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« S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème ». C’est la fameuse devise des shadoks[1] qui pourrait le mieux résumer en une phrase la résilience des entrepreneurs face aux risques et aux différentes crises, tant la plasticité, la créativité, la mobilité des entrepreneurs témoignent des solutions trouvées pour faire face aux crises et aux risques et révèlent la résilience des entrepreneurs. Marie-Christine Chalus-Sauvannet et Aurélie Ewango-Chatelet invitent quatorze contributeurs à faire part de leurs analyses et expériences pour mieux comprendre comment les entrepreneurs relèvent les défis face à l’incertitude.

Cet ouvrage collectif, qui s’inscrit dans le cadre des activités de l’équipe de recherche appliquée CREATE du laboratoire de recherche Magellan et iaelyon School of Management, est bien entendu d’une incroyable actualité, faisant suite à la crise sanitaire que nous venons de traverser, mais pas seulement. Ne vous y trompez pas, si la crise de la Covid-19 est bien à l’origine de l’ouvrage, elle n’est qu’un prétexte pour explorer plus en profondeur un phénomène auquel tout entrepreneur devra faire face dans son existence. Phénomène qui ne pourrait que se renforcer au regard des enjeux écologiques qui attendent les entrepreneurs. Nous sommes par ailleurs frappés par la mise en lumière d’auteurs trop souvent oubliés et dont la mobilisation pour comprendre la résilience entrepreneuriale témoigne de la modernité encore aujourd’hui de leur analyse. À titre d’exemple, le chapitre 3 propose un retour aux bases de la stratégie fort stimulant.

L’objectif de l’ouvrage est de « proposer une réflexion et des outils utiles au maintien de la capacité entrepreneuriale et de la résilience chez les entreprises et les organisations confrontées à des changements importants » (p. 9). Dix contributions viennent relever ce défi. Il est à noter que chaque chapitre à sa propre spécificité, témoignant de la richesse des propositions de chaque auteur.

Si vous vous attendez à trouver une définition de la résilience, vous en trouverez plusieurs. Un travail important a été fait par les différents auteurs pour interroger les différents aspects de cette notion. Nous choisirons de retenir celle proposée dans le chapitre 8 par Guillaume Flamant, qui permet d’apporter une définition globale au concept : « la résilience entrepreneuriale différerait du concept général, car elle serait “la capacité à surmonter de grands défis entrepreneuriaux et à persister dans le processus entrepreneurial face à des situations porteuses d’adversité et à des effets inattendus” (Awotoye et Singh, 2017, p. 29). Elle reposerait sur la combinaison de trois éléments : un retour à la normale après une rencontre avec l’adversité, une adaptation positive et l’acquisition de résultats d’apprentissage et de ressources pour des situations futures qui impliquent de la résilience (Evans et Wall, 2020) ». Manel Dardouri, Pauline Gibard et Ludovic Rérolle identifieront que ces éléments peuvent être définis au travers de trois capacités imbriquées pour les entrepreneurs : « capacité d’absorption, capacité d’appropriation, capacité de renouvellement » (p. 153).

Si, dans un premier temps, trois chapitres viennent analyser les facteurs de résilience en contexte entrepreneurial, ils sont complétés par quatre chapitres qui, dans une deuxième partie, explorent les expériences et pratiques de la résilience organisationnelle. Une dernière et troisième partie vient conclure l’ouvrage en présentant des pistes d’action pour renforcer et développer la résilience entrepreneuriale.

Les facteurs de résilience en contexte entrepreneurial

La contribution d’Aurélie Ewango-Chatelet fait office d’introduction en présentant la notion de résilience organisationnelle en contexte entrepreneurial. Ce chapitre peut être très utile à toute personne, chercheur non spécialiste du concept ou étudiant en master, qui cherche à comprendre l’origine et les perspectives de la résilience en sciences de gestion. Interroger cette notion nécessite de passer de la capacité de rebond à la gestion de l’adversité. La résilience entrepreneuriale apparaît alors comme un concept de management stratégique en situation d’incertitude. La figure 1 (p. 27) est éclairante sur ce point. Elle permet, en croisant la perception (positive ou négative) des conséquences du risque (comme danger ou opportunité) avec l’incertitude et le degré de vulnérabilité, de proposer une grille d’analyse des différentes situations : la résistance, l’évitement, la résilience réactive, la résilience proactive.

