Résumés
Résumé
Les essaimages académiques se sont fortement développés en France depuis le début des années 2000. Cependant, malgré ce développement, la compréhension de leur processus de croissance et la durabilité de cette croissance restent peu explorées. À partir d’un échantillon de 118 essaimages académiques français de la même génération, cet article analyse les facteurs qui déterminent leur croissance au-delà de leur 5e année d’existence. Ces facteurs sont dérivés de l’approche par les ressources et des capacités dynamiques. Les résultats de notre étude quantitative montrent que 5 facteurs expliquent la croissance des essaimages académiques étudiés : l’orientation entrepreneuriale (et plus largement les ressources cognitives), l’acquisition de compétences tout au long du processus entrepreneurial, le montant des fonds levés (publics et privés), la capacité technologique et l’accompagnement.
Mots-clés:
- Croissance,
- Essaimage académique,
- Ressources et capacités dynamiques
Abstract
Academic spin-offs (ASOs) have developed considerably in France since the 2000s. However, despite a strong increase in the number of new ventures, little is known about their ability to experience growth and to sustain it beyond the five first years. Based on a sample of 118 French ASOs from the same generation, this article analyses the factors that determine their growth just after their 5th year. These factors are derived from the resource-based view (RBV) and the dynamic capabilities approach (DCA). The results of our quantitative study show that 5 factors determine growth of ASOs after the 5th year : entrepreneurial orientation (and broader cognitive resources), the acquisition of skills along the entrepreneurial process, the amount of public and private financing, the technological capability and the support program.
Keywords:
- Growth,
- Academic spin-off,
- Resources and dynamic capabilities approach
Resumen
Desde los años 2000, el número de las spin-off universitarias creadas en Francia ha aumentado considerablemente. Sin embargo, a pesar de este desarrolló, la comprensión de los procesos de crecimiento y la perduración de este crecimiento quedan poco exploradas. A partir de los datos extraídos de una encuesta de 118 spin-off universitarias francesas de la misma generación, tratamos de los factores que influyen el crecimiento de ellas más allá del quinto año de existencia. Estos factores están derivados del enfoque para los recursos y las capacidades dinámicas. Este estudio contribuye a explicar el crecimiento de las spin-off universitarias a partir de los 5 factores siguientes : la orientación emprendedora, el adquisitivo de competencias durante el proceso emprendedor, el importe de los recursos financieros, la capacidad tecnología y las infraestructuras de apoyo.
Palabras clave:
- Crecimiento,
- Spin-off universitarias,
- Recursos y capacidades dinámicas
Corps de l’article
Introduction
« Aldebaran Robotics », « Criteo », « Concept 6 », « Predictys » et « Naskeo Environnement » sont des exemples d’essaimages académiques à fort potentiel de croissance. En France, ce type d’entreprise, qu’il soit issu ou lié à la recherche, bénéficie de l’accompagnement des incubateurs académiques. Ces derniers ont été créés en 1999 par la loi sur l’innovation, dite loi Allègre et ont pour mission d’accompagner des projets de valorisation de la recherche publique. Les projets liés à la recherche sont portés par une personne extérieure à un organisme public de recherche tandis que les projets issus sont portés par un membre d’un laboratoire. Malgré l’existence d’entreprises à succès, OSEO (2011) constate une diminution significative du taux de pérennité des essaimages académiques, entre la 5e et 7e année. Ce taux passe de 85 % à 60 %. Pourtant, les décideurs publics considèrent les essaimages académiques comme un levier de développement économique majeur (Davenport, Carr et Bibby, 2002 ; Lockett, Siegel, Wrigth et Ensley, 2005 ; Gisling, Van Burg et Romme, 2010) et engagent des fonds significatifs en prévoyant un retour sur investissement (Vincett, 2010). Tant le potentiel technologique et le succès de ces entreprises que l’engagement de fonds publics questionnent quant aux facteurs de croissance des essaimages académiques (Franzoni et Lissoni, 2009) : quelles sont les ressources et les compétences qui contribuent le plus à assoir leur croissance ? L’objectif de cet article est de mieux comprendre les antécédents de la croissance des essaimages académiques et de proposer un modèle intégrateur de ces déterminants.
Les nombreux travaux dédiés à la croissance des essaimages académiques mettent en évidence leurs difficultés à croître, en raison de trois particularités majeures (Delmar, Davidsson et Gartner, 2003 ; Rasmussen, 2008 ; Sapienza, Parhankangas et Autio, 2004 ; Shane, 2004 ; Van Geenhuizen et Soetanto, 2009). Premièrement, les auteurs soulignent la jeunesse de ces structures et l’importance du délai de développement de leurs produits pour passer d’une invention à une innovation exploitable commercialement (Lev et Zarowin, 1999 ; Wright et Stigliani, 2013). Deuxièmement, les essaimages doivent faire face aux objectifs divergents de leurs actionnaires (privés, institutionnels, financiers, chercheurs) qui influencent leur stratégie de croissance (Clarysse, Wright, Lockett, Van De Velde et Vohora, 2005). Troisièmement, ces entreprises sont souvent confrontées à une absence de ressources commerciales qui tient au profil des porteurs de projet (Vohora, Wright et Lockett, 2004). Ces trois contraintes sont sources de complexité et affectent fortement le développement des essaimages académiques qui restent souvent de petites tailles et éprouvent de grandes difficultés à gérer leur croissance (Mustar et al., 2006 ; Van Geenhuizen et Soetanto, 2009 ; Visintin et Pittino, 2014 ; Wright, Clarysse, Mustar et Lockett, 2007).
