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Introduction

Le tissu économique français est très largement constitué de très petites structures. Les chiffres les plus récents montrent que 94 % des entreprises ont moins de dix salariés et représentent 38 % des emplois (Fiducial, Baromètre des TPE, 2e trimestre 2013). Pourtant, elles sont encore souvent ignorées des travaux académiques, ou trop souvent intégrées dans les recherches sur les PME (Pacitto, Julien et Meier, 2002 ; Kelliher et Reinl, 2009). Disposant de systèmes d’information (SI) simples et souvent peu formalisés (Ciborra, 2002), ces entreprises marquées par l’omniprésence de leur dirigeant développent généralement des stratégies intuitives et fondées sur des critères d’évaluation et de décision subjectifs (Marchesnay, 2003 ; Dane et Pratt, 2007).

Pourtant, les systèmes d’information jouent aujourd’hui un rôle prépondérant dans le développement des petites entreprises en venant en support à une ou plusieurs fonctions au sein de l’organisation (Laudon et Laudon, 2001). De nombreuses recherches ont ainsi étudié le rôle des SI dans les PME (Raymond, 1990, 2001 ; Cragg et King, 1993 ; Igbaria, Zinatelli, Cragg et Cavaye, 1997 ; Levy et Powell, 2000), mais assez peu se sont intéressées spécifiquement aux problématiques SI des très petites entreprises (Roberts et Wood, 2002 ; Qureshil, Kamal et Wolcott, 2009).

Parallèlement à ces travaux, le courant du bricolage organisationnel connait un succès croissant dans les recherches en sciences de gestion, et plus particulièrement en entrepreneuriat (Baker et Nelson, 2005 ; Phillips et Tracey, 2007 ; Baker, 2007 ; Duymedjian et Rüling, 2010 ; Desa, 2012 ; Fisher, 2012 ; Halme, Lindeman et Linna, 2012 ; Salunke, Weerawardena et McColl-Kennedy, 2013 ; Desa et Basu, 2013) et en systèmes d’information (Ciborra, 2002 ; Verjans, 2005 ; Garud et Karnøe, 2003 ; Ferneley et Bell, 2006). Le bricolage se définit comme l’acte de se débrouiller avec ce qui est à portée de main (Lévi-Strauss, 1966) et de combiner, avec les « moyens du bord », les ressources disponibles afin de créer de nouvelles opportunités (Baker, 2007). Ce concept est ainsi particulièrement approprié à l’analyse des petites entreprises et de leurs pratiques. La plupart des travaux qui étudient le bricolage soulignent sa pertinence pour l’étude des petites entreprises, mais les études empiriques permettant d’identifier les pratiques de bricolage et leurs conséquences en matière d’organisation sont encore limitées (Monnoyer-Longé, 2003 ; Ferneley et Bell, 2006). Cette recherche s’inscrit dans cette optique.

Partant du postulat de la spécificité de gestion des très petites entreprises (Pacitto, Julien et Meier, 2002 ; Jaouen et Torrès, 2008), elle se focalise sur les microfirmes (moins de cinq salariés). L’objectif de la recherche est ainsi d’explorer les modes d’implantation et d’utilisation des systèmes d’information dans ces structures, et de décrire les pratiques de bricolage correspondantes.

Pour ce faire, une revue de littérature sur les systèmes d’information en petite entreprise et sur les caractéristiques informationnelles des microfirmes est réalisée. Nous mobilisons ensuite l’approche du bricolage organisationnel comme cadre d’analyse. Puis, la méthode de recherche et d’analyse des données est détaillée. Le caractère exploratoire de cette recherche implique de développer une méthode qualitative fondée sur 56 entretiens semi-directifs avec des dirigeants et une analyse de discours thématique (Miles et Huberman, 2003). L’analyse des données est réalisée en deux étapes : décrire les pratiques bricolées des dirigeants de microfirmes en matière d’implantation et d’utilisation des SI et identifier les caractéristiques associées (aspirations du dirigeant, perception des outils, objectifs pour l’entreprise, compétences SI). Enfin, les contributions théoriques et managériales de cette recherche sont discutées.

1. Revue de littérature

1.1. Spécificités informationnelles des très petites entreprises

Au niveau organisationnel, la très petite entreprise (TPE, moins de dix salariés), se singularise par sa simplicité et son manque de moyens, se traduisant par : une petite taille, une centralisation et personnalisation de la gestion, une faible spécialisation du travail, une stratégie intuitive ou peu formalisée, une forte proximité des acteurs, un SI interne simple et peu formalisé, un SI externe simple basé sur les contacts directs (Julien, 1990 ; Thong, 1999). Plus l’entreprise est petite, plus son SI est spécifique, et ce pour plusieurs raisons (Gueguen, 2001 ; Ghobakhloo, Zulkifli et Aziz, 2010) : une concentration fréquente de la responsabilité de l’information auprès d’un nombre restreint de personnes, un manque dans la gestion du SI, un faible niveau de ressources disponibles pour l’information, des compétences limitées en SI, une insuffisance d’information environnementale, tant en quantité qu’en qualité, et enfin des sources d’informations particulières du fait de leur forte proximité avec le marché.

En effet, la TPE est avant tout à la recherche d’informations de proximité, car c’est son environnement proche qui l’intéresse au premier plan (Torrès, 2003). Les dirigeants vont alors privilégier les réseaux d’affaires, ou de plus en plus les réseaux sociaux, afin de bénéficier d’informations privilégiées (Baker, Miner et Eesley, 2003 ; Nakara, Benmoussa et Jaouen, 2012). C’est ainsi que le chef d’entreprise rentre dans une démarche de surveillance de son environnement non pas en mettant en place un SI coûteux et formalisé, mais en utilisant un réseau relationnel pouvant être caractérisé de familier (Gueguen, 2001).

Par ailleurs, les buts de l’entreprise sont étroitement liés, voire confondus avec les buts personnels du dirigeant (Marchesnay, 1992). La littérature admet à la fois l’existence de plusieurs profils de dirigeants, et le lien direct entre le profil du dirigeant et les choix stratégiques et organisationnels mis en oeuvre (Laufer, 1975 ; Filey et Aldag, 1978 ; Marchesnay, 1992 ; Filion, 2004 ; LeBrasseur, Blanco et Dodge, 2006 ; Jaouen et Lasch, 2013). En matière d’information, Monnoyer-Longé (2003) a établi un lien entre les profils de dirigeants et leur comportement en matière d’implantation de TIC, en fonction de leur degré de proactivité et de l’acteur à l’initiative de la démarche (dirigeant lui-même ou influence de l’environnement). Elle distingue ainsi les curieux, les suiveurs, les entreprenants et les stratèges. L’auteur indique également les pratiques « bricolées » en matière d’adoption et de diffusion interne, quel que soit le profil du dirigeant.

