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« Mot de la rédactrice en chef »
Revue internationale PME fête ses trente ans ! Elle est la plus ancienne revue francophone dédiée aux travaux sur les PME et l’entrepreneuriat et la cinquième plus âgée globalement : Journal of Small Business Management = 55 ans ; Entrepreneurship Theory and Practice = 41 ans ; Small Business Economics = 39 ans ; Journal of Business Venturing = 32 ans.
Nous profitons de ce trentième anniversaire pour faire état du chemin parcouru depuis la création de la revue (ci-après RIPME), rappeler un des défis que nous rencontrons dans le monde scientifique actuel, et finalement inviter les chercheurs à un peu d’audace dans leurs travaux en remettant en question un certain nombre d’acquis qui devraient être revisités et peut-être même réinventés afin de contribuer à une connaissance à la fois plus approfondie et plus précise de notre objet de recherche.
1. Le chemin parcouru depuis 30 ans
La RIPME fête son trentième anniversaire avec la maturité d’un jeune adulte. Elle a aujourd’hui à son actif plus de 500 articles publiés par 681 auteurs différents provenant de 35 pays de tous les continents ; ces articles portent sur 76 sujets référés par près de 500 mots-clés. Elle publie également dans chaque numéro une « Chronique sur le métier de chercheur » depuis 2012 et une « Rubrique sur la mobilisation des connaissances » depuis 2015. Ces textes originaux permettent aux chercheurs d’apprendre différentes facettes de leur métier, mais aussi de mieux comprendre les enjeux que souhaitent partager les organismes de recherche scientifique qui valorisent depuis plus de dix ans des débats sur l’éthique en recherche, le rapprochement entre les chercheurs et les milieux de pratiques pour une recherche de plus en plus « socialement responsable » dans un cadre de développement durable, le libre accès à la connaissance scientifique et l’internationalisation des équipes de recherche. À ces textes s’ajoutent les « Comptes rendus de lecture » de différents ouvrages susceptibles d’intéresser nos lecteurs. Ces sections sont produites sous la responsabilité de rédacteurs associés qui invitent différents chercheurs renommés à partager avec les lecteurs leur expertise et expérience.
La RIPME dispose depuis 2012 d’un code d’éthique et de déontologie valorisant les règles et l’esprit d’une recherche intègre et responsable. Ce code porte sur les comportements des chercheurs (plagiat, autoplagiat, soumission multiple simultanée, etc.) et des évaluateurs (confidentialité, professionnalisme, rigueur, courtoisie, assiduité) ; depuis 2013, la revue s’est dotée d’une plateforme numérique qui permet de réduire significativement les temps de traitement des textes soumis tout en favorisant la transparence des échanges entre les rédacteurs, les auteurs et les évaluateurs ; elle utilise depuis 2015 un logiciel de détection des similarités qui vise à protéger l’intégrité et l’originalité des travaux publiés dans la RIPME en détectant les cas de plagiat et de comportements non éthiques, et en les sanctionnant lorsque nécessaire.
La RIPME, c’est aussi plus de 300 abonnés directs et encore plus de lecteurs répartis sur les cinq continents, nombre en croissance continue depuis plusieurs années ; une équipe de rédacteurs chevronnés qui investissent dans son développement et un comité scientifique formé de chercheurs, provenant de 30 institutions différentes ; ainsi que quelque 700 évaluateurs qui sont inscrits sur sa plateforme. Ce collectif d’experts fait de la RIPME un réel forum de discussions et de réflexion sur les connaissances qu’il est « nécessaire ou important » de publier pour nos domaines scientifiques.
2. Une diffusion en français, mais dans un monde « multilingue »
Dès son origine, la RIPME s’est donnée comme mission d’être une revue phare pour les auteurs qui souhaitaient diffuser leurs travaux en français, mission qui est devenue, avec le temps, un défi bien particulier. L’anglicisation de la recherche et la pression imposée par les institutions pour accroître le rayonnement des travaux de leurs chercheurs et leur visibilité imposent à la revue des efforts importants pour conserver son statut de revue unilingue francophone. Mais ces efforts ne sont pas vains, et on peut féliciter toute la communauté francophone et francophile qui croit dans la RIPME et qui contribue à accroître sa pertinence. À preuve, le nombre croissant d’abonnements et de textes soumis à la RIPME, ainsi que la diversité de leur origine. Malgré un recul de la publication en français ces dernières années, le nombre de textes soumis « non sollicités » est passé de 33 en 2004, à 69 en 2012, et à 116 en 2016.
Les articles parus dans la RIPME rayonnent également par leur citation dans les meilleures revues anglophones, telles que Entrepreneurship and Regional Development, Journal of Small Business Management, Small Business Economics, International Small Business Journal, Family Business Review, et francophones telles que la Revue française de gestion ou Management international.
