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Mise en contexte

La Convention citoyenne pour le climat (CCC) a été un objet démocratique novateur en France. Son caractère « hors normes » en fait une exception parmi les pratiques de mini-publics délibératifs (Smith, 2022 : 278). Assemblée de citoyens tirés au sort et représentative de la population française, la CCC s’est vu confier le mandat de définir des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) en France d’au moins 40 % d’ici 2030[1]. Réunie pendant plusieurs sessions de travail entre octobre 2019 et juin 2020, la CCC a élaboré, grâce au soutien d’un comité légistique, des mesures législatives et réglementaires pour atteindre l’objectif fixé.

La CCC fait partie des assemblées citoyennes pour le climat mises en place à travers le monde qui favorisent une délibération inclusive permettant de résoudre les difficultés de la démocratie représentative à prendre en charge le changement climatique (Giraudet et al., 2022 : 2). La démocratie représentative n’est pas en mesure d’intégrer la pluralité des valeurs environnementales dans les décisions et d’incarner toutes les préoccupations écologiques des individus (Smith, 2003 : 29). Elle incorpore difficilement les communautés non humaines qui subissent les choix politiques néfastes à l’environnement dans le processus de décisions (Eckersley, 2017). Or, il est devenu indispensable d’insuffler davantage de démocratie dans les décisions afin de favoriser plus de participation et de débats dans l’élaboration des choix politiques écologiques (Eckersley, 2017). La délibération, échange raisonné d’arguments, repose sur des critères d’inclusion, d’égalité entre les participants, de respect et d’écoute des points de vue (Talpin, 2013). Elle « facilite la prise en compte des impacts à long terme des choix politiques » (Fourniau, 2022 : 17) et favorise une prise de décision plus sensible aux considérations environnementales, car toutes les valeurs environnementales peuvent être exprimées et prises en compte (Smith, 2003 : 2). La CCC, expérience dont « les interactions sont de nature délibérative » (Apouey, Fourniau et Tournus, 2022 : 49), s’inscrit dans un mouvement global d’innovations démocratiques visant à résoudre la « crise de la représentation » (Courant, 2020 : 486). Elle n’a pas vocation « à court-circuiter la démocratie représentative » (Van Lang, 2020 : 522), mais bien à servir de remède face à son incapacité à prendre en charge les défis écologiques complexes.

Pour les tenants de « l’approche systémique » de la délibération, la qualité de cette dernière dépend de son intégration dans un « environnement systémique » plus large (Mansbridge et al., 2012 : 25). Le système délibératif implique de multiples lieux de délibération, dont les assemblées législatives et les mini-publics délibératifs (Dryzek et al., 2019 : 1146). L’amélioration du système délibératif nécessite que la délibération ait un impact en dehors du dispositif délibératif lui-même pour l’élargir à une arène plus vaste. Pour cela, plusieurs voies sont possibles (Dryzek et Niemeyer, 2010 : 169). Parmi elles, un dispositif délibératif peut être intégré au processus d’élaboration des politiques, comme c’est le cas de la CCC. L’impact des dispositifs délibératifs dépend toutefois en grande partie des systèmes politiques eux-mêmes et de la manière dont ils sont susceptibles d’y être accueillis (Dryzek et Niemeyer, 2010 : 169).

L’accueil de la CCC dans la procédure d’élaboration des lois en France n’avait rien d’évident. L’incertitude était grande quant à l’avenir des 149 propositions présentées dans un rapport final au président de la République et à leur intégration dans des normes juridiquement contraignantes. Ce dernier s’était engagé à soumettre « sans filtre » les propositions soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe[2], donc à en assurer une traduction normative. Certaines propositions de la CCC étaient déjà « prêtes à l’emploi[3] », le comité légistique les ayant transcrites juridiquement afin de leur donner une portée juridique maximale. Néanmoins, entre une transposition totale des mesures législatives de la CCC dans la loi, difficilement envisageable, et l’absence de prise en compte du travail de celle-ci dans l’élaboration de la loi, politiquement dommageable, l’écart était grand. Pourtant, si on considère que la CCC, par son caractère délibératif, améliore la qualité de la loi dans la perspective d’une meilleure protection de l’environnement, il apparaît essentiel de la concilier avec la représentation élue, car in fine seuls les élus par leur vote sont susceptibles de concrétiser les propositions dans la loi.

Longtemps restés « à la porte des institutions parlementaires » (Lewis et Slitine, 2016 : 69), les citoyens se frayent aujourd’hui un chemin dans la procédure législative jusqu’alors limitée « à un cercle assez étroit d’acteurs appartenant [au] complexe politico-administratif » (Mader et Karpen, 2005 : 5). Quelques dispositifs consultatifs, en France, ont ouvert partiellement l’élaboration de la loi aux citoyens. Les commissions parlementaires dans le cadre de missions d’information ont, à plusieurs reprises, consulté les citoyens sur des enjeux tels que la transition énergétique, l’identité numérique ou encore l’abstention électorale. Dans le cadre des fonctions législatives de l’Assemblée, la proposition de loi Claeys-Leonetti avait, par exemple, été soumise à une consultation publique numérique[4]. Des expérimentations mises en oeuvre par les députés eux-mêmes ont tenté d’intégrer les citoyens au travail d’élaboration de la loi[5].