Le bricolage semble donc apparaître à différents stades du cycle de vie des SI. Il s’agit dans ce qui suit d’explorer dans un premier temps les pratiques SI dans les microfirmes, en mobilisant la littérature sur l’implantation, et ses conséquences en matière d’utilisation ; pour ensuite mobiliser le courant du bricolage organisationnel.

1.2. Les systèmes d’information en petite entreprise : de l’implantation à l’utilisation

Une littérature abondante a étudié le rôle stratégique des SI dans les petites entreprises : l’alignement entre la stratégie d’entreprise et la technologie implémentée (Blili et Raymond, 1993 ; Levy et Powell, 2000 ; Levy, Powell et Yetton, 2001 ; Levy, Powell et Yetton, 2002) ; l’impact des SI sur la performance (Cragg et King, 1992 ; Francalanci et Morabito, 2008), l’amélioration de la réactivité et de l’agilité face à un environnement versatile (Amabile, Gadille et Meissonier, 2000) ; l’avantage concurrentiel procuré par un SI en tant que ressource stratégique (Duhan, Levy et Powell, 2001 ; Vacher, 2003 ; Caldeira et Ward, 2003 ; Winter, Gaglio et Rajagopalan, 2009) ; la gestion des risques liés aux SI (Poba-Nzaou et Raymond, 2011) ; ou encore les SI et la croissance de l’entreprise (Street et Meister, 2004 ; Qureshil, Kamal et Wolcott, 2009).

Plusieurs études ont notamment montré le rôle des SI dans la survie et le développement des entreprises de petite taille (Levy, Powell et Yetton, 2002). Dès 1974, Sharkas indiquait que les défaillances de PME étaient majoritairement liées à des erreurs de décision de la part du dirigeant, celles-ci étant focalisées sur le court terme, et non appuyées sur des SI performants. Plus récemment, Perks (2010) a montré que le système informatique et/ou les TIC peuvent être à l’origine de problèmes de croissance, à cause de leur inadaptation, ou de l’incapacité à fournir des informations favorisant la résolution de problèmes ou la prise de décision. Dans ce contexte, la petite entreprise doit être particulièrement vigilante à la phase d’implantation, dont dépendront ensuite les modes d’utilisation par le dirigeant et les collaborateurs. Les sections suivantes développent ces éléments.

Problématiques spécifiques liées à l’implantation des SI en petite entreprise

La littérature portant sur l’implantation des SI dans les PME étudie la question sous plusieurs angles, qui sont abordés dans cette partie : (a) les motivations et les objectifs attendus de l’implantation, (b) le rôle des acteurs internes et des conseils/experts extérieurs dans les choix d’implantation et (c), les facteurs individuels et organisationnels qui favorisent l’implantation du SI et son adoption par les collaborateurs.

  1. On distingue deux objectifs principaux à l’implantation des SI : une optique de création de valeur, ou une optique de réduction de coûts (Levy, Powell et Yetton, 2001, 2002). Dans le premier cas, le moins courant, les PME planifient à la fois leur croissance et les systèmes nécessaires à celle-ci (Levy et Powell, 2000). Cependant, l’implémentation « classique » des SI dans les petites entreprises relève en général d’une recherche de réduction de coûts ou d’amélioration de processus opérationnels (Blili et Raymond, 1993 ; Duhan, Levy et Powell, 2001). Les investissements en SI ne relèvent pas, dans ce cas, d’une stratégie globale et sont réalisés indépendamment les uns des autres. Levy et Powell (1998) notent par exemple, que certaines PME industrielles investissent dans des SI afin d’améliorer les processus de production, mais sans pour autant y intégrer les fonctions de prise de commandes ou de gestion des stocks.

De façon générale, les dirigeants de petites entreprises sont prioritairement concernés par les informations opérationnelles qui leur permettront de prendre des décisions de court terme (Sharkas, 1974 ; Levy et Powell, 2000) : informations relatives aux dépenses, aux revenus, à la trésorerie. Scott et Bruce (1987) considèrent qu’il n’est pas nécessaire que l’entreprise dispose de systèmes de management formalisés tant qu’elle n’atteint pas la phase de maturité. Les dirigeants ont donc besoin, dans un premier temps, d’un SI ad hoc, capable de fournir les informations simples demandées (Sharkas, 1974). Le système doit être simple, flexible, auto-explicatif, et pouvant fournir des informations pour le contrôle tout comme l’établissement des budgets et des plannings (Sharkas, 1974 ; Blackwell, Shehab et Kay, 2006). L’implémentation est alors réactive et incrémentale.

  1. D’autres recherches montrent que les investissements en SI sont, en général, faiblement en phase avec la stratégie de l’entreprise (Thong, Yap et Raman, 1996 ; Monnoyer-Longé, 2003 ; Bergeron, Raymond et Rivard, 2004). Ce décalage peut notamment se rattacher au degré de compétences du dirigeant. Le choix des technologies implémentées est, en effet, souvent un investissement hors de son champ de compétences, et les équipements, notamment TIC sont « terra incognita pour les dirigeants et une partie de leurs équipes » (Monnoyer-Longé, 2003, p. 14). Par conséquent, ceux-ci sont sujets à l’influence de différents acteurs dans le choix des outils : le réseau social (Poba-Nzaou et Raymond, 2011), des consultants externes ou les vendeurs de logiciels (Thong, Yap et Raman, 1996) ou encore l’expert-comptable (Gray, 1991), eux-mêmes étant subjectifs et parfois incongruents dans leurs critères de choix (Gray, 1991).

  2. La phase d’adoption du SI fait, quant à elle, l’objet de nombreux travaux. Plusieurs facteurs concourent à la réussite de l’adoption des SI en petite entreprise. Un large pan de littérature privilégie une perspective individuelle (Ajzen, 1991 ; Venkatesh et Davis, 2000 ; Venkatesh, Morris, Davis et Davis, 2003 ; Macredie et Mijinyawa, 2011). Certains travaux portant spécifiquement sur les PME mettent l’accent sur les caractéristiques du dirigeant comme variable déterminante d’une adoption réussie : son intérêt et son enthousiasme (Cragg et King, 1993 ; Premkumar et Roberts, 1999), mais aussi son degré d’innovativité et son niveau de compétences en SI (Thong, 1999). L’appropriation des technologies dépend également du niveau de qualification des salariés (Bergeron et Raymond, 1996 ; Monnoyer-Longé, 2003).

  3. Plusieurs recherches montrent qu’il est important de considérer prioritairement l’implémentation en termes organisationnels et stratégiques, plutôt que technologiques et utilitaristes, alors que de nombreux travaux en SI ont une approche fonctionnaliste du processus (Warren, 2003 ; Blackwell, Shehab et Kay, 2006 ; Poba-Nzaou et Raymond, 2011). Parmi les freins à l’adoption, Warren (2003) souligne le problème de la résistance au changement. Certains salariés peuvent « contourner » le système, ou maintenir d’anciennes procédures de travail, au lieu de s’engager dans le développement de nouvelles compétences via le SI. Van Stijn et Wensley (2001) notent à ce sujet que la résistance lors de la phase d’implémentation peut engendrer des pertes d’information et une altération de la mémoire organisationnelle, provoquant ensuite la réapparition des comportements passés, réduisant ainsi la performance de l’entreprise.