Marie-Christine Chalus-Sauvannet, quant à elle, souligne les apports de la veille stratégique à la résilience des entreprises. Distinguant les différents types de veille (marché, produit, concurrentielle, technologique, légale), l’auteure interroge leur impact sur la résilience en fonction des différents stades de développement de l’entreprise : ante-création, lors de la mise en place de l’organisation et enfin en phase de maturité. Il en ressort que « quel que soit le stade de développement de l’entreprise, la veille stratégique permet d’alimenter le système de décision par des informations à caractère anticipatif qui lui permettront en temps de crise (mais pas que) d’être résiliente et de surmonter les périodes difficiles qu’elle rencontrera forcément » (p. 44).

Au-delà de l’intérêt de l’analyse pour comprendre les facteurs de résilience, la très riche proposition de Jean-Fabrice Lebraty et Katia Lobre-Lebraty peut intéresser les tenants des approches critiques en sciences de gestion en éclairant leur analyse des rapports dominant/dominé/insurgé. La notion d’alignement hybride vient ici éclairer la stratégie en situation de crise. L’hybridité vue comme « un contradictoire interne construit en réponse stratégique à un contradictoire environnemental imposé » (p. 55) est alors présentée comme source d’adaptation et de synergie.

Expériences et pratiques de résilience organisationnelle

Si les organisations sont résilientes, les consommateurs aussi. Olivier Brunel et Magdalena Godek-Brunel nous proposent ici d’étudier le comportement d’achat et de consommation. Le regard du marketeur va permettre de regarder, comme dans un miroir, le phénomène de résilience entrepreneuriale. Ce ne sont plus les entreprises qui sont étudiées ici, mais bien leurs clients et notamment leur plasticité et leur force d’adaptation. La théorie du risque perçu en marketing vient nourrir les réflexions. De plus, il est intéressant de noter ici l’importance de la notion de proximité qui vient conforter en creux les conclusions des PMistes.

L’analyse proposée par Catherine Mercier-Suissa et Manal El Bekkara s’appuie sur un cas de relocalisation d’une PME. Au-delà de l’intérêt de cette étude de cas pour le chercheur, qui souhaite identifier concrètement les expériences et pratiques de résilience organisationnelle, ce chapitre présente une formidable étude de cas à soumettre aux étudiants. La fluidité de l’écriture encourage ici cette extraction par le lecteur.

Nisrine El Yadari nous propose également une approche concrète en partageant l’expérience de trois start-up lors de la crise sanitaire. La réponse par l’effectuation apparaît ici comme un préalable à la résilience. « L’effectuation semble être un bon moyen de résistance » (p. 113). Le chapitre conclut à l’importance pour les entrepreneurs de développer des capacités d’adaptation, de flexibilité et de créativité pour augmenter leur capacité de résilience.

Phlippe Mounier, avec une gouaille de conteur, nous amène à la rencontre d’entrepreneurs. La grille de mini diagnostic stratégique en cas d’événements surprises présentée p. 122 peut, en cas d’accompagnement ou d’autodiagnostic, devenir une « boussole stratégique » pour l’entrepreneur. Elle permet également d’établir un état des lieux. Elle sera appliquée sur différents cas dans le chapitre. Nous retiendrons le premier cas qui présente en détail l’impact de la Covid-19 sur une petite entreprise. Les autres cas présentés, plus connus du grand public, permettent à l’auteur d’identifier « trois catégories d’entrepreneurs face à la résilience : les gagnants, les perdants et les habiles » (p. 129).