Sans modifier le fonctionnement des assemblées parlementaires, ces dispositifs permettent progressivement aux citoyens d’« investir la fabrique de la loi dont ils sont traditionnellement écartés en raison du système représentatif » (Vidal-Naquet, 2022). Ils traduisent « la remise en cause de l’exclusivité des représentants élus pour énoncer la volonté générale » (Buge, 2021 : 70) qui trouve son expression dans la loi adoptée par le Parlement. Ces différents dispositifs s’opposent, dans une certaine mesure, à la conception classique du régime représentatif par laquelle la volonté générale s’exprime uniquement à travers les représentants élus, selon une lecture restrictive de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 qui énonce que « [l]a loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ». Les expériences participatives et délibératives « mettent en oeuvre – ou du moins mettent en scène – une redistribution du pouvoir entre les élu·e·s et les citoyen·ne·s ordinaires » (Talukder, Bedock et Rangoni, 2022). Les citoyens ne sont ainsi plus cantonnés uniquement à leur rôle d’électeurs propre au modèle représentatif de la démocratie (Clarenne et Jadot, 2021 : 9). Ces récentes transformations traduisent l’idée que « dans une société démocratique et pluraliste, la loi est définie […] dans le cadre d’une procédure ouverte et transparente, garantissant une prise en compte adéquate de toutes les informations, de tous les intérêts et de toutes les valeurs pertinentes » (Mader et Karpen, 2005 : 6).

Malgré tout, le succès de ces dispositifs permettant aux citoyens de prendre part à l’élaboration de la loi est plutôt relatif. La co-législation demeure un « procédé d’appoint qui s’inscrit dans le maintien et le respect des prérogatives du législateur » (Vidal-Naquet, 2022).

La CCC étant dépourvue de compétence normative effective (Baranger, 2020), l’avenir de ses propositions reposait donc entièrement sur le bon vouloir du gouvernement d’un côté et des parlementaires de l’autre. Eux seuls étaient en mesure de traduire la volonté de la CCC dans des normes contraignantes. Or, du point de vue des élus, les mini-publics sont particulièrement paradoxaux (Talukder, Bedock et Rangoni, 2022), car l’élection et le tirage au sort « incarnent des conceptions rivales de la représentation » (Vandamme, 2018). S’intéresser à la façon dont les gouvernants allaient concrétiser normativement les propositions de la CCC conduit à interroger la perception qu’ils ont eue du dispositif, et plus particulièrement la perception qu’en ont eue les députés français élus au suffrage universel direct.

Nous avons formulé une question de recherche[6] : comment les députés ont-ils perçu la CCC et son intégration à la procédure législative ?

Après s’être longtemps concentrée sur l’étude de l’attitude des gouvernés envers les gouvernants, la littérature en sciences sociales s’est attachée plus récemment à examiner les perceptions qu’ont les gouvernants des dispositifs participatifs et délibératifs. Close (2020) étudie les facteurs de soutien aux référendums et aux dispositifs délibératifs chez les élus des pays européens. Son analyse met en évidence un soutien plus élevé en faveur des « événements délibératifs », car les élus « conçoivent ces dispositifs non pas comme des alternatives, mais plutôt comme des mécanismes complémentaires aux processus représentatifs » (Close, 2020 : 214). Examinant la réception par les acteurs politiques traditionnels d’un mini-public, le Parlement citoyen pour le climat, Niessen montre que les politiciens et les parties prenantes accueillent favorablement ces dispositifs tant qu’ils demeurent consultatifs. Les mini-publics peuvent rencontrer une opposition de la part des acteurs politiques « dès lors qu’ils visent à occuper une place dans la prise de décision politique qui va au-delà d’utilisations occasionnelles et consultatives » (Niessen, 2019 : 495). De la même façon, Reuchamps et Sautter (2022) montrent que, malgré une ouverture à la participation citoyenne dans les parlements belges, les élus souhaitent maintenir leur autorité et leur marge de manoeuvre sur la prise de décision publique. Talukder et ses collaborateurs mettent en évidence un discours soit ambivalent, soit hostile aux dispositifs participatifs et délibératifs chez les députés belges francophones, discours ancré sur une « hiérarchie de compétence et de légitimité entre les responsables politiques et les citoyen·ne·s » (Talukder, Bedock et Rangoni, 2022 : 114). Dans l’ensemble, les études sur la perception par les gouvernants des dispositifs participatifs et délibératifs signalent un refus des élus de partager leur pouvoir de décision avec les citoyens non élus.

