s’explique par ce symbolisme du quinaire : Postel veut assimiler ici les cinq finales de l’alphabet hébraïque aux quatre éléments traditionnels plus la « quintessence », classiquement mise en rapport avec le ciel depuis Aristote.
Par le biais de Postel, c’est l’ensemble de la cabale chrétienne qu’aborde le présent ouvrage, tout comme il dresse le catalogue d’une certaine littérature disponible au milieu du seizième siècle en Europe. Aussi nous faut-il espérer que l’oeuvre éditoriale de J.-P. Brach porte son regard diligent et rigoureux sur d’autres manuscrits de ce singulier personnage.
Mathieu Sabourin
14.Tertullien, Grégoire de Nysse, Augustin d’Hippone, Maxime le Confesseur, Cassiodore, pseudo-Augustin, L’enfant à naître. Introduction, notes (sauf appendice), guide thématique par Marie-Hélène Congourdeau. Préface par Didier Sicard. Paris, Migne (coll. « Les Pères dans la foi », 78), 2000, 211 p.
Cette collection a l’ambition louable de donner une vitrine aux Pères de l’Église pour le grand public, en publiant en traduction seulement les oeuvres complètes d’un Père ou des dossiers regroupant l’essentiel de la littérature patristique sur une question fondamentale.
Le volume qui nous occupe traite sur un mode théologique d’un sujet d’actualité : le statut de l’embryon, et surtout de son âme. Les puissants lobbies anti-avortement américains en feraient leurs délices, s’ils lisaient le français. Force leur sera de recourir au latin. La présentation du livre explique le choix du sujet par une volonté d’alimenter la réflexion de nos contemporains avec celle des Pères. Dans cette perspective, la préface du Dr Sicard montre bien dans quel sens on cherche à encourager la réflexion, de même que le choix des textes, qui ont tous en commun l’animation de l’embryon dès la conception. Le texte d’introduction de M.-H. Congourdeau éclaire le lecteur sur la genèse de la pensée chrétienne à ce sujet, entre platonisme, stoïcisme et judaïsme. On nous expose également le développement de la théologie sur l’origine de l’âme et le moment de son union avec le corps, et les différentes querelles qu’elle a engendrées en Orient et en Occident, mentionnant au passage que certains auteurs chrétiens furent adeptes de la théorie aristotélicienne de l’animation du foetus au quarantième jour. Chaque texte est présenté en quelques lignes, de même que le contexte qui l’a vu naître. On ne peut néanmoins s’empêcher de sourire lorsqu’elle qualifie de « description crue » le passage traducianiste, où Tertullien explique comment une partie de l’âme s’échappe avec la semence lors de la jouissance sexuelle, afin de former un nouvel être complet, corps et âme, ni d’être agacé lorsqu’elle confond les positions enfin rapprochées des Églises orientales et occidentales sur l’apparition simultanée de l’âme et du corps avec des conclusions scientifiques (p. 35).
Les textes proposés sont les suivants : Tertullien, Sur l’âme, 23-37[9] ; Grégoire de Nysse, La création de l’homme, 28-29 ; Augustin d’Hippone, Lettre 190 ; Maxime le Confesseur, Ambigua à Jean, 42 ; et en appendice Augustin, Enchiridion, 5, 84-87 ; Cassiodore, Sur l’âme, 7 ; pseudo-Augustin (Ambrosiaster), Questions sur l’Ancien et le Nouveau Testament, 23 (Les âmes comme les corps sont-elles transmises par la génération ?). Ce choix de textes met bien en évidence les querelles évoquées dans l’introduction et les positions qu’elles ont parfois obligé les auteurs à prendre. Par exemple, au début du iiie siècle, Tertullien affronte les gnostiques qui, par le créatianisme, affirment que Dieu crée des âmes bonnes et des âmes mauvaises. Refusant de rendre le Créateur responsable du mal, Tertullien réplique que les âmes des nouveau-nés sont formées de la substance de l’âme des parents, ce qui explique la transmission du péché originel. Au ve siècle, Augustin refuse catégoriquement le traducianisme, qui amène à la conclusion que les âmes, principes spirituels, ne seraient pas créées par Dieu. Le principe qui régit le choix des textes est donc tout à fait intéressant, mais orienté. D’une part, il y manque des représentants orthodoxes d’une pensée qui est aujourd’hui hétérodoxe (l’embryon n’a pas d’âme dès sa conception). D’autre part, la Lettre 190 d’Augustin détonne un peu, car elle s’intéresse plus au péché originel qu’au problème de la jonction de l’âme au corps ou de la nature de cette âme (végétative, animale ou rationnelle). Le souci d’Augustin est seulement de déterminer si cette âme est créée ou transmise. Le panorama amorcé dans le recueil s’en trouve rompu et cela est regrettable. Il apparaissait sans doute inconcevable qu’un tel ouvrage ne contienne pas de texte de ce grand théologien, cependant on se serait contenté du court extrait de l’Enchiridion présenté en appendice, qui est plus intéressant. En outre, il est un peu frustrant de ne trouver qu’une fraction de traduction d’un texte aussi difficile que le traité Sur l’âme de Tertullien, qui ne bénéficie toujours pas d’une traduction française.