Malgré un intérêt accru dans la littérature, les travaux de recherche n’apportent qu’une connaissance limitée des déterminants de la croissance de ces entreprises (Clarysse, Bruneel, et Wright, 2011 ; Visintin et Pittino, 2014). En effet, les travaux actuels portent sur la capacité à identifier, reconnaître, et exploiter les opportunités (Clarysse, Bruneel et Wright, 2011), le capital initial (Zerbinati, Souitaris et Moray, 2012), la diversité des compétences au sein de l’équipe (Ensley et Hmieleski, 2005) et l’influence de l’expérience entrepreneuriale (Visintin et Pittino, 2014) sur la croissance. À notre connaissance, aucune étude n’a considéré de façon globale ces antécédents de la croissance. C’est pourquoi nous proposons un modèle intégrateur des déterminants de la croissance des essaimages académiques. L’intérêt de cette approche réside dans l’analyse simultanée de l’ensemble des ressources qui sont prépondérantes pour la croissance des essaimages académiques (Brush, Greene et Hart, 2001 ; Heirman et Clarysse, 2004 ; Lockett et al., 2005 ; Mustar et al., 2006 ; Wright et al., 2007). De plus, cette démarche systémique nous permet d’étudier les ressources en tant qu’actifs et la capacité à les faire évoluer dans le temps et selon l’environnement (Lee, Lee et Pennings, 2001 ; Wright et al., 2007). En effet, pour étudier les déterminants de la croissance des essaimages académiques (emploi, chiffre d’affaires), nous concilions deux approches, l’une en termes de stocks de ressources (financement, accompagnement) et l’autre en termes de capacités dynamiques (capacité technologique, orientation entrepreneuriale, acquisition de compétences).
En collaboration avec le ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, nous avons réalisé une étude empirique auprès des essaimages académiques créés entre 2005 et 2007, et accompagnés par l’ensemble des incubateurs académiques nationaux. Nos résultats montrent que les déterminants étudiés (montant des financements levés, acquisition de compétences, orientation entrepreneuriale, accompagnement et capacité technologique) ont une relation positive avec la croissance de l’emploi. De plus, l’acquisition de compétences et la capacité technologique ont également une relation positive avec la croissance du chiffre d’affaires.
Cet article est organisé en quatre parties. Premièrement, un ancrage dans la littérature sur l’approche par les ressources (Resource-Based View) permet de formuler des hypothèses pour expliquer la relation entre ces déterminants et la croissance. Ensuite, nous présentons la méthodologie de nature quantitative et l’échantillon. La troisième partie présente les résultats. Enfin, dans la dernière partie nous discutons les résultats au regard de la littérature.
1. Cadre conceptuel et hypothèses
Actuellement, la littérature montre qu’il n’y a pas de consensus sur la définition des essaimages académiques. L’acception originelle, formulée par McQueen et Wallmark (1982), envisage l’essaimage académique comme une entreprise créée par un ou plusieurs membres d’une organisation publique de recherche afin d’exploiter commercialement une innovation. Cette définition adopte une approche restrictive. D’autres auteurs privilégient une approche élargie. Certains considèrent que les essaimages académiques peuvent être le fruit d’un transfert de technologie qui se substitue au départ du chercheur de sa structure d’origine (Matkin, 1990 ; Steffensen, Rogers et Speakman, 2000). D’autres vont jusqu’à définir l’essaimage académique comme la création d’une entreprise qui commercialise des inventions résultantes des recherches universitaires, mais dont l’inventeur n’est pas forcément l’un des membres du projet de création (Nicolaou et Birley, 2003). Ainsi, il est possible de distinguer deux grands groupes d’essaimages académiques : les essaimages académiques purs et les essaimages académiques hybrides (Fryges et Wright, 2014). Les premiers sont des projets issus de la recherche, portés par un membre de l’organisme de recherche. Les seconds font référence aux projets liés à la recherche, portés par un entrepreneur de substitution (Lundqvist, 2014). Dans cet article, nous retenons une approche élargie en étudiant les entreprises accompagnées par les incubateurs académiques et valorisant une innovation issue d’une recherche universitaire.
Les ressources peuvent être classées en quatre grandes catégories : technologique, humaine, sociale et financière (Mustar et al., 2006 ; Wright et al., 2007). Différents travaux soulignent que la croissance n’est possible pour l’essaimage académique qu’à partir du moment où il a intégré les ressources internes et externes qui lui permettront d’actionner les leviers du développement (Druilhe et Garnsey, 2004 ; Van Geenhuizen et Soetanto, 2009 ; Sapienza, Parhankangas et Autio, 2004). Pour Sapienza, Parhankangas et Autio (2004), « la course à la croissance est en réalité une course à l’apprentissage, pour ces jeunes entreprises » (p. 810). En effet, plus l’apprentissage sera efficient, plus rapide sera l’accumulation de ressources et plus vite il y aura une croissance post-création.
L’approche RBV (Resource-Based View) constitue un cadre théorique adapté pour expliquer la croissance de ces entreprises. Elle trouve son ancrage dans la thèse de Penrose (1959) qui met en exergue le rôle des ressources, à travers leur caractère idiosyncratique, dans l’engagement dans une stratégie de croissance. Cette approche théorique a été mobilisée dans les travaux en management stratégique (Wernerfelt, 1984 ; Barney, 1991, 1997) et en entrepreneuriat (Foss, 2011). Pour ces auteurs, les ressources à l’origine de l’avantage concurrentiel sont des actifs tangibles ou intangibles caractérisés par leur valeur, leur rareté et leur caractère non imitable et non substituable. Si l’accent a été mis au départ sur les ressources en tant qu’actifs, les chercheurs ont insisté sur l’importance de retenir une approche dynamique en termes de routines et de capacités (Teece, Pisano et Shuen, 1997). En effet, dans un environnement en évolution rapide, ce n’est pas tant l’accumulation de ressources qui compte mais bien plus les capacités dynamiques, c’est-à-dire la capacité à intégrer et reconfigurer les différentes ressources à la fois internes et externes. Concernant les essaimages académiques, Ortín-Ángel et Vendrell-Herrero (2014) montrent que s’ils sont, dans un premier temps, moins performants que les jeunes entreprises technologiques en termes d’emploi, de chiffre d’affaires et de capacité d’autofinancement, leur capacité d’apprentissage leur permet de mieux se développer dans un second temps.
Au cours des quinze dernières années, l’approche fondée sur les ressources est également devenue dominante dans la littérature sur les caractéristiques des entreprises de nouvelles technologies et des essaimages académiques (Heirman et Clarysse, 2004 ; Lee, Jee, et Eun, 2011 ; Lockett et al., 2005 ; Somsuk et Laosirihongthong, 2014). S’inspirant des travaux de Barney (1991) ou de Brush, Greene et Hart (2001), plusieurs configurations de ressources ont été privilégiées pour expliquer la croissance des essaimages académiques. Heirman et Clarysse (2004) se sont centrés sur les ressources physiques (technologiques), financières et humaines. Wright et al. (2007), dans leur caractérisation des essaimages, suggèrent de prendre en considération quatre ressources : financière, technologique, humaine et sociale.