Notre recherche s’inscrit donc dans la suite des travaux précurseurs menés en Belgique sur cette thématique. Elle se distingue en ce qu’elle s’intéresse à la perception par les députés français d’un seul dispositif délibératif, la CCC, au moment de l’étude à l’Assemblée nationale de la loi reprenant une partie de ses propositions. De plus, la CCC a été organisée ad hoc en dehors de l’Assemblée nationale sur une décision unilatérale du président de la République alors que les recherches réalisées en Belgique s’intéressaient à la perception par les élus de dispositifs dont ils étaient le plus souvent commanditaires ou coorganisateurs. Par ailleurs, la recherche juridique réalisée vise à mettre en lumière, à travers la perception de ces acteurs et le fonctionnement pratique de l’Assemblée nationale, les freins institutionnels à concilier dispositif délibératif et représentation élue. Elle cherche à éclairer, à travers ce qu’ont perçu les députés, les limites juridiques de l’intégration du procédé délibératif dans l’élaboration de la loi.

L’article est divisé en plusieurs parties. Nous détaillerons les méthodes de collecte de données et d’analyse utilisées. Puis, les résultats de l’enquête seront présentés et mis en perspective. Les limites des résultats seront enfin discutées avant de conclure.

Méthodologie

Recueil des données

Le recueil des données s’est appuyé sur deux méthodes qualitatives complémentaires. La première partie de l’enquête a été réalisée par « participation observante[7] » (Schnapper, 2010 : 13) au sein de la commission spéciale chargée de l’examen de la loi Climat et résilience à l’Assemblée. Dans cette recherche en droit, la participation observante visait à étudier les pratiques et à dépasser l’opacité de la préparation des textes de loi en ayant accès « aux coulisses » de la procédure législative. Le caractère fermé des travaux préparatoires de l’Assemblée rendait difficile la réalisation d’observations directes. Pour pallier cette difficulté, nous avons choisi de postuler en stage à la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire (CDDAT) en présentant notre projet de recherche doctorale.

Nous avons travaillé sur le titre III de la loi Climat et résilience durant 6 mois. Les observations ont été recueillies tout au long de l’examen du texte à l’Assemblée[8] dans un carnet de notes et sur ordinateur personnel. Le double statut de chercheuse et de stagiaire a parfois rendu difficiles la prise de notes et la tenue rigoureuse du journal de recherche. À plusieurs reprises, les observations ont été notées de mémoire après le déroulé des faits. Néanmoins, ce double statut a permis d’accéder à des matériaux exclusifs et à une compréhension pratique de la procédure législative et de ses travaux préparatoires[9].

La participation observante a été essentielle pour la réalisation des entretiens. Elle a fourni un cadre de référence pour construire un guide d’entretien grâce à une connaissance fine de la loi étudiée et du rôle des députés, et a facilité le recrutement des députés par l’utilisation d’une adresse courriel institutionnelle.

Ainsi, 16 entretiens semi-dirigés ont été menés auprès de députés. Ces derniers ont été sélectionnés selon plusieurs critères, pour avoir un échantillon paritaire et représentatif de toutes les tendances politiques de l’Assemblée : l’appartenance à la commission spéciale ou la prise de position en séance sur la CCC, l’affiliation partisane et le genre. 37 députés ont été contactés par courriel. Deux relances ont été effectuées. Sur les 37 députés sélectionnés, 15 ont accepté l’entretien, et un député a été recruté par « effet boule de neige ». Des 16 participants à notre enquête, 6 sont membres de la majorité, 9 de l’opposition, et un est un député non inscrit. Sur les 9 groupes politiques qui composaient l’Assemblée en 2021, les députés de 3 groupes ont refusé de participer à des entretiens. Néanmoins, vu l’importance sur le plan de la représentativité des 6 autres groupes ayant accepté l’invitation, l’échantillon représente 90 % des tendances politiques de l’Assemblée. La moyenne d’âge de l’échantillon est de 55 ans. Il est composé de 13 hommes et de 3 femmes. L’échantillon est plutôt homogène du point de vue du genre et de l’âge, mais relativement diversifié au sein de l’échiquier politique. Les entretiens ont duré en moyenne 33 minutes ; 5 ont été réalisés en personne, 10 en visioconférence et 1 par téléphone. Ils ont été effectués entre le 19 mai 2021 et le 9 septembre 2021. Un guide d’entretien souple a été utilisé. Il comportait deux grands thèmes à aborder : le rapport du député à la CCC et son influence sur ses travaux, et le rapport du député à la participation citoyenne en général. Suivant le fil de la discussion, les différents thèmes ont été abordés dans un ordre flexible.

Analyse des données

Les données collectées ont été traitées grâce à une analyse thématique. Cette dernière vise à repérer et à regrouper les thèmes abordés dans un corpus, pour relever ceux en lien avec les objectifs de recherche et être en capacité « de tracer des parallèles ou de documenter des oppositions, des divergences, des complémentarités » entre eux (Paillé et Mucchielli, 2021 : 271). La thématisation vise à transposer un corpus en des thèmes représentatifs du contenu analysé en lien avec la problématique de recherche (Paillé et Mucchielli, 2021 : 270)[10].

