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Introduction

Les tendances de fond qui guident les dynamiques de marchés, comme le réchauffement climatique, la croissance démographique et l’épuisement des ressources, nous amènent peu à peu à faire face à des phénomènes extrêmes et inédits. Ces différents éléments nous confrontent aux principes de la nouvelle normalité exposés par Sardar (2010). Ces principes encouragent à trouver des solutions aux nouvelles problématiques rencontrées. Ce fut particulièrement le cas dans le domaine du commerce international. En effet, la fermeture des frontières durant la pandémie et le confinement ont pénalisé ces entreprises internationales. Pour ces organisations, ces événements soudains ont été de véritables éléments déclencheurs, les forçant à revoir leur stratégie ou à périr. Certaines PME ont réussi à faire de cette pandémie une opportunité en enclenchant ou accélérant leur numérisation. Elles ont pu ainsi stabiliser leur internationalisation, voire l’accélérer.

Au sein des PME, qui se sont montrées résilientes, certaines d’entre elles partagent des caractéristiques singulières, en partant très vite à l’international et en affichant de forts taux de croissance dès leurs premières années d’existence : elles sont souvent désignées sous le terme d’entreprises à internationalisation rapide et précoce (EIRP, Servantie, 2007). Les EIRP peuvent être décrites comme « des entreprises qui s’internationalisent, par l’exportation ou tout autre mode d’entrée, au cours de leurs trois premières années de vie » (Zucchella, Palamara et Denicolai, 2007, p. 268). Elles constituent donc un excellent laboratoire d’observation, car elles semblent aller plus vite et réussissent de façon plus pérenne sur les marchés étrangers (McDougall, Shane et Oviatt, 1994) que d’autres PME plus traditionnelles. Ces EIRP représentent 16 % des entreprises créées au sein des pays développés et ce modèle semble se développer fortement dans les économies émergentes (Smallbone et al., 2016). Le mode de fonctionnement de ces organisations particulières, et notamment leurs relations avec la numérisation, apparaît donc être une clé centrale quand il s’agit de trouver des solutions garantissant leurs succès sur le long terme.

Les chercheurs considèrent la numérisation comme l’ensemble des changements complexes, engendrés par les technologies numériques, sur les produits, les structures organisationnelles ou les processus (Tan, Ondrus, Tan et Oh, 2020). Ces changements vont donc permettre à l’entreprise de développer sa « puissance de calcul » et de traiter des problèmes complexes, plus rapidement (Venkatraman, 1994). Gong et Ribière (2021) proposent la définition unifiée suivante pour définir la numérisation. Ils considèrent la numérisation comme « un processus de changement fondamental, rendu possible par l’utilisation innovante des technologies numériques accompagnée d’un effet de levier stratégique sur les ressources et les compétences clés, visant à améliorer radicalement une entité (une organisation, un réseau d’entreprises, une industrie ou une société) et à redéfinir sa proposition de valeur pour ses parties prenantes » (p. 12).

De manière générale, la numérisation des EIRP leur a permis d’atteindre plus rapidement des marchés éloignés (Pergelova, Manolova, Simeonova-Ganeva et Yordanova, 2019), à économiser un nombre important de ressources (Neubert, 2018) et à renouveler leurs propositions de valeur (Eller, Alford, Kallmünzer et Peters, 2020). Ce processus de numérisation a donc rendu l’internationalisation accessible à plus d’entreprises (Hervé, Schmitt et Baldegger, 2020 ; Proksch, Rosin, Stubner et Pinkwart, 2021). Le processus de numérisation qui favorise leur croissance, et donc leurs trajectoires internationales, semble être alimenté par les compétences qui permettent aux organisations d’interagir avec les outils numériques (Knight et Liesch, 2016). Les compétences numériques pourraient donc être considérées comme le « carburant » de cette dynamique et comme un des facteurs influençant la vitesse de ces entreprises à l’international. Cependant, aujourd’hui, aucune étude ne renseigne sur les différentes compétences numériques qui encouragent ce phénomène (Ojala, Evers et Rialp, 2018). D’où notre question de recherche : quelles compétences numériques les EIRP mobilisent-elles pour accélérer leur vitesse d’internationalisation ?

Au cours de ce travail, une étude qualitative de nature exploratoire a été menée afin d’identifier les ressources et compétences numériques des EIRP. Pour ce faire, l’approche par les ressources a été employée. Tout d’abord, les résultats confirment les études précédentes sur l’importance de la vision du dirigeant dans la numérisation de son entreprise. La deuxième contribution réside dans la mise en lumière des fondements des compétences internationales numériques. Cet article fait donc apparaître le rôle de certaines compétences numériques (analytiques, opérationnelles, en marketing international) et comment elles interagissent pour influencer la vitesse d’internationalisation des EIRP. Pour finir, cette étude montre l’existence d’un effet rétroactif dynamique. En effet, la vitesse d’internationalisation ainsi enclenchée va avoir un impact sur les compétences opérationnelles et va les renforcer, créant ainsi une boucle « numérique – international » vertueuse.

L’article est structuré comme suit : la première partie expose le cadre théorique basé sur les travaux en entrepreneuriat international et sur la numérisation. La deuxième partie éclaire sur la méthodologie mobilisée et présente les résultats issus d’une analyse réalisée sur sept EIRP. Nous synthétisons nos apports en modélisant la relation numérisation-internationalisation. Enfin, les implications théoriques et managériales issues de l’étude sont exposées.

1. Revue de la littérature

Cette partie repose sur trois pans de la littérature, à savoir l’entrepreneuriat international, l’approche par les ressources et la numérisation. Ces différents pans permettent d’identifier les éléments saillants et d’expliquer les liens entre numérisation, compétences numériques et vitesse d’internationalisation.

1.1. Internationalisation précoce et vitesse d’internationalisation : un bref examen des concepts

Les EIRP appartiennent au champ de l’entrepreneuriat international qui se définit comme un processus de création, de découverte et d’exploitation d’opportunités en dehors des marchés nationaux en vue d’obtenir des avantages concurrentiels (McDougall et Oviatt, 2000). Le champ de l’entrepreneuriat international marque une rupture avec les modèles précédents, exposés dans la littérature en commerce international. En effet, l’entrepreneuriat international n’a pas vocation à présenter comment l’organisation applique une logique de rentes monopolistiques ou oligopolistiques, de recherche d’efficacité et de pouvoir, mais plutôt une logique « de jeunes pousses », avec des ressources et moyens limités qui mettent donc l’accent sur la création de nouvelles opportunités et l’innovation (Knight et Liesch, 2016). Ainsi, les PME suivant le processus d’internationalisation rapide ont tendance à suivre une vitesse d’internationalisation et une croissance internationale plus grande (Paul et Rosado-Serano, 2019). Au fil du temps, et au cours de l’étude de ce champ, les auteurs ont pu distinguer plusieurs grands types d’organisations répondant à ce critère. De nombreuses nomenclatures existent, mais parmi cet ensemble deux principales ressortent plus particulièrement. Il s’agit des international new venture (INV) et des born global. L’INV est définie comme « une organisation commerciale qui, dès sa création, cherche à tirer un avantage concurrentiel significatif de l’utilisation de ressources et de la vente de produits dans plusieurs pays » (McDougall, Shane et Oviatt, 1994, p. 50). Concernant les born global, ce sont « des entreprises qui se développent sur les marchés étrangers et font preuve de prouesses commerciales internationales et d’une performance supérieure, dès leur création ou presque » (Knight et Cavusgil, 2004, p. 124). Aujourd’hui, ces dénominations d’international newventure et de born global ont été complétées par d’autres catégories et ceci est notamment le fait d’une évolution du champ de l’entrepreneuriat international et d’un élargissement des modes d’internationalisation (Etemad, Gurau et Dana, 2022). Cette évolution est essentiellement due aux nombreux changements technologiques et à la numérisation, qui offrent de nouvelles opportunités (Reuber, Knight, Liesch et Zhou, 2018). Récemment, un appel à la communauté, pour regrouper ces différents termes sous l’appellation EIRP, s’est fait entendre. En effet, le terme EIRP semble être une notion beaucoup plus englobante, qui caractérise ce phénomène (Romanello et Chiarvesio, 2019).