Par ailleurs, les données disponibles sur la plateforme de diffusion numérique Érudit nous indiquent que les consultations de la RIPME viennent de la France et du Canada bien évidemment, mais aussi des pays francophones, dont la Suisse, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et le Cameroun, et non francophones tels que les États-Unis, la Chine, la Hollande, l’Allemagne, et la Russie.
3. Un « cadeau » pour le trentième anniversaire !
Afin de soutenir sa réputation, la RIPME doit être à l’avant-garde des connaissances scientifiques, provoquer les chercheurs et oser des remises en question. Les numéros thématiques ont cette vocation : mentionnons à titre d’exemples les dossiers sur la finance entrepreneuriale, le risque, la créativité et l’entrepreneuriat contextualisé qui poussent les chercheurs à des réflexions qui n’étaient peut-être pas encore entamées, mais le présent numéro est particulier.
Pour souligner son trentième anniversaire, qui coïncide avec le vingtième de l’Institut de recherche sur les PME qui assure la direction de la RIPME, il a été décidé de consacrer ce numéro « d’anniversaire » à des travaux qui provoquent, qui critiquent et qui bousculent les fondements et les assises sur lesquelles se sont développées nombre de recherches au cours des trente dernières années, mais qui invitent également les chercheurs à regarder vers de nouveaux horizons pour produire des connaissances encore plus pertinentes pour nos domaines. Plusieurs chercheurs ont répondu à cet appel lors du Congrès international francophone en entrepreneuriat et PME (CIFEPME) tenu à Trois-Rivières en 2016. Parmi ceux-ci, cinq textes ont retenu l’attention de l’équipe scientifique[1] du congrès et leurs auteurs ont été invités à enrichir leur travail pour l’amener à pouvoir être considéré comme un texte de référence.
Voici une courte description de chaque texte justifiant son inclusion dans ce numéro spécial, et ce que nous pourrons en apprendre.
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La PME est un objet complexe qui, pour bien comprendre sa réalité et son fonctionnement, demande de multiplier les points de vue. Or, cela n’est pas toujours réalisé et beaucoup de chercheurs ont plutôt tendance, lorsque nécessaire, à emprunter aux autres champs leurs vocabulaires, méthodes et théories qu’ils plaquent ensuite sur leur objet d’étude. Cette approche est parfois insuffisante et il serait préférable de favoriser un rapprochement et une meilleure connaissance des fondements de ces disciplines pour voir les limites de leur applicabilité sur nos terrains de recherche. Michel Trépanier et Kadia Georges Aka critiquent les auteurs en gestion pour leur négligence du rôle de l’« homophilie » dans la construction de réseaux des PME devant favoriser l’innovation. Selon eux, les chercheurs oublient trop souvent que pour construire un réseau de collaborateurs efficace, les dirigeants doivent chercher des partenaires avec qui ils partagent des caractéristiques communes. « Nous avons déjà travaillé ensemble, nous avons étudié dans le même domaine, nous partageons la même vision de l’innovation » sont autant de points de similitude favorables au développement d’une relation fertile avec un partenaire potentiel. Les auteurs invitent ainsi les chercheurs en gestion à enrichir leurs travaux sur les réseaux en y ajoutant des dimensions sociales. Comme ils le rappellent, dans le contexte d’innovation notamment, il ne suffit pas au dirigeant de PME de prendre contact avec une université pour initier une collaboration fructueuse ; encore faut-il que ce contact permette de trouver les « bons collaborateurs » avec qui il existera une certaine proximité et compatibilité.
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Le monde des entreprises à forte croissance (start-up) est peut-être un des derniers à cultiver le mythe d’un entrepreneuriat héroïque qui s’accompagne de la liturgie de l’innovation, de la croissance, mais aussi de valeurs, disons-le masculines, sans doute parce qu’il semble d’une part un levier particulièrement prometteur de la croissance économique et que d’autre part il génère son lot de nouvelles icônes. Bienvenu, le texte de Gaëlle Dechamp et Émilie Vez prend de revers ce mythe autour de la notion de net-up en mettant en évidence les dynamiques collectives nécessaires à leur création, en particulier dans la phase d’émergence au sein d’espaces dédiés. Au-delà, des approches plus mesurées de cet univers séduisant permettraient d’éclairer sa face obscure par exemple en termes d’excès, d’échec ou de performativité des discours qui l’accompagnent. Il serait aussi intéressant d’étudier la manière, dont ces entreprises réinventent le rapport au collectif dans la gestion de la tension entre communauté et individualité, à l’espace en le rendant peut-être plus virtuel et temporaire, mais aussi au genre qu’il s’agisse de défaire ou de renforcer les stéréotypes.