Pour procéder à l’analyse thématique, une transcription intégrale des entretiens a été effectuée. Puis, à l’aide du logiciel NVivo, des « codes » ont été attribués à l’entretien qui paraissait le plus riche en information. Certains codes redondants ou proches ont été fusionnés. Les codes ont ensuite été regroupés en fonction de leur convergence vers une thématique commune[11], de sorte que se dessine un arbre thématique rassemblant l’ensemble des regroupements thématiques dans des thèmes et des sous-thèmes (Paillé et Mucchielli, 2021 : 309). Les autres entretiens ont par la suite été codés, des extraits s’intégrant dans les thèmes existants ou en suscitant de nouveaux. Cette démarche est qualifiée de thématisation en continu, car les thèmes sont attribués de façon ininterrompue en construisant simultanément l’arbre thématique (Paillé et Mucchielli, 2021 : 275). Les notes d’observation ont finalement été codées de la même façon, et intégrées à l’arbre thématique.

Dans l’espace restreint de cet article, nous nous concentrerons sur la perception par les députés de la CCC et de son intégration à la procédure législative. Le rapport des députés à la participation en général et l’étude des spécificités de la CCC relativement à la participation ne pourront être développés ici et feront l’objet d’une analyse ultérieure[12].

Afin de procéder à un regroupement de thèmes en lien avec la CCC et pour faciliter l’analyse des résultats, les thèmes ont été classés dans trois rubriques : la perception par les députés du dispositif de la CCC, de sa fonction, puis des relations entre les acteurs du processus législatif. Les résultats présentés sont divisés en trois sections présentant ces rubriques.

Résultats

Les résultats montrent dans l’ensemble que la légitimité de la CCC n’a pas été communément admise par les députés interrogés (1). Ces derniers ne perçoivent pas le dispositif comme devant être associé à l’élaboration de la loi (2). Enfin, il ressort essentiellement de l’analyse que la CCC met en lumière aux yeux des députés interrogés le déséquilibre des pouvoirs de la Ve République (3).

1. La légitimé de la CCC

La question de la légitimité de la CCC a été centrale dans les entretiens. Une grande majorité des députés ont exprimé des doutes concernant la légitimité du dispositif. L’étendue du mandat confié à la CCC, son mode de sélection et le déroulement de ses travaux suscitent l’incompréhension chez certains, la défiance chez d’autres.

Seuls quelques députés ont exprimé des positions favorables sur le déroulement de la CCC. Pour l’un d’entre eux, la CCC a été « un beau laboratoire de ce que peut donner des citoyens représentatifs […] s’ils se mettent au travail dans une attitude d’écoute, de bienveillance, […] de curiosité et d’éthique ». Au contraire, une majorité des députés jugent qu’il y a eu des failles dans la méthode.

Pour plusieurs députés, le mode de sélection par tirage au sort a manqué de clarté et de transparence. « C’est complètement opaque, occulte, personne n’a été capable de dire précisément comment ça s’est fait […], quand on a eu des bribes d’informations, ça a été en off, mais jamais ni à la commission, ni en séance publique », affirme explicitement l’un d’eux. Quelques-uns vont jusqu’à douter de la sincérité du mode de sélection, l’un qualifiant même la CCC d’« énorme escroquerie ».

L’acceptation du tirage au sort comme moyen légitime de sélection influe sur l’acceptation du caractère représentatif de la CCC. Les députés qui remettent en cause le tirage au sort doutent de la représentativité de la CCC. D’autres députés sont plus nuancés. Sans remettre en cause sa représentativité, un député soutient que ses membres ne sont pas nécessairement plus représentatifs que les élus, « qui, régulièrement, rencontrent les électeurs et sont confrontés à la validation de l’électorat ».

Malgré ces critiques, plusieurs députés ne remettent pas en cause le tirage au sort comme moyen légitime de sélection. Parmi eux, plusieurs reconnaissent la représentativité de la CCC, et l’un admet qu’il n’y a pas plus représentatif que la sélection par tirage au sort.

Ce sont les doutes sur l’impartialité et l’indépendance de la CCC qui cristallisent le plus chez les députés la contestation de sa légitimité. Le fait que les membres de la CCC aient accepté de participer « crée un prisme ». Ils sont arrivés avec des idées préconçues et une inclination aux questions environnementales. De plus, pour plusieurs, les consultations menées étaient incomplètes et la diversité des organismes consultés limitée, ce qui a conduit à ce que la CCC soit informée de façon insuffisante durant ses travaux. « Ils n’ont auditionné quasiment que des ONG environnementales », affirme un député. Dès lors, pour la moitié des députés, les membres de la CCC n’ont pas formulé des propositions impartiales.

La CCC a également manqué d’indépendance dans ses travaux. Les députés interrogés dénoncent une influence exercée par les garants, par les experts qui ont « tenu le stylo » ou par des partis politiques. « Il y a le jeu politique, qui fait que ces citoyens […] ne sont pas hermétiques », admet un député. Malgré cela, plusieurs députés critiquent l’étanchéité de la CCC, les députés n’ayant pas été invités à y participer. « La Convention citoyenne d’une part, le Parlement d’autre part ont travaillé en parallèle, mais ne se sont jamais rencontrés […], chacun […] essayant peut-être d’imposer à l’autre ce qui était le mieux », explique un député. Certains députés admettent s’être rapprochés personnellement ou par leurs groupes politiques des membres de la CCC. Il y a ainsi une disparité entre les députés, plusieurs n’ayant pas du tout été en contact avec la CCC. « On a voulu nous faire croire que la Convention citoyenne pour le climat se faisait en vase clos et qu’on ne pouvait pas approcher les citoyens », signale un député qui regrette de n’avoir pas été plus en contact avec les membres de la CCC.