Ces entreprises, quelle que soit leur dénomination, semblent suivre une dynamique internationale similaire (Svensson, 2006) ; par conséquent, les auteurs invitent à établir un modèle plus intégratif (Saarenketo, Puumalainen, Kuivalainen et Kyläheiko, 2004 ; Romanello et Chiarvesio, 2019). Cette trajectoire internationale dynamique est appréhendée par la notion de vitesse d’internationalisation. La vitesse d’internationalisation est un concept multidimensionnel souvent défini par trois critères (Casillas et Acedo, 2013 ; Chetty, Johanson et Martin, 2014 ; Hilmersson et Johansson, 2016) :

  1. l’intensité commerciale internationale, qui correspond à la proportion de la croissance du chiffre d’affaires de l’entreprise générée par ses succursales internationales au cours d’une période spécifique ;

  2. le déploiement des ressources à l’étranger, qui correspond aux actifs de l’entreprise déployés à l’étranger au cours d’une période donnée ;

  3. le nombre d’entrées sur les différents marchés, qui correspond à l’augmentation dans le temps des pays (y compris la variété et la distance) où une entreprise est active.

Aujourd’hui, de nombreuses questions subsistent concernant la vitesse d’internationalisation et les éléments qui influencent la dynamique internationale. Les chercheurs se demandent notamment comment ces entreprises réussissent leur internationalisation dans des marchés risqués, incertains et volatils (Romanello et Chiarvesio, 2019). Les EIRP font en effet face à de nombreuses contraintes, tout d’abord par leur taille et leurs ressources limitées. Elles doivent donc établir des solutions et des stratégies innovantes afin de pouvoir générer un avantage concurrentiel dans les marchés qu’elles souhaitent aborder et ainsi faire face à un environnement risqué, instable et complexe (Knight et Liesch, 2016). Jusqu’à présent, la notion de vitesse d’internationalisation a été expliquée au travers des savoirs et des ressources spécifiques possédés par ces entreprises (Knight et Cavusgil, 2004). En effet, les chercheurs ont pu montrer comment ces entreprises développent une culture particulière et des connaissances innovantes pour poursuivre leurs performances internationales. En s’appuyant sur cet ensemble de ressources et connaissances, ces entreprises vont construire des compétences, qui vont former leur avantage concurrentiel (Prange et Verdier, 2011). Aujourd’hui, les compétences numériques semblent créer de la valeur au sein des petites et moyennes entreprises, et donc influencer leur internationalisation (Lee et Falahat, 2019). Cependant, aucune étude ne s’est penchée sur ce sujet (Ojala, Evers et Rialp, 2018), et en particulier dans le cadre des EIRP. Pour réaliser ce travail et en savoir plus sur ces ressources et compétences numériques, la resource-based view (RBV) semble une approche pertinente.

1.2. Les compétences numériques comme carburant de la vitesse d’internationalisation des EIRP

Pour comprendre le rôle que peuvent jouer les ressources numériques et les compétences associées dans la vitesse internationale des EIRP, il peut être intéressant de nous appuyer sur l’approche par les ressources (RBV), car elle souligne l’importance des spécificités des ressources et compétences pour une entreprise (Collis, 1994). En effet, la RBV ne permet pas seulement de distinguer les « actifs » de l’entreprise, mais également ses compétences, ses processus organisationnels et ses connaissances qui mettent en oeuvre sa stratégie (Barney, 1991). Ainsi, et selon Rumelt (1984), les ressources des entreprises doivent surpasser les « barrières à l’imitation » pour perdurer sur un marché spécifique. Ces ressources spécifiques peuvent donc se répartir en deux grandes catégories : les ressources ordinaires et les ressources stratégiques. Concernant les compétences ordinaires, elles peuvent être considérées comme des ressources communes au sein d’un marché et neutres en termes de performance (Weppe, Warnier, Lecocq et Fréry, 2012). Vis-à-vis des compétences stratégiques, elles permettent de générer un avantage concurrentiel et d’atteindre une performance supérieure au sein d’un marché (Barney, 1991). Ces compétences stratégiques s’inscrivent dans les critères VRIN (valeur, rare, inimitable, non substituable), qui caractérisent les ressources conduisant à un avantage concurrentiel (Barney, 1991). Les éléments VRIN résident souvent dans les connaissances tacites (Grant, 1996) et notamment les compétences qui semblent être les « garantes » de la bonne exécution des processus, et donc de la performance de l’entreprise (Verona, 1999). En effet, posséder des compétences stratégiques permet à l’entreprise à la fois de générer un avantage compétitif en maîtrisant son processus de production (en interagissant avec des machines/outils spécifiques à son activité), mais aussi de garder une avance technologique sur ses concurrents en développant des savoirs au travers de la R&D (Wernerfelt, 1984).

Le développement de compétences numériques, et l’utilisation de certains outils, pourraient en faire partie et jouer un rôle particulier et multiple dans l’internationalisation de l’entreprise. Ces compétences numériques pourraient notamment être considérées comme stratégiques pour l’organisation, car elles permettraient d’atteindre une performance supérieure à l’international (Lee et Falahat, 2019). En effet, la numérisation pourrait aider l’entreprise à identifier de nouvelles opportunités sur les marchés mondiaux, à économiser des ressources (Neubert, 2018), à réduire les barrières internationales (Pergelova et al., 2019) ou encore à créer de nouvelles propositions de valeur (Eller et al., 2020). Pour permettre cette dynamique, les entreprises vont devoir acquérir des compétences numériques pour mettre en place des routines et des processus intégrant ces outils numériques (Venkatraman, 1994 ; Bharadwaj, Sawy, Pavlou et Venkatraman, 2013 ; Bleicher et Stanley, 2016). Ainsi, les compétences numériques constituent la capacité à utiliser des applications technologiques afin de créer de la valeur pour les clients, les fournisseurs et l’entreprise elle-même (Van Laar, Van Deursen, Van Dijk et De Haan, 2017 ; DeLone, Migliorati et Vaia, 2018). Les compétences numériques « s’incarnent » donc dans la maîtrise des différents outils qui sont employés par l’entreprise (Carlsson et Eliasson, 1994), y compris les outils qui sont utilisés pour l’internationalisation de l’entreprise. Les compétences numériques vont donc être mises en interaction avec un nombre important d’outils : RH, marketing, production, etc. Par conséquent, ces compétences vont non seulement permettre à l’entreprise d’avoir accès à plus de connaissances, mais aussi de réduire la complexité des routines et processus (DeLone, Migliorati et Vaia, 2018). En outre, la mise en place de la numérisation lance de grands changements pour l’entreprise, qui doit développer de nouvelles compétences, instaurer de nouvelles routines et mettre en place de nouveaux processus (Warner et Wäger, 2019). Ces nouvelles compétences, routines et processus vont donc lui permettre de gagner en maturité ; maturité qui va servir les marchés nationaux, mais aussi sa croissance internationale (Denicolai, Zucchella et Magnani, 2021).