1.1. Les ressources financières
Les ressources financières font référence au montant et à la nature des ressources financières. Zerbinati, Souitaris et Moray (2012) mettent en évidence le rôle clé du montant du capital initial dans la croissance des essaimages académiques. La capacité à mobiliser du capital dès le démarrage dépend à la fois des ressources de l’entreprise (domaine technologique et capacité à vendre) et de son contexte social (modèle d’incubation, type de transfert de technologie et engagement du chercheur dans la structure). Cette capacité à mobiliser du capital permet aux entreprises de s’inscrire dans une dynamique de croissance.
Une relation positive a été observée entre le financement et la croissance des jeunes entreprises (Cooper, Gimeno-Gascón et Woo, 1994). La littérature consacrée au capital-risque met en avant l’importance du financement dans la réussite du projet (Stéphany, 2015). Il permet d’investir dans le recrutement, la technologie, l’organisation, et les autres ressources et il diminue le taux de défaillance des jeunes entreprises (Bruderl et Schussler, 1990 ; Shane et Stuart, 2002 ; Zerbinati, Souitaris et Moray, 2012). Par conséquent, nous proposons que :
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H1 : Le montant des financements levés par les essaimages académiques a une relation positive avec leur croissance.
1.2. L’acquisition de compétences
Les ressources humaines font référence aux compétences détenues et accumulées par les fondateurs, l’équipe de management et le personnel de l’entreprise (Lundqvist, 2014 ; Wright et al., 2007 ; Zhao, Song et Storm, 2013). Le développement des essaimages académiques nécessite l’acquisition de compétences pour compléter les ressources internes et externes (Rasmussen, Mosey et Wright, 2011). Ces auteurs appellent à réaliser plus d’investigations sur l’acquisition de compétences au cours du développement des essaimages académiques. En effet, la performance des essaimages académiques est souvent limitée par le manque de compétences (Sapienza, Parhankangas et Autio, 2004).
Dans les travaux sur les compétences en entrepreneuriat académique, on note la difficulté à identifier un ensemble de compétences influençant la croissance (Di Gregorio et Shane, 2003 ; Heirman et Clarysse, 2004 ; Lockett et Wright, 2005). La littérature aborde la question de la détention de compétences entrepreneuriales, nécessaires pour développer une entreprise, sous l’angle des ressources tangibles (financières, humaines, technologiques, organisationnelles) et intangibles (salariés, interactions entre les membres, prise de décision, culture…) (Brush et Lichtenstein, 2001 ; Clarysse et Moray, 2004 ; Cooper, Gimeno-Gascon et Woo, 1994). Vohora, Wright et Lockett (2004) mettent en évidence les compétences faisant défaut au développement des essaimages académiques : le marketing, le management et le développement international. Différents auteurs affirment que ces compétences, qu’elles soient de nature entrepreneuriale ou managériale, déterminent le potentiel de croissance des jeunes entreprises (Unger, Rauch, Frese et Rosenbusch, 2011 ; Zhao, Song et Storm, 2013). C’est pourquoi nous suggérons que l’acquisition de ces compétences entrepreneuriales aurait un lien avec la croissance.
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H2 : L’acquisition de compétences des essaimages académiques a une relation positive avec leur croissance.
1.3. La capacité technologique
Au-delà des ressources financières et sociales, Lee, Jee et Eun (2011) ont également retenu dans leur étude deux capacités dynamiques : la capacité technologique et l’orientation entrepreneuriale. L’approche par les capacités dynamiques montre, à partir de l’article pionnier de Teece, Pisano et Shuen (1997), que les capacités dynamiques constituent un facteur déterminant de la performance des firmes. Sans ces capacités dynamiques, les ressources ne peuvent être transformées en avantage concurrentiel (Zollo et Winter, 2002 ; Zott, 2003). Les capacités dynamiques sont définies comme « la capacité de l’entreprise à intégrer, développer et reconfigurer les compétences internes et externes pour faire face rapidement aux changements de l’environnement » (Teece, Pisano et Shuen, 1997, p. 516). L’ensemble des travaux se sont focalisés sur les jeunes entreprises innovantes pour lesquelles le développement technologique joue un rôle majeur. Au-delà de cette phase, c’est davantage la capacité à commercialiser de nouveaux produits qui est déterminante comme le soulignent les travaux sur la vallée de la mort (Markham, 2002 ; Markham, Ward, Aiman-Smith, et Kingon, 2010). Selon Wright et Stigliani (2013), il y aurait ainsi un passage d’une logique d’exploration à une logique d’exploitation : « Entrepreneurial firms may need to develop capabilities and resources to switch from one growth mode to another over the life cycle of the firm : for example, having grown initially in terms of building the value of technology, they may need to build capabilities to generate revenue. This may involve a shift from exploration-only skills to exploitation skills, as well as a need to acquire or otherwise access downstream complementary assets » (p. 12).
Dans cette dynamique, la capacité technologique représente l’aptitude à repérer une invention et à développer technologiquement un produit en fonction des besoins du marché pour le commercialiser (Berkhout, Hartmann et Trott, 2010). Lee, Jee et Eun (2011) définissent la capacité technologique comme l’aptitude de l’entreprise à obtenir un avantage concurrentiel durable à partir de connaissances technologiques, de création de compétences spécifiques difficilement imitables et de capacités protégées par la propriété intellectuelle (ex. brevet). L’innovation technologique peut devenir un levier pour la rentabilité (Hsu, 2014) et être considérée comme une meilleure opportunité d’investissement (Chemmanur et Fulghieri, 1999). En ce sens, la recherche a souligné l’importance de proposer une innovation au marché pour survivre et pérenniser la croissance (Datta, Mukherjee et Jessup, 2014 ; Lin, Li et Chen, 2006). Par conséquent, nous suggérons que :
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H3 : La capacité technologique des essaimages académiques a une relation positive avec leur croissance.