De façon générale, les présentations et les traductions sont d’excellente qualité. Seul l’appendice, notamment en ce qui a trait au pseudo-Augustin (Ambrosiaster, pour lui attribuer son nom conventionnel) semble avoir souffert de quelque rapidité d’exécution. M. Caspar, qui est responsable de cette partie du livre, connaît bien son sujet, mais n’est guère renseigné sur l’Ambrosiaster en particulier. On ne peut lui en vouloir, il s’agit d’un auteur sur lequel nous savons fort peu de chose. Cependant, lorsqu’il décèle dans la question 23 « une connaissance approfondie » de l’Explication littérale de la Genèse d’Augustin, écrite entre 401 et 415, on est en droit de hausser le sourcil, puisque n’importe quel précis de littérature chrétienne nous apprend que l’Ambrosiaster a été actif entre 374 et 384 (ou peut-être 390), donc avant même qu’Augustin n’écrive ce commentaire[10]. Cet état de faits invalide les remarques sur les écarts de l’Ambrosiaster par rapport à son « modèle » (par exemple p. 178, n. 5). Ce parti pris empêche également de voir, au sujet d’une possible émanation de l’âme au moment de l’éjaculation, une allusion à l’avortement spontané, comme chez Augustin (p. 179, n. 7) ; il s’agit en fait d’une réponse de l’Ambrosiaster au traité Sur l’âme de Tertullien. Ensuite, on accuse l’Ambrosiaster de « mal » citer le texte des Septante (p. 167), comme si M. Caspar ne connaissait pas la problématique des Vieilles Latines. Enfin, en note à la traduction de Cassiodore, le brave sénateur est confondu avec le pseudo-Augustin (p. 173, n. 3). Ces approximations sont regrettables, car les textes qui composent cet appendice sont fort intéressants et M. Caspar ne manque pas de crédibilité sur le sujet de l’embryon. Il aurait été avantageux qu’il ait bénéficié de la collaboration de Mme Congourdeau pour élaborer la présentation et les notes.
Le recueil est complété par un « guide thématique », qui offre une récapitulation pratique des arguments par thèmes, et d’index des citations bibliques et des personnages cités. L’ensemble bénéficie d’une présentation claire et de qualité.
Le seul reproche que l’on pourrait sérieusement faire à cette collection est le suivant : dans un désir de rendre hommage à l’oeuvre monumentale de l’abbé Migne, plusieurs textes sont traduits d’après l’édition reproduite dans les Patrologies grecque ou latine. Or, beaucoup de ces textes ont bénéficié d’une édition de meilleure qualité depuis[11] et l’on se demande parfois ce qui a motivé le choix du texte par le traducteur.
Marie-Pierre Bussières
15. Theodoret of Cyrus, Commentary on the Psalms, Psalms 73-150. Translated by Robert C. Hill. Washington, D.C., The Catholic University of America Press (coll. « The Fathers of the Church », 102), 2001, xii-383 p.
This volume contains the commentaries on Psalms 73 to 150 by Theodoret. Psalms 1-72 are found in Volume 101 of the series, which also includes the translator’s introduction and Theodoret’s preface, to which there are a few references, in footnotes, in this volume. This volume is an English translation and aims to focus on Theodoret’s exegetical works, including both short and long forms of the Commentary on the Psalms ; his Greek text of the Psalter ; the Commentary’s “nature, purpose, characteristics, and influences” ; an analysis of Theodoret as an interpreter of the Psalms as well as his wider perspective on Scripture ; the spirituality and Christology of the Commentary ; and other theological and moral emphases. The translation itself is a bit florid, and thus comes across as an older translation, but is still completely comprehensible.
The primary purpose behind this Commentary was to confirm apparent prophecy within the Psalms, to verify, as it were, the success of Christianity at that time, as well as the contemporary state of affairs of the Jews and pagans who had not converted. While Theodoret was not much interested in documenting history, another, longer, re-edited version of the Commentary did have an even stronger Christological bent, often either contradicting, or rendering the original text redundant.
As for Hill’s commentary, the footnotes, as well as the introduction in Volume 101, do provide historical context, as well as comparing Theodoret’s interpretation, and presentation of that interpretation, of the psalms with that of other ancient, and modern commentators. The footnotes are filled with remarks about how “typically” Theodoret interprets a passage, or that Chrysostom would have presented it from a preacher’s perspective, etc. Often these comments take on a humorous, but sometimes almost editorial, tone. They are also difficult to confirm for the non-specialist, but there is a select bibliography found in Volume 101. There are also intermittent descriptive idioms that may not be known to readers outside of a certain region — certainly, they were unfamiliar to this reviewer. Hill also includes helpful biblical intertextual references where necessary.