Malgré le fait que peu d’études aient été menées dans le cadre des EIRP, différents auteurs ont pu identifier l’impact positif que pouvaient avoir ces compétences numériques, notamment en termes commerciaux grâce, par exemple, au recueil de retours clients (Proksch et al., 2021). Les compétences numériques permettraient également à l’EIRP de supporter sa stratégie d’innovation et donc de proposer de nouveaux produits et services (DeLone, Migliorati et Vaia, 2018 ; Von Briel, Recker et Davidsson, 2018). Ainsi, les compétences numériques encourageraient la mise en place d’outils marketing, qui favoriseraient en retour l’internationalisation de l’entreprise (Wang, 2020 ; Kim, 2020). Les compétences numériques permettraient en outre à l’organisation d’acquérir plus de flexibilité en mettant en place des outils comme le paiement en ligne ou en automatisant les prises de commande grâce à un PGI (progiciel de gestion intégré/ERP). Ces outils permettent d’aligner de manière plus rapide les ressources et les compétences en fonction des attentes des clients et des fournisseurs (Proksch et al., 2021). Certains chercheurs ont plus particulièrement constaté les rôles prépondérants joués par le niveau de connaissance et l’attitude favorable du dirigeant envers les technologies numériques sur l’augmentation des investissements en la matière (Favre-Bonté et Tran, 2013 ; Nambisan, 2017 ; Hervé, Schmitt et Baldegger, 2020). En effet, les dirigeants possédant un fort degré d’orientation numérique sont plus amenés à prendre des initiatives en faveur du numérique et ont tendance à adopter rapidement ces technologies avec engagement (Kohli et Melville, 2018). Ces outils numériques ont donc besoin d’être actionnés par un certain nombre de compétences (Van Laar et al., 2017 ; Hervé, Schmitt et Baldegger, 2020 ; Proksch, et al., 2021), qui vont alimenter le moteur de cette dynamique.

Ainsi les compétences numériques, par l’intermédiaire de la numérisation, permettraient d’accélérer la vitesse d’internationalisation des EIRP (Pergelova et al., 2019 ; Eller et al., 2020). Cet article vise donc à explorer cette relation numérisation-internationalisation grâce à la RBV, car elle peut permettre d’identifier les compétences numériques générant l’avantage concurrentiel des EIRP. En effet, pour l’instant, ce concept de compétences numériques n’a pas été clairement qualifié dans la littérature. Il est donc opportun de clarifier ce phénomène et ainsi répondre à l’appel de la communauté, qui encourage à explorer les ressources et les technologies nécessaires pour alimenter la dynamique internationale des EIRP (Ojala et al., 2018). Pour mémoire, la question de recherche qui guide cette étude est la suivante : quelles compétences numériques les EIRP mobilisent-elles pour accélérer leur vitesse d’internationalisation ?

2. Approche méthodologique et présentation du terrain

L’objectif de cette recherche étant de comprendre si et comment les compétences numériques jouent un rôle dans la vitesse d’internationalisation des EIRP. Cet article emploie une démarche qualitative exploratoire et étudie sept cas en profondeur. L’objectif de cette partie est de présenter la méthodologie utilisée, la collecte de données et l’analyse des cas.

2.1. Méthodologie mobilisée

Pour répondre à notre objectif, cette étude s’appuie sur une analyse de discours des acteurs qui ont pris part à ce développement international et numérique. Les études de cas sont considérées comme la méthode d’accès aux données la plus pertinente (Yin, 2013) lorsqu’il s’agit de procéder à « une analyse spatiale et temporelle d’un phénomène complexe par les conditions, les événements, les acteurs » (Wacheux, 1996, p. 89). Cette analyse se base sur des entretiens semi-structurés menés auprès de sept EIRP (12 à 60 salariés, créées entre 2008 et 2019) situées dans deux régions de France, choisies pour leur dynamisme : les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bretagne. Pour chaque région, une recherche d’informations a été effectuée dans les journaux, les médias sociaux et Google Actualités afin d’identifier les entreprises qui ont connu une croissance forte au cours des dernières années. Pour chaque entreprise, une vérification a été effectuée pour savoir si elle était active sur la scène mondiale et impliquée dans des activités internationales. Après avoir identifié ces entreprises, le PDG de chaque entreprise a été contacté afin de présenter notre projet et lui demander s’il était prêt à participer à l’étude. Les entreprises interviewées avaient entre trois et quinze ans. De manière plus précise, l’échantillon est composé de trois entreprises qui sont des éditeurs de logiciels et une qui opère dans le commerce en ligne. Ces entreprises requièrent certaines compétences numériques pour survivre. Cependant, le reste de l’échantillon – qui concerne l’industrie textile, l’électronique (ou hardware) et les services financiers – n’est pas directement concerné par les compétences employées par ces natifs du numérique. Par conséquent, un échantillon hétérogène a été conservé. En revanche, toutes fondent leur stratégie sur des produits à forte intensité de connaissances. Les caractéristiques de l’échantillon sont présentées dans l’annexe 1.

Ces entreprises ont été sélectionnées selon quatre critères (rapidité d’internationalisation et croissance forte, vitesse d’internationalisation, déploiement du numérique, variété des secteurs). Le premier critère est celui des caractéristiques des EIRP (Zucchella, Palamara et Denicolai, 2007, p. 268) : « les PME qui se sont internationalisées trois ans après leur création et qui ont rapidement généré des revenus à l’étranger » (dans notre échantillon, presque toutes sont présentes sur des marchés grand export, c’est-à-dire hors de l’Union européenne [UE]). En outre, toutes ces entreprises suivent une trajectoire de forte croissance correspondant à la définition de l’OCDE : « Toutes les entreprises dont la croissance moyenne annualisée est supérieure à 20 % par an, sur une période de trois ans, doivent être considérées comme des entreprises à forte croissance. La croissance peut être mesurée par le nombre de salariés ou par le chiffre d’affaires. » (Petersen et Ahmad, 2007, p. 3)

Pour appréhender la forte croissance internationale dans sa globalité et donc cette trajectoire internationale dynamique, nous utilisons la notion de vitesse d’internationalisation. La vitesse d’internationalisation est intéressante, car elle est la combinaison de trois éléments présentés dans la revue de littérature. Le concept de vitesse d’internationalisation est un concept multidimensionnel et peut ainsi être appréhendé indépendamment selon chaque dimension (Hilmersson et Johansson, 2016). Pour chaque dimension exposée, nous montrons comment elle est liée à la notion de croissance forte telle que définie par l’OCDE :

  • l’intensité commerciale internationale, qui correspond à la proportion de la croissance des ventes de l’entreprise générée à l’international pendant une période spécifique (part du chiffre d’affaires généré à l’international, à savoir : Δ chiffre d’affaires international N/N-3) ; la définition de « croissance forte à l’international » n’existant pas, la définition de l’OCDE concernant la forte croissance (évolution du chiffre d’affaires sur trois ans) peut s’appliquer à cette notion d’intensité commerciale à l’international ;

  • le déploiement des ressources à l’étranger, qui correspond aux actifs de l’entreprise déployés à l’étranger au cours d’une période donnée. Nous calculons les ressources étrangères par l’évolution du nombre de salariés (Δ salariés) et de filiales déployés à l’étranger (Δ filiales) ; la définition de la croissance donnée par l’OCDE du point de vue du nombre de salariés peut s’appliquer à cette variable qui prend en compte l’évolution du nombre de salariés à l’international ;

  • le nombre d’entrées sur les différents marchés, qui correspond à l’augmentation dans le temps des pays (y compris la variété et distance) où une entreprise est active. Nous calculons la largeur des marchés internationaux par l’entrée à l’intérieur de l’UE (nombre de marchés dans l’UE) et à l’extérieur de l’UE (nombre de marchés à l’extérieur de l’UE).