L’absence d’impartialité et d’indépendance se traduit pour plusieurs députés dans les propositions de la CCC. Les membres de la CCC ont acquis une « opinion politique sur l’écologie ». Aux yeux de certains, cela a conduit la CCC à adopter un angle uniquement environnemental, au détriment des autres sphères. Pourtant, parmi eux, quelques-uns admettent que l’étendue du mandat de la CCC était satisfaisante en raison du caractère transversal de la transition écologique. D’autres estiment à l’inverse que le mandat était trop vaste, ce qui a donné une loi trop générale qui rend difficiles l’information du grand public et son explication sur le terrain.

Dans une moindre mesure, la question de la compétence des membres de la CCC a été soulevée. Quelques députés considèrent que le sujet du changement climatique est trop complexe. Pour l’un d’entre eux, il est impossible que les membres de la CCC puissent devenir des experts dans plusieurs domaines en quelques sessions de travail seulement. Cette position n’est cependant pas partagée par la majorité des députés interrogés et est clairement réfutée par un député, pour qui des citoyens suffisamment éclairés n’ont pas besoin d’être des experts du sujet pour arbitrer entre des solutions.

2. Fonctions de la CCC

Il ressort des entretiens une perception contrastée de la fonction de la CCC. Trois fonctions sont mises en avant par les députés : une fonction pédagogique, une fonction d’acceptabilité sociale et une fonction d’association des citoyens au travail législatif.

Pour la moitié des députés, la fonction de la CCC est principalement pédagogique. Elle a permis d’élever le niveau de connaissances de ses membres sur la transition écologique et sur le fonctionnement des institutions. « C’est l’occasion aussi de pouvoir expliquer le rôle et les règles de nos institutions », explique un député. Un autre admet qu’il aurait souhaité que le processus aille plus loin et que les membres de la CCC voient véritablement le travail que font les députés au quotidien. La CCC assure également un lien privilégié avec le grand public, car l’objectif est « d’infuser tout le public français ». La CCC et sa conciliation avec le travail des députés permet que les mesures soient comprises par l’ensemble des citoyens.

Pour une partie des députés, la CCC est un outil d’acceptabilité des décisions. Elle est elle-même une réponse à un problème « d’acceptabilité sociale » qui s’est manifesté par la crise des Gilets jaunes. Elle permet aussi de mesurer l’acceptabilité des décisions en matière de transition écologique, comme l’explique un député :

Donc, moi, j’avais […] en tête que les conclusions de la Convention […] qu’ils allaient […] nous suggérer seraient de nature à éclairer nos débats et peut-être à aller plus loin que ce qu’on avait fait, et [nous permettraient] de voir, de mesurer le degré d’acceptabilité des citoyens par rapport à des mesures dont on pensait qu’elles seraient peut-être un peu trop hâtives.

Pour quelques-uns, le rôle de la CCC est de montrer à quelle société les Français sont prêts à adhérer. « Le rôle de ces conventionnels, c’est […] de dire : voilà un projet de société, la politique, qu’est-ce qu’on est prêt à faire », explique un député. D’autres, au contraire, vont nuancer ce constat en considérant que la CCC n’a pas permis de créer de l’acceptabilité. Elle a échoué à concilier l’acceptation sociale et économique et la question environnementale en adoptant des mesures qui ne permettent pas « d’embarquer » toute la population française.

Enfin, pour quelques députés, la CCC a pour fonction d’associer citoyens et députés dans le travail législatif. Les propositions de la CCC constituent un « outil » complémentaire pour les députés à partir duquel travailler. Elles peuvent conduire à faire changer d’avis « le politique qui travaille sur un sujet depuis longtemps ». Pour un autre député, elle a été une manière « de mieux comprendre » et de confronter sa pensée « à une pensée collective ». Néanmoins, parmi les différentes fonctions conférées à la CCC, c’est celle qui revient le moins souvent chez les députés. Un seul député admet que la CCC a permis de mieux associer les citoyens « à la prise de décision ». L’intégration de la CCC à la procédure législative ne constitue donc pas une finalité partagée par l’ensemble des députés, les fonctions pédagogique et d’acceptabilité sociale primant à leurs yeux.

3. Relations entre les acteurs

La création de la CCC et son intégration dans la procédure législative ont mené à « une triangulaire » entre le Parlement, la CCC et le gouvernement. Unanimement, les députés interrogés ont estimé que l’intégration de la CCC dans la procédure législative a joué en défaveur du Parlement. La majorité d’entre eux ont le sentiment d’avoir été pris en étau entre le gouvernement et la CCC.