En effet, la réussite de l’adoption dépend non seulement de facteurs individuels, mais aussi de facteurs organisationnels. Elle nécessite la compréhension des relations dans l’organisation (Levy et Powell, 2000). La phase d’adoption est donc la plus risquée (Poba-Nzaou et Raymond, 2011).

L’utilisation des SI en petite entreprise

L’utilisation des SI est liée, tout d’abord, à la satisfaction des utilisateurs (Lees, 1987 ; Blackwell, Shehab et Kay, 2006). Raymond (1985) a montré que les SI informatisés avaient un impact sur les décisions opérationnelles, mais pas sur les décisions stratégiques. Ceci est d’autant plus problématique pour les entreprises de très petite taille qui choisissent des progiciels intégrés, car l’investissement nécessaire pour leur acquisition est souvent très élevé comparativement à leurs ressources (Malone, 1985) et les outils sont souvent sous-utilisés (Dandrige et Levenburg, 2000).

La qualité de l’utilisation est également liée à la façon dont les SI ont été conçus et implantés. Woznica et Healy (2009) indiquent qu’il est préférable pour les petites entreprises de disposer d’un SI intégré, car des SI disparates posent plusieurs problèmes. D’un point de vue technique, ils peuvent engendrer des problèmes de compatibilité entre les systèmes, un risque de redondance des données et des problèmes de fonctionnalité. À un niveau opérationnel et stratégique, des SI disparates peuvent empêcher de fournir l’information demandée dans les temps, ou fournir une information inappropriée, et freiner la collaboration entre les employés à cause de leur indépendance les uns des autres (Themistocleous, 2004). Si les bénéfices d’un SI intégré sont nombreux (réduction à terme des coûts, amélioration de la performance et de la productivité), les auteurs identifient plusieurs barrières à l’utilisation d’un SI intégré : le coût de la mise en place, mais surtout la résistance au changement, les salariés ne souhaitant pas partager les informations qu’ils possèdent par peur de perdre le contrôle de certains processus.

Dans la continuité de ces travaux, Bidan, Rowe et Truex (2012) identifient trois types d’architecture des SI en PME, conduisant à des utilisations différenciées : (a) une architecture « en silos », avec plusieurs bases de données non reliées, des politiques non formalisées, et des outils hétérogènes avec peu d’interfaces ; (b) une architecture partiellement standardisée avec un ERP partiel (nombre limité de modules installés) et d’autres logiciels en parallèle ; et (c) une architecture mixte, avec des bases de données communes, un ERP largement utilisé, et des outils ad hoc. Les auteurs montrent que les entreprises les plus petites tendent à développer une architecture en « silos », dont les outils et les pratiques sont souvent bricolés. On retrouve également cette notion d’utilisation « incomplète » dans les travaux d’Amabile et Gadille (2002), portant sur l’utilisation d’Internet, qui distinguent deux types d’utilisation : les PME Net-Valorisantes, qui utilisent Internet dans le cadre d’un projet précis issu d’une stratégie globale et cohérente, et les Net-Indifférentes, qui se sont lancées dans des développements Web sans avoir d’objectifs clairs et qui sous-utilisent l’outil.

En résumé, l’implantation des SI et leurs modes d’utilisation sont contingents. En effet, le contexte organisationnel et stratégique influe fortement sur le type d’outil implanté et le type d’usage qui en sera fait (Gadille et D’Iribarne, 2000 ; Benghozi, 2001 ; Raymond, 2001 ; Mathrani et Viehland, 2009). Par ailleurs, la littérature met en évidence la dimension subjective, informelle, court-termiste, adaptative ou bricolée des SI dans le contexte de la petite entreprise. En tenant compte de l’effet de grossissement (Torrès, 2003), ces caractéristiques sont d’autant plus marquées, plus la taille de l’entreprise est petite. Dans ce contexte, le courant théorique du bricolage organisationnel nous semble approprié pour analyser les pratiques SI dans les microfirmes.

1.3. Le bricolage organisationnel : cadrage théorique

Introduite par Lévi-Strauss (1966), la notion de bricolage trouve un succès croissant dans les recherches en sciences sociales (Baker, Miner et Eesley, 2003 ; Garud et Karnøe, 2003 ; Baker et Nelson, 2003 ; Boxenbaum et Rouleau, 2005 ; Verjans, 2005 ; Stahl, 2005 ; Ferneley et Bell, 2006 ; Phillips et Tracey, 2007 ; Duymedjian et Rüling, 2010 ; Desa, 2012 ; Fisher, 2012 ; Desa et Basu, 2013). Le bricolage organisationnel étant l’acte de se débrouiller avec ce qui est à portée de main (Lévi-Strauss, 1966), il implique la combinaison des ressources disponibles afin de créer de nouvelles opportunités (Baker, 2007).

Utilisé pour caractériser des pratiques organisationnelles, le bricolage sous-tend l’idée de l’improvisation dans la prise de décision comme dans les pratiques d’innovation, en mixant l’organisé et le spontané, la routine avec la non-routine, l’automatique avec le contrôlé (Baker, Miner et Eesley, 2003 ; Andersen, 2008 ; Duymedjian et Rüling, 2010). Ainsi, il implique une capacité d’adaptation importante dans des situations instables. Dans la littérature, deux catégories de bricolage sont généralement distinguées : le bricolage par nécessité et le bricolage stratégique (Desa et Basu, 2013).

Le bricolage par nécessité

Ce type de bricolage sous-tend une pratique provisoire qui contraint l’entrepreneur à faire avec « les moyens du bord » et le peu de ressources dont il dispose (Baker, Miner et Eesley, 2003 ; Baker, 2007 ; Desa et Basu, 2013). Ce bricolage, à un niveau opérationnel, semble être incontournable, notamment pour les PME (Ferneley et Bell, 2006). Il conduit souvent les organisations à avoir recours à des ressources disponibles et à bas coûts (Desa et Basu, 2013). Dans les PME, Duymedjian et Rüling (2010) assimilent le bricolage à un processus de création et d’utilisation continue de connaissances pratiques et à une exploitation parfois basique des ressources disponibles. Il se caractérise par l’acte de se « débrouiller » en utilisant les ressources qu’une personne a entre les mains (Baker et Nelson, 2005 ; Baker, 2007). Le concept du bricolage par nécessité peut être particulièrement adapté à la microfirme, car la question des ressources est particulièrement cruciale dans ces entreprises. Ce type d’organisation dispose en effet de ressources limitées, ce qui peut les amener à recourir au bricolage afin de réaliser leurs objectifs. Les dirigeants de microfirme sont alors contraints de bricoler, car leurs ressources ne leur permettent pas d’acquérir et d’implémenter les outils nécessaires. Selon Desa et Basu (2013), ces chefs d’entreprises tentent d’atteindre des objectifs plutôt « acceptables » avec le peu de ressources dont ils disposent ; la survie de leur organisation en dépend.