Étant donné que la définition de la forte croissance fait référence aux critères d’intensité commerciale et au nombre de salariés, la sélection des cas s’est faite essentiellement en prenant en compte ces deux dimensions. Concernant la dimension « le nombre d’entrées sur les différents marchés », elle a surtout été appréhendée pour comprendre la nature de la vitesse d’internationalisation pour chaque entreprise et apporter une précision plus qualitative (largeur et variété).

Troisième critère, les EIRP devaient avoir déployé des outils numériques depuis quelque temps afin de pouvoir observer, de façon rétroactive, l’évolution de la numérisation et des compétences associées. En effet, les compétences étant intangibles et difficiles à mesurer (Carlsson et Eliasson, 1994), la maîtrise des outils employés a permis de rendre compte des compétences numériques présentes au sein de l’organisation. Il nous fallait aussi des entreprises proactives et non réactives afin de pouvoir observer les éventuels impacts du déploiement numérique sur le développement international.

Quatrième critère, il était important que les sept entreprises ne viennent pas du même secteur afin de s’assurer que les résultats ne soient pas biaisés. En effet, dans le secteur high-tech, les entreprises sont forcément plus numérisées, elles ont plus d’appétence pour le numérique. Ainsi, grâce à cette diversité sectorielle, nous nous assurons que nos résultats sont issus de la variété.

Toutes ces informations figurent dans l’annexe 2.

2.2. Collecte et analyse des données

Les entretiens ont été menés au cours de l’année 2021 en s’appuyant sur un guide d’entretien semi-directif prétesté auprès d’universitaires et de deux dirigeants de PME internationalisées. Ces entretiens ont été réalisés auprès du dirigeant et d’une seconde personne de l’e ntreprise avec un profil plus technique. Les principales thématiques qui ont été abordées sont : le parcours international de l’entreprise, la délimitation des routines et des processus de l’organisation, la mise en place d’outils digitaux et leur maîtrise, et les apports de ces outils digitaux à l’internationalisation de l’entreprise[1]. Les sources ont été triangulées en complétant les entretiens avec des articles de presse, vidéos et sites Internet (Annexe 3). Leurs propos ont été enregistrés et retranscrits intégralement (132 pages, 600 minutes d’enregistrement audio). La troisième étape a été celle de l’analyse de discours : cette analyse de discours a fait l’objet d’un traitement des données avec le logiciel ATLAS.ti 9. Deux chercheurs impliqués dans ce projet de recherche, spécialisés en entrepreneuriat international et en numérisation, ont effectué l’analyse de discours. À la suite d’un certain nombre de réunions, ils ont réussi à se mettre d’accord sur leurs pratiques de codage, à examiner les différentes difficultés rencontrées et à trouver des consensus. Ainsi, les textes présentant des caractéristiques similaires ont été attribués selon les mêmes codes de catégorie (tels que « compétences opérationnelles numériques » ou « compétences analytiques numériques »). Par la suite, ces différents fragments de texte ont été rassemblés pour une analyse et une vérification plus poussée (Coffey et Atkinson, 1996). À ce stade, le codage avait mené à une première liste des différentes compétences numériques qui peuvent expliquer la vitesse d’internationalisation des EIRP. Néanmoins, au cours du processus de codage, des éléments relatifs au lien qui pouvait exister entre ces différentes compétences ont été repérés. Par exemple, au travers du logiciel de gestion de la relation client (GRC), les entreprises composant l’échantillon semblaient utiliser à la fois des compétences analytiques numériques et des compétences opérationnelles numériques. Il en allait de même pour le lien entre les compétences analytiques numériques et les compétences marketing international numériques, qui semblaient se croiser. L’étude a également permis d’affiner le raisonnement sur la qualification de chacune de ces compétences numériques. Les réponses des différentes entreprises ont été croisées. Ainsi, cette étude distingue les compétences numériques « indépendantes » de leurs activités propres (notamment pour les natifs du numérique). Il y a alors une mise en valeur des compétences qui influencent sur l’activité internationale de ces organisations. Même si toutes les compétences ne sont pas en lien direct avec l’internationalisation – comme les compétences opérationnelles numériques et les compétences analytiques numériques – les analyses montrent qu’elles permettent l’accélération de la vitesse d’internationalisation des EIRP observées. En effet, nos résultats prouvent que toutes ces compétences sont « stratégiques », car elles permettent de générer un avantage concurrentiel et d’atteindre une performance supérieure au sein d’un marché. En d’autres termes, elles semblent toutes apporter à l’entreprise une rente supérieure à leurs coûts d’investissement (Barney, 1991). Enfin, grâce aux analyses et à la structure des données, les compétences numériques favorisant la vitesse d’internationalisation des EIRP ont été modélisées.

3. Résultats

Cette partie décrit les principaux résultats découlant de la question de recherche suivante : quelles compétences numériques les EIRP mobilisent-elles pour accélérer leur vitesse d’internationalisation ? Les principales conclusions mettent en avant un élément déclencheur et trois grandes compétences qui semblent faciliter la vitesse d’internationalisation des EIRP. L’élément déclencheur est la volonté du dirigeant pour mettre en place des outils numériques. Quant aux trois compétences, il s’agit des « compétences analytiques numériques », « compétences opérationnelles numériques » et « compétences marketing international numériques ».

3.1. L’importance de la vision et volonté du dirigeant pour mettre en place les connaissances numériques

Le premier des éléments significatifs concerne la volonté de numérisation portée par le dirigeant et ses connaissances liées au numérique. En effet, les dirigeants interrogés souhaitent tous, dès la création de l’entreprise, inclure les outils numériques au sein des activités courantes de l’organisation. Cette motivation à numériser rapidement leur entreprise dépend :

  • soit du modèle d’affaires, comme pour l’entreprise @E-SPORT : « Très vite je me suis dit bon les fichiers Excel pour prendre une commande ça ne va plus le faire… et j’ai créé un site Internet comme ça ils peuvent pianoter les commandes le soir… et j’ai créé mon premier city commerce et on le met en ligne, dès la première année de l’entreprise. » @E-SPORT

  • soit du produit qui est high-tech, comme pour @PLAT-BATIMENT : « Bah voilà au fur et à mesure on a grossi pour être aujourd’hui une version assez conséquente et devenir une plateforme de dématérialisation de tous les outils numériques au suivi de chantier. Donc on a commencé vraiment petit, et puis au fur et à mesure on a ajouté de nouvelles fonctionnalités. » @PLAT-BATIMENT

  • ou simplement d’une volonté de « flexibiliser » et moderniser, via le numérique, les activités support, comme pour @CAM-CHANTIER : « Et à chaque fois, on voit que si on veut continuer à grossir et à remettre les choses à plat, et mettre les choses au goût du jour… on se dit qu’on doit mettre à jour les différentes technos, et utiliser quelque chose qui utilise les dernières nouveautés. » @CAM-CHANTIER

Tous les dirigeants interviewés ont conscience des enjeux liés au numérique et donc de « l’effet de levier » potentiel généré par ces outils technologiques. Ainsi, cette vision et cette appétence pour la numérisation vont favoriser l’apparition de compétences numériques. Elles vont donc soutenir l’opérationnalisation de la stratégie et accroître, très tôt, l’internationalisation des EIRP. Le tableau 1 expose les différentes compétences identifiées ; compétences qui seront développées dans les paragraphes suivants.