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Il peut paraître étonnant que la recherche en entrepreneuriat ait si tardivement considéré la pleine indétermination du processus entrepreneurial pour privilégier des approches abstraites de ce même processus. Cela tient sans doute à une volonté normative qui consiste à être utile par la production de grandes généralisations. Avons-nous d’ailleurs trop mis de côté la pierre posée à l’édifice il y a longtemps par William B. Gartner lorsqu’il proposait de considérer l’entrepreneuriat sous l’angle de l’émergence organisationnelle ? Pourtant, rien ne semble plus imprévisible et singulier qu’un parcours entrepreneurial qui s’organise chemin faisant. Dès lors que l’on s’intéresse aux formes collectives de l’agir entrepreneurial, le mythe d’un devenir sous contrôle ne tient plus dans la mesure où le devenir collectif est soumis au pluralisme des objectifs et des rationalités, aux incertitudes de ce qui s’y organise, aux accidents inhérents au parcours collectif, etc. C’est ce sillon qu’empruntent Sandrine Emin et Gérôme Guibert en étudiant un milieu encore trop peu exploré, pourtant au coeur des dynamiques de création : la scène musicale. Dans la foulée, nous pourrions nous intéresser à des formes plus diffuses de collectif que l’équipe entrepreneuriale : par exemple, à des processus autoorganisés qui font émerger un nouveau contexte créateur plutôt qu’une nouvelle entreprise. Si le champ de l’entrepreneuriat accepte l’indétermination des processus entrepreneuriaux, l’enjeu consiste à réinscrire la création de nouveauté au coeur de son projet de connaissance.
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Viviane Ondoua Biwolé sort des sentiers battus en nous proposant de nouvelles avenues de recherche sur le phénomène de la responsabilisation sociale de la PME. Partant d’une revue critique de la littérature sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) qui en identifie bien les lacunes théoriques et les failles méthodologiques en ce qui a trait à la PME, elle émet des suggestions concrètes pour combler ces lacunes et réparer ces failles. Un mérite particulier de l’auteure à cet égard est de s’insérer dans une démarche évolutive de type piagétien et d’adopter une posture de « praticien réflexif » pour être en mesure d’appréhender le phénomène dans sa complexité théorique et pratique et ainsi de pouvoir « résoudre des problèmes ». À cet égard, le recours au modèle de l’entreprise japonaise plutôt qu’à celui de la grande entreprise semble particulièrement prometteur. Ce faisant, l’auteure ouvre de nouveaux débats sur les « spécificités » de la RSE dans la PME plutôt qu’elle n’en clôt.
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Les emprunts faits aux travaux sur les grandes entreprises pour développer les connaissances sur les PME sont encore importants dans plusieurs domaines, ce qui empêche le développement de solutions adaptées à la réalité des PME. Ces emprunts ne sont toutefois pas toujours inutiles, mais ils nécessitent des adaptations et parfois des refontes étant donné les particularités des PME et de leur contexte. Il en est ainsi des travaux sur la gouvernance qui trouvent une application bien spécifique dans le contexte des PME en croissance, la gouvernance pouvant être un levier de croissance plutôt qu’un mécanisme réservé à la surveillance des intérêts des actionnaires. Caroline Tarillon questionne, au départ du métamodèle de la gouvernance proposé par Wirtz en 2011, les relations entre la vision plus ou moins coercitive ou cognitive qu’ont les dirigeants de PME innovantes de croissance à l’égard de la gouvernance et s’interroge sur les relations entre les mécanismes de gouvernance qu’ils mettent en oeuvre et la croissance de leur entreprise. Sur la base des réponses apportées par 253 dirigeants, elle montre que ces dirigeants développent trois visions génériques de la gouvernance (cognitive, coercitive managériale et coercitive financière), liées à la mise en place de mécanismes tels que la présence d’un conseil d’administration, l’existence d’une équipe de direction ou la présence d’investisseurs en capital, mécanismes eux-mêmes à l’origine d’une croissance plus ou moins forte de leur entreprise.
Nous remercions nos auteurs et collaborateurs pour la production de ce numéro spécial qui, espérons-le, saura vous encourager à dépasser ce vers quoi nous dirigent les travaux actuels. Permettons-nous de rappeler une parole d’Edgar Morin qui trouve écho dans notre éditorial et qui devrait aussi inspirer les chercheurs qui analysent un objet de recherche encore mal connu ou méconnu, et qui ne se dévoile pas facilement :
« L’intelligence, ce n’est pas seulement ce que mesurent les tests, c’est aussi ce qui leur échappe. »
Bonne lecture !
Parties annexes
Note
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[1]
L’équipe scientifique du CIFEPME 2016 était composée de Camille Carrier, Louis Raymond, Olivier Germain et Josée St-Pierre qui a agi comme présidente. À cette équipe s’est joint le professeur Didier Van Caillie pour la préparation de ce numéro spécial.