L’exercice de la CCC a été perçu comme exacerbant les déséquilibres entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif (a), et comme un empiétement sur le pouvoir des députés (b).

a. Un déséquilibre des pouvoirs en faveur de l’exécutif

Pour la moitié des députés, l’exercice de la CCC et son intégration dans la procédure législative attestent un déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le Parlement.

Le président de la République a eu une place prédominante tout au long du processus. « Il y avait plus de rapports entre la Convention et le président qu’entre la Convention et le Parlement », explique un député. La promesse de reprise « sans filtre » des propositions de la CCC a été perçue par plusieurs comme une volonté de désintermédier le Parlement et de le dessaisir de ses responsabilités. D’autres, en revanche, estiment que la volonté du président n’a jamais été de se soustraire aux débats parlementaires : « Comme si on ne passait pas par le Parlement pour faire une loi! » rappelle l’un d’entre eux.

Loin d’être une surprise, la prédominance du pouvoir exécutif met en lumière les rapports déséquilibrés qu’il entretient avec les autres institutions. Un député remarque ainsi que réunir la CCC dans l’enceinte du Conseil économique, social et environnemental[13] (CESE) est une « belle manière d’honorer les citoyens ». Il ajoute toutefois que, « vu le peu de cas que le gouvernement fait en général des avis du CESE […], ça donnait déjà l’indication que l’avis de la Convention citoyenne serait […] pris en compte a minima ».

Pour plusieurs députés, l’Assemblée a été contrainte à double titre par le gouvernement dans l’examen de la loi Climat et résilience : d’une part, par le filtre réalisé dans la rédaction du projet de loi et, d’autre part, par l’utilisation des prérogatives gouvernementales dans la procédure parlementaire.

Le projet de loi rédigé par le gouvernement a volontairement été conçu de « façon extrêmement sectorielle », explique un député, et des domaines entiers sur lesquels la CCC avait fait des propositions n’y ont pas été repris. Cette restriction limite le droit d’amendement des députés, car l’article 45 de la Constitution admet la recevabilité d’un amendement seulement lorsqu’il « présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Ainsi, les amendements déposés par les députés reprenant les propositions de la CCC sans lien avec le projet de loi ont été déclarés irrecevables.

Par ailleurs, le temps de l’examen à l’Assemblée a été très court. « Pourquoi le gouvernement […] a 6 mois et nous, 3 semaines ? C’est nous qui élaborons la loi […] ; l’agenda, c’est une façon de mettre la pression », souligne un député membre de la majorité. À cela s’ajoute le choix du gouvernement et de la majorité[14] de recourir à la procédure accélérée et au temps législatif programmé. La première limite l’étude du texte à une seule lecture dans chaque chambre, puis à la tenue d’une commission mixte paritaire si le texte n’est pas adopté à l’identique à l’Assemblée et au Sénat[15]. Le temps des débats parlementaires est donc considérablement réduit, et le débat ne bénéficie pas de la navette parlementaire. De surcroît, le temps législatif programmé fixe une durée maximale pour l’examen d’un texte[16]. Les députés non inscrits n’ont, à l’exception de la discussion générale, pas de temps de parole. Or la moitié des députés non inscrits au moment de l’examen du texte à l’Assemblée étaient des députés écologistes membres du collectif Écologie Démocratie Solidarité, qui étaient « peut-être les plus engagés sur les questions climatiques », signale un député. Les députés écologistes non inscrits n’ont pu participer aux débats parlementaires en séance, quand bien même ils portaient des propositions de la CCC. La diversité des points de vue exprimés pendant le débat parlementaire a donc été considérablement réduite.

b. L’empiétement de la CCC sur le Parlement

La délimitation incertaine des rôles entre le Parlement et la CCC a été au coeur des entretiens. Pour un peu plus de la moitié des députés, le partage des fonctions entre la CCC et le Parlement n’a pas bien été réalisé. Selon eux, le travail effectué auparavant par les députés a été partiellement ignoré. Plusieurs estiment que les dernières lois adoptées en matière environnementale n’ont pas été prises en compte par la CCC. Pourtant, « on ne part pas de rien », rappelle un député. Un autre souligne que plus des trois quarts des propositions de la CCC sont semblables à des propositions déjà portées par des députés au sein d’autres textes rejetés par la majorité. Selon lui, il aurait fallu être plus transparent et montrer comment les savoirs circulent et se transmettent.

Plusieurs mentionnent que le dispositif de la CCC empiète sur la fonction législative du Parlement. « C’est comme si on avait dit à la Convention citoyenne : “vous faites la loi” », explique un député. Cela conduit à un « effacement du Parlement ». Alors que l’examen au Parlement n’avait pas commencé, des réponses étaient déjà apportées à l’extérieur de son enceinte, signale l’un d’eux. Les députés ont délibéré « sous pression », car le projet de loi avait été très critiqué et était très affaibli quand il est arrivé au Parlement. « C’est comme nous ôter notre légitimité […] d’enrichir, d’amender un projet de loi », estime un député. Or, quasiment la moitié des députés rappelle que la différence majeure entre, d’un côté, la CCC et le gouvernement et, de l’autre, les députés repose sur la responsabilité particulière qu’entraîne l’élection. Les députés doivent répondre de leurs actions devant leurs électeurs et tâcher de trouver un équilibre entre des forces qui parfois s’opposent.