Tableau 1

Compétences numériques et exemples d’outils utilisés par les PME étudiées

Compétences numériques et exemples d’outils utilisés par les PME étudiées

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3.2. Les compétences analytiques numériques comme prémisses

Parmi toutes les EIRP étudiées, la présence de compétences analytiques est observable ; ces entreprises mettent en place, malgré leur petite taille, des analyses stratégiques, marketing, commerciales, etc. afin d’améliorer leurs décisions stratégiques. En effet, au sein des équipes, se trouvent des personnes en mesure de traiter les informations qualitatives, mais aussi d’interpréter des informations quantitatives générées par l’ensemble des outils numériques. Leurs compétences analytiques vont essentiellement se concentrer sur les activités de veille et d’analyse des ventes. Ainsi, les EIRP intègrent à leurs routines et processus des outils comme : Google Analytics, Slack, des réseaux sociaux et certains API (interface de programmation d’application). À titre illustratif, voici certains verbatim :

Concernant les compétences analytiques numériques présentes au sein de l’organisation :

« Depuis le début, au fur et à mesure que les volumes augmentent… et que le nombre de pays atteints augmente… on structure pour répondre à ces besoins. Il y a eu pas mal de processus mis en place… à la fois pour récolter de l’information… la mettre à disposition du client… tout ce qui est canal qui nous permet de nous contacter… tous les réseaux de support… les réseaux sociaux, les outils de ticketing… »

@CAM-CHANTIER

Concernant les outils employés par ces entreprises :

« On a des outils d’analyse, mais des outils simples qui existent comme Google Analytics… »

@E-SPORT

« L’un des moyens que l’on a mis en oeuvre, c’est d’écouter les questions des développeurs, on leur met à disposition notre système de discussion en ligne, qui nous permet d’identifier des problèmes techniques, qui sont aussi des opportunités, parce que ça permet de voir dans quel segment il y a plus de demandes. »

@PLAT-VISIO pour les API

« On partage pas mal au travers de notre outil de communication qui est Slack… donc ça c’est la méthodologie de partage de la veille… et pour la méthodologie de veille au niveau scientifique… on a des alertes Google Scholar… moi j’utilise aussi Twitter où il y a des chercheurs qui partagent des papiers. »

@INTEL-ARTI

Ces outils et compétences analytiques permettent ainsi « d’aiguiser » les décisions stratégiques internationales de ces entreprises et impactent d’autres compétences. Ainsi, en complément de ces compétences analytiques numériques, les EIRP vont mobiliser des compétences opérationnelles, qui vont soutenir la réalisation des fonctions support tout le long de la vitesse d’internationalisation enclenchée par ces entreprises.

3.3. La mise en place de compétences opérationnelles pour soutenir le déploiement numérique

La maîtrise des outils numériques et donc des compétences opérationnelles numériques associées va venir en appui de la logistique, des stocks ainsi que des ventes de l’entreprise au niveau national, mais également au niveau international en fluidifiant les processus et en automatisant la collecte et la gestion des données. Ces compétences opérationnelles numériques sont donc primordiales pour faciliter l’internationalisation rapide de ces entreprises. Les EIRP de notre étude mobilisent différents outils comme : des PGI, des outils de contrôle de gestion en temps réel (cloud), la méthode AGILE[2], des outils numériques de paiement international, AZANA[3], le recours au télétravail (via des outils de collaboration à distance), etc. Les verbatim suivants illustrent certaines utilisations.

Concernant la méthode AGILE :

« Donc après pour revenir au processus il y a deux niveaux de lecture : c’était le développement, pour lequel on va utiliser une méthode AGILE… Des choses relativement classiques… En tout cas proche d’AGILE… On va dire qu’on a notre version de la méthode AGILE, et qu’on l’utilise en interne… »

@PLAT-BATIMENT

Concernant les PGI :

« … mais il faut que le PGI soit hyperperformant : qu’il gère le stock, qu’il gère la facturation, qu’il gère les commandes fournisseurs, qu’il gère les statistiques, qu’il gère la compta… Enfin il faut que cela suive derrière. »

@E-SPORT

Concernant les conférences et réunions à distance :

« On est entre les bureaux de Brest, Paris, Copenhague… Il y en a un [salarié] qui veut s’installer à la campagne, il est hyperfiable, on sait qu’il travaille très bien, du coup on va accepter qu’il parte à la campagne, en 100 % télétravail… »

@PLAT-VERTE

En retour, toutes ces compétences opérationnelles numériques vont être impactées par la vitesse d’internationalisation, qui va ainsi révéler toute la pertinence de la flexibilité générée par ces outils (Proksch et al., 2021). En effet, les compétences opérationnelles numériques, par le biais notamment de l’automatisation d’un certain nombre de tâches, vont permettre à l’entreprise de mieux « absorber » la croissance internationale de l’entreprise. Ainsi, l’organisation va pouvoir être beaucoup plus résistante aux chocs de croissance et donc garantir une certaine résilience organisationnelle. Cependant, ces outils numériques doivent être régulièrement mis « à jour » afin de pouvoir suivre la croissance de l’entreprise. En effet, les outils déployés et utilisés au début de la dynamique internationale deviennent vite inutilisables – s’ils ne sont pas adaptés au fil du temps – quand l’entreprise s’adresse à un nombre plus important de marchés.

De plus, ces deux compétences (analytiques et opérationnelles) numériques interagissent entre elles. Ces interactions semblent bénéficier à la stratégie globale de l’entreprise. En effet, les outils opérationnels numériques génèrent un ensemble de données qui vont être analysées via les outils analytiques et donc traitées par les compétences analytiques numériques. Ainsi, le PGI employé par l’entreprise joue le rôle d’une plateforme et va permettre à l’organisation d’avoir une meilleure visibilité sur ses activités et sur les changements à opérer. Cette conduite d’activités en temps réel va lui permettre « d’activer sa flexibilité » au bon moment et donc de répondre à des menaces ou saisir des opportunités plus rapidement. Un échange avec l’entreprise @E-SPORT illustre cette agilité suite à la mise en place d’un PGI :

« Il y en a 1, 2, 3 [business angels] qui sont venus me voir de façon régulière, pour m’aider à mettre en place un contrôle de gestion hyperefficace, et ça a été un facteur clé de succès… et ça, c’est un pilotage qu’on a mis en place dès 2013, et ça a été vital, ça veut dire qu’on n’est pas en train d’attendre la fin de l’année comptable pour savoir comment on va être, on le sait tout le temps et s’il y a un écart quelque part, on peut rectifier le tir. »

@E-SPORT

Enfin, et en complément des deux compétences numériques précédentes (analytiques et numériques), l’étude révèle l’existence de compétences en marketing international numériques, qui semblent jouer un rôle dans la vitesse d’internationalisation des EIRP.