Le bricolage stratégique

Le bricolage peut également être synonyme de création de nouvelles ressources et de capacités dynamiques (Phillips et Tracey, 2007 ; Di Domenico, Haugh et Tracey, 2010). Certaines entreprises utilisent le bricolage volontairement afin de réfléchir sur la façon dont elles peuvent recombiner les ressources disponibles, développer de nouvelles idées et créer de la valeur (Louridas, 1999 ; Garud et Karnøe, 2003 ; Desa et Basu, 2013). Les travaux de Di Dominico, Haugh et Tracey (2010) montrent que le bricolage permet la création de nouvelles opportunités. Selon Desa et Basu (2013), ces opportunités sont créées à partir de ressources « qui ne coûtent pas cher ». Par conséquent, le bricolage peut s’intégrer dans une approche stratégique, adoptée par une entreprise ayant un désavantage au niveau des ressources par rapport à ses concurrentes (Sirmon, Hitt et Ireland, 2007 ; Duymedjian et Rüling, 2010).

Selon Ansart, Duymedjian et Poissonnier (2012), le bricolage stratégique renvoie à « certaines valeurs fondamentales du bricolage, telles le détournement ou le ré-usage » qui sont élevées au niveau des principes stratégiques de certaines organisations. Ici le bricolage n’est pas une contrainte, mais plutôt un choix (Moorman et Miner, 1998 ; Baker, Miner et Eesley, 2003 ; Ferneley et Bell, 2006 ; Mair et Marti, 2009 ; Carstensen, 2011 ; Desa et Basu, 2013). Cette pratique se révèle, dès lors, créatrice de nouvelles capacités au sein de l’organisation (Phillips et Tracey, 2007 ; Di Domenico, Haugh et Tracey, 2010 ; Gundry, Kickul, Griffiths et Bacq, 2011). Le bricolage stratégique sous-tend également de nouvelles combinaisons de ressources au sein d’une entreprise afin de créer de la valeur (Mair et Marti, 2009 ; Seelos, Mair, Battilana et Dacin, 2010), stimuler la créativité et l’innovation (Miner, Bassoff et Moorman, 2001 ; Garud et Karnoe, 2003 ; Andersen, 2008) et disposer d’avantages compétitifs (Salunke, Weerawardena et McColl-Kennedy, 2013). Pour réussir ce bricolage, il est nécessaire pour les dirigeants de bien diagnostiquer les ressources de l’entreprise, faire preuve d’écoute, combiner les idées des différentes parties prenantes, bénéficier de leur feedback et procéder à d’éventuelles corrections (Weick, 2001).

Néanmoins, il demeure complexe pour les dirigeants de détecter, capter et exploiter les « bienfaits » stratégiques du bricolage et de réussir à en tirer profit pour créer de la valeur (Baker, 2007). Aussi le dirigeant reste-t-il dans les deux cas (bricolage par nécessité ou stratégique) tributaire des ressources (humaines, financières, informationnelles, etc.) dont il dispose et se contente de « faire avec » (Baker et Nelson, 2005). Par conséquent, le rôle des dirigeants est primordial et ils doivent mobiliser leurs compétences afin d’inculquer une culture de bricolage stratégique au sein de leur organisation.

Certains travaux en systèmes d’information se sont également intéressés au bricolage organisationnel, et en étudient les modalités dans ce contexte.

Le bricolage en SI dans les petites entreprises

La notion de bricolage a également fait l’objet de travaux en SI (Ciborra, 1999 ; Lanzara, 1999 ; Ciborra, 2002 ; Ferneley et Bell, 2006). Ciborra (2002) considère le bricolage comme une stratégie d’appropriation des technologies de l’information qui consiste à réassembler le SI de façon à l’adapter aux besoins informationnels du moment. En effet, derrière la notion de bricolage se trouve l’idée suivante : les informations, tout comme les ressources de façon plus générale, sont collectées indépendamment d’un projet ou d’une utilisation particulière. Ainsi, l’usage réel du SI est rarement celui pour lequel il était initialement conçu (Duymedjian et Rüling, 2010). Les SI sont recréés et recombinés de façon à les approprier et les adapter à la structure.

Dans la même veine, de nombreuses recherches (Lin, Vassar et Clark, 1993 ; Fuller, 1996 ; Bridge et Peel, 1999) ont mis l’accent sur l’adoption et l’usage peu planifiés et « bricolés » des SI dans les petites entreprises. De leur côté, Dandrige et Levenburg (2000) ainsi que Kuan et Chau (2001) considèrent que la sous-utilisation des technologies de l’information dans les petites entreprises est liée au manque d’expérience et de connaissances dans ce type d’organisation, ce qui amène dirigeants et salariés à « bricoler » dans ce domaine. Le manque de temps et de ressources explique par ailleurs ce type de comportement qui pousse les dirigeants de microfirmes à l’improvisation voire à l’innovation (Ciborra, 1996 ; Thong, Yap et Raman, 1996 ; Bennett, Polkinhorne, Pearce et Hudson, 1999 ; Garud et Karnøe, 2003 ; Halme, Lindeman et Linna, 2012). Le travail de Senyard, Baker, Steffens et Davidsson (2014) montre que les jeunes entreprises arrivent à transformer, en bricolant, les ressources en un large éventail d’innovations. Toutefois, les innovations issues du bricolage sont rarement des innovations de rupture et se limitent généralement à des innovations simples et incrémentales (Ciborra et al., 2000 ; Andersen, 2008). L’utilisation du bricolage en SI des microfirmes renvoie par conséquent à plusieurs notions, telles que l’improvisation, la tactique, la flexibilité, la créativité, l’apprentissage, la réactivité, l’opportunisme. Selon Nandhakumar et Avison (1999), le recours au bricolage dans le développement des SI a autant sa place que la planification au sein d’une organisation ; une approche décisionnelle basée sur le bricolage et la réflexion devrait ainsi davantage être renforcée chez les dirigeants (Weick, 2001).

Le cadre conceptuel du bricolage organisationnel semble adapté à l’analyse de l’implantation et de l’utilisation des SI dans les microfirmes. La littérature souligne en effet un certain nombre de caractéristiques organisationnelles des petites entreprises pouvant être analysées sous cet angle. Toutefois, ces travaux développent peu les incidences sur les pratiques managériales du bricolage en SI. C’est pourquoi cette recherche tente de pallier cette lacune en observant dans quelle mesure l’implémentation et l’utilisation des SI sont bricolées, et en décrivant les pratiques des dirigeants de microfirmes.