Overall, I found Hill’s own commentary to be entertaining and as a rule informative and erudite, although he did refer to both Psalms 118 and 130 as Martin Luther’s favourite Psalm, which indicates a minor confusion on, at least, this point. Without the first volume, it is hard to say how useful the unreferenced citations of modern commentators would be to the non-specialist, but for the specialist this would not be a problem, and Volumes 101 and 102 are, of course, intended to be a set. Taken as a whole, the objectives of Hill have been met. This set provides more than just a translation ; it also provides some historical, spiritual, and academic context for the reader.
Jennifer Wees
Parties annexes
Notes
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[1]
Étienne Trocmé, « Le christianisme primitif, un mythe historique », Études théologiques et historiques, 49 (1974), p. 15-29.
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[2]
Stanley K. Stowers, A Rereading of Romans. Justice, Jews and Gentiles, New Haven, Yale University Press, 1994.
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[3]
Voir les contributions de D.J. Harrington et d’A. Saldarini, dans D.E. Aune, éd., The Gospel of Matthew in Current Study : Studies in Memory of William G. Thompson, S.J., Grand Rapids, Michigan, Eerdmans, 2001 ; aussi J. Andrew Overman, Matthew’s Gospel and Formative Judaism : A Study of the Social World of the Matthean Community, Philadelphia, Fortress Press, 1990 ; Anthony J. Saldarini, Matthew’s Christian Jewish Community, Chicago, University of Chicago Press, 1994 ; Alan F. Segal, « Matthew’s Jewish Voice », dans David L. Balch, éd., Social History of the Matthean Community, Minneapolis, Fortress Press, 1992. Des vues analogues ont été exprimées à propos de l’Évangile de Luc.
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[4]
Clifford Geertz, Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973 (1966), spécialement le chapitre intitulé « Religion as Cultural System », p. 87-125.
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[5]
Les commentaires passent généralement sous silence cette particularité de l’Apocalypse de Jean de Patmos ; le commentaire de David E. Aune, Revelation 17-22, Nashville, Thomas Nelson (coll. « Word Biblical Commentary », 52C), 1998, p. 1174-1175, constitue une exception notable et renvoie à 4Qtemple 47,3-5 : « La ville que je consacrerai pour y faire demeurer mon nom et (établir) [mon] sanctuaire [en son milieu] sera sainte et pure de toute espèce d’impureté qui (pourrait) les souiller » (trad. A. Caquot, dans A. Dupont-Sommer, M. Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard [coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 337], 1987, p. 105-106).
-
[6]
M. Riffaterre, La production du texte, Paris, Seuil, 1979.
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[7]
P. Ricoeur, « L’identité narrative », dans P. Bühler, J.-F. Habermacher, dir., La Narration. Quand le récit devient communication, Genève, Labor et Fides, 1988, p. 287.
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[8]
Théodore de Mopsueste, Les homélies catéchétiques, 7, 4, traduction du syriaque par Muriel Debié, Guy Couturier et Thaddée Matura, introduction par Antoine de Lourmel, annotations par Muriel Debié et A.-G. Hamman, Paris, Migne (coll. « Les Pères dans la foi »), 1996, p. 62-63.
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[9]
Et non, 23-38, comme semblerait l’indiquer la notation en chiffre romain donnée en p. 38, par dittographie.
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[10]
Par ailleurs, on sait qu’Augustin cite l’Ambrosiaster (cf. J.H. Baxter, « Ambrosiaster cited as “Ambrose” in 405 », Journal of Theological Studies, 24 [1923], p. 187), ce qui pourrait nous inciter à croire que si dépendance il y a, elle existe dans le sens inverse à celui pressenti par M. Caspar.
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[11]
Par exemple, les Lettres d’Augustin, Sancti Aurelii Augustini Hipponensis Episcopi Epistulae, texte critique et commentaire par A. Goldbacher, Vienne, Tempsky ; Leipzig, Freitag, 1911, « Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum », 57 (pour la lettre 190) ; Ambrosiaster, Pseudo-Augustini Quaestiones Veteris et Noui Testamenti CXXVII, texte critique et introduction par A. Souter, Vienne, Tempsky ; Leipzig, Freitag, (coll. « Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum », 50), 1908. En revanche, les traductions de Tertullien, de l’Enchiridion et de Cassiodore sont faites d’après des éditions récentes.
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[*]
Précédentes chroniques (sous le titre « Ancienne littérature chrétienne et histoire de l’Église ») : Laval théologique et philosophique, 45 (1989), p. 303-318 ; 46 (1990), p. 246-268 ; 48 (1992), p. 447-476 ; 49 (1993), p. 533-571 ; 51 (1995), p. 421-461 ; 52 (1996), p. 863-909 ; 55 (1999), p. 499-530 ; (sous le présent titre) : 57 (2001), p. 121-182 ; 57 (2001), p. 337-365 ; 57 (2001), p. 563-604 ; 58 (2002), p. 357-394 ; 58 (2002), p. 613-639.