3.4. Des compétences en marketing international numériques comme point d’orgue de la vitesse d’internationalisation

Les compétences en marketing international utilisées par les EIRP de l’échantillon sont liées à la communication, la mise en ligne d’un site Internet multilingue, la mise en action de campagnes publicitaires, etc. De manière plus spécifique, ces entreprises utilisent des outils tels que Google Adwords (ou services de publicité associés), les commerces en ligne, les blogues, les infolettres, etc. Les compétences en marketing international numérique constituent le « fer de lance » de la dynamique engendrée par les compétences analytiques numériques, permettant de comprendre la nature du marché, sa dynamique et les tendances qui le composent. Les compétences marketing international numériques vont ainsi permettre de mener à bien la stratégie internationale de l’entreprise en adaptant les différents supports de communication et les canaux de vente à l’international aux caractéristiques des marchés étrangers. En effet, la numérisation des EIRP participe non seulement à réduire les barrières internationales, mais aussi à proposer un nouveau processus de création de valeur.

Ces deux compétences (analytique et marketing international) apparaissent comme étant liées. Les compétences marketing international numériques semblent donc jouer un rôle primordial dans la génération de la vitesse d’internationalisation au travers des compétences analytiques numériques. Les verbatim suivants en sont des illustrations… vis-à-vis des compétences en marketing international numériques qui sont mobilisées par l’organisation :

« Moi l’international ça m’aide par exemple sur la base photo… notamment pour des pays comme la Suède ou 40 % du business se fait sur la toile et eux me disent qu’on est un peu léger par rapport à d’autres marques en termes de photos. Donc moi si je veux progresser à l’international, j’ai besoin que l’on développe ces outils-là. »

@VÊTEMENT-SPORT

… vis-à-vis des outils qui sont déployés par l’organisation :

« Donc on s’est dit avec ma copine qui est venue prêter main-forte la première année : “le site Internet là, il ne faut pas qu’on le fasse qu’en français on va aussi le faire en anglais avec OSCAR [nom d’entreprise]”, car ils sont capables de le faire. »

@E-SPORT

« D’un point de vue culturel, chaque pays a quand même bien sa spécificité, c’est assez surprenant… On a commencé à vendre en Allemagne quand notre site a été entièrement traduit… avec une bonne qualité, ce n’est pas une traduction automatique en allemand (traduction automatique Google). C’est quand on a mis en place des publicités Adwords en allemand, et on a eu une vraie approche et une vraie démarche ciblage des clients allemands… »

@CAM-CHANTIER

… vis-à-vis du lien entre les compétences analytiques numériques et les compétences marketing international numériques :

« … ensuite, on va avoir des retours plus qualitatifs, notamment ce que je disais dans les magasins… j’aime, je n’aime pas… les postes sur Instagram… regarder les discussions, voir ce qu’il se dit… et en fonction de ça… c’est soit un gros carton, le produit on peut le garder, donc on peut faire ce qu’on appelle une “commercialisation par-dessus”, donc essayer de le revendre directement après, ou l’on peut essayer de comprendre ce qui n’a pas marché… »

@VÊTEMENT-SPORT

Les compétences marketing international numériques favorisent fortement le succès de ces entreprises à l’international, et ce, bien avant et pendant le déploiement des ressources à l’international. Elles permettent une entrée rapide sur les marchés et la génération rapide d’un chiffre d’affaires à l’international grâce à la mise en place d’une stratégie flexible, employant peu de ressources. Ceci est dû en grande partie à l’influence que ces compétences ont sur les trois dimensions de la vitesse d’internationalisation.

Ainsi, les compétences marketing international numériques vont tout d’abord impacter l’intensité commerciale internationale en aidant l’entreprise à gagner en visibilité, sans forcément déployer de nombreuses ressources.

Ce verbatim témoigne du lien « intensité commerciale internationale-compétences marketing international numériques » :

« Donc on n’a pas vocation pour ce marché des API à avoir des points de présence forcément à l’international, du moins pas tout de suite, mais d’aller faire du marketing numérique à l’international, pour augmenter cette part d’international… Parce que tout est lié au marketing numérique… parce que la clé finalement… la clé du développement c’est de se faire connaître, et le marketing numérique est essentiel quoi… »

@PLAT-VISIO

Ensuite, le déploiement des ressources à l’étranger va être renforcé par les compétences marketing international numériques, car la mise en place de nouveaux outils, processus et routines va demander à l’organisation d’acquérir des compétences pour développer son activité, créant ainsi un effet boule de neige.

Ce verbatim témoigne du lien « déploiement des ressources à l’étranger-compétences marketing international numériques » :

« Le but c’est développer l’équipe… ça permet de travailler sur d’autres choses, et au fur et à mesure on va se développer : en termes du nombre de références, du choix de produits, essayer de nouvelles offres… »

@E-SPORT

Enfin, ces compétences marketing international numériques réduisent progressivement les barrières à l’internationalisation, encourageant ainsi le nombre d’entrées sur les différents marchés. Le verbatim suivant témoigne du lien « nombre d’entrées sur les différents marchés-compétences marketing international numériques » :

« Mais ce qu’on voit… l’avantage du site Web, ça permet d’aller très rapidement sur de nouveaux marchés… ça ne coûte pas très cher… ça coûte un peu de budgets pub sur les réseaux sociaux, de l’AdWords et du référencement… et ça en général on commence par ça, et à partir du moment qu’on voit qu’il y a une certaine dynamique de vente qui se met place sur un pays, qu’on a une certaine récurrence, là en général, on commence à chercher un partenaire qui s’occupera de la revente, sur le pays donné… »

@CAM-CHANTIER

La nature de chacune de ces compétences numériques ayant été explicitée, la prochaine partie propose d’explorer leurs implications pour le champ théorique et les EIRP.

4. Discussion

Cette étude avait pour question de recherche : quelles compétences numériques les EIRP mobilisent-elles pour accélérer leur vitesse d’internationalisation ? Les principaux enseignements issus de notre terrain, basés sur sept entreprises ayant une vitesse d’internationalisation forte, conduisent à proposer la figure 1.

Figure 1

Les interactions entre les compétences numériques et la vitesse d’internationalisation

Les interactions entre les compétences numériques et la vitesse d’internationalisation

-> Voir la liste des figures

Ainsi, en mettant l’accent sur les liens établis entre « l’élément » déclencheur et les trois compétences numériques, cette étude permet de mieux comprendre le lien entre la vitesse d’internationalisation de ces EIRP et les compétences numériques développées. Elle met également en lumière les fondements des compétences internationales numériques et démontre l’existence d’un effet rétroactif dynamique en créant une boucle « numérique-international » vertueuse.

La discussion va donc porter sur les éléments mis en lumière dans cette figure 1.