Pour plusieurs députés, les rôles ont été inversés : « On a demandé à des gens qui ne sont pas des experts de devenir experts et d’expliquer à ceux qui sont […] experts […] sur le sujet […] de se mettre dans la ligne de ces non-experts », résume un député. Un autre reconnaît qu’il est difficile pour des députés engagés sur un sujet depuis longtemps d’accepter que des citoyens qui ont reçu 9 semaines de formation leur disent : « Ce n’est pas ça qu’il faut faire. » Ces réactions montrent que « les parlementaires […] se sont sentis menacés par cette Convention », conclut un autre député.

Seuls quelques députés considèrent que la distinction entre les fonctions du Parlement et de la CCC a été claire. Un député reconnaît « une volonté des citoyens de la Convention […] de transmettre […] le travail et de dire : “voilà, nous, on a fait notre job ; maintenant, c’est votre responsabilité” ».

Au demeurant, les députés ont unanimement rappelé que les propositions de la CCC ne s’imposent pas au Parlement. Pour l’un, il est nécessaire que les députés gardent une indépendance à l’égard des propositions de la CCC. Il explique : « Je fais attention dans mes prises de parole […] à ne pas nécessairement, systématiquement, citer ou faire référence à la Convention citoyenne comme l’alpha et l’oméga de la pensée en matière environnementale. » Un autre ajoute qu’il s’agit d’une « matière à retravailler, à trier […], pas [d’]un acquis ».

Les députés ne reprendront pas des propositions avec lesquelles ils sont en désaccord, même si elles émanent des citoyens. C’est ce qu’affirme finalement un député : « Je ne pourrais accompagner que des mesures auxquelles je crois. »

Un député ajoute qu’en réalité, l’avis des citoyens importe peu pour les décideurs :

En fait, les décideurs se foutent pas mal de ce que […] les citoyens donnent comme avis parce qu’il[s] le f[ont] non pas pour l’avis […] du citoyen, il[s] le f[ont] parce que c’est la mode […], c’est très clair dans la loi Climat, […] mais on se fout pas mal des 150 aujourd’hui, on souhaiterait même d’ailleurs qu’ils n’existent plus.

C’est le Parlement qui a imposé sa vision à la CCC et non l’inverse, conclut un député. Selon ce dernier, il y a un contraste « entre la démarche de la Convention, qui était une démarche démocratiquement audacieuse, et finalement le traitement parlementaire, qui était démocratiquement conservateur ».

Discussion

Les résultats montrent dans l’ensemble la difficile conciliation entre mini-public délibératif et démocratie représentative. Cela résulte en partie du manque de légitimité reconnue à la CCC par les députés tant de l’opposition que de la majorité. Une grande partie d’entre eux ont exprimé des doutes concernant la légitimité du dispositif au regard de son mandat, de son mode de sélection et du déroulement de ses travaux. Le tirage au sort ne constitue pas la principale source de contestation de la légitimité de la CCC. Au contraire, les préoccupations sur son fonctionnement interne et les doutes sur son indépendance et son impartialité expliquent davantage le fait que la CCC n’a pas été perçue comme légitime. Dryzek et Tucker (2008 : 865) soutiennent que la légitimité d’un dispositif délibératif est importante, car elle signifie qu’il est largement accepté comme ayant une place appropriée dans le processus politique. Corroborant cette observation, les résultats montrent qu’en raison de la faible légitimité reconnue par les députés à la CCC, elle a difficilement été acceptée comme devant être associée à la procédure législative. Pour la majorité des députés, la CCC a certes une fonction pédagogique et d’acceptabilité sociale, mais elle n’a pas pour fonction de participer à l’élaboration de la loi. Par ailleurs, les députés se sont sentis exclus du dispositif de la CCC, ce qui a accentué le manque de crédibilité du dispositif. Lewis et Slitine (2016 : 80) avaient déjà souligné l’importance d’aménager un espace pour les responsables politiques dans les dispositifs participatifs et délibératifs afin de renforcer la confiance de la classe politique et d’augmenter les chances de succès de ces innovations démocratiques. Les résultats vont dans ce sens et mettent en évidence que la séparation du travail entre les députés et la CCC a conduit à une défiance envers cette dernière.