2. Méthode de recherche

Pour explorer cette question, nous avons adopté un protocole de recherche qualitative fondé sur des entretiens semi-directifs en face à face avec des dirigeants de microfirmes afin de réaliser une investigation en profondeur de leurs pratiques.

2.1. Construction de l’échantillon

L’échantillon est constitué de 56 microfirmes implantées dans la région Languedoc-Roussillon, dans le Sud de la France. Cette région est particulièrement représentative, car elle comprend 95 % d’entreprises d’une à cinq personnes (INSEE, 2010), soit le plus fort taux de microfirmes en France métropolitaine. Les entreprises étudiées comprennent de une à cinq personnes. Un échantillon homogène est préférable pour identifier des relations et construire une théorie en évitant des éléments atypiques (Fortin, 1996), alors qu’un échantillon avec des composantes très dissemblables doit être privilégié quand le but est d’étendre les résultats existants avec une forte validité interne. Entre les deux, Cook et Campbell (1979) proposent une solution intermédiaire : utiliser des échantillons constitués délibérément de composantes différentes pour améliorer la validité externe des résultats. Le principe d’inférence est le suivant : puisque l’hétérogénéité exerce une influence négative sur la significativité de l’effet, si la relation apparaît significative malgré cet inconvénient, alors les résultats peuvent faire l’objet d’une généralisation. La variété des entreprises peut compenser, dans une certaine mesure, la petite taille de l’échantillon. Pour cette raison, nous avons choisi un échantillon avec un grand degré de variété : d’une à cinq personnes, et opérant dans un grand nombre de secteurs d’activité traditionnels : services, artisanat, artisanat d’art, commerce, santé, éducation, petite industrie (cf. annexe 1).

La taille de l’échantillon est critique en recherche qualitative, car une taille minimale est nécessaire pour assurer la validité interne de la recherche et pour fournir un niveau de confiance satisfaisant dans les résultats. Selon Yin (1990), deux principes différents déterminent la taille de l’échantillon : la réplication et la saturation. Dans cette recherche, la taille de l’échantillon a été déterminée selon le principe de saturation théorique. La saturation théorique est atteinte lorsque plus aucune information supplémentaire pouvant enrichir la recherche n’est trouvée. Le principe de saturation est difficile à appliquer en pratique parce qu’il est impossible de déterminer le point de saturation a priori, et parce que le chercheur n’est jamais certain qu’aucune information supplémentaire ne pourrait venir enrichir la recherche (Dumez, 2013). Cook et Campbell (1979) suggèrent qu’il est de la responsabilité du chercheur de déterminer s’il a atteint le point de saturation. Le processus de constitution de l’échantillon s’arrête lorsque les dernières unités d’observation analysées n’ont apporté aucun élément nouveau. La constitution de l’échantillon est issue d’une prospection aléatoire, téléphonique et par courrier électronique, selon une démarche itérative. L’échantillon a été constitué progressivement par itérations successives, chaque élément ayant été sélectionné par choix raisonné (Royer et Zarlowski, 2003) suivant les critères de taille et d’indépendance financière. Contrairement à la démarche probabiliste classique, la définition du domaine de généralisation des résultats n’est pas effectuée dès la première étape, mais à l’issue du processus. En utilisant cette méthode et le principe de saturation, nous avons stoppé le processus après 56 itérations.

2.2. Collecte des données

Nous avons conduit 56 entretiens semi-directifs en face à face avec des dirigeants de microfirmes dans l’objectif de récolter des données discursives reflétant l’univers mental conscient ou inconscient des dirigeants interrogés (Miles et Huberman, 2003). Des données secondaires ont également pu être collectées à partir des sites Internet, plaquettes et catalogues.

La revue de littérature sur les microfirmes met en évidence que les pratiques SI (de l’implantation à l’utilisation) sont directement liées au dirigeant (Levy et Powell, 2000 ; Monnoyer-Longé, 2003 ; Perks, 2010). Elle montre également que des dimensions comme la volonté de croissance (LeBrasseur, Blanco et Dodge, 2006 ; Jaouen et Lasch, 2013) et le niveau de compétences internes (Kuan et Chau, 2001 ; Bergeron et Raymond, 1996 ; Bergeron, Raymond et Rivard, 2004) peuvent influer sur les pratiques SI dans les microfirmes. Ainsi le guide d’entretien a-t-il été préstructuré en seize thèmes : histoire de l’entreprise, histoire personnelle du dirigeant, genre, âge, aspirations personnelles et objectifs du dirigeant pour l’entreprise, souhait de croissance, activité, chiffre d’affaires sur trois ans, répartition des compétences dans l’entreprise, SI et TI utilisés, perception des outils, processus de mise en place des outils, modes d’utilisation, modes de prise de décision. Pour permettre une meilleure analyse, les outils utilisés ont été regroupés en trois catégories :

  • Les outils de « communication », comprenant les sites Web, réseaux sociaux et blogues. Tous les dirigeants possédant un courriel, ce critère n’était pas différenciateur ;

  • Les outils de « suivi », c’est-à-dire outils permettant le suivi de la production, du chiffre d’affaires et des marges, la saisie comptable, le suivi des paiements et des relations clients/fournisseurs ;

  • Et les outils de « prévision », c’est-à-dire prévision des ventes.

Les deux dernières catégories d’outils peuvent prendre la forme de logiciels achetés en grande surface, de fichiers Excel ou Access créés par le dirigeant lui-même ou par un informaticien (ou mis à disposition par un confrère), ou de logiciels achetés via ou sous les conseils de l’expert-comptable. Un tableau de synthèse reprenant l’ensemble des outils utilisés par les dirigeants interrogés est présenté en annexe 2.

Les entretiens ont été enregistrés afin d’éviter la prise de notes et de rendre les données collectées exhaustives et donc plus fiables, puis retranscrits dans les 24 à 72 h. Le corpus total d’entretiens s’élève à 756 pages.

2.3. Analyse des données

L’analyse des données a été conduite en deux étapes.

Étape 1. Comprendre les modes d’implantation et d’utilisation des SI et identifier les pratiques de bricolage des dirigeants de micro-firme

Pour cette première étape, deux thèmes du guide d’entretien ont été utilisés : le processus de mise en place des SI et les modes d’utilisation des SI. Les données ont été analysées en trois phases, via une analyse de discours fondée sur une analyse de contenu thématique (Miles et Huberman, 2003 ; Dumez, 2013), permettant la classification des données en idéaux types. Un extrait du schème de codage est fourni en annexe 3.

Premièrement, le corpus de discours a été analysé avec un codage thématique. L’analyse a consisté à déterminer des unités de sens (mots, groupes de mots ou phrases liées à l’un des deux thèmes prédéterminés) et à réaliser un comptage respectif de ces occurrences (pour mesurer le poids de chacune dans les discours). Les occurrences ont été notées dans des matrices intrasites (c’est-à-dire firme par firme) en incluant des observations personnelles et certaines remarques particulièrement illustratives des interviewés.