Tout d’abord, les résultats confirment les résultats des études précédentes sur l’importance de la vision du dirigeant dans la numérisation de son entreprise (Nambisan, 2017). En effet, Favre-Bonté et Tran (2013) ont constaté les rôles prépondérants joués par le niveau de connaissance et l’attitude favorable du dirigeant envers les technologies numériques sur l’augmentation des investissements en la matière. Ainsi, les dirigeants ayant un fort niveau d’orientation numérique semblent plus ouverts aux initiatives numériques et ont tendance à les adopter rapidement et avec engagement (Kohli et Melville, 2018). Néanmoins, les résultats de notre recherche vont plus loin et montrent une nouvelle perspective, au niveau organisationnel, qui souligne l’importance des compétences numériques présentes au sein de l’organisation (Warner et Wäger, 2019). Ainsi, en plus de la vision du dirigeant, cette recherche montre que la vitesse d’internationalisation des EIRP dépend de trois types de compétences numériques : les compétences analytiques numériques, les compétences opérationnelles numériques et les compétences marketing international numériques. Ces compétences sont stratégiques pour les EIRP, car elles permettent de générer un avantage concurrentiel et d’atteindre une performance supérieure. Les deux premiers types de compétences numériques ne sont pas nécessairement tournés vers l’international ; ils sont également présents dans des entreprises qui n’opèrent pas sur des marchés étrangers. En revanche, le dernier type de compétences, la compétence marketing international numérique, est en lien direct avec l’internationalisation et va impacter les trois dimensions de la vitesse d’internationalisation (l’intensité commerciale internationale, le déploiement des ressources à l’étranger, le nombre d’entrées sur les différents marchés). Ce résultat permet de compléter les précédentes études sur l’impact de la numérisation sur l’internationalisation (Neubert, 2018 ; Pergelova et al., 2019). En effet, notre article montre que les compétences marketing international numériques permettent à l’EIRP de gagner en visibilité pour augmenter l’intensité commerciale internationale sans forcément déployer un grand nombre de ressources. De plus, grâce au déploiement de ces compétences marketing international numériques, l’entreprise va gagner en confiance et sa perception des barrières à l’internationalisation va diminuer. Ainsi, la vision positive de la pénétration des marchés étrangers va s’en trouver renforcée et « mécaniquement » le nombre d’entrées dans les pays étrangers va augmenter. Autre élément, les dirigeants des EIRP possèdent une vision à la fois internationale et numérique et c’est cette « double » vision qui permet l’instauration de ces différentes compétences numériques et internationales. In fine, elle permet d’enclencher une plus forte vitesse d’internationalisation. Enfin, les compétences organisationnelles s’appuient sur des outils numériques utilisés par les EIRP et contribuent, eux aussi, à leur vitesse d’internationalisation. Cette étude répond donc non seulement à l’appel d’Ojala, Evers et Rialp (2018), qui encouragent une étude plus approfondie des ressources et des technologies nécessaires conduisant à la dynamique internationale des EIRP, mais va plus loin en identifiant les compétences décisives dans cette dynamique.

P1 : les compétences analytiques numériques et les compétences opérationnelles numériques permettent de générer un avantage concurrentiel et d’atteindre une performance supérieure, mais ce sont les compétences marketing international numériques qui vont permettre à l’EIRP d’aller plus vite à l’international.

La deuxième contribution réside dans les fondements des compétences internationales numériques. Jusqu’à présent, la littérature avait souligné l’importance des compétences numériques dans le cadre des PME (Proksch et al., 2021), mais aussi dans le cadre des PME internationales (Denicolai, Zucchella et Magnani, 2021). Ces compétences semblent permettre une optimisation de l’activité de l’entreprise et une meilleure performance (Venkatraman, 1994 ; Bharadwaj et al., 2013 ; Bleicher et Stanley, 2016). En prenant en compte tous ces éléments, la littérature affirme que ces compétences numériques sont aussi des compétences stratégiques pour les entreprises (Lee et Falahat, 2019). Cependant, aucune étude ne précise la nature de ces compétences ni comment elles se matérialisent dans l’utilisation des outils numériques par les EIRP. Les résultats modélisés dans la figure 1 font apparaître le rôle de certaines compétences numériques (analytiques, opérationnelles, en marketing international) et comment elles interagissent pour influencer la vitesse d’internationalisation des EIRP. Ces compétences numériques apparaissent comme étant stratégiques dans le cadre de l’internationalisation des EIRP. Ainsi, les résultats mettent à jour le rôle des compétences analytiques et opérationnelles numériques en tant que soubassement pour que les compétences marketing international numériques puissent se développer. En cela, cette étude se positionne clairement en rupture avec certaines recherches antérieures, qui présentent les compétences marketing comme étant indépendantes des compétences numériques (Kim, 2020) ou qui présentent les compétences numériques marketing comme étant indépendantes de l’internationalisation (Wang, 2020). Cet article montre donc que l’opérationnalisation des activités marketing numériques à l’international demande des compétences spécifiques différentes des activités marketing dites traditionnelles. Ces compétences en marketing international numériques représentent ainsi un nouveau bloc de compétences qui s’appuie sur des ressources spécifiques et outils numériques propres.

P2 : les compétences en marketing international numériques nécessitent le développement de ressources spécifiques et outils numériques propres.

Au-delà de ces compétences en marketing international numériques, l’étude souligne l’importance des compétences analytiques numériques dans la formulation de la stratégie internationale de l’entreprise. En effet, jusqu’à présent, la numérisation permettait aux entreprises de développer les outils de captation des retours clients qui leur permettent d’accompagner leur stratégie d’innovation et de proposer de nouveaux produits et services en lien avec les besoins clients (DeLone, Migliorati et Vaia, 2018 ; Von Briel, Recker et Davidsson, 2018). Les compétences numériques créent donc de la valeur pour les clients, les fournisseurs et l’entreprise elle-même (Van Laar et al., 2017 ; DeLone, Migliorati et Vaia, 2018). Dans le cadre d’une stratégie d’internationalisation, les compétences numériques analytiques vont également permettre une plus grande identification des opportunités internationales (Neubert, 2018). Ainsi, l’article complète les études précédentes en identifiant les compétences analytiques numériques et les outils numériques associés capables de mieux appréhender les attentes clients et tendances via la mise en place d’un processus de veille collaborative. Plus encore, ces compétences analytiques numériques vont interagir avec les compétences opérationnelles numériques et ainsi permettre à l’entreprise de se reconfigurer de manière plus optimale. Ainsi, contrairement à Wang (2020) ou Kim (2020), les résultats montrent que les compétences marketing international numériques n’englobent pas les « compétences analytiques numériques », mais qu’elles sont le fruit d’une interaction entre les compétences numériques et la vision du dirigeant.

P3 : les compétences analytiques numériques permettent d’identifier dès le départ les opportunités internationales et, de ce fait, jouent un rôle clé dans la formulation de la stratégie internationale de l’entreprise.

Enfin, le dernier apport théorique réside dans l’effet rétroactif dynamique. La vitesse d’internationalisation ainsi enclenchée va avoir un impact sur les compétences opérationnelles et va les renforcer, créant ainsi une boucle « numérique-international » vertueuse. En effet, la littérature montre que l’automatisation des activités support permet aux entreprises d’adopter des routines et des processus plus flexibles (Proksch et al., 2021) qui leur confèrent une certaine agilité et diminuent les ressources à engager lors du processus d’internationalisation (Neubert, 2018). Les EIRP automatisent ainsi un certain nombre d’opérations, comme les activités logistiques, les méthodes de paiement, la prise de commande, etc. Cependant, cet article ne souhaite pas uniquement souligner la nature des compétences numériques associées à la flexibilisation de ces activités support, mais ambitionne également de montrer que la vitesse d’internationalisation impacte, en retour, cet ensemble de compétences et le fonctionnement des outils numériques déployés. Par conséquent, grâce à ces outils, les EIRP vont pouvoir véritablement embrasser cette dynamique de croissance internationale et réussir à persévérer dans le développement de leurs activités grâce à l’optimisation des ressources et compétences (Venkatraman, 1994 ; Bharadwaj et al., 2013 ; Bleicher et Stanley, 2016). Ainsi, si les compétences opérationnelles numériques favorisent fortement la réussite des EIRP à l’international, c’est grâce à l’instauration de cette boucle vertueuse qui permet à l’entreprise de se développer non seulement au niveau international, mais aussi sur l’ensemble de ses activités.