1.4. L’orientation entrepreneuriale
Le concept d’orientation entrepreneuriale est une notion attribuée à Miller (1983) pour caractériser les stratégies entrepreneuriales des entreprises existantes, qui a largement été mobilisée dans la littérature en entrepreneuriat et management stratégique (Basso, Fayolle et Bouchard, 2009 ; Covin et Lumpkin, 2011). Selon Lee, Lee et Pennings (2001), l’orientation entrepreneuriale constitue une ressource organisationnelle, source d’avantage concurrentiel. Plus précisément, l’orientation entrepreneuriale reflète la capacité de l’entreprise à être innovante, proactive et à prendre des risques (Covin et Slevin, 1991 ; Miller, 1983). De nombreux travaux ont tenté de relier l’orientation entrepreneuriale à la performance et à la croissance (Rauch, Wiklund, Lumpkin et Frese, 2009). Les entreprises caractérisées par une forte croissance font preuve d’une forte orientation entrepreneuriale (Moreno et Casillas, 2008 ; Stevenson et Jarillo, 1990). Lumpkin et Dess (2001) mettent en évidence les effets de l’orientation entrepreneuriale sur plusieurs facteurs de performance, parmi lesquels la croissance. D’autres auteurs rapportent une relation non significative entre l’orientation entrepreneuriale et la croissance (Covin et Slevin, 1991), et ce particulièrement dans le cas d’essaimages académiques (Walter, Auer et Ritter, 2006). Aussi, nous proposons que :
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H4 : L’orientation entrepreneuriale des essaimages académiques a une relation positive avec leur croissance.
1.5. L’accompagnement
Le capital social de l’équipe entrepreneuriale joue un rôle déterminant dans le processus de croissance des essaimages académiques (Lee, Lee et Pennings, 2001 ; Vohora, Wright et Lockett, 2004). Selon Mosey et Wright (2007), les dirigeants à la tête des essaimages académiques ne disposent pas du même niveau de capital social selon leur expérience entrepreneuriale antérieure. D’où l’importance de renforcer l’acquisition de capital social par le biais de l’accompagnement (Lee, Lee et Pennings, 2001 ; Rasmussen, Mosey et Wright, 2011), grâce notamment à la mise en réseau. Les acteurs de l’accompagnement entrepreneurial ont pour mission de renforcer la mise en réseau des entreprises qu’ils accompagnent (Hackett et Dilts, 2004 ; Lin, Li et Chen, 2006 ; Smilor, 1987). Cette mise en réseau peut faciliter l’accès à de nouvelles ressources et ainsi contribuer à la croissance des essaimages académiques. Une longue tradition de recherche met en avant l’influence positive des structures d’accompagnement sur le développement des essaimages (Mustar et al., 2006 ; Phan, Siegel, et Wright, 2005 ; Rasmussen, Mosey et Wright, 2011).
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H5 : L’accompagnement entrepreneurial des essaimages académiques a une relation positive avec leur croissance.
2. Données et méthode
Nos hypothèses sont testées sur 2 échantillons d’essaimages académiques français, l’un centré sur l’étude de la croissance de l’emploi, et l’autre sur la croissance du chiffre d’affaires. Nous modélisons la relation entre les variables explicatives et les indicateurs de croissance à partir d’une régression linéaire. La relation entre la croissance et ses déterminants peut être décrite selon l’équation suivante :
Où α est la constante ; βn sont les coefficients à estimer et ε est le terme d’erreur.
2.1. Échantillon
L’objectif est d’étudier la relation entre les déterminants et la croissance pendant la phase de développement des essaimages académiques (Vanaelst et al., 2006), qualifiée de vallée de la mort dans la littérature (Markham et al., 2010). Pour y répondre, nous avons choisi de nous focaliser sur la génération d’entreprises créées entre 2005 et 2007. L’étude a été réalisée en 2013 en partenariat avec le ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sur la période 2009-2012. Elle recense une population totale de 557 essaimages académiques accompagnés par les incubateurs académiques sur l’ensemble du territoire national. Les entreprises étudiées sont âgées de 5 à 7 ans sur la période.
Dans le cadre de l’observatoire sur le chercheur créateur d’entreprise, notre équipe de recherche s’intéresse à plusieurs thématiques : les motivations et traits de personnalité, les compétences, l’orientation entrepreneuriale, l’innovation, le financement et l’accompagnement. Une première étude régionale, réalisée en 2012 en partenariat avec l’incubateur LRI (Languedoc-Roussillon Incubation), nous a permis de tester les échelles de mesure déjà validées en entrepreneuriat ; à défaut nous avons construit nos propres échelles fondées sur 10 études de cas et des entretiens en profondeur avec les dirigeants de ces entreprises. Ce questionnaire a fait l’objet d’un prétest auprès de 30 personnes pour s’assurer de sa compréhension par les répondants potentiels. Une première collecte a été réalisée au niveau régional. Nous avons ensuite étendu l’étude au niveau national.
L’administration s’est faite par Internet via l’envoi d’un courrier électronique à tous les dirigeants concernés. Pour nous assurer d’un taux de réponse optimal, nous avons contacté chaque entrepreneur par téléphone afin de les sensibiliser aux objectifs de l’étude et les inciter à répondre à l’enquête. L’enquête a été clôturée fin décembre 2013 avec 206 retours, soit un taux de réponse global de 37 %. Le tableau 1 montre que l’échantillon est représentatif de la population à l’exception des entreprises en situation de cessation. Ce résultat s’explique par la difficulté à contacter les entrepreneurs dont l’entreprise n’est plus en activité. En raison de données non disponibles, l’étude sur la croissance de l’emplois comprend 149 entreprises et l’étude sur la croissance du chiffre d’affaires comprend 118 entreprises. Pour l’échantillon centré sur la croissance de l’emploi, le nombre d’emplois moyen est de 7,19 avec une médiane de 5, un minimum de 1 et un maximum de 44. Pour celui centré sur le chiffre d’affaires, le niveau moyen est de 370 k€, avec respectivement une valeur minimale et maximale de 6 k€ et 2 722 k€ et une valeur médiane de 270 k€ (Tableau 2).