Deuxièmement, les matrices intra-sites ont été synthétisées dans des matrices intersites (tableaux à double entrée pour chacun des thèmes, avec les thèmes en colonne et les 56 entreprises en ligne). Le but était de comparer les discours des dirigeants concernant chaque thème et d’identifier des constantes et des divergences. Nous avons ainsi pu faire émerger des sous-codes.

Troisièmement, des métamatrices ont été élaborées, à savoir des tableaux croisés pour chaque thème, dans lesquels les réponses des dirigeants étaient simplifiées en mots clés et les sous-codes classifiés comme des variables. Nous avons ainsi pu établir deux groupes en isolant les points communs et les différences. Lorsque des contradictions apparaissaient dans les discours, nous avons établi une comparaison rationnelle du nombre d’occurrences pour choisir le groupe.

Étape 2. Identifier les caractéristiques de chaque groupe

La seconde étape de l’analyse des données a consisté à caractériser chaque groupe. Pour ce faire, nous avons utilisé les 14 autres thèmes du guide d’entretien et analysé les deux groupes en suivant le même processus que pour la première étape. Pour chaque groupe, nous avons réalisé une analyse de contenu thématique en encodant les unités de sens, puis en comptant les occurrences, et en construisant les matrices intra et intersites. Les caractéristiques discriminantes pour chaque groupe étaient : aspirations personnelles et objectifs du dirigeant pour l’entreprise, souhait de croissance, répartition des compétences dans l’entreprise, SI et TI utilisés, perception des outils, modes de prise de décision.

3. Résultats

Étape 1. Comprendre les modes d’implantation et d’utilisation des SI et identifier les pratiques de bricolage des dirigeants de microfirme

L’analyse de discours sur les thèmes « processus de mise en place des SI » et « modes d’utilisation des SI » a permis, tout d’abord, de constater l’apparition récurrente des termes « adapter » (37 occurrences[1]), « particulier » (31 occurrences), « personnalisé » (25 occurrences), « bricolé » (24 occurrences), « au fur et à mesure » (21 occurrences), « selon les besoins » (19 occurrences), « créé/créer » (18 occurrences), et ce, de façon indifférenciée sur les entreprises de l’échantillon. Il apparaît que les outils ont soit été créés (par le dirigeant ou par une tierce personne salariée ou appartenant au réseau personnel du dirigeant), soit achetés (sites Web ou logiciels de comptabilité), soit adaptés à partir de logiciels standards ou d’outils « récupérés » chez des confrères ou relations personnelles. Le propos suivant est particulièrement illustratif : « Notre activité est tellement spécifique, vous savez, je ne sais pas où j’aurais pu trouver un logiciel qui colle exactement à ce que je fais. Soit ce sont des usines à gaz totalement inappropriées […], soit ce sont des outils standards qu’on achète au supermarché, et dans tous les cas, il faut les adapter. Donc, moi j’ai préféré me faire mes petits tableaux Excel, qui ne sont pas parfaits, certes, mais que j’adapte au fur et à mesure […]. Je m’y retrouve et c’est l’essentiel ! » (Dirigeant de l’entreprise 48). Ou encore « c’est un ami artisan qui m’a passé ses fichiers Excel. Moi je n’y connais pas grand-chose, du coup j’ai pris les siens, et j’ai juste modifié deux ou trois éléments [sur les devis et la facturation, N.D.A.] […] et ça me convient très bien ! » (Dirigeant de l’entreprise 25).

L’analyse de discours a ensuite révélé deux groupes lexicaux.

  • Le premier groupe comprend 34 entreprises et les termes principaux évoquent le concept de praticité. Dans ce groupe figurent les termes « à la va-vite », « minimum », « simple », « pratique », « suffisant/suffire », « sur le tas », et la notion de manque de temps (« pas le temps », « peu de temps », « manque de temps », « pas assez de temps »). Nous avons rattaché ce groupe aux pratiques de bricolage par nécessité. Le bricolage par nécessité sous-tend en effet une pratique provisoire et contrainte, réactive, et se limitant à une exploitation basique des ressources disponibles.

  • Le second groupe comprend 22 entreprises et évoque la notion d’efficacité. Les termes suivants apparaissent de façon récurrente : « au cas par cas », « unique », « différencié/différenciant », « créé/créer », « synthèse », « informatique/informatisé », « Web/Internet », « rapidement », « efficace ». Si la notion de temps est également présente dans ce groupe, c’est davantage le terme « gain de temps » qui est apparu. Nous avons rattaché ce groupe aux pratiques de bricolage stratégique. Le bricolage stratégique implique la création de nouvelles ressources et une démarche volontaire de recombinaison des ressources disponibles pour développer des idées nouvelles potentiellement créatrices de valeur.

Tableau 1

Modes d’implantation et d’utilisation des SI

Modes d’implantation et d’utilisation des SI

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Tableau 2

Caractéristiques des groupes

Caractéristiques des groupes

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Étape 2. Identifier les caractéristiques des deux groupes

L’analyse thématique des 14 autres thèmes de la grille d’entretien a fait apparaître les éléments suivants (cf. tableau 2). Le thème qui est apparu comme le plus distinctif est la « perception des outils ». Ainsi, le groupe des dirigeants bricoleurs par nécessité est composé de deux sous-groupes avec des perceptions différentes : une perception liée au Contrôle, et une perception liée à la Contrainte. Le groupe des dirigeants faisant preuve de bricolage stratégique est quant à lui rattaché à la notion d’Anticipation. Un exemple complet de bricolage en fonction des perceptions est fourni en annexe 4.

3.1. Les bricoleurs par nécessité

Deux perceptions différentes ont été identifiées dans ce groupe. Une perception rattachée à la notion de contrôle, l’autre à la notion de contrainte.

Contrôle

Les 11 dirigeants de ce groupe ont plutôt un comportement prudent, voire craintif face aux évolutions de leur environnement et ils utilisent les outils essentiellement pour se rassurer et vérifier a posteriori leur activité. Le SI est perçu comme quelque chose de rassurant, à usage financier, utile et ludique. 91 % des entreprises possèdent des compétences en SI en interne (le dirigeant dans 73 % des cas). L’objectif principal est ici le contrôle de l’activité, essentiellement le contrôle financier. Les outils mis en place sont basiques (logiciels de comptabilité et tableurs Excel pour la facturation, gestion des stocks, analyse financière, saisonnalité, suivi des mandats, et parfois réponse à appel d’offres. 91 % des dirigeants utilisent un outil de suivi. Seul un dirigeant a élaboré des prévisionnels qu’il utilise régulièrement. Cinq autres dirigeants déclarent posséder des logiciels ou tableaux de bord prévisionnels, mais s’en servir de façon anecdotique. Or, nous avons retenu comme critère distinctif la régularité dans l’utilisation des outils et l’aide à la prise de décision. Les dirigeants déclarent utiliser les SI pour les décisions opérationnelles, mais jamais pour les décisions stratégiques. Le dirigeant de l’entreprise 13 témoigne : « J’aime bien voir ce que j’ai réalisé, ce qu’on a produit en atelier […] et puis, c’est important. Il faut que je sache combien m’ont coûté mes salariés […], si je suis la même tendance que l’an dernier, parce qu’avec la crise, notre économie en a pris un coup. […] Donc, je veux voir l’évolution de mon chiffre d’affaires ». Aucun, dans cette catégorie, n’a de souhait de croissance, tous privilégient la conservation d’une taille plafond, la prudence et la pérennité de leur affaire. En termes d’effectif, ils travaillent seuls ou avec quelques salariés (trois au maximum dans les entreprises interrogées, deux en moyenne). Les objectifs exprimés pour l’entreprise sont l’équilibre vie privée – vie professionnelle, le statu quo et la génération de marge.