Il ressort nettement des entretiens que l’intégration du dispositif de la CCC dans la procédure législative illustre aux yeux des députés le déséquilibre des pouvoirs sous la Ve République. Le gouvernement a été omniprésent à toutes les étapes du processus, de la création de la CCC au vote final de la loi. Les députés, dont les pouvoirs sont déjà restreints en raison du fait majoritaire et du poids du gouvernement dans la procédure législative, ont difficilement accepté la CCC, qui apparaît à leurs yeux comme une nouvelle forme de limitation de leurs pouvoirs. La plupart d’entre eux ont adopté une position de défiance vis-à-vis d’un dispositif auquel ils n’ont pas été associés et dont ils n’ont, pour la plupart, pas accepté le fonctionnement. Les députés, seuls responsables devant leurs électeurs, ne sont pas prêts à faire une place à un dispositif délibératif dans l’élaboration de la loi et donc à partager leur pouvoir de décision, au même titre que les députés belges (Jacquet et al., 2015 ; Close, 2020 ; Talukder, Bedock et Rangoni, 2022). Néanmoins, ce que la recherche montre, c’est que les députés français ne sont pas prêts à partager leur pouvoir de décision en grande partie parce qu’il est déjà extrêmement limité sous la Ve République en raison de la spécificité française d’organisation des pouvoirs. Finalement, comme l’écrivait Duprat (2005 : 169), les dispositifs permettant aux citoyens de participer à l’élaboration des lois sont « encore trop ambig[us] pour garantir le renforcement des assemblées, de sorte que la participation de la société civile risque de n’être qu’une simple apparence, profitant en réalité à un exécutif ayant trouvé une nouvelle manière de légitimer son action ». Aux yeux des députés, la CCC a principalement conduit à renforcer la prégnance du pouvoir exécutif sur l’Assemblée nationale.

Les résultats suggèrent qu’une meilleure articulation d’un dispositif délibératif et du débat parlementaire est nécessaire pour assurer une meilleure intégration d’un tel dispositif dans l’élaboration de la loi. Néanmoins, même en prévoyant l’espace pour un travail en commun entre députés et citoyens dans la procédure législative, si la répartition des pouvoirs reste telle qu’elle est aujourd’hui, on peut douter que les bénéfices d’une délibération citoyenne s’étendent à l’Assemblée nationale. À l’heure actuelle, la place prédominante du gouvernement dans la procédure législative et les freins constitutionnels limitent l’intégration de dispositifs délibératifs au sein de l’Assemblée nationale française.

La spécificité du modèle français de répartition des pouvoirs et le fonctionnement de l’Assemblée nationale rendent difficilement transposables les résultats de la recherche au Sénat. Il aurait été intéressant d’enquêter auprès des sénateurs français, élus au suffrage universel indirect et formant aujourd’hui une majorité différente de celle de l’Assemblée nationale, en situation d’opposition vis-à-vis du gouvernement. Quand bien même l’Assemblée nationale a le dernier mot en cas de désaccord entre les chambres du Parlement, il aurait été pertinent d’étudier la manière dont les sénateurs ont perçu le dispositif de la CCC. De plus, cette recherche réalisée avec un nombre restreint de députés ouvre la voie à des recherches plus vastes sur la perception par les députés français des dispositifs délibératifs, et cela d’autant plus qu’a été mis en place récemment un deuxième mini-public délibératif national – la Convention citoyenne sur la fin de vie –, dont les propositions pourraient elles aussi donner lieu à un projet de loi.

L’âge et le genre sont des facteurs qui influencent l’orientation et le contenu des entretiens. Ils produisent des relations de pouvoir particulières entre enquêteur et enquêté (Manderson, Bennett et Andajani-Sutjahjo, 2006 : 1317). Dans le cadre de notre recherche, nous avons rencontré majoritairement des députés hommes âgés en moyenne de 55 ans. Aux difficultés de rencontrer des « dirigeants » rompus à l’exercice des interviews et capables de produire une parole contrôlée (Chamboredon et al., 1994 : 128) s’ajoutent les difficultés liées à notre statut de jeune femme doctorante. Néanmoins, le fait que nous travaillions à la CDDAT au moment des entretiens a permis d’instaurer une relation de confiance avec les députés. Dans leur esprit, nous étions associée à cette entité apolitique.

Conclusion

Sur la base d’une recherche qualitative menée à l’Assemblée nationale en France, cet article étudie la perception qu’ont eue les députés français de la CCC et de son intégration à la procédure législative. La CCC s’inscrit dans un mouvement global de dispositifs délibératifs institués sur des questions climatiques qui vise à remédier aux défaillances de la démocratie représentative dans le domaine. Elle a été l’occasion de repenser l’élaboration de la loi et le monopole des élus dans la formulation de la volonté générale.

Les résultats de la recherche montrent une difficile intégration de la CCC à l’élaboration de la loi. La CCC n’a pas été perçue comme devant être associée à l’élaboration de la loi, sa légitimité n’ayant pas été totalement admise par les députés, qui y ont principalement vu une nouvelle forme de limitation de leur pouvoir. Le système politique français, marqué par la prégnance du pouvoir exécutif sur l’Assemblée nationale dans l’élaboration de la loi, limite les pouvoirs des députés et le débat parlementaire, et avec lui la possibilité d’y intégrer la délibération citoyenne. L’article ouvre la voie à d’autres recherches sur la perception par les élus des mini-publics délibératifs en France. Il invite également à repenser la conciliation entre ces mini-publics et les élus dans la mise en oeuvre des dispositifs dès lors que seuls ces derniers ont un pouvoir de décision capable de concrétiser les résultats de la délibération dans des normes contraignantes.