Renforcement et développement de la résilience entrepreneuriale

L’objectif de cette troisième et dernière partie est de trouver des pistes de solution au renforcement et au développement de la résilience entrepreneuriale. Guillaume Flamand initie la première piste en proposant l’art comme vecteur de formation à la résilience entrepreneuriale. Il présente en détail une expérience pédagogique fort instructive menée auprès d’étudiants. La dyade expérience-analyse apparaît comme nécessaire pour banaliser la résilience.

La réflexivité apparaît également au coeur de la proposition de Manel Dardouri, Pauline Gibard et Ludovic Rérolle. Au travers d’un cas d’incubateur, le chapitre 9 étudie le rôle de l’accompagnement dans le développement de la résilience des entrepreneurs. Les auteurs étudient l’impact de l’accompagnement sur le développement des capacités d’absorption, capacités d’appropriation et capacités de renouvellement indispensables à la résilience entrepreneuriale. Dans le cas présent, ils concluent que « l’accompagnement entrepreneurial favorise le développement d’une capacité dynamique de la résilience à travers le renforcement de la capacité d’absorption » (p. 167). Ils précisent que la résilience ne se construit pas de manière instantanée et individuelle. Elle a besoin de temps et de relations à autrui pour se construire.

L’ouvrage se referme sur le dernier et dixième chapitre en présentant la motivation comme élément clé de la résilience entrepreneuriale. Christophe Estay et Paul Omandji Lokonde proposent d’étudier les liens entre la motivation entrepreneuriale et les logiques d’action des entrepreneurs. En accord avec la littérature, ils retiennent quatre logiques d’actions entrepreneuriales : imitation, innovation-aventure, reproduction et innovation-valorisation. Selon eux, la motivation entrepreneuriale résulte de la rencontre entre l’image que se font d’eux-mêmes les individus et de leurs besoins d’autonomie, d’accomplissement, de créativité, de prise de risque et de contrôle. S’appuyant sur un échantillon de 235 entrepreneurs auquel ils ont appliqué une analyse en composantes principales pour établir les liens entre les deux dimensions retenues, il ressort le rôle central du besoin d’accomplissement. L’imitation a ici disparu des logiques d’action.

Ne pas imiter, se réinventer pourrait être l’adage de la résilience entrepreneuriale. Sans attendre la crise de la Covid-19 qui a mis un coup de projecteur par son ampleur sur les crises et risques de l’activité économique, comme nombre d’auteurs le soulignent dans cet ouvrage, l’activité entrepreneuriale est inhérente aux chocs, défis et imprévus. À l’ère de l’anthropocène, il faut s’attendre à un renforcement des phénomènes déstabilisateurs et des défis à relever. L’entrepreneur en s’engageant dans cette voie doit être conscient qu’il emprunte « des chemins ardus et la résilience devient l’atout principal et incomparable de réussite […] dans une économie du futur qui semble encore plus darwinienne, l’adaptation permanente sera de rigueur pour surmonter les nouvelles épreuves » (p. 135).

Lorsqu’en 2006 nous mobilisons, avec mes coauteurs, Annabelle Jaouen et Sylvie Sammut, pour la première fois le concept de résilience, nous ne nous doutions pas de l’importance généralisée de ce concept pour les processus entrepreneuriaux. Dix-sept ans après l’utilisation de ce concept pour comprendre (seulement, j’oserais dire aujourd’hui) le processus d’accompagnement par les pairs, le contexte, les crises et les défis qui s’annoncent imposent de nourrir par la réflexion et les études la notion de résilience entrepreneuriale.

L’entrepreneuriat peut être qualifié de science du déséquilibre, la recherche de l’équilibre du système de gestion guide les choix et options du porteur de projet, qu’il soit créateur, repreneur ou intrapreneur. Autrement dit, l’entrepreneur est tel le funambule sur sa ligne lâche[2]. Il cherchera son équilibre pour tracer son chemin afin d’atteindre son but. La résilience est alors de trouver la force de remonter sur le fil après une chute et de continuer son numéro d’équilibriste sans avoir peur de tenter la prochaine pirouette (innovation) ou d’affronter le prochain coup de vent (crise).