Contrainte

Les 23 dirigeants de ce groupe perçoivent les systèmes d’information et les technologies de l’information comme des contraintes. Subie le plus souvent, l’utilisation est réduite au minimum nécessaire à leur activité. Les SI sont perçus comme des outils fastidieux, contraignants, « administratifs » et ennuyeux. C’est ainsi que seulement 30 % des dirigeants ont des compétences informatiques, et 70 % n’ont aucune compétence dans ce domaine. Aucun dirigeant n’utilise de tableau de bord prévisionnel, et la très grande majorité ne suit pas leur activité de façon régulière (83 % des dirigeants). Si certains possèdent des outils de suivi, ils déclarent ne pas les utiliser assez régulièrement pour pouvoir en retirer des informations pertinentes. La prise de décision est déclarée intuitive, les dirigeants ayant « tout dans la tête » (Dirigeant de l’entreprise 20). « Si vous saviez à quel point ça m’ennuie [rires]… Ce que j’aime moi, c’est être dans mon atelier, à créer, sculpter, passer des heures à réfléchir au bon matériau […]. L’informatique, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé. Par contre, je peux vous dire de tête combien j’ai fait de chiffre d’affaires cette année, les clients qui ne m’ont toujours pas payé […]. Même mon courrier, je ne l’ouvre pas toujours ! » (Dirigeant de l’entreprise 39). Dans 86 % des cas, le dirigeant travaille seul et sans souhait de croissance dans 96 % des cas. Très orienté métier, c’est un très bon technicien, mais avec des compétences en gestion limitées. Sa priorité est soit de survivre (en cas d’entreprise en situation de fragilité structurelle, sept cas), soit d’exercer une passion et le dirigeant ne dispose pas de compétences en gestion et a tendance à rejeter (ou externaliser) tout ce qui ne relève pas de son coeur de métier. Les aspirations personnelles exprimées par les dirigeants sont le plaisir et la qualité de vie. Les objectifs pour l’entreprise sont quant à eux la stabilité, la survie, la conservation d’une petite taille et la recherche de nouveauté.

De façon générale, le bricolage par nécessité en microfirme semble relever essentiellement de la recherche de contrôle des coûts, et se caractérise par une certaine improvisation. En effet, l’implantation est adaptée au besoin, ou effectuée sous les conseils du réseau proche (famille, amis, confrères, expert-comptable), et les potentialités de l’outil ne sont que partiellement exploitées. Les dirigeants créent et implantent des SI davantage dans le but d’éviter la perte d’information (forte utilisation du cahier par exemple), plutôt pour créer une information pertinente pour l’aide à la décision. L’usage est fait a posteriori, incomplet et non spontané.

3.2. Les bricoleurs stratégiques

Les 22 entreprises de ce groupe sont beaucoup plus proactives dans les choix d’implantation des SI et en font un usage spontané et régulier. Les SI sont perçus comme nécessaires, clés, et pouvant constituer un élément de différenciation vis-à-vis des concurrents. Les dirigeants ont dans 100 % des cas un ou plusieurs outils de suivi de l’activité et les utilisent régulièrement. C’est également dans ce groupe que l’on trouve le plus fort taux de possession de site Web (59 %). Dans 96 % des cas, des compétences en informatique sont possédées en interne. Si la majeure partie du temps le dirigeant a lui-même des compétences en SI (73 %), il peut également s’entourer de personnes compétentes qui pourront pallier ses déficiences si ce n’est pas le cas : 23 % ont un salarié compétent en SI, et il s’agit de l’homme clé le plus souvent. Seuls 4 % des entreprises n’ont pas de compétences dans ce domaine. Mais au-delà, ce groupe se caractérise par une utilisation de tableaux de bord prévisionnels (100 % des dirigeants). En effet, la totalité des dirigeants a soit élaboré, soit acquis, soit dans trois cas externalisés, des tableaux de bord prévisionnels pour anticiper les évolutions de l’activité. Le dirigeant de l’entreprise 15 témoigne : « C’est indispensable ! Moi j’y suis tous les jours dessus ! Moi je suis technico-commercial à la base, donc le suivi, les tableaux de bord et tout ça, ça me connait. Et puis c’est fondamental, comment voulez-vous faire autrement ? […] En ce moment je suis en train de réfléchir à m’agrandir, je ne sais pas si je déménage ou pas, donc vous imaginez bien que si je n’ai pas des outils bien conçus et des conseillers efficaces d’ailleurs aussi, ça ne peut pas marcher. […] Il faut que je prenne mes décisions en sachant où je vais ». Comme l’illustre cet extrait d’entretien, ce groupe se caractérise par un souhait de croissance dans 64 % des cas. Les entreprises de ce groupe ont trois salariés en moyenne et seulement deux dirigeants travaillent seuls. C’est dans ce groupe que l’on trouve majoritairement des entreprises avec salariés. Les aspirations personnelles indiquent une ambition de succès et de performance, parfois de dépassement de soi. Les objectifs cités pour l’entreprise relèvent du domaine du développement, et de la création davantage concurrentiel.

Le bricolage stratégique consiste notamment à optimiser l’organisation interne de l’entreprise. L’objectif clairement formulé est d’assurer une meilleure coordination des activités et d’améliorer l’efficacité des processus. D’un point de vue externe, il s’agit d’optimiser les flux avec les clients (communication, prise de rendez-vous, prise de commande, facturation, paiement en ligne éventuel, relance). Si l’outil est bricolé, il est créé sur mesure et régulièrement amélioré, de façon à en augmenter la sophistication, dans une recherche de plus grande efficacité.

4. Discussion

4.1. Contributions théoriques de la recherche

Cette recherche vise à contribuer à la connaissance des microfirmes et de leurs dirigeants, notamment en explorant les pratiques de bricolage en matière de systèmes d’information. Beaucoup de travaux académiques (Qureshil, Kamal et Wolcott, 2009 ; Woznica et Healy, 2009 ; Bidan, Rowe et Truex, 2012) décrivent les pratiques SI des petites entreprises, sans pour autant les rattacher à la notion de bricolage ; pourtant ce cadre théorique est particulièrement approprié aux microfirmes. Le croisement de ces deux champs dans cette recherche apporte des éléments nouveaux de compréhension à plusieurs niveaux : le comportement des dirigeants, mais aussi les modes d’implantation et d’utilisation des SI dans les entreprises de très petite taille.

Deuxièmement, cette recherche apporte une contribution au courant du bricolage organisationnel qui fait l’objet d’un intérêt croissant dans la littérature académique (Duymedjian et Rüling, 2010 ; Boxenbaum et Rouleau, 2011 ; Desa, 2012 ; Halme, Lindeman et Linna, 2012 ; Desa et Basu, 2013 ; Salunke, Weerawardena et McColl-Kennedy, 2013). Nos résultats confirment ainsi l’existence de deux types de bricolage : bricolage par nécessité et bricolage stratégique, et apportent une description des pratiques qui y sont associées (en termes d’implantation et d’utilisation). Ceci peut être approfondi dans des recherches futures, en observant dans quelle mesure, et sous quelles conditions, ces pratiques peuvent être compatibles.

Troisièmement, les résultats de cette recherche mettent en évidence le lien entre les pratiques de bricolage et certaines caractéristiques liées au dirigeant. Nous pouvons ainsi mettre en perspective ces résultats avec les travaux sur les profils de dirigeants. Ainsi, le présent travail prolonge les résultats de Monnoyer-Longé (2003) en établissant un lien entre les types d’utilisation des TIC et certaines caractéristiques des dirigeants de microfirmes. Nous avons pu notamment montrer que les deux types de bricolage (par nécessité et stratégique) étaient associés à une perception différente des SI, et dans certains cas à des aspirations personnelles différenciées. Tout d’abord, deux perceptions sont rattachées au bricolage par nécessité :

  • La perception de type Contrôle est liée à un besoin des dirigeants de se rassurer sur l’activité passée. Avec une optique patrimoniale (et/ou paternaliste), ils sont généralement averses au risque et prudents. Si l’on rapproche ce résultat des typologies de dirigeants connues dans la littérature en PME, le caractère prudent est caractéristique des dirigeants d’entreprise familiale, ou à vision paternaliste (comme les dirigeants de type « Propriétaires » dans les travaux de Laufer [1975], ou les dirigeants « PIC » de Marchesnay [1992]). Ceux-ci sont en effet préoccupés par la survie et la pérennité de leur affaire. La nécessité de suivi prend donc tout son sens dès lors que l’on replace ceci dans un contexte de crainte vis-à-vis de l’environnement et de préoccupation patrimoniale. Focalisés sur leur trésorerie, ils ont tendance à recourir au bricolage par nécessité, car ils priorisent les outils de suivi, peu nombreux, mais fournissant une information simple et claire sur la santé financière de l’entreprise.

  • La perception de type Contrainte est rattachée à un souhait de qualité de vie et de plaisir, mais aussi à un refus de croissance du dirigeant. Celui-ci a tendance à rechercher la nouveauté et la conservation de son indépendance. Le bricolage par nécessité peut s’expliquer par le manque d’intérêt et le manque de compétences du dirigeant en SI, celui-ci ayant tendance à préférer les outils manuels, à négliger le suivi de l’activité et à favoriser les décisions intuitives. En ce sens, ce mode d’utilisation des SI semble correspondre aux dirigeants de type Lifestyle (LeBrasseur, Blanco et Dodge, 2006) ou au dirigeant Hédoniste (Jaouen et Lasch, 2013). Ceux-ci sont en effet caractérisés par une très grande compétence métier, mais aucune en gestion, une absence de stratégie commerciale et une prise de décision intuitive. Les outils formalisés de gestion et d’information ne sont pas ou peu utilisés. Ce mode d’utilisation des SI est également approprié à certains dirigeants plutôt orientés métier (comme les Techniciens dans les travaux de Laufer [1975] ou les Artisans de Marmuse [1992]). Dans ce cas la perception contrainte est davantage rattachée à un manque de temps et de compétences plutôt qu’à un désintérêt pour la gestion et les systèmes d’information.

La perception de type Anticipation se rattache quant à elle au bricolage stratégique. Les dirigeants sont caractérisés par une pluricompétence (commerciale, technique et managériale). Si l’on rattache cette perception aux profils de dirigeants mis en avant dans la recherche en PME, on peut rapprocher l’utilisation anticipative aux profils CAP (Marchesnay, 1992) ou entrepreneur (Marmuse, 1992). À l’affut des opportunités, ceux-ci, lorsqu’ils souhaitent croître, développent leurs propres compétences en SI, ou si ce n’est pas le cas, trouvent les compétences en interne (en recrutant ou formant un salarié). Ils ont conscience de la nécessité des trois types d’outil : suivi, communication et prévision. Ils ont tendance à créer eux-mêmes des outils sur mesure qu’ils améliorent au gré des opportunités et des besoins. Ils cherchent à optimiser les ressources et compétences disponibles, et bricolent de façon créative les outils qu’ils possèdent. Les outils de suivi leur fournissent des indicateurs de performance et des informations pertinentes pour la prévision et la prise de décision.

4.2. Contributions managériales

D’un point de vue pratique, ce travail de recherche comporte plusieurs contributions à destination des différentes parties prenantes (dirigeants, pouvoirs publics, structures d’accompagnement, experts-comptables, consultants externes).

Les résultats fournissent des exemples réussis d’implantation et d’utilisation bricolées des SI. En outre le recours au bricolage (notamment stratégique) est parfois synonyme de créativité et d’inventivité. Ceci concorde avec les résultats de Halme, Lindeman et Linna (2012) ainsi que Garud et Karnøe (2003). Si la définition même du terme « bricolage » renvoie à une connotation négative dans l’acte de se « débrouiller » avec les moyens disponibles, cette stratégie peut se révéler efficace. En effet, des outils « bricolés sur mesure » par les dirigeants eux-mêmes peuvent fournir des informations parfois plus pertinentes que des systèmes d’information standards. Ceci est de nature à mieux aider les dirigeants dans leur prise de décision.

Ce travail permet également de mieux appréhender les pratiques des dirigeants, leur perception en matière de SI ainsi que leurs aspirations personnelles. Les dirigeants qui recourent au bricolage par nécessité ont tendance à peu développer leur activité et embaucher de nouveaux salariés, tandis que les dirigeants qui recourent au bricolage stratégique ont plutôt des aspirations de succès et de performance, parfois de croissance. Cette distinction permet de mieux comprendre le comportement des dirigeants ainsi que leurs attentes en matière de SI. Les accompagnateurs, vendeurs de logiciels et autres parties prenantes peuvent adapter leurs offres aux profils des entrepreneurs, tout en tenant compte de la motivation