2.2. Mesure de la croissance
La croissance des entreprises est un phénomène complexe et multifactoriel (Boissin, Chalus-Sauvannet, Deschamps et Geindre, 2009). Les mesures les plus courantes portent sur l’évolution du nombre d’emplois et du chiffre d’affaires (Mustar, Wright et Clarysse, 2008 ; Shane et Stuart, 2002). Dans cette étude, nous retenons deux mesures de la croissance qui sont utilisées dans les travaux de recherche en entrepreneuriat. La première est la croissance de l’emploi. Elle est mesurée par le ratio du nombre d’employés équivalent temps plein en 2012 sur l’âge de l’entreprise (Zerbinati, Souitaris et Moray, 2012). La transformation de la variable en logarithme est appliquée compte tenu de la contrainte de normalité qui doit être respectée pour répondre aux exigences des tests statistiques utilisés. En effet, la distribution du ratio n’est pas normale. La seconde mesure est la croissance du chiffre d’affaires. Nous retenons la croissance en valeur absolue. En effet, cette approche est la plus courante dans les études sur les PME et en entrepreneuriat (Coad et Hölzl, 2010). Sur une année, la croissance du chiffre d’affaires en valeur absolue est la différence entre le chiffre d’affaires de l’année en cours et le chiffre d’affaires de l’année précédente. Il convient ensuite de prendre le logarithme. Pour dépasser la limite d’un indicateur de croissance sur une seule année, nous avons pris la moyenne de la croissance sur 3 années successives. Enfin, notons que la corrélation entre la croissance de l’emploi et le taux de croissance moyen du chiffre d’affaires est de 0,61 (p = 0,000).
2.3. Les variables explicatives
2.3.1. Le financement
Une des mesures mobilisées dans la littérature pour étudier le financement est le montant des fonds levés par les jeunes entreprises (Cooper et al., 1994). Dans cette perspective, nous retenons le montant cumulé des fonds levés depuis la création de l’entreprise essaimée. Pour nos échantillons, il s’agit d’une période allant de 5 à 7 ans selon l’année de création de l’entreprise. En moyenne, les entreprises de l’échantillon emploi ont obtenu 240 k€ avec un écart-type de 440 k€. Pour l’échantillon chiffre d’affaires, le montant moyen des fonds levés est de 170 k€ avec un écart-type de 230 k€. Le niveau médian se situe à 80 k€ pour les deux échantillons et le maximum est de 3 150 k€ pour l’emploi et 1 250 k€ pour le chiffre d’affaires.
2.3.2. L’acquisition de compétences
Conformément à notre hypothèse, nous étudions les acquisitions de compétences dans les domaines suivant : le management, le marketing et la gestion internationale (Vanaelst et al., 2006 ; Vohora, Wright et Lockett, 2004). Pour chacun des trois domaines, les répondants étaient interrogés sur leurs acquisitions de compétences selon trois modes d’acquisition : le recrutement, la formation ou l’arrivée de nouveaux associés. Ainsi, pour les trois domaines étudiés, le score de chaque entreprise varie de 0 à 3. La valeur 0 correspond au cas d’une entreprise qui n’a pas acquis de compétences dans le domaine considéré et un score de trois indique que l’entreprise a utilisé les trois modes d’acquisition.
2.3.3. La capacité technologique
En accord avec les travaux antérieurs, nous mesurons la capacité technologique par le nombre de brevets déposés (Acs, Anselin et Varga, 2002 ; Covin et Slevin, 1991 ; Griliches, 1990 ; Guan et Yam, 2015). 50 % des entreprises n’ont pas déposé de brevet et le maximum est de 12 pour l’échantillon emploi et 7 pour le chiffre d’affaires. Le nombre médian de brevets déposés parmi les entreprises de l’échantillon est de 0 et 2 respectivement pour l’échantillon centré sur emploi et pour celui centré sur le chiffre d’affaires.
2.3.4. L’orientation entrepreneuriale
Nous utilisons l’échelle de Likert en 5 points sur l’orientation entrepreneuriale proposée par Covin et Slevin (1991) qui est composée de 9 items. L’analyse de la fiabilité des questions indique un alpha de Cronbach de 0,75. Nous avons utilisé une analyse factorielle confirmatoire pour évaluer les propriétés de l’échelle de mesure de l’orientation entrepreneuriale.
Le test de Chi2 (Chi2(23) = 18,95 ; p = 0,70) indique la qualité de l’ajustement du modèle théorique aux données empiriques. La valeur du CFI (Comparative Fit Index, 1,00) dépasse le seuil de 0,90. Le RMSEA (Root Mean Square Error of Approximation) de 0,00 et le SRMR (Standardized Root Mean Square Residual) de 0,03 sont également en dessous du seuil de 0,08 (Hu et Bentler, 1999). Les liens entre les indicateurs et le construit orientation entrepreneuriale sont tous significatifs au seuil de p = 0,000. La fiabilité de cohérence interne rhô 0,71 est légèrement supérieure au seuil de 0,70 (Fornell et Larcker, 1981). Compte tenu de la valeur de ces indices, nous avons utilisé le score factoriel mesurant l’orientation entrepreneuriale comme variable explicative dans les modèles de régression que nous estimons ci-après.
2.3.5. L’accompagnement
Les incubateurs académiques ont pour objectif de faire émerger des entreprises pour exploiter une innovation issue de la recherche. Ceci se formalise soit par le transfert de technologie vers une équipe projet (équipe entrepreneuriale déjà constituée ou créée par l’incubateur), soit par l’accompagnement du chercheur à la création d’entreprise. Dans ce contexte, ils accompagnent les porteurs de projets à fort potentiel qui sont en lien avec la recherche. Les accompagnements portent essentiellement sur l’entrepreneuriat, la mise en réseau, le financement, la logistique (ex. locaux, matériels) et la gestion d’entreprise afin de structurer et développer les projets. La littérature rapporte qu’indépendamment de la nature de l’accompagnement, le capital social généré favorise la croissance des essaimages académiques (Lee, Lee et Pennings, 2001). Dans cette étude, nous mesurons l’accompagnement par le recours (1) ou non (0) à une structure d’accompagnement au cours des trois dernières années. De fait, nous n’avons pas opéré de distinction parmi les types d’accompagnement.
2.4. Variables de contrôle
En accord avec les travaux antérieurs, nous contrôlons la différence entre les secteurs d’activités (ex. Zerbinati, Souitaris et Moray, 2012). Nous avons intégré dans le modèle 3 variables binaires pour identifier les secteurs d’activité (TIC, Industrie et Biotechnologie). Le secteur des services a été retenu comme modalité de référence. En outre, comme nos échantillons sont composés d’essaimages académiques purs et hybrides, nous prenons en compte cette différence à l’aide d’une variable binaire qui prend la valeur 1 pour les entreprises issues de la recherche (purs) et 0 s’il s’agit d’entreprises liées à la recherche (hybrides).
