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La régulation des systèmes scolaires ne relève pas généralement d’une logique de marché au sens strict, car l’État intervient de façon décisive dans l’allocation des ressources et l’organisation de l’offre, ainsi que, de façon plus variable entre les systèmes, dans la gestion de la demande. En France, elle ne relève pas non plus de cette forme institutionnelle hybride, combinant intervention étatique et mécanismes de marché, prônée par certains économistes et politistes libéraux (Chubb et Moe, 1988), que l’on appelle des « quasi-marchés » et que certains pays ont adoptée principalement dans les secteurs de la santé et de l’éducation (Le Grand et Bartlett, 1993). En fait, le système français se caractérise formellement par un contrôle étatique fort aussi bien du financement que de différents aspects de l’offre – ouverture d’établissements, filières ou options, programmes d’enseignement et examens, qualification et règles d’affectation et de mutation des enseignants – et de la demande, les élèves devant fréquenter l’établissement public de leur secteur désigné par l’administration. On y observe pourtant, comme dans beaucoup d’autres contextes nationaux, des « interdépendances compétitives » entre établissements, notamment autour de la captation de certaines catégories d’élèves (Delvaux et van Zanten, 2006 ; Maroy et van Zanten, 2007). Parallèlement, malgré les contraintes imposées au choix des usagers par le dispositif de sectorisation scolaire, on constate aussi que certaines catégories de parents déploient de multiples stratégies pour accéder aux établissements qu’ils estiment convenir le mieux à leurs enfants (van Zanten, 2009b).

Ce texte vise à analyser ces phénomènes et les processus qui les sous-tendent. Il explore tout d’abord les facteurs d’ordre institutionnel qui encouragent la présence et la diffusion de stratégies compétitives de la part des établissements et de stratégies de choix de l’école par les parents. Il propose ensuite une interprétation des interactions entre les établissements et les parents en examinant leur capacité respective à exercer un effet de contrainte. Le cadre théorique mobilisé emprunte à des travaux divers qui ont pour point commun la référence à Weber et aux théoriciens de la clôture sociale (Parkin, 1974 ; Murphy, 1988). Par ce terme sont désignés des processus au moyen desquels des individus ou des collectifs cherchent à préserver leur statut en restreignant l’accès d’autres individus ou collectifs aux ressources qui le fondent. Pour examiner la question du primat des logiques institutionnelles ou des logiques sociales, deux types de travaux ont été les principales sources d’inspiration. Prenant appui sur une analyse fine de l’évolution séculaire des modes de sélection des universités d’élite américaines, le modèle d’analyse proposé par Jerome Karabel (1984, 2005), très proche à maints égards de celui de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron dans La Reproduction (1970), met l’accent sur la façon dont ces institutions ont réussi à préserver leur autonomie. Elles ont certes relayé les pressions des différents groupes de statut pour maintenir ou faire évoluer les modes d’admission afin de perpétuer ou d’améliorer leur position sociale et de fermer cette possibilité à d’autres groupes, mais ont imposé au fil du temps la primauté des critères académiques dans la sélection grâce à l’élaboration des compromis efficaces entre les attentes de l’administration et celles des professeurs. Examinant de son côté l’accès aux emplois exigeant un haut niveau de qualification, Phillip Brown (1990 ; Brown et Hesketh, 2004) conclut quant à lui à un affaiblissement du rôle d’arbitrage joué par l’État par l’imposition du mérite scolaire comme critère principal de recrutement. Cet affaiblissement serait la conséquence des pratiques des employeurs qui, face à un afflux de diplômés, privilégient chez les candidats des qualités personnelles au-delà de celles récompensées par les diplômes, mais aussi des pratiques d’accompagnement de la scolarité par les familles qui surenchérissent sur les demandes des institutions et imposent ainsi une forme de « parentocratie ».

Ces deux thèses ne sont pas nécessairement opposées. Elles peuvent alterner dans le temps avec tantôt un plus grand pouvoir des établissements d’enseignement, tantôt une influence plus directe des groupes sociaux. Elles peuvent aussi s’appliquer à différents types d’institutions. Analysant le champ des grandes écoles, Bourdieu (1980) distinguait ainsi celles caractérisées par un mode de reproduction scolaire et celles relayant un mode de reproduction familiale, les unes formant les futures élites intellectuelles et politiques proches de l’État, les autres, les élites économiques. Pour notre part, nous insisterons plutôt dans ce texte sur la façon dont le statut des institutions et des groupes sociaux concernés influe sur la nature de leurs interactions. Par statut, nous entendons la position occupée par un acteur dans un ordre hiérarchique en fonction de ses ressources économiques, culturelles et surtout sociales, car, en nous inspirant cette fois-ci des travaux de sociologie économique de Joel Podolny (1993, 2005), nous considérons que le statut, non seulement agit comme un « signal » permettant de réduire l’incertitude et d’orienter les échanges, mais circule entre les institutions et les groupes sociaux en fonction des associations privilégiées par les uns et les autres. Transposée au domaine de l’interaction entre les établissements et les familles au moment de la sélection des élèves et du choix de l’établissement, cette approche conduit à avancer l’idée que ces interactions sont fortement structurées par les positions initiales des uns et des autres, ces positions influant à la fois sur les types d’acteurs que chacun privilégie et sur leur pouvoir respectif dans les interactions.