P4 : la vitesse d’internationalisation a un impact sur les compétences opérationnelles et les renforce, créant ainsi une boucle vertueuse.

Conclusion

Cet article se concentre donc sur le rôle de la numérisation, des compétences numériques et comment elles représentent le carburant alimentant le moteur de la vitesse d’internationalisation des EIRP. Les résultats montrent que cet « investissement » dans le numérique adossé à une stratégie globale porte ses fruits sur les marchés internationaux. Néanmoins, les principales conclusions en témoignent aussi, l’internationalisation précoce des entreprises observées est aussi un déclencheur, voire un levier, dans l’intégration progressive d’une stratégie numérique et des outils inhérents. Cette boucle dynamique internationalisation-numérisation illustre parfaitement la relation très étroite entre les compétences numériques qu’on pourrait qualifier de « classiques » et les compétences numériques spécifiques telles que celles liées à l’internationalisation, surtout dans ce contexte d’entreprises à internationalisation rapide et précoce.

Implications théoriques

Cette recherche identifie l’existence de trois compétences numériques dites « stratégiques », dont une spécifique à l’international : les compétences analytiques numériques, les compétences opérationnelles numériques et les compétences marketing international numériques. Plus particulièrement, les résultats montrent qu’au travers des compétences analytiques numériques et des compétences opérationnelles numériques, l’entreprise va pouvoir développer des compétences marketing international numériques. En outre, cet article atteste de l’importance des compétences analytiques numériques dans la formulation de la stratégie internationale de l’entreprise. La mise en place d’outils analytiques permet de mieux comprendre les attentes clients et les tendances présentent sur les marchés. Ils vont aussi faciliter le processus de veille collaborative. Ensuite, cette recherche expose l’impact des compétences opérationnelles numériques et comment elles permettent d’absorber la croissance internationale des EIRP en développant progressivement les outils permettant à l’entreprise d’atteindre une flexibilité organisationnelle importante. Dans cette optique, nous avons répondu à l’appel d’Ojala, Evers et Rialp (2018), qui encouragent une étude plus approfondie des ressources et des technologies nécessaires, conduisant à la dynamique internationale des EIRP. Nous ouvrons également le débat avec des articles récents, qui présentent les compétences marketing à l’export comme étant indépendantes des compétences liées à la numérisation (Kim, 2020) ou à l’internationalisation (Wang, 2020), et proposons d’appréhender les compétences marketing international numériques comme un type de compétences spécifiques.

Enfin, notre recherche propose une contribution à la RBV : considérer la ressource numérique comme une ressource plus large que la seule technologie représente une contribution à la théorie RBV, car cela conduit à proposer une autre façon d’envisager l’hétérogénéité des ressources, ici sous l’angle de l’impact sur la croissance internationale. Conformément à la RBV, la numérisation ne crée pas de la valeur en soi ; son rôle dans la création de valeur dépend des efforts de management pour la penser et l’intégrer au niveau de la stratégie dans son ensemble.

En ce qui concerne la mise en oeuvre des pratiques numériques, il est crucial que les dirigeants soient convaincus de leur pertinence et, plus globalement, de l’importance de gérer la numérisation en lien avec l’internationalisation. Cela leur permettra d’adopter une stratégie proactive nécessaire.

Implications managériales

Cette étude nous amène également à faire quelques recommandations managériales. L’effet « boucle vertueuse » permet de faire une première recommandation aux dirigeants de PME : la stratégie d’internationalisation doit être pensée conjointement avec la stratégie numérique. À titre d’exemple, si la PME souhaite commercialiser ses produits à l’étranger, elle doit se poser la question de la modalité d’internationalisation et parmi ces modalités, au même titre que l’implantation directe ou le représentant, se trouve la vente à distance via un site Internet entièrement piloté à partir du pays de base. Ainsi, cette étude devrait encourager les dirigeants à enclencher, très tôt, la formation de leurs employés à ces outils digitaux afin de mettre en action la stratégie (internationale) de l’entreprise. Nous recommandons également l’utilisation d’outils précédemment évoqués comme Slack, Google Adwords, Google Analytics, etc. pour accompagner la numérisation. Aussi, cette étude montre l’intérêt des PGI dans la formalisation de cette stratégie numérique à l’international. En effet, les PGI sont des outils « plateformes », qui vont interagir à la fois avec les compétences analytiques numériques et les compétences opérationnelles numériques. Ainsi, même si l’entreprise est – au départ – petite et ne ressent pas le besoin d’une organisation aussi poussée, ces outils lui permettront de l’accompagner dans son développement et lui feront gagner un temps précieux. Mieux encore, ils seront le socle, adossés aux compétences numériques, d’une dynamique internationale pérenne.

Limites et perspectives de recherche

Cette recherche n’est pas sans limites. Tout d’abord, il serait intéressant d’analyser les mécanismes à l’oeuvre et comment le passage d’individuel (entrepreneur) à organisationnel se met en place pour accélérer la vitesse d’internationalisation. En effet, cet article avait comme objectif premier d’identifier l’accumulation de compétences au niveau collectif ; ce premier point étant atteint, entrer dans l’articulation individuel-collectif est une piste de recherche à explorer. En outre, cette étude exploratoire ne porte que sur les entreprises d’un seul pays ; c’est à la fois une force (échantillon culturellement homogène) et une faiblesse. En effet, nous avons peu de connaissances sur la manière dont les environnements institutionnels locaux peuvent soutenir la dynamique de forte croissance internationale des entreprises. Par conséquent, d’autres études sont encouragées à reproduire notre méthodologie dans différents contextes culturels, à travers un échantillon plus large, pour assurer la validité externe. De plus, comme notre échantillon est composé d’entreprises de différentes industries, qui utilisent des outils différents, nous encourageons des études similaires, mais sur des industries spécifiques, ce qui contribuera entre autres à renforcer la « robustesse » des mesures utilisées dans le cadre de la vitesse internationale des EIRP. Plus particulièrement, ces études pourraient porter sur des secteurs plus « traditionnels » afin de vérifier si ces compétences ne sont pas limitées aux entreprises commercialisant des produits à forte valeur ajoutée, mais aussi à des entreprises employant des stratégies d’internationalisation différentes, telles que les PME à internationalisation traditionnelle. D’autres recherches pourraient être menées en utilisant – sur un temps plus long – l’approche des capacités dynamiques afin de comprendre comment ces entreprises développent ces compétences numériques et comment elles évoluent en fonction de la vitesse d’internationalisation enclenchée par ces EIRP. Une piste de recherche intéressante serait d’identifier les compétences numériques en fonction des différentes phases d’internationalisation des EIRP et de questionner si, dans l’internationalisation rapide, il y a des moments où certaines compétences vont être plus importantes que d’autres, et pourquoi ? De futures études – plus quantitatives – peuvent être effectuées afin de tester notre modèle sur un échantillon plus grand. Enfin, d’autres études pourraient s’intéresser aux enjeux liés à l’instauration de ces outils. Nous pensons notamment aux risques liés à la cybersécurité, la substitution du travail et la destruction de certains emplois, la protection des données et les législations associées ou encore l’impact de ces technologies sur l’environnement. Le lien existant entre les différentes compétences numériques et les dimensions de la vitesse d’internationalisation semble riche et demande encore à être exploré.