Le tableau 3 présente une synthèse de nos variables. La matrice de corrélation entre les variables est présentée en annexe. Les tests que nous avons réalisés indiquent que nos variables ne posent pas de problème de multicolinéarité (Moyenne Vif : Échantillon emploi = 1,41 ; Échantillon chiffre d’affaires : 1,41).
3. Résultats : les déterminants de la croissance
Pour analyser la relation entre la croissance et les variables explicatives, nous avons utilisé une régression hiérarchique. Dans un premier temps, nous avons introduit les variables de contrôle dans le modèle. Ensuite, nous avons intégré les variables explicatives. Les deux modèles complets sont significatifs (Tableau 4). Nous observons une hausse de 32 % de la variance expliquée quand on introduit les variables explicatives (p = 0,000) pour la croissance de l’emploi et de 13 % (p = 0,011) pour la croissance moyenne du chiffre d’affaires. Nous avons effectué des tests de spécification, d’hétéroscédasticité et de normalité des résidus pour confirmer la validité des estimations[3].
La première hypothèse suggère que le montant des financements levés par les essaimages académiques a une relation positive avec la croissance. Cette hypothèse est validée pour la croissance de l’emploi (β = 0,333 ; p<0,05) mais pas pour le chiffre d’affaires. Ensuite, nos résultats indiquent une relation positive entre l’acquisition de compétences en marketing et la croissance de l’emploi (β = 0,282 ; p<0,05) et du chiffre d’affaires (β = 0,356 ; p<0,05). Par conséquent, la deuxième hypothèse est validée pour les acquisitions de compétences en marketing mais pas en management et à l’international. La troisième hypothèse propose que la capacité technologique des essaimages académiques a une relation positive avec la croissance. Nos résultats montrent que les deux mesures de la croissance augmentent avec le nombre de brevets, retenu comme indicateur de la capacité technologique. Cette hypothèse est donc validée pour la croissance de l’emploi (β = 0,077 ; p<0,05) et du chiffre d’affaires (β = 0,135 ; p<0,01). Le tableau 4 indique que l’orientation entrepreneuriale a une relation positive avec la croissance de l’emploi (β = 0,361 ; p<0,05) mais la relation avec la croissance du chiffre d’affaires est non significative. Notre quatrième hypothèse n’est donc que partiellement validée. L’hypothèse 5 suggère que l’accompagnement entrepreneurial des essaimages académiques a une relation positive avec la croissance. Les résultats montrent que cette relation est significative pour l’emploi (β = 0,583 ; p<0,01) mais non significative pour le chiffre d’affaires.
En outre, il faut noter que la différence entre les secteurs est significative pour la croissance de l’emploi. Cette dernière est plus faible dans le secteur de l’industrie (β = -0,496 ; p<0,05) et de la biotechnologie (β = -0,585 ; p<0,001) comparée au secteur des services. À l’inverse, il n’y a pas de différence significative sur la croissance de l’emploi entre le secteur des services et celui des TIC. Pour le chiffre d’affaires, à l’exception du secteur de la biotechnologie où la croissance est plus faible au seuil de 10 % (β = -0,479 ; p<0,10) comparée au secteur des services, les différences sectorielles ne sont pas significatives. Enfin, la différence entre les deux types d’essaimages académiques, purs et hybrides, n’est pas significative.
En synthèse, nous observons que pour la croissance de l’emploi, ce sont les acquisitions de compétences qui contribuent le plus à la variance expliquée par le modèle (ΔR2 = 17 % ; p = 0,000) suivie par le montant des fonds levés (ΔR2 = 5 % ; p = 0,005), la capacité technologique (ΔR2 = 5 % ; p = 0,003), l’accompagnement (ΔR2 = 4 % ; p = 0,004) et l’orientation entrepreneuriale (ΔR2 = 2 % ; p = 0,038). Concernant la croissance du chiffre d’affaires, ce sont les acquisitions de compétences en marketing qui contribuent le plus à la variance expliquée par le modèle (ΔR2 = 5 % ; p = 0,003) suivie par la capacité technologique (ΔR2 = 3 % ; p = 0,032). Les autres variables n’ont pas de relation significative avec la croissance.
Les résultats du tableau 4 montrent également que la capacité prédictive du modèle de la croissance de l’emploi (R2 ajusté = 29 %) est supérieure à celle du modèle de la croissance du chiffre d’affaires (R2 ajusté = 11 %). Autrement dit, les déterminants de la croissance que nous étudions – financements, compétences, capacité technologique, orientation entrepreneuriale et accompagnement – ont un effet conjoint plus fort sur l’emploi que sur le chiffre d’affaires, pour les entreprises étudiées ici dont l’âge varie de 5 à 7 ans. Pour les entreprises de nouvelles technologies, ceci peut s’expliquer par le fait que la croissance de l’emploi devance la croissance du chiffre d’affaires en raison de la longue construction de leur offre produit (Brush, Greene et Hart, 2001 ; Delmar, Davidsson et Gartner, 2003).
À l’exception des travaux de Baum et Silverman (2004) étudiant l’impact des capital- risqueurs sur la performance des jeunes entreprises innovantes et de ceux de Bruneel, Ratinho, Clarysse et Groen (2012), analysant la performance des essaimages en fonction de leur typologie, il n’existe pas à notre connaissance de travaux incluant les deux variables (chiffre d’affaires et emploi) dans une même étude pour expliquer la croissance des essaimages académiques et englobant l’ensemble des ressources. Ces résultats sont donc, à notre connaissance, mis en évidence pour la première fois, d’autant qu’ils réunissent des entreprises de même génération et qu’ils comparent deux mesures de croissance, pour un type d’entreprise relativement homogène (essaimages académiques). L’ensemble des ressources étudiées ont un lien positif avec la croissance de l’emploi alors que la technologie est surtout liée à la croissance du chiffre d’affaires. Ces résultats laissent penser que l’approche globale par les ressources contribue à expliquer plus directement la croissance de l’emploi que celle de l’activité, dans le cas des essaimages académiques.