Pour étayer les différents points abordés, nous mobiliserons les conclusions de trois enquêtes empiriques, ce qui nous permettra, contrairement à de nombreuses recherches qui traitent les questions qui nous intéressent ici soit exclusivement du point de vue des établissements, soit exclusivement de celui des parents, de mettre l’accent sur la nature de l’échange entre ces deux types d’acteurs. La première enquête porte sur l’étude de la compétition entre établissements. Elle a été menée dans le cadre d’un projet portant sur cinq pays européens et comprend des analyses statistiques des flux d’élèves entre les établissements, et des entretiens avec des responsables administratifs locaux et des chefs d’établissement de cinq communes de la banlieue parisienne (van Zanten, 2006a, 2009a). La seconde est une étude du choix de l’école par des familles de classes moyennes et supérieures résidant dans quatre communes autour de Paris. Elle se fonde sur un grand nombre d’entretiens avec des parents (p. 167) et un nombre plus réduit d’entretiens avec des acteurs institutionnels (van Zanten, 2009c). La troisième enfin, encore en cours, s’intéresse aux effets de la décentralisation et de l’assouplissement de la carte scolaire sur l’action des établissements et des familles à l’échelle d’une ville. Toutes ces enquêtes ont pris pour objet d’étude des collèges, c’est-à-dire des établissements d’enseignement secondaire moyen s’adressant à des élèves théoriquement âgés de 11 à 15 ans, mais certaines analyses peuvent être généralisées, avec prudence, à l’ensemble de l’enseignement secondaire en raison notamment du fait qu’en France le collège a été conçu comme l’antichambre du lycée et partage avec lui de nombreux traits structurels, le clivage historique le plus marquant étant celui entre l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire.

Le cadre institutionnel et ses effets voulus et non voulus

Afin de comprendre les stratégies des institutions et des usagers dans le système scolaire français, il est nécessaire de remonter aux années 1960. À cette période, d’importantes réformes structurelles créent un cadre institutionnel nouveau dont les effets sont encore visibles aujourd’hui. En 1959, la loi Debré instaure un nouveau régime de régulation de l’enseignement privé, alors que les réformes Berthoin de 1959 et Fouchet de 1963 altèrent définitivement le visage des institutions publiques grâce notamment à la création d’un nouveau type d’établissement, le « collège d’enseignement général ». Cette nouvelle école moyenne réunit au sein d’un même type d’établissement ouvert à tous des enseignements autrefois transmis dans divers types d’institutions et s’adressant à des publics distincts. Concrétisant la volonté d’expansion et d’ouverture de l’enseignement secondaire des décideurs à cette période, sa mise en place a été suivie de celle d’un nouveau système de gestion de l’offre et de la demande scolaire à l’échelle locale, soit la carte scolaire, dont le volet « sectorisation » stipule que les élèves sont affectés aux établissements sur la base de leur lieu de résidence.

L’entrecroisement de ces différentes réformes et la façon dont les acteurs s’en sont emparés pour protéger et promouvoir leurs intérêts ont engendré d’importants écarts entre le cadre formel et les dynamiques concrètes à l’oeuvre sur le terrain. On peut faire l’hypothèse, sans pouvoir l’étayer dans le présent article, que certains de ces écarts s’expliquent par la volonté des décideurs de promouvoir une égalité formelle entre groupes sociaux et entre établissements sans remettre fondamentalement en cause ni le rapport privilégié aux institutions d’enseignement de certains groupes sociaux ni le statut supérieur dont bénéficiaient certaines d’entre elles auparavant. D’autres écarts en revanche paraissent plus clairement être la conséquence d’interactions non anticipées, variables selon les contextes locaux, entre les logiques sociales et institutionnelles.

La compétition entre des établissements formellement égaux mais d’inégal statut

À la suite de ces réformes, on observe tout d’abord d’importantes transformations dans le rôle et le fonctionnement de l’enseignement privé. Poursuivant deux objectifs majeurs, soit mettre fin à plus de deux siècles de conflits avec l’Église – car 95 % des établissements privés en France sont de tradition catholique – et assurer l’accueil des nouvelles générations d’élèves – très nombreuses en raison de la vague démographique de l’après-guerre et de l’incitation institutionnelle à la poursuite des études –, la loi Debré, par des contrats d’association que signent la plupart des établissements d’enseignement secondaire privés, accorde à ces derniers des moyens financiers importants, mais préserve leur autonomie. En effet, ces contrats sont établis entre les établissements et l’État, limitant ainsi la marge d’intervention d’instances de régulation intermédiaire relevant de l’État – les rectorats, les inspections d’Académie – ou de l’enseignement catholique – les directions diocésaines. En outre, si les établissements privés s’engagent à dispenser un enseignement conforme aux programmes étatiques nationaux, assuré par des enseignants soumis aux mêmes règles de recrutement, de nomination et de licenciement que dans l’enseignement public, ils ont obtenu de préserver leur « caractère propre » au moyen de certains enseignements et de leur pouvoir d’agrément des enseignants. Enfin, le texte de loi permet aux parents de continuer à choisir librement ce type d’établissement (Poucet, 2010).

