Résumés
Résumé
La question du libre choix dans le domaine des politiques sociales s’est imposée comme un élément structurant du débat dans de nombreux pays, se traduisant par la mise en place de nouveaux instruments d’action publique. Cette question est devenue centrale en Suède dès la fin des années 1970, et de nombreuses réformes ont été menées au nom du libre choix, par des gouvernements de droite comme de gauche, entraînant une remise en cause potentiellement importante des principes idéologiques (universalisme et égalitarisme) et des fondements institutionnels (rôle prépondérant de l’État dans l’offre de services) sur lesquels repose l’État-providence social-démocrate.
Abstract
The question of free choice in social policy became a focus of debate in many countries and led to the development of new policy instruments. It was a core issue in Sweden in the late 1970s, and a wide range of reforms were conducted in the name of free choice by both right-leaning and left-leaning governments, giving rise to a potentially far-reaching challenge to the ideological principles (universality and equality) and institutional foundations (dominant role of the State in providing services) on which the social democratic welfare state was based.
Corps de l’article
La notion de choix semble partout s’être imposée dans le débat public en Europe et s’est traduite par la mise en place de nouveaux instruments d’action publique, notamment dans le domaine des politiques sociales. Les pays nordiques ne sont pas exempts de cette tendance, et la notion de choix est mise en avant aussi bien dans le domaine des services que dans celui des politiques familiales. L’exemple des pays nordiques est par bien des égards emblématique des transformations idéologiques et institutionnelles à l’oeuvre dans les familles d’États-providence. En effet, si la notion de choix semble naturellement familière aux pays de tradition libérale de par l’accent qui est mis sur les valeurs d’individualisme et sur le rôle de la concurrence et donc du marché, cette notion semble par contre a priori étrangère à la tradition et plus particulièrement au modèle de protection sociale social-démocrate. La notion de libre choix semble en effet entrer en conflit beaucoup plus clairement que dans les autres régimes de protection sociale avec les principes idéologiques et les fondements institutionnels sur lesquels reposent les États-providence sociaux-démocrates.
Le système suédois de protection sociale est généralement considéré comme l’exemple type du modèle social-démocrate d’État-providence, combinant des niveaux de protection du revenu élevés et un large éventail de services sociaux universels, financés par l’impôt et fournis par les pouvoirs publics. L’ampleur de ces services, couplée à une politique de promotion de l’égalité entre les sexes, soutient une participation élevée des femmes au marché du travail. Le modèle suédois est ainsi généralement présenté comme un exemple de servicing welfare state dont les caractéristiques principales sont le rôle prépondérant de l’État dans la pourvoyance sociale par rapport aux rôles du marché ou de la famille, le fort degré d’indépendance par rapport aux forces du marché ou aux liens familiaux dont jouissent les individus, ainsi que la forte capacité redistributive et la visée explicitement égalitariste du système de protection sociale.
La référence aujourd’hui constante à la notion de libre choix, tant dans le débat public que dans les instruments de politiques sociales, dans un pays comme la Suède, introduit un élément a priori étranger au modèle universaliste de protection sociale avec des conséquences potentiellement importantes sur les fondements même du modèle et sur la conception de la citoyenneté sociale qui le sous-tend.
L’exemple de la Suède est donc particulièrement intéressant à analyser, d’autant plus que ce pays est, avec le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande, l’un de ceux où les tentatives de réforme du secteur public dans les années 1990 ont été les plus ambitieuses, notamment par le biais du New Public Management, et où la question du libre choix a été le plus clairement au coeur des débats politiques concernant les réformes de l’État-providence. Par ailleurs, si la promotion du principe de libre choix est généralement associée aux partis libéraux, la Suède se démarque également de ses voisins nordiques du fait de la forte évolution de la position du parti social-démocrate, considéré comme l’architecte et le plus fervent défenseur de l’État-providence universel, en faveur du libre choix (Green-Pedersen, 2002).
Pour tenter de rendre le sens de ces évolutions et d’en saisir la portée, nous commencerons par retracer la mise en place du modèle suédois dans le domaine des services sociaux, soulignant les valeurs et objectifs poursuivis et les modalités institutionnelles retenues dans la période d’expansion de l’État-providence. Nous nous intéresserons ensuite à l’introduction de la notion de libre choix dans le débat politique à partir de la fin des années 1970 et à la position des différents acteurs sur ce thème au cours des dernières décennies. Enfin, nous analyserons les politiques mises en oeuvre au nom du libre choix dans les domaines de la santé et de la prise en charge des jeunes enfants et nous nous interrogerons sur les transformations du modèle suédois que l’introduction de ces politiques de choix engendre.
La mise en place du modèle universaliste suédois
Le modèle de protection sociale suédois se met en place à partir de 1913 quand sont progressivement développées des assurances sociales gérées au sein d’un organisme public et couvrant toute la population de la même manière indépendamment de l’occupation professionnelle, du statut familial ou du niveau de revenu. L’idée défendue par les sociaux-démocrates (qui sont au pouvoir pendant la majeure partie du xxe siècle) est qu’il s’agit pour l’État de garantir la protection des individus contre certains risques sociaux pouvant toucher tout un chacun, et donc de mettre en place un droit du citoyen à la protection sociale. Si dans un premier temps ce système d’assurance n’offrira que des prestations forfaitaires modestes et identiques pour tous, à partir des années 1950 celles-ci seront complétées par des prestations supplémentaires liées au revenu antérieur, elles aussi gérées au sein du même organisme d’assurances unique. La mise en place de ces prestations supplémentaires poursuit un double objectif : il s’agit d’une part de satisfaire les besoins et exigences des classes moyennes pour éviter que les personnes les plus aisées ne quittent le système universel existant et mettent en place leur(s) propre(s) système(s) d’assurance (privée). Il s’agit d’autre part d’évincer le secteur privé de façon à garantir un même accès et une même qualité de prestations à toute la population.
Parallèlement à la mise en place de ce système d’assurances universelles, la Suède commencera dès les années 1930 à développer des services sociaux, notamment pour la prise en charge des personnes âgées et pour l’accueil des jeunes enfants, mais ce n’est qu’à partir des années 1950 que ces services se développeront véritablement.
Le principe d’universalisme qui avait été affirmé pour le système d’assurances sociales sera progressivement appliqué à l’accès aux services également. Ceux-ci prendront la forme d’un monopole public de services relativement standardisés, mais de bonne qualité et accessible selon les besoins et non les moyens de chacun. Le principe avancé est qu’il s’agit d’offrir des services identiques pour tous, mais de qualité élevée, de façon à poursuivre une politique redistributive et éradiquer les inégalités de traitement liées aux inégalités sociales. La mise en place d’un secteur public fort est alors perçue comme un outil essentiel pour poursuivre le projet d’abolition des classes sociales et de transformation de la société au coeur du projet social-démocrate (Morel, 2007).
De façon à éliminer les prestataires privés oeuvrant dans le domaine des services sociaux, une double stratégie a été poursuivie entre 1960 et le milieu des années 1980. Il s’agissait d’une part d’offrir des services publics de qualité suffisamment élevée pour que ne se crée pas une demande pour des services alternatifs privés chez les plus riches (Tilton, 1991) et d’autre part de réduire au maximum non seulement la volonté mais aussi les possibilités de défection. La stratégie poursuivie a alors consisté à évincer le secteur privé en offrant des services de meilleure qualité et à un coût moins élevé.
Une telle stratégie a notamment permis la nationalisation progressive du système de santé en en 1969, cette réforme visant à accroître le contrôle public sur les coûts et la qualité des services de santé et à promouvoir un accès plus égalitaire pour les patients. De même les sociaux-démocrates se sont-ils attachés, dès la fin des années 1960, à abolir les écoles privées par le retrait des aides publiques. De fait, dès 1980 seuls 0,2 % des enfants fréquentaient une école privée. L’objectif affiché était de mettre l’accent sur le brassage social de façon à promouvoir la tolérance, l’intégration sociale et l’égalité. Une même volonté d’évincer le secteur privé se manifestera dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, et plus encore dans celui de l’accueil des jeunes enfants, deux secteurs en pleine expansion dans les années 1960 et1970. Ainsi, en 1980 ne trouve-t-on quasiment aucun fournisseur privé dans le domaine des services aux personnes âgées dépendantes, et moins de 1 % des jeunes enfants sont accueillis dans des structures d’accueil préscolaires ou périscolaires privées (Blomqvist, 2004 ; Morel, 2007). On assiste ainsi, des années 1960 à la fin des années 1980, à une expansion massive du secteur public en Suède.
Pendant de ce principe de services publics standardisés, les autorités publiques définiront vers quel établissement scolaire, de santé ou de soins, ou vers quelle crèche les usagers doivent s’orienter. À la fin des années 1980, l’offre de services sociaux est très étendue, mais les usagers n’ont pas la possibilité de choisir parmi des services alternatifs, empêchant ainsi l’expression de préférences sociales ou culturelles individuelles.
Ces vingt dernières années, en revanche, ont été marquées par des transformations importantes introduisant une logique de concurrence et de marché dans les secteurs sanitaire, social et éducatif. Ces transformations ont notamment été menées au nom du libre choix des usagers, notion apparue à la fin des années 1970 et qui a cristallisé des débats importants et parfois très virulents qui perdurent aujourd’hui encore, même si la teneur du débat s’est largement déplacée et si la question du libre choix est aujourd’hui revendiquée dans l’échiquier politique.
L’introduction de la notion de libre choix dans le débat politique
La question du libre choix (valfrihet) est en effet devenue un enjeu central en Suède, alimentant les débats entre les différents partis politiques – mais aussi au sein même des différentes formations politiques – depuis la fin des années 1970. Si la notion est plutôt associée dans les esprits aux partis de droite pour qui le concept de libre choix a servi de cheval de bataille dans la remise en cause idéologique de l’État-providence, celle-ci a également suscité intérêt et débats au sein du parti social-démocrate. De fait, si la question du choix continue de faire l’objet d’une bataille politique et idéologique entre les partis de centre droit et les sociaux-démocrates, la tonalité du débat, le sens donné à la notion de choix ainsi que la position des différents acteurs politiques ont fortement évolué depuis son introduction dans les débats.
La notion de libre choix apparaît dans le discours politique à la fin des années 1970, dans un contexte de « crise » de l’État-providence. D’une part, en Suède comme ailleurs, la crise économique des années 1970 vient à être interprétée comme résultant de causes structurelles, parmi lesquelles la taille du secteur public est avancée comme une cause importante du problème de stagnation. D’autre part, l’État-providence commence à faire l’objet d’une crise idéologique qui cristallise des critiques de droite comme de gauche.
À droite, l’État-providence est fustigé comme étant trop large, trop coûteux et inefficace. Pendant la campagne électorale de 1976, les partis de droite mèneront campagne contre un secteur public devenu omniprésent et qui asphyxie les individus et leur liberté de choix, les usagers étant notamment privés du droit de choisir librement entre différents types de services.
À gauche, l’État-providence commence à être perçu comme trop bureaucratique et ne laissant pas suffisamment de place à la démocratie locale et participative. Dans une certaine mesure, cette crise idéologique de l’État-providence est semblable à celle que l’on retrouve partout ailleurs à cette période, mais elle se manifeste avec une intensité particulière en Suède du fait de la taille du secteur public et de l’importance des services sociaux, d’autant plus que la pression fiscale n’a cessé d’augmenter depuis les années 1950 de façon à financer l’expansion massive des services. La question du financement de ces services et de la protection sociale en général se fait alors de plus en plus pressante, la droite arguant en faveur d’une réduction des impôts et d’une privatisation des services. Si dans l’opinion publique peu sont en faveur de la privatisation, un débat s’engage néanmoins autour de la redéfinition des priorités et des formes de gestion des services (Antman, 1994).
La victoire de la coalition de droite aux élections de 1976, après 44 ans de gouvernance sociale-démocrate ininterrompue, amène le parti social-démocrate à remettre en question sa position concernant la place du secteur public dans l’économie et le monopole d’État dans la gestion des services publics, même si les positions divergent au sein même du parti. Un groupe de travail est mis en place en 1980 pour développer une politique en réponse à la crise économique. Dans son rapport, ce groupe de travail admet que la taille du secteur public est un problème pour l’économie du pays et que celui-ci ne peut continuer de croître, mais la position du groupe est néanmoins qu’il faut continuer de défendre le secteur public. L’objectif doit alors être de parvenir à augmenter la productivité du secteur public et de produire plus avec des ressources constantes. Pour autant, aucune solution concrète n’est avancée, et aucune référence n’est faite au marché.
Si les sociaux-démocrates commencent à s’interroger sur le problème de la taille du secteur public en relation avec la crise économique, la question principale pour eux reste celle du déficit démocratique dont est accusé le secteur public et qui est perçu comme ayant contribué à leur défaite. À leur retour au pouvoir en 1982, les sociaux-démocrates s’attacheront donc à réformer les aspects les plus bureaucratiques du secteur public, créant pour ce faire un nouveau ministère en charge des administrations publiques et qui, selon le premier ministre Olof Palme, doit être « un ministère pour les citoyens, contre les autorités publiques » (cité dans Antman, 1994 : 35).
Une première réforme, en 1983, consistera à promouvoir la démocratie locale en décentralisant la gestion des services publics, de façon à offrir aux comtés et aux municipalités une plus grande flexibilité d’organisation des services et pour que les besoins soient gérés plus près des usagers. Parallèlement, le nouveau ministère s’attachera à transformer de l’intérieur les attitudes des employés des services publics en introduisant de nouvelles formes de gestion, inspirées notamment des États-Unis (Rothstein, 1993). Amélioration du service, gestion du rendement, simplification des règles, désectorisation, démocratisation, mais aussi libre choix deviennent les mots d’ordre (Mellbourn, 1986).
La question du libre choix devient alors un concept central dans la rhétorique sociale-démocrate dans les années 1980, notamment de façon à répondre aux attaques de la droite, d’autant plus qu’à partir du milieu des années 1980 le Parti libéral et le Parti du centre se joignent aux conservateurs et à la Confédération des employeurs (SAF) dans leur campagne en faveur de la privatisation et du choix des usagers, créant ainsi une coalition contre les sociaux-démocrates. La SAF en particulier mène dès la fin des années 1970 une campagne très virulente en faveur de la privatisation, notamment des services sociaux (Blyth, 2001).
Pour les sociaux-démocrates, l’enjeu sera alors de mener des réformes au nom du libre choix de façon à circonscrire le débat et notamment pour éviter que la question de la privatisation ne soit mise sur l’agenda politique (Antman, 1994 ; Green-Pedersen, 2002), toute orientation vers le marché continuant d’être fermement rejetée. Pour les sociaux-démocrates, il s’agit de promouvoir le libre choix au seindu service public, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services d’accueil des jeunes enfants, en permettant aux usagers de s’orienter vers le service municipal de leur choix. Pour eux, la possibilité de choisir ne doit en aucun cas être déterminée par les ressources financières des individus (SAP, 1984). Les sociaux-démocrates assoupliront néanmoins les règles à partir de 1983.
Dans la deuxième moitié des années 1980, la question de la réforme du secteur public et celle du libre choix prennent de l’ampleur. La réforme du secteur public sera activement promue par le ministère des Finances, qui publie toute une série de rapports concernant la productivité du secteur public qui montre que celle-ci décroît depuis un certain nombre d’années. Feldt, ministre des Finances de 1982 à 1990, sera un des moteurs du changement de position au sein du parti social-démocrate en ce qui concerne le secteur public, devenant un partisan actif de la mise en concurrence des services publics de façon à en augmenter la productivité (Antman, 1994). Lorsque, en 1989, le parti social-démocrate rédige son nouveau plan d’action pour les années 1990[1], un des points centraux abordés est celui de la réforme du secteur public et de la liberté de choix des usagers. Le plan d’action souligne la volonté du parti de maintenir un État-providence universel, avec des services publics financés par l’impôt et accessibles à tous indépendamment du revenu. L’idée d’une privatisation des services sociaux continue d’être rejetée, mais par contre la nécessité de créer de meilleures incitations pour augmenter la productivité et la qualité des services publics est affirmée. Deux propositions sont alors avancées : d’une part celle de séparer le contrôle politique de la production des services sociaux, et d’autre part celle de créer un marché interne au sein des services publics pour générer de la concurrence, censée à la fois améliorer les services, mais aussi augmenter la liberté de choix et l’influence des usagers (Sainsbury, 1993). À partir de là, toute une série de publications paraît, promouvant l’introduction de « quasi-marchés » dans le domaine des services sociaux et inspirés par la philosophie du New Public Management qui s’est fortement développé dans les pays anglo-libéraux.
Plus encore, le gouvernement social-démocrate met en place un Comité sur la concurrence qui remet plusieurs rapports en 1991 analysant les conditions dans lesquelles s’exerce la concurrence dans toutes les branches de l’économie et les mesures à prendre pour l’améliorer. Deux volumes sont consacrés aux services sociaux, sous le titre La concurrence pour un bien-être accru[2].
C’est dans ce contexte d’une remise en question des principes idéologiques des sociaux-démocrates envers le marché, couplée à une grave crise économique qui secoue la Suède à partir de 1991, que la coalition de droite revient au pouvoir en 1991, après une campagne menée sur les thèmes de la baisse des impôts et de la privatisation, et promettant une « révolution du libre choix » dans le système de protection sociale. De son côté, la SAF lance une campagne célébrant le « nouvel individualisme » et promouvant la privatisation des services publics, le marché étant présenté comme mieux à même de répondre à la multiplicité et à la variété des besoins des individus (Daune-Richard et Mahon, 1998).
Très rapidement, la coalition de droite modifie certaines lois de façon à pouvoir introduire plus de concurrence dans les services sociaux, se basant notamment sur les résultats des rapports commandés par les sociaux-démocrates. À partir de 1992, les entreprises des secteurs considérés jusqu’alors comme des « monopoles naturels » de l’État (le rail, la poste, les télécommunications, le secteur énergétique) sont progressivement privatisées, mouvement de privatisation qui se poursuit sous le gouvernement social-démocrate qui revient au pouvoir en 1994. De fait, le retour au pouvoir des sociaux-démocrates ne se traduit pas par un revirement par rapport au principe de la libre concurrence du marché, sauf dans le domaine des services sociaux dans lesquels les règles du marché seront plus fortement régulées.
Toujours est-il que, depuis la fin des années 1980, de profondes réformes ont marqué le secteur public. Elles sont caractérisées par l’introduction de principes de marché dans les services, sur le modèle du New Public Management, au nom de positions idéologiques différentes, mais qui se retrouvent autour d’une même rhétorique concernant la nécessité d’augmenter le libre choix des usagers.
Pour les sociaux-démocrates, ce nouveau modèle est perçu comme permettant d’offrir une plus grande autonomie de décision et de gestion aux autorités locales, et de démocratiser le système en augmentant la capacité d’influence des usagers. Le libre choix des usagers est ainsi associé à une démocratisation du système.
À droite, le modèle permet de répondre à la volonté d’augmenter le libre choix des usagers en cassant le monopole public et en permettant aux entreprises privées de réaliser des profits sur le marché des services. Il s’agit plus fondamentalement d’introduire un « changement systémique », notamment de façon à modifier la structure des soutiens politiques et à saper les bases même de l’État-providence social-démocrate. Il faut toutefois noter que les positions des différents partis au sein de la coalition de droite divergent sur certains points. Pour les libéraux, par exemple, l’objectif n’est pas la privatisation pure et simple des services, mais la mise en concurrence des services pour offrir une plus large palette de choix aux usagers, tout en maintenant le principe d’un financement public permettant un même accès à tous, mais avec la possibilité pour ceux qui le souhaitent de payer des frais de contribution supplémentaires pour obtenir des services complémentaires. Quant aux chrétiens-démocrates, qui rejoignent la coalition en 1991, l’introduction d’une prestation de libre choix permettant aux familles de choisir le mode de garde des jeunes enfants est au coeur de leur programme politique.
Dans ce qui suit, nous analyserons les réformes menées dans les secteurs de la santé et de la prise en charge des jeunes enfants, ces deux domaines ayant cristallisé le plus de débats entre les partis de droite et les sociaux-démocrates, débats qui perdurent aujourd’hui encore.
Les politiques mises en oeuvre
Les réformes des services sociaux suivent une évolution similaire dans tous les secteurs. Dans les années 1980, des mesures de décentralisation et de dérégulation ont été mises en oeuvre, de façon à renforcer l’autonomie de décision et de gestion des autorités locales et à « démocratiser » les services. À partir du début des années 1990, un consensus semble émerger autour de la mise en concurrence des services, de façon à en augmenter l’efficacité et pour offrir plus de choix aux usagers. Si les années 1990 sont marquées par une assez forte privatisation des services, il faut toutefois préciser que cette privatisation ne vise que l’organisation des services et non leur financement. Sous le terme de beställar–utförar-modellen (purchaser-provider model), les comtés (dans le cas de la santé) ou les municipalités (dans le cas des services aux personnes âgées dépendantes et aux jeunes enfants) mettront en place un système de « quasi-marchés » qui repose sur une distinction entre financement et prestations. Le financement reste public, mais la provision des services est séparée du contrôle politique, le rôle des autorités publiques étant réduit à celui « d’acheteur » de services, lesquels sont exploités de façon contractuelle par différents fournisseurs (publics et privés) qui sont mis en concurrence. Très rapidement, un certain désenchantement apparaît avec ce modèle, et le gouvernement social-démocrate intervient de façon à réguler plus fortement l’offre de services, notamment de façon à réduire les disparités territoriales apparues pendant les années 1990. Le libre choix des usagers est néanmoins renforcé, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation. Depuis le retour au pouvoir d’une coalition de droite en 2006, un nouveau mouvement de privatisation a été amorcé, notamment dans la santé, qui va au-delà du système de quasi-marchés. De plus, la « loi sur le libre choix » (Lag om valfrihet) est entrée en vigueur en 2009 et renforce le rôle de la concurrence dans les services sociaux et de santé.
Santé
Des évolutions importantes sont venues marquer le système de santé depuis la fin des années 1980 : décentralisation accrue, contrôle drastique des budgets et des coûts, introduction de mécanismes de marché sur le modèle de la managed competition, rémunération à l’activité et au rendement, transfert important de l’offre de soins de l’hôpital vers les centres de santé primaire. Deux objectifs principaux ont guidé ces réformes : il s’agissait d’une part de faire un meilleur usage des ressources publiques au moyen de la mise en compétition des fournisseurs de soins, et d’autre part de renforcer le rôle et les droits du patient par la mise en place du choix du patient au sein du système.
Le libre choix des patients dans l’accès aux différents fournisseurs de soins (choix du médecin généraliste, du centre de soins primaires, de l’hôpital) en particulier était devenu, à la fin des années 1980, un des enjeux les plus importants dans les débats sur la santé, notamment en raison des listes d’attente importantes qui limitaient l’accès des patients aux soins.
Deux réformes seront alors menées. D’une part, un système de séparation du fournisseur et de l’acheteur (purchaser-provider split) dans le cadre du modèle de managed competition sera introduit par les comtés (à qui incombe la responsabilité des services de santé) entre 1989 et 1991, visant à réduire les coûts du système de santé tout en augmentant l’efficacité et la qualité des services et le choix des patients. Le principe est que les comtés achètent les services à des fournisseurs publics (mais gérés indépendamment) ou à des fournisseurs privés, mis en concurrence pour l’obtention des contrats avec les comtés. Le financement suit les patients, ce qui crée, pour les centres de soins et les hôpitaux, des incitations à améliorer leurs services et à mieux répondre aux besoins et attentes des patients.
D’autre part, une deuxième réforme est menée en 1991, introduisant un temps d’attente maximum de trois mois, au-delà duquel le patient peut recevoir les soins (dans douze cas de soins spécialisés) dans un autre établissement de soins du comté, ou dans un établissement privé, le comté étant tenu de couvrir les frais. En 2005, cet accord a été complété par une garantie de traitement, statuant que si, après la visite chez un spécialiste, un soin spécialisé est prescrit, celui-ci doit être obtenu dans les trois mois. Si les délais ne sont pas respectés, le patient a le droit de choisir un nouveau centre de santé ou un nouvel hôpital, sans avoir à payer de nouveaux frais (l’ensemble des charges nouvelles devant être payé par le comté concerné) (Palier, 2004).
De plus, depuis 2002, tous les comtés ont instauré le principe du libre choix des patients, qui inclut le droit de se faire soigner dans un hôpital hors du comté dans lequel le patient réside, les frais étant alors couverts par le comté de résidence du patient. Un système de mesure de la qualité des hôpitaux et des centres de soins a été mis en place, qui comprend aussi bien des informations objectives (nombre de patients traités, nombre de décès, résultats obtenus pour le traitement de différentes pathologies, délais) que subjectives (basées sur des enquêtes de satisfaction auprès des usagers) permettant aux patients d’effectuer un choix plus informé.
Entre 1991 et 1993, le gouvernement de droite adopte également une loi sur le médecin traitant qui propose à chaque Suédois de choisir un médecin, privé ou public, afin de mettre en place une relation personnelle entre patient et médecin, ainsi qu’une loi autorisant les médecins privés à s’installer librement. Ces médecins passent un contrat avec les comtés et sont rémunérés (remboursés par les comtés) à l’acte, contrairement aux autres praticiens du système public de santé, qui sont salariés. Depuis cette réforme, 25 % des médecins de santé primaire sont privés, alors qu’ils n’étaient que 5 % au milieu des années 1980 (Blomqvist, 2007).
Les sociaux-démocrates reviendront sur ces réformes lorsqu’ils reprendront le pouvoir à la fin de 1994, la décision appartenant maintenant à chaque comté de choisir s’il maintient ou non le système de médecin traitant ou les contrats avec les médecins privés, ou les deux. De cette façon, l’autonomie politique locale est rendue aux comtés : les comtés peuvent maintenir ce système s’ils le souhaitent, mais ils ne sont plus tenus de le faire en raison de la position idéologique du gouvernement. De fait, même pendant la seconde moitié des années 1990, certains comtés poursuivront la tendance à la privatisation des fournisseurs de soins, tout en garantissant un financement public de l’ensemble. Ainsi le comté de Stockholm préparera-t-il la privatisation de l’hôpital Sankt Göran, qui deviendra effective en 1999.
L’usage des mécanismes de mise en concurrence et la privatisation ont cependant été remis en cause par de nombreux comtés, la gestion des contrats avec les fournisseurs et la négociation des tarifs s’avérant assez compliquées. Aujourd’hui, seuls 10 % environ des services achetés par les comtés sont fournis par des entreprises privées, et ce phénomène reste largement limité aux grandes villes. De même, de nombreux comtés sont revenus sur la médecine privée, la maîtrise des coûts ayant été rendue plus difficile du fait de la liberté d’établissement des médecins privés et l’obligation pour les comtés de les financer. De plus, cette tendance à la privatisation sera de plus en plus régulée par le gouvernement central, notamment avec l’adoption, par le gouvernement social-démocrate, d’une loi interdisant la vente d’hôpitaux publics à des entreprises privées (Stopplagen adoptée en 2000).
Toutefois, depuis le retour au pouvoir de la coalition de droite en 2006, de nouvelles mesures en faveur de la privatisation des services de santé ont été prises, et notamment l’abolition de la loi interdisant la vente d’hôpitaux publics à des entreprises privées, ce qui demeure un point de contention très fort avec les sociaux-démocrates. En effet, les hôpitaux privés sont autorisés à réaliser des profits, ce qui signifie que les prestations offertes peuvent différer (accès plus rapide, soins de meilleure qualité éventuellement) et les tarifs pratiqués sont généralement plus élevés qu’ailleurs, attirant une clientèle plus aisée et ayant souscrit une assurance maladie privée, phénomène qui a pris de l’ampleur ces dernières années et qui, selon les sociaux-démocrates, risque d’engendrer un système de santé à plusieurs vitesses.
Les résultats de ces réformes ne sont pas faciles à évaluer de façon univoque. En ce qui concerne les patients, le système de santé semble plus réactif : les patients peuvent choisir où ils souhaitent se faire soigner, créant une certaine émulation entre les différents établissements de santé dont les rendements sont directement évalués par les usagers, et les listes d’attente ont été fortement réduites. Les pouvoirs publics ont par ailleurs remarquablement réussi à maîtriser les dépenses budgétaires, mais cela davantage grâce à une réorganisation et une rationalisation des soins qu’à la mise en concurrence des fournisseurs. Si ces transformations ont considérablement modifié le système de santé tel qu’il avait été construit par les sociaux-démocrates jusque dans les années 1980, elles ne remettaient pas en question le principe d’un accès universel à la santé, de qualité et gratuit pour tous. L’introduction du choix des usagers a surtout permis de relégitimer un système de plus en plus décrié dans l’opinion publique, et donc de renforcer le soutien (notamment des classes moyennes) à l’État-providence. Les tendances actuelles vers une privatisation plus franche du système pourraient bien, en revanche, introduire des dualismes sociaux qui viendraient saper le soutien au modèle universel de protection sociale.
La prise en charge des jeunes enfants
En ce qui concerne la politique de prise en charge des jeunes enfants, la question du libre choix se posera à différents niveaux et cristallisera une lutte idéologique féroce entre les sociaux-démocrates et la coalition de droite. Les débats porteront tant sur la mise en concurrence des services et les possibilités de privatiser l’accueil des jeunes enfants que sur le choix offert aux familles de faire garder ou de garder elles-mêmes leur enfant. Enfin, la question de l’introduction de quota dans le congé parental pour promouvoir l’égalité entre les sexes se heurtera également à celle du libre choix des familles à décider elles-mêmes comment elles souhaitent se répartir la garde des enfants.
Les services d’accueil des jeunes enfants (dont la responsabilité incombe aux municipalités) se développent fortement en Suède à partir des années 1970, par suite d’une politique active du gouvernement social-démocrate pour soutenir le travail des femmes, mais aussi pour promouvoir l’égalité des chances dès le plus jeune âge. En 1983, ce sont près de 40 % des enfants d’âge préscolaire qui sont inscrits en services d’accueil, ce qui représente un marché de plus en plus alléchant pour les entreprises privées (Morel, 2007).
Dans un même temps, la SAF mène une campagne idéologique virulente contre l’État-providence social-démocrate et souhaite faire advenir un changement systémique (Blyth, 2001), notamment en brisant le monopole des municipalités dans la production des services sociaux. La SAF engagera ainsi deux hommes en 1983 pour créer une entreprise commerciale, appelée Pysslingen, proposant des services d’accueil pour les jeunes enfants. Une municipalité de la banlieue de Stockholm annonce alors sa décision de déléguer la gestion de deux de ses crèches à cette entreprise privée, déclenchant ainsi un grand débat national concernant l’accueil des jeunes enfants.
Les sociaux-démocrates s’y opposeront immédiatement, arguant que seul un service public peut garantir une bonne et même qualité de services pour tous les enfants, ainsi que la liberté des parents – et en particulier des mères – de travailler (Daune-Richard et Mahon, 1998). Le ministre social-démocrate des Affaires sociales lance alors une contre-offensive pour empêcher la création de crèches privées et fait voter, au début de 1984, une loi (LexPysslingen) qui interdit toute forme de subventions publiques pour des crèches commerciales, réglant ainsi – du moins pour quelques années – la question de la privatisation des services de garde d’enfants.
Les sociaux-démocrates ont toutefois assoupli les règles s’appliquant aux services d’accueil des jeunes enfants en 1983 en autorisant que les subventions publiques puissent être utilisées pour financer les crèches parentales, celles offrant une pédagogie particulière (telle Montessori) ou celles gérées par des organisations à but non lucratif. Une condition essentielle était néanmoins que ces structures soient approuvées par les municipalités et incorporées dans le plan municipal d’expansion des structures d’accueil, que les frais de participation des usagers ne soient pas plus élevés que dans les structures municipales et que les enfants inscrits sur les listes d’attente pour une place en crèche municipale puissent y être acceptés.
Cet assouplissement des règles visait à promouvoir une plus grande liberté des familles dans le choix du mode de garde, à introduire un élément d’innovation au niveau des pédagogies offertes, mais aussi à pallier le manque de places disponibles dans les services municipaux. Dans un même temps, le souci était que les règles d’admission et les frais de participation demandés n’engendrent pas de ségrégation sociale.
De retour au pouvoir en 1991, la coalition de droite s’empresse d’abroger Lex Pysslingen, permettant ainsi de nouveau le financement de structures privées à but lucratif pour l’accueil des jeunes enfants. La liberté d’installation des structures privées est également instaurée, signifiant que, de la même façon qu’avec les médecins privés, les municipalités sont obligées de financer ces structures.
La question du libre choix des familles à garder elles-mêmes leur enfant est également mise de l’avant, la coalition considérant que les politiques existantes favorisaient trop fortement la prise en charge institutionnelle au détriment de la prise en charge familiale. Au sein de la coalition, les conservateurs souhaitaient introduire des déductions d’impôts pour la prise en charge des jeunes enfants, y compris à domicile, tandis que les chrétiens-démocrates et le Parti du centre souhaitaient instaurer une allocation de garde d’enfant. Cette proposition visait à mettre en place une allocation forfaitaire d’un montant de 2 000 SEK (environ 200 euros) par mois et par enfant âgé de un an à trois ans, permettant soit de compenser la perte d’un revenu si un des parents choisissait de prolonger son congé au-delà du congé parental pour s’occuper d’un enfant, soit de payer des services de garde publics ou privés.
Cette proposition donna lieu à des débats passionnés, les sociaux-démocrates voyant dans cette mesure une forme de salaire maternel déguisé qui risquait de renvoyer les femmes au foyer. La coalition parviendra finalement à faire voter l’allocation de garde d’enfant (Vårdnadsbidrag) mais cette mesure n’entrera en vigueur qu’au milieu de l’année 1994, quelques mois seulement avant le retour au pouvoir des sociaux-démocrates qui aboliront ce dispositif la même année, ainsi que les déductions d’impôts.
La liberté d’installation des structures privées est également révoquée. En revanche, les sociaux-démocrates ne réinstaurent pas la loi Pysslingen, la position du parti ayant entre-temps changé en ce qui concerne la possibilité d’une gestion non municipale des crèches, mais la décision revient maintenant aux municipalités. Les structures d’accueil privées peuvent alors recevoir des subventions publiques à condition de remplir les critères de qualité et de sécurité nécessaires et de pratiquer des tarifs proches de ceux pratiqués par la municipalité. De plus, le niveau des subventions pour les structures privées ne peut être supérieur aux subventions accordées aux structures municipales.
Le nombre de crèches en régie privée augmentera progressivement, et aujourd’hui environ 17 % des enfants d’âge préscolaire sont accueillis dans une structure non municipale, la plupart étant des coopératives parentales. Les crèches en régie privée restent essentiellement limitées aux grandes villes et aux municipalités dirigées par des partis de centre droit.
Le nombre de structures en régie privée s’accroît de nouveau depuis quelques années, la coalition de droite ayant réintroduit la liberté d’installation des entreprises privées à leur retour au pouvoir en 2006, ainsi que les déductions fiscales pour la garde des enfants à domicile. L’allocation de garde d’enfant a également été réintroduite en 2008, mais n’a pour l’instant pas généré beaucoup d’intérêt de la part des familles (1 % des familles admissibles seulement s’en sont prévalues), et le leader du Parti chrétien-démocrate a lui-même admis pendant la campagne de 2010 que cette mesure n’était pas populaire auprès de l’électorat.
La réintroduction de ces mesures représentent néanmoins une rupture importante avec le modèle suédois universaliste, rappelant d’une certaine façon les mesures existant dans des pays plus conservateurs tels que la France, par exemple ; or, on sait à quel point la coexistence de ces différentes mesures (déductions d’impôts, allocation de garde d’enfant d’un montant forfaitaire faible, modes de garde collectifs publics et privés), développées au nom du libre choix, a été génératrice d’inégalités sociales, la France étant d’ailleurs l’un des pays d’Europe qui connaissent les plus grandes différences de classe quant à la garde d’enfants formelle pour les un an et deux ans (Meagher et Szebehely, 2011). L’exemple de la Norvège, où une allocation de garde d’enfant avait également été introduite, montre que ce sont essentiellement des femmes d’origine immigrée qui prennent cette allocation, et l’on semble retrouver cette tendance en Suède également (idem). Cette allocation introduirait ainsi une certaine ségrégation ethnique, néfaste aussi bien aux femmes qui se trouvent plus durablement exclues du marché du travail qu’à leurs enfants pour qui les risques de mauvais résultats scolaires et de pauvreté sont particulièrement élevés lorsqu’ils ne fréquentent pas une structure d’accueil collective (Ferrarini et Duvander, 2010).
Enfin, en ce qui concerne la plus grande diversité des structures d’accueil, elle engendre également une certaine ségrégation sociale, les familles les plus éduquées ayant plus tendance que les moins éduquées à mettre leur enfant dans une structure en régie privée. Les frais de participation étant les mêmes partout, la sélection ne se fait pas sur des bases économiques mais plutôt en fonction de la capacité à s’informer et à faire des choix et sur la base d’une « affinité élective ». Paradoxalement, ce n’est pas la qualité des structures qui semble le plus déterminante, mais la possibilité de choisir une orientation pédagogique particulière et le sentiment de pouvoir influer plus largement sur l’organisation des activités qui oriente le choix des parents vers des structures en régie privée, où les taux d’encadrement et le niveau de qualification du personnel sont généralement moins bons que dans les services municipaux. Ainsi, si ségrégation sociale il y a, elle ne se fait pas pour l’instant au détriment de la qualité pour ceux qui restent (par choix ou par défaut) dans les services municipaux.
Un dernier élément mérite d’être souligné, en ce qui concerne le congé parental. Ce congé, créé en 1974, a dès le départ été ouvert aux deux parents, et les pouvoirs publics, de gauche comme de droite, n’ont eu de cesse d’introduire différentes mesures pour promouvoir un partage plus équitable de ce congé entre les hommes et les femmes, au nom de l’égalité entre les sexes. Ainsi, c’est sous la coalition de droite qu’un quota d’un mois pour les pères fut introduit en 1994, et étendu à deux mois par les sociaux-démocrates en 2002. Alors que certains avançaient l’idée d’une division plus stricte du congé pour « forcer » les pères à assumer leur part de responsabilités, tous les partis politiques se sont distancés de cette idée pendant la campagne de 2010, lorsqu’il est apparu qu’une telle mesure ne bénéficiait pas – loin s’en faut – du soutien de l’opinion publique. De fait, même les libéraux, pourtant les premiers à avoir défendu cette idée dès les années 1970, ont déclaré que les pouvoirs publics étaient allés trop loin dans la régulation de la sphère familiale, et qu’il fallait maintenant respecter le libre choix des familles à décider elles-mêmes de l’organisation du congé parental.
Ainsi, dans ce domaine comme dans les autres, la promotion et la protection du libre choix sont passées avant la promotion de l’égalité (sociale et entre les sexes). Si les sociaux-démocrates ont su, par différentes mesures, promouvoir le libre choix tout en maintenant le principe d’un État-providence universel, financé de façon solidaire par l’impôt et offrant des services de qualité pour tous, les réformes récentes introduites par la coalition de droite pourraient bien amorcer une transformation institutionnelle plus profonde, ouvrant la voie à un accroissement des dualismes sociaux.
Parties annexes
Notes
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