4. Discussion
Cette étude réalisée sur des essaimages accompagnés par des incubateurs académiques montre que le montant des fonds levés, l’acquisition de compétences, la capacité technologique et l’accompagnement sont des facteurs de croissance pour ces entreprises. Ces résultats apportent des contributions sur le plan théorique comme managérial.
Les études antérieures s’accordent à souligner le rôle essentiel du financement dans la performance des startups, notamment à travers les fonds issus du capital risque ou des anges financiers (Stéphany, 2015). Notre approche intègre l’ensemble des financements, y compris publics, permettant ainsi une extension de la plupart des approches issues de la finance entrepreneuriale. Notre étude confirme le lien positif entre financement et croissance, mais uniquement pour l’emploi. Aucun lien n’est établi entre le montant des financements obtenus (cumul depuis la création) et la croissance du chiffre d’affaires au cours des 5e, 6e ou 7e années suivant la création. Une des explications est liée aux spécificités des essaimages académiques. En effet, la longueur du développement en R&D implique une utilisation des financements pour les investissements plutôt que pour le développement commercial. Ces résultats ne sont pas en contradiction avec la littérature. Kerr, Lerner et Schoar (2014) ont mis en évidence le rôle positif des financements par les anges financiers sur l’emploi dans les quatre à neuf ans qui suivent leurs investissements, donc sur des durées relativement longues, assez proches de nos observations.
S’agissant de l’acquisition de compétences, nos travaux mettent en évidence une relation positive entre cette dernière et la croissance. Les résultats confirment l’importance de l’acquisition de compétences en marketing, à la fois pour la croissance de l’emploi et pour le chiffre d’affaires. Néanmoins, contrairement aux résultats antérieurs (Clarysse et Moray, 2004 ; Vanaelst et al., 2006 ; Vohora, Wright et Lockett, 2004), les acquisitions de compétences en management et à l’international n’ont pas de lien significatif avec les deux indicateurs de croissance. Ainsi, acquérir des compétences en marketing permet de lever, au moins en partie, les freins à la croissance en termes d’emploi et de chiffre d’affaires indépendamment du mode d’acquisition de ces dernières (Rasmussen, Mosey et Wright, 2011 ; Brush et Lichtenstein, 2001 ; Zott et Huy, 2007).
Concernant la capacité technologique, nos résultats confirment les travaux de Lin, Li et Chen (2006) et Datta, Mukherjee et Jessup (2014) selon lesquels il est important de présenter une innovation au marché pour survivre et se développer durablement. Au-delà, les résultats montrent que la capacité technologique a une relation positive à la fois avec la croissance en termes d’emploi et de chiffre d’affaires. Dans la lignée de Zahra et Nielsen (2002), la capacité à mettre sur le marché des produits innovants apparaît comme une clé de la croissance économique et du développement des essaimages académiques. Ce n’est pas tant la ressource technologique qui en est à l’origine, mais bien plus la capacité à s’adapter aux évolutions du marché et à être dans une dynamique d’apprentissage permanent (Ortín-Ángel et Vendrell-Herrero, 2014).
Rauch, Wiklund, Lumpkin et Frese (2009) affirment que l’orientation entrepreneuriale génère une performance supérieure. D’autres suggèrent que l’orientation entrepreneuriale est liée à la performance que ce soit en termes d’augmentation de profit, de croissance ou de critères non financiers, comme la satisfaction des actionnaires (Lumpkin et Dess, 2001). Néanmoins, dans le cas particulier des essaimages académiques, Walter, Auer et Ritter (2006), ont montré que si l’orientation entrepreneuriale était importante pour attirer les clients et développer le capital relationnel, elle n’avait pas d’effet direct sur la croissance. Nos résultats confirment à la fois ces derniers travaux et les précisent en apportant une dimension temporelle à l’étude. En effet, nous montrons que l’orientation entrepreneuriale n’a pas de lien direct avec la croissance des essaimages académiques dans la phase de développement de 5 à 7 ans, qualifiée de vallée de la mort.
Ensuite, notre recherche confirme le lien positif entre l’accompagnement et la croissance des essaimées académiques (Lee, Lee et Pennings, 2001 ; Rasmussen, Mosey et Wright, 2011). Cependant, cette relation n’est que partielle : le lien est positif avec la croissance de l’emploi, mais il est non significatif avec la croissance du chiffre d’affaires. Ces résultats sont en conformité avec ceux de Pena (2004) qui démontrent que l’accompagnement contribue positivement à la croissance de l’emploi dans l’entreprise accompagnée mais non à la croissance de son chiffre d’affaires.
En synthèse, notre travail est en adéquation avec les travaux de Lev et Zarowin (1999), mais aussi de Wright et Stigliani (2013) qui expliquent, ce lien partiel par la lenteur du processus de développement des essaimées académiques. Passer de la recherche à l’invention puis à l’innovation pour enfin commercialiser se fait sur une temporalité lente. Ce processus nécessite des embauches précoces, alors même que le chiffre d’affaires n’a pas encore décollé. Ceci explique le lien significatif entre l’accompagnement et la croissance de l’emploi mais pas celle du chiffre d’affaires. Toutefois, ce résultat mérite d’être approfondi en prenant en compte les différences sectorielles. Enfin, cette étude témoigne du pouvoir explicatif de la théorie des ressources dans la croissance de l’emploi, plus que dans celle du chiffre d’affaires, pour la population des essaimées académiques âgées de 5 à 7 ans.
5. Apports et limites
Sur le plan théorique, nos travaux apportent une contribution à plusieurs niveaux. Premièrement, ils montrent que l’approche fondée sur les ressources et les capacités dynamiques est un cadre conceptuel approprié pour apprécier les facteurs de succès des entreprises innovantes, et plus précisément pour appréhender les déterminants de la croissance des essaimages académiques (Heirman et Clarysse, 2004 ; Lee, Lee et Pennings, 2001 ; Lockett et Wright, 2005 ; Somsuk et Laosirihongthong, 2014).
Deuxièmement, cette étude apporte une réponse aux travaux soulignant les insuffisances de la littérature sur l’identification d’un panier de compétences propice au développement de ces entreprises (Di Gregorio et Shane, 2003 ; Heirman et Clarysse, 2004 ; Lockett et Wright, 2005). La détention et le développement de compétences en marketing apparaissent comme un facteur de croissance.