Les établissements privés n’ont pas tardé à tirer profit de ces dispositions pour se développer et se diversifier. Si, avec le développement de l’enseignement secondaire public, ils scolarisent une proportion inférieure d’élèves par rapport à la période d’avant-guerre (16,9 % des élèves en 2009), les nouveaux moyens dont ils disposent leur ont permis d’élever le niveau de qualification des enseignants, qui s’aligne progressivement sur celui des enseignants du public, et de diversifier leur offre de filières et d’options. Ils ont en même temps opéré une reconversion idéologique et stratégique en s’éloignant du modèle traditionnel d’un enseignement organisé autour de valeurs religieuses pour proposer un « enseignement sur mesure » (établissements d’excellence ou au contraire tournés vers le « rattrapage » d’élèves en difficulté, établissements qui promeuvent l’autonomie des élèves ou qui les soumettent à une discipline stricte) (Ballion, 1980) adapté aux attentes des différentes fractions des classes moyennes au même moment où l’État encourage la standardisation formelle de l’enseignement public. Cette diversification n’interdit cependant pas le maintien de hiérarchies anciennes liées à la mission initiale de ces établissements – accueillir les plus démunis, former une élite – ou le développement de nouvelles hiérarchies, en lien avec les caractéristiques de leur environnement institutionnel et social.

À la même période, on assiste à l’intégration et à l’homogénéisation formelle de l’offre d’enseignement public. Un système éducatif organisé par niveaux – primaire, collège, lycée – proposant à chaque niveau une offre d’établissements formellement identique et s’adressant de ce fait, indistinctement, aux élèves issus des différents groupes sociaux voit alors le jour. Pourtant, ce que l’on observe, c’est moins l’affaiblissement du rôle de l’école dans le maintien de la clôture entre groupes sociaux que le remplacement de barrières institutionnelles officielles à l’accès à certains types d’enseignement par des distinctions statutaires, non officielles, entre établissements de même type. Plusieurs processus expliquent cet état de fait. Tout d’abord, les nouvelles règles n’ont pas réduit à néant les réputations antérieures des établissements. Elles ont été appliquées en tolérant l’entretien officieux des anciens « enchaînements institutionnels », c’est-à-dire des liens privilégiés avec des établissements de niveau inférieur ou supérieur permettant la reproduction de parcours différenciés dans le système d’enseignement (Karen, 1990). Ensuite, elles n’ont pas empêché le maintien voire l’accentuation de la ségrégation entre publics scolaires, non pas comme par le passé en raison des différences entre les types d’enseignement proposés par chaque établissement, mais du fait de l’émergence de nouveaux liens entre les établissements scolaires et leur lieu d’implantation. Des nouvelles interactions se développent ainsi entre les processus de clôture sociale dans l’espace et dans l’école (Murphy, 1988), la ségrégation spatiale se traduisant dans l’espace scolaire, et l’école, par son rôle dans les stratégies résidentielles des familles, devenant un des moteurs de la ségrégation urbaine (Felouzis et al., 2005).

Ces deux processus contribuent à leur tour à l’apparition de différences qualitatives dans l’offre d’enseignement entre établissements par le biais de la configuration du corps enseignant mais aussi, de façon plus subtile, des écarts entre les contenus enseignés, les méthodes d’enseignement et les types d’évaluation. Autrement dit, si les établissements de même niveau doivent officiellement obéir à une charte commune, ils remplissent de fait des missions différentes sur le plan des apprentissages, de la socialisation et de la préparation à la poursuite des études et à l’insertion professionnelle en lien notamment avec le type de public qu’ils accueillent (Meyer, 1970). Cette configuration institutionnelle reproduit ou instaure une hiérarchisation statutaire des établissements d’enseignement secondaire publics qui interagit à son tour avec la hiérarchisation sociale engendrant des dynamiques concurrentielles segmentées dont l’intensité et les formes varient selon les localités.

Des marges de choix importantes pour certaines catégories de parents

Ces transformations institutionnelles ont également engendré une reconversion des stratégies scolaires des familles (Bourdieu et al., 1973). Depuis les années 1980, on observe ainsi le développement d’un usage stratégique du secteur privé dont témoigne sur le plan statistique la proportion très importante d’usagers (deux ménages sur cinq, et plus d’un élève sur trois) qui ont choisi, à un moment donné du parcours scolaire, un établissement privé. Certes, chaque secteur abrite un noyau de fidèles, et les clientèles de l’un et de l’autre restent encore socialement typées avec, dans le privé, une proportion plus importante d’enfants de cadres, notamment du privé, ainsi que d’artisans, de commerçants et d’agriculteurs et, dans le public, une présence plus importante d’enfants d’ouvriers, d’employés ou dont les parents exercent une profession intermédiaire (Héran, 1996). Dans l’ensemble cependant, la loyauté institutionnelle s’affaiblit. Ce phénomène est lié à une évolution plus générale des valeurs et des pratiques sociales, notamment à la forte chute de la pratique religieuse et à la disparition, en lien avec la diffusion d’un individualisme instrumental et expressif, de la cohérence normative de l’idéal laïque. Le développement à grande échelle de pratiques de défection temporaire (Hirschman, 1995) du secteur public témoigne cependant aussi du changement de rôle des établissements privés. Ces derniers sont de plus en plus perçus par de nombreux parents, y compris par ceux idéologiquement défavorables à l’existence de ce type d’enseignement, comme un recours en cas d’insatisfaction à l’égard de l’encadrement pédagogique, de la discipline ou du mélange social dans les établissements publics (Langouët et Léger, 1997 ; van Zanten, 2006b, 2009b).

Les familles ont aussi développé des stratégies vis-à-vis des établissements publics. La plus évidente consiste à choisir son lieu de résidence en lien avec le type d’établissement souhaité. Si, en l’absence d’enquêtes statistiques sur ce thème, il est difficile de déterminer de façon précise la place qu’occupent les préoccupations d’ordre scolaire dans les stratégies résidentielles des familles, des études monographiques menées dans des communes de la banlieue parisienne, y compris les nôtres, indiquent néanmoins qu’il s’agit d’une pratique très répandue parmi les classes moyennes supérieures (Oberti, 2007). À cela il faut ajouter une pratique beaucoup plus marginale mais néanmoins significative, à savoir, pour les familles qui ne peuvent ou ne veulent emménager à côté des établissements convoités, le fait de mentir à propos de leur lieu de domicile avec la complicité des membres de leur famille élargie ou d’autres parents qui leur permettent de se procurer des faux justificatifs d’adresse et aussi, très souvent, des chefs d’établissements faisant preuve de tolérance à l’égard de ces pratiques.

Les familles ont également cherché à contourner la sectorisation scolaire quand elle les obligeait à fréquenter un établissement ne convenant pas à leurs attentes en invoquant des motifs ouvrant officiellement droit à des dérogations, soit d’ordre personnel (santé de l’enfant, proximité d’un autre établissement du lieu de travail des parents, autres enfants dans le même établissement…), soit d’ordre pédagogique (l’existence d’options absentes des établissements du secteur). Ce dernier motif est notamment venu occuper une place centrale en raison de l’encouragement étatique au développement de cours de langues dites « rares » (russe, chinois, japonais) puis de classes bi-langues et de classes à horaires aménagés en musique, et leur implantation généralisée dans des établissements jouissant d’une bonne réputation ou cherchant à s’en faire une. Les stratégies de choix au sein du secteur public ont en outre été favorisées par les diverses politiques d’« assouplissement » de la carte scolaire mises en oeuvre à partir du milieu des années 1980 et davantage encore par la réforme de 2007 qui encourage les autorités éducatives locales à accepter toutes les demandes de dérogation déposées par les parents en fonction du nombre de places disponibles. Par ces dispositions, l’État cherche en fait clairement à offrir de nouvelles possibilités institutionnelles aux classes moyennes ne disposant pas des ressources économiques nécessaires pour résider à proximité des meilleurs établissements ni pour envoyer leurs enfants dans le privé – même si dans ce dernier cas l’implantation irrégulière de l’offre et des considérations d’ordre idéologique interviennent aussi – pour leur permettre de maintenir ou d’étendre leurs avantages.

Enfin, une dernière stratégie éducative des familles a consisté à s’impliquer dans les établissements de leur secteur ne jouissant pas d’une très bonne réputation. Cette prise de parole prend deux formes idéal-typiques qui ont des effets très différents. La première, la moins répandue, repose sur une action collective cherchant à mobiliser l’ensemble des autres parents ainsi que les enseignants en faveur de l’obtention de moyens supplémentaires, de l’organisation d’activités de soutien à l’intention des enfants en difficulté scolaire ou de projets éducatifs destinés à réduire les incivilités et à renforcer la cohésion sociale. La deuxième est quant à elle orientée vers la satisfaction des intérêts d’un petit groupe de parents et d’élèves aux caractéristiques scolaires et sociales semblables. Elle se traduit notamment par des pressions pour que les enfants soient regroupés, par le biais ou non du choix de certaines options, dans des classes où les enfants n’ont pas de problèmes sérieux de conduite ou d’apprentissage.

Ces stratégies ne sont pas, bien évidemment, également ouvertes aux parents de tous les milieux sociaux. Dans un contexte de massification du système d’enseignement, elles sont utilisées par les classes moyennes pour maintenir leurs avantages positionnels vis-à-vis des fractions montantes des classes populaires. Elles participent aussi à la concurrence entre fractions des classes moyennes. Nous cherchons ici à comprendre ces dynamiques en considérant les classes sociales comme des configurations d’individus qui détiennent et activent de façon défensive ou offensive différents volumes et types de ressources économiques, culturelles et sociales (Savage, Warde et Devine, 2005), et les classes moyennes comme un ensemble hétérogène au sein duquel s’observent des différentiations « verticales » entre les fractions supérieures et intermédiaires, mais aussi des différenciations « horizontales » en fonction notamment du poids respectif du capital économique et du capital culturel (Bourdieu, 1979 ; Chauvel, 2006). Les ressources économiques sont particulièrement cruciales pour les choix résidentiels, notamment dans les grandes villes, et plus particulièrement dans la région parisienne, en raison du coût du logement. Elles le sont aussi pour les choix d’établissements privés, notamment ceux des plus sélectifs d’entre eux. Les ressources culturelles sont importantes pour les stratégies de défection vers des établissements privés ou vers des établissements publics en raison de l’importance qu’accordent les établissements au dossier scolaire de l’enfant, mais aussi de la nécessité pour les parents d’être capables de décoder les informations, de faire bonne impression dans les entretiens préalables au recrutement dans le privé ou de rédiger les demandes de dérogation dans le public. Les ressources sociales sont également importantes dans ces deux cas, mais davantage encore dès lors que les parents optent, volontairement ou sous l’effet de diverses contraintes, pour la prise de parole collective au sein des établissements du secteur.

L’articulation statutaire des logiques institutionnelles et sociales

Les stratégies institutionnelles des établissements et les stratégies sociales des parents s’articulent de façon variable selon les contextes locaux. Ces dynamiques sont néanmoins fortement marquées par une logique statutaire. En effet, les établissements d’un côté et les familles de l’autre cherchent à s’associer respectivement avec des familles ou des établissements dont ils estiment qu’ils contribueront au maintien ou à l’amélioration de leur position dans la hiérarchie institutionnelle ou sociale. Ces dynamiques statutaires sont cependant souvent asymétriques, ce qui influe sur les stratégies des uns et des autres. Si un établissement estime avoir besoin de certaines catégories d’élèves pour recréer sa position ou la changer de façon favorable, il tend à modifier ses stratégies pour les retenir ou les attirer. Si au contraire ce sont les parents qui estiment que l’accès à certains types d’établissements sert leurs stratégies de positionnement social, ils auront tendance à se soumettre aux exigences de ces derniers. Or le sens de cette asymétrie varie selon que l’on se situe en haut ou en bas de l’échelle statutaire.

La tyrannie méritocratique des institutions du haut de l’échelle statutaire

Tout en haut de l’échelle statutaire, on trouve un petit nombre d’établissements se caractérisant par de très bons résultats aux examens, dont la mission principale est de préparer le plus grand nombre de leurs élèves à intégrer les parcours les plus valorisés dans l’enseignement secondaire et supérieur. Si, dans le cas des lycées, il existe une compétition à l’échelle nationale et parisienne entre un certain nombre d’établissements publics et privés prestigieux bénéficiant de ce statut, les collèges favorisés, qui recrutent sur des aires plus réduites au sein principalement de zones urbaines elles aussi favorisées, ont peu de concurrents locaux, sauf parfois des collèges privés. Néanmoins, même dans le cas où ces établissements sont en situation de concurrence avec d’autres du même type, ce qui est plus fréquent dans les grandes villes en raison du volume de l’offre et de sa plus grande spécialisation statutaire, ils conservent une position de force vis-à-vis des familles en raison du nombre réduit de places qu’ils offrent par rapport à celui des parents qui souhaitent y envoyer leurs enfants. Cette attractivité est notamment liée au fait que le passage par ce type d’établissements augmente fortement les chances d’accéder par la suite à des établissements de niveau supérieur semblables en raison des conditions d’apprentissage et de socialisation ainsi que des processus de canalisation entre établissements prestigieux, les high status tracks (Kingston et Lewis, 1990). Autrement dit, les parents sont très fortement dépendants des ressources statutaires immédiates et futures associées à la fréquentation de ces établissements.

À la fois en raison de ce rapport de pouvoir asymétrique sur les parents et de leur position supérieure au sein de l’espace institutionnel local, ces établissements, que Robert Ballion (1991) qualifiait de « bastions » et que nous préférons désigner par le terme de « rentiers » pour souligner aussi bien leur statut que leur position sur le marché (van Zanten, 2006b, 2009a), ne ressentent pas le besoin de faire leur promotion. Ils tendent aussi à se montrer peu novateurs en matière de curriculum, celui-ci se caractérisant par l’importance donnée aux disciplines traditionnelles et par le poids prépondérant des mathématiques comme moyen de sélection des meilleurs élèves. À l’attachement à un curriculum classique s’ajoute l’importance accordée à un travail intellectuel intense et de haut niveau, à l’évaluation permanente des rendements et au maintien d’une bonne discipline par l’application de règles strictes, ce dernier aspect étant souvent plus accentué dans les établissements privés (Edwards et Whitty, 1997). Ce modèle éducatif, qui relève du « code sériel » analysé par Basil Bernstein (1977), correspond partiellement aux visées et valeurs instrumentales, culturelles et sociales des parents des classes moyennes supérieures dont les enfants représentent le groupe majoritaire dans ce type d’établissements. Il reflète néanmoins davantage les intérêts organisationnels des directeurs et les intérêts professionnels des enseignants autour du maintien de la position de l’établissement et de la production d’un certain type d’élèves.

Comme ils ne sont pas en situation de force, les parents peuvent difficilement modifier ou contester les exigences institutionnelles de ces établissements, même quand ils les jugent excessives ou inadéquates. On observe néanmoins des différences entre les établissements d’enseignement secondaire publics et privés. Dans les premiers, les parents, tenus à distance par les professeurs, n’interviennent que pour appuyer l’action de l’administration dans des domaines ne relevant pas strictement de la pédagogie (actions dans le domaine de la santé, de la culture, de l’orientation). Dans les seconds, il y a davantage d’efforts de part et d’autre pour renforcer la cohérence globale de l’action éducative. La dépendance statutaire n’est cependant pas totalement à sens unique. Même si leur statut leur permet de ne pas se soucier d’attirer des nouveaux élèves et les ressources qui les accompagnent, les responsables et les enseignants de ces établissements accordent beaucoup d’importance, dans les marges que leur accorde le système actuel, aux processus de sélection, car leur statut scolaire d’établissements d’excellence et leur statut social d’établissements d’élite dépendent à leur tour dans une large mesure des qualités scolaires et sociales du public.

La situation d’établissements jouissant d’une bonne réputation mais se situant un peu plus bas dans l’échelle de prestige locale est différente. Le statut de ces établissements, implantés dans des quartiers favorisés ou hétérogènes des grandes villes et de leur banlieue, est plus fragile, car ils sont soumis à la concurrence d’établissements publics et privés de statut supérieur, ce qui conduit leurs directeurs à adopter une posture d’« entrepreneurs » sur le marché. Leur principale stratégie consiste, avec l’accord des autorités éducatives, à chercher à diversifier leur offre par des options attractives – classes bi-langues, européennes, musicales – leur permettant de retenir les bons élèves des classes moyennes, supérieures ou intermédiaires de leur secteur et d’en attirer d’autres extérieurs à celui-ci dans le cas d’options ouvrant droit à des dérogations, dans le cas des établissements publics. Les chefs de ces établissements y jouent un rôle central car, davantage que dans les établissements « rentiers », c’est largement de leur action que dépendent le maintien, l’amélioration ou le déclin relatif du statut de l’établissement. Les parents y disposent aussi cependant d’un pouvoir plus important que dans le cas précédent. Ceux notamment qui possèdent les ressources culturelles, économiques ou sociales qui leur permettraient de choisir des établissements de statut supérieur peuvent en effet exercer des pressions pour que leurs enfants bénéficient des meilleurs contextes d’enseignement (options, classes de niveau, enseignants les plus réputés).

Le marchandage parental vis-à-vis des établissements risquant le déclassement

Les pratiques des établissements « rentiers » ou « entrepreneurs » de très bonne ou de bonne réputation ont des effets en cascade puissants, notamment sur des établissements publics de moindre réputation mais encore en mesure d’accueillir des élèves de bon niveau scolaire en raison des caractéristiques de leurs secteurs de recrutement qui correspondent le plus souvent à des zones urbaines hétérogènes où cohabitent notamment des classes moyennes intermédiaires et des classes populaires (Barthon et Monfroy, 2006). Pour retenir cette population « volatile », les directeurs de ces établissements sont en fait conduits à émettre des signaux qui hésitent entre la discrétion et la communication. La discrétion autour des problèmes de discipline peut contribuer à retenir quelques élèves, mais il s’agit d’une tactique risquée, car le silence institutionnel favorise les rumeurs montant en épingle certains incidents. En même temps, quand les chefs d’établissement mettent en oeuvre des stratégies de communication, leur discours est souvent assimilé à des techniques d’« emballage du produit » (Cochoy, 2002)  ou de « management des impressions » (Gewirtz et al., 1995), destiné à détourner l’attention des points faibles de l’établissement. Ce discours risque en outre d’être mal interprété quels que soient les éléments mis en avant. C’est souvent le cas de la communication des résultats des élèves au brevet des collèges : s’ils sont mauvais, ils font fuir les parents qui visent une bonne réussite scolaire pour leurs enfants mais, s’ils sont bons, étant donné la part que joue l’évaluation continue des professeurs dans la note finale, ils sont soupçonnés d’être surévalués pour « redorer le blason » de l’établissement. En l’absence d’un cadre institutionnel encourageant officiellement la compétition entre établissements et le choix des parents au sein de l’enseignement public, ces établissements ont par ailleurs du mal à développer des actions ambitieuses en matière de marketing institutionnel. Ce sont les établissements privés de ce type qui font le plus bruyamment leur promotion au moyen de sites Web, de brochures et d’entretiens individuels avec les familles.

Les établissements privés, comme les établissements publics soucieux d’attirer ou de retenir certaines catégories de parents, ont également recours à une autre stratégie, la « canalisation institutionnelle » (Karen, 1990). Outre le fait qu’ils font souvent partie d’un ensemble institutionnel comprenant divers niveaux d’enseignement, les établissements privés entretiennent souvent des relations privilégiées avec d’autres établissements privés de niveau inférieur sur la base de la proximité ou de l’appartenance à une même congrégation. Ces « enchaînements institutionnels » leur permettent d’anticiper le profil des nouvelles recrues, mais peuvent aussi devenir des obstacles à une sélection plus fine sur la base de critères méritocratiques. De même, pour retenir les parents les plus susceptibles et capables de faire défection, les établissements d’enseignement secondaire publics organisent des journées portes ouvertes, des visites d’établissement et des réunions en collaboration avec les directeurs et les professeurs des écoles primaires. Le choix de renforcer les liens institutionnels et de faire jouer la loyauté professionnelle entre enseignants d’une même zone peut s’avérer efficace pour limiter la fuite de quelques bons élèves. Il est rarement suffisant parce que les enseignants, qui définissent encore souvent leur mission, malgré la massification de l’enseignement, comme celle de donner le maximum de chances à quelques élèves de très bon niveau et qui tendent à adopter le point de vue des usagers plutôt que celui de l’institution dans leurs échanges avec leurs homologues sociaux, n’hésitent pas dans nombre de cas à conseiller à ces parents d’éviter l’établissement du secteur.

Parce que ces établissements « tacticiens » ont besoin d’eux pour satisfaire les attentes institutionnelles, préserver leur position et leur image, et maintenir des conditions de travail acceptables pour les enseignants, les parents des classes moyennes dont les enfants ont de bons résultats scolaires y ont plus de pouvoir que dans les établissements de statut supérieur. Ils peuvent, notamment s’il y a des places disponibles dans d’autres établissements publics ou privés de statut supérieur, brandir la menace de la défection. Ce choix s’avère néanmoins coûteux en temps en raison des démarches d’accès à l’information, de comparaison et d’engagement avec les établissements qu’elle suppose. Il présente également des risques liés à la difficulté d’apprécier de façon juste le niveau et la motivation des enfants par rapport aux exigences des établissements de statut supérieur et aux réticences de la part de ces derniers à s’éloigner de leurs copains de quartier. La « prise de parole » apparaît donc plus attractive que dans d’autres domaines d’activité (Hirschman, 1995), même si elle suppose aussi un investissement important. Parce qu’ils estiment que la qualité des établissements est intimement liée à celle de leur clientèle (Felouzis et Perroton, 2007 ; van Zanten, 2009b), notamment dans des établissements publics formellement homogènes à propos desquels il est difficile d’opérer des distinctions en fonction de l’offre, ces parents ont souvent comme première démarche d’explorer combien de parents « comme eux » envisagent d’y envoyer leurs enfants. Les plus actifs s’impliquent parfois dans des actions visant à convaincre d’autres parents de rester, qui peuvent déboucher par la suite, une fois les enfants scolarisés dans l’établissement, sur des actions visant à améliorer son fonctionnement. Plus souvent cependant, comme nous l’avons indiqué dans la section précédente, ces parents mettent en oeuvre des pratiques de « marchandage » pour obtenir que leurs enfants y reçoivent un traitement spécifique (Lareau, 1989), ce qui contribue à renforcer la polarisation interne, séparant les élèves et les parents faisant l’objet d’une forte valorisation des autres. Dans les deux cas, les parents exercent un contrôle important sur le fonctionnement de ce type d’établissement.

Ce type d’interaction entre les responsables institutionnels et les parents des classes moyennes n’a lieu cependant que lorsqu’il existe de part et d’autre une croyance dans la capacité de l’établissement à « sauver » quelques bons élèves en leur proposant des « parcours protégés » (Payet, 1997). Dans le cas contraire, d’autres dynamiques se mettent en place. Les parents cherchent alors à tout prix à quitter ces établissements, accentuant aussi les effets de la ségrégation urbaine puisque ces établissements sont généralement implantés dans des zones plus défavorisées que celles où se trouvent les établissements du groupe précédent. Les professionnels de l’éducation de leur côté tendent à développer des stratégies d’adaptation aux publics défavorisés. Fondant leurs pratiques sur un idéal compassionnel, les enseignants s’y emploient davantage à maintenir un bon climat relationnel avec les élèves qu’à encourager leurs progressions scolaires, auxquelles ils ne croient guère, alors que les chefs d’établissement et les autres personnels de ces établissements « en repli » se contentent souvent de maintenir la paix sociale. Si les adultes se serrent les coudes, ces établissements arrivent parfois à « tenir » tout en voyant leurs mauvais résultats se maintenir ou s’aggraver. Toutefois, si la mobilité et la mésentente sont trop fortes, ils sombrent dans l’anomie (van Zanten, 2001). Il arrive cependant que certains établissements en bas de l’échelle et ayant peu de chances d’améliorer à court terme leur attractivité se battent pour améliorer leurs résultats. Dans ces établissements « mobilisés », le consensus est généralement fort entre un chef d’établissement, des enseignants dynamiques et quelques parents qui acceptent de s’y impliquer.

Conclusion

Dans un contexte caractérisé par l’affaiblissement ou la disparition des anciennes barrières institutionnelles et en partie idéologiques entre différents ordres et types d’enseignement, le choix de l’école est une des principales stratégies qu’utilisent les parents de statut supérieur, cumulant plusieurs types de ressources, pour recréer des frontières plus ou moins visibles mais généralement peu perméables entre leurs enfants et ceux d’autres groupes sociaux dans le but de maintenir ou d’améliorer leur position. L’emprise qu’ont ces parents, par le biais soit du chantage à la défection, soit de leur implication à des fins exclusives – une meilleure expérience scolaire pour leurs seuls enfants – ou inclusives – une meilleure scolarité pour tous –, sur le fonctionnement de certaines catégories d’établissements dans lesquels la présence de leurs enfants joue un rôle important du point de vue de la réussite scolaire et de l’intégration sociale peut légitimement être qualifiée de « parentocratie ». La « méritocratie » n’a cependant pas disparu si, par ce terme, on entend non pas la juste récompense du talent et de l’effort individuel, mais le recours à des critères organisationnels et professionnels représentant les intérêts et les conceptions des acteurs scolaires pour sélectionner et encourager les carrières scolaires des « meilleurs » élèves au sein de ces groupes sociaux (Bourdieu et Passeron, 1970 ; Karabel, 1984). En effet, nous avons montré qu’au sommet de l’échelle institutionnelle de statut les établissements imposent leurs critères aux parents, et ce, de façon croissante au fur et à mesure de l’avancement dans la scolarité. Le modèle d’analyse que nous proposons permet ainsi de concilier ces deux perspectives en posant l’existence de liens étroits entre la position statutaire des établissements et des parents et les relations de pouvoir qu’ils entretiennent.

Les conclusions des recherches existantes sur la compétition et les choix scolaires (Lauder et Hugues, 1999 ; Ball, 2003 ; Maroy, 2006) nous encouragent à penser que ce modèle peut être appliqué à d’autres contextes nationaux, même si l’on peut supposer que les logiques statutaires seront d’autant plus vivaces dans les systèmes scolaires que ces derniers s’inscrivent dans des systèmes sociaux fortement organisés en classes et groupes de statut, et que l’école exerce une forte emprise sur la société (Duru-Bellat et al., 2010). Ce modèle n’est pourtant pas généralisable à tous les contextes locaux. Les dynamiques que nous avons essayé de typifier dans ce texte, du fait qu’elles reposent sur l’existence d’une offre scolaire relativement dense et hiérarchisée et de groupes sociaux contrastés au sein de la population, sont notamment à l’oeuvre dans des grandes villes et des villes de taille moyenne. Le cadre d’analyse proposé est ainsi probablement moins pertinent pour analyser les dynamiques à l’oeuvre dans des zones rurales où les parents n’ont facilement accès qu’à un ou deux établissements, ou dans des espaces caractérisés par une forte concentration de certaines catégories sociales, notamment celles situées en bas de l’échelle sociale, comme les petites villes ouvrières. Il ne propose par ailleurs qu’une analyse par défaut des logiques à l’oeuvre dans les établissements de la périphérie et des quartiers populaires dont nous avons ailleurs exploré la complexité (van Zanten, 2001).

On peut enfin s’interroger sur la stabilité de ce modèle qui, comme nous l’avons montré dans la première partie du texte, découle du cadre institutionnel mis en place dans les années 1960. La réforme de la carte scolaire en 2007 permet d’explorer cette question même si les nouvelles dispositions, prises officiellement dans le double but de donner une nouvelle liberté aux familles et de favoriser l’égalité de chances en donnant la priorité aux élèves boursiers, ne modifient que les modalités de gestion de la demande. S’il est encore trop tôt pour se prononcer sur ses effets à moyen et long terme, les analyses en cours de cette réforme montrent le maintien voire le renforcement des logiques statutaires. Dans le cadre d’une politique qui encourage les choix, les voeux des parents se portent majoritairement sur des établissements de statut élevé qui, très attractifs, n’ont plus de places à offrir, sauf à se débarrasser des élèves les moins désirables de leur secteur, alors que les établissements en bas de l’échelle sont sans surprise encore plus fuis, la possibilité de choisir renforçant leur rôle de repoussoir. En même temps, le nouveau cadre semble avoir créé des dynamiques nouvelles concernant les établissements de statut moyen. Certains sont davantage choisis par les parents n’ayant pu accéder aux établissements de statut supérieur, d’autres sont davantage évités, ce qui participe de leur déclassement statutaire (Ben Ayed, 2010). On observe en outre que les parents qui choisissent appartiennent majoritairement aux classes moyennes, ce qui conforte les tendances mises en lumière quant au maintien des inégalités entre les groupes sociaux. Il apparaît donc clairement que le fait de favoriser les choix sans agir sur la forte hiérarchisation des établissements et sans tenir compte des effets des écarts des ressources entre parents n’atténue pas, mais au contraire renforce, la polarisation des statuts institutionnels et sociaux.