Troisièmement, nos travaux confirment également l’intérêt de combiner des approches en termes de stocks de ressources et de capacité dynamiques (Lee, Lee et Pennings, 2001 ; Wright et al., 2007). Les entreprises qui parviennent le mieux à s’inscrire dans la croissance sont celles qui non seulement renforcent leur stock de ressources humaines et financières, mais qui maintiennent aussi leur position par une capacité technologique dynamique et l’acquisition de compétences.
Cette recherche répond également aux attentes de Rasmussen, Mosey et Wright (2011) qui invitent à envisager l’acquisition de compétences pendant le développement des essaimages. Dans la lignée de Wright et Stigliani (2013), nous montrons qu’au-delà de l’innovation technologique, les compétences marketing et managériales, le financement, et l’accompagnement renforcent le potentiel des essaimages et permettent le passage d’une logique d’exploration à une logique d’exploitation.
Sur le plan managérial, nos résultats encouragent tout d’abord les politiques publiques nationales et régionales à contribuer davantage à l’accompagnement de ces entreprises. Cela vient confirmer les travaux de Gilsing, Burg et Romme (2010), ou ceux de Lockett et al. (2005). Il est fondamental que les politiques publiques prennent la mesure, d’une part, de l’importance de la maîtrise des compétences dans la réussite entrepreneuriale et, d’autre part, de l’activation des partenariats publics-privés pour soutenir le développement des essaimages académiques tournés vers la croissance.
Nos résultats doivent ensuite inciter les entrepreneurs académiques à se questionner davantage sur leur capacité à acquérir des ressources (sur quels plans et par quels modes) (Rasmussen, Mosey et Wright, 2011), sur leur choix de réseaux (quel type de partenaires, quelle voie d’accompagnement) ainsi que sur leur mode de financement.
Enfin, nos résultats mettent en évidence le rôle clé de l’acquisition de compétences en marketing et du développement de la capacité technologique dans la croissance du chiffre d’affaires, permettant ainsi aux porteurs de projet d’orienter leurs investissements. Pour autant, nous devons souligner que, dans la perspective de travaux ultérieurs, le nombre de brevets comme mesure de la capacité technologique (Griliches, 1990) ne tient compte que des connaissances codifiées. Ainsi, cette mesure mérite d’être complétée par d’autres indicateurs qui tiennent compte des compétences et connaissances de l’entreprise qui ne font pas l’objet d’une protection par brevet afin de mieux appréhender la complexité de la capacité technologique.
Conclusion
Cet article met en évidence la contribution des ressources et des capacités dynamiques à la croissance des essaimages académiques, en particulier au cours de la vallée de la mort. Si la littérature a eu tendance à étudier un type de ressources, nous avons retenu une approche globale en montrant comment des facteurs comme le financement, l’acquisition de compétences, la capacité technologique, l’accompagnement, et dans une moindre mesure, l’orientation entrepreneuriale contribuent à la croissance des essaimages académiques.
Nous avons distingué la croissance en fonction de l’emploi et du chiffre d’affaires. Les facteurs étudiés contribuent davantage à la croissance de l’emploi que du chiffre d’affaires. Ce résultat s’explique par la spécificité à la fois des entreprises étudiées et de la période analysée. En lien avec ces résultats, cette étude offre deux perspectives de recherche majeures. Premièrement, si nos résultats montrent que l’acquisition de compétences en marketing contribue à la croissance des essaimages académiques, ils ne précisent pas quel est le meilleur mode d’acquisition. Il conviendrait, comme le suggèrent Rasmussen, Mosey et Wright (2011), de déterminer quel est le mode le plus opportun à retenir. Faut-il privilégier le recrutement, la formation ou encore faire appel à des prestataires externes ? Deuxièmement, la performance des essaimages académiques a été appréciée sous l’angle de la croissance en termes d’emploi ou de chiffre d’affaires. La littérature souligne la difficulté à évaluer la rentabilité de ces entreprises (Vincett, 2010). Il serait ainsi intéressant d’analyser la relation entre les ressources et les capacités dynamiques des essaimés académiques avec la performance financière, en enrichissant les mesures retenues.
Parties annexes
Annexe
Notes biographiques
Véronique Bessière est professeure à l’Université de Montpellier (IAE & MRM), où elle dirige le master management de l’innovation. Ses travaux de recherche portent sur le processus de décision dans des domaines tels que l’investissement, la création d’entreprise, la prévision.
Marie Gomez-Breysse, docteure en entrepreneuriat est ingénieure de recherche au LabEX Entreprendre et professeure affiliée à Montpellier Business School. Les profils d’entrepreneurs, l’équipe entrepreneuriale, l’impact des motivations, compétences et comportements sur la performance des entreprises constituent ses intérêts de recherche.
Karim Messeghem est professeur agrégé des Universités en sciences de gestion à l’Université de Montpellier et directeur du Labex Entreprendre. Titulaire d’un doctorat en sciences de gestion (Université Montpellier 1, 1999), ses travaux portent sur l’accompagnement entrepreneurial, l’opportunité entrepreneuriale et les stratégies des PME. Ils sont menés au sein du Laboratoire MRM (Montpellier Recherche en Management).
Andry Ramaroson, docteur en sciences de gestion, est ingénieur de recherche au Labex Entreprendre (Université de Montpellier). Son intérêt porte sur la performance des entreprises, le comportement des consommateurs, l’entrepreneuriat et l’innovation technologique.
Sylvie Sammut est professeure des Universités en entrepreneuriat et management stratégique à l’Université de Montpellier, directrice du groupe MRM-Entrepreneuriat et corédactrice en chef de la Revue de l’Entrepreneuriat. Ses travaux portent sur l’accompagnement entrepreneurial et la stratégie des startups.
Notes
-
[1]
Cette étude a bénéficié du financement de l’Agence nationale de la recherche dans le cadre du programme « Investissements d’Avenir » (Réf. ANR-10-LABX-11-01). Les auteurs tiennent à remercier Arnaud Milet, cofondateur de D-SIDD, qui a contribué à la première version de cette étude.
-
[2]
Les contributions respectives de chaque auteur à cet article étant équivalentes, leurs noms apparaissent donc par ordre alphabétique.
-
[3]
Par souci de concision, nous ne présentons pas le résultat de ces tests mais ils sont disponibles auprès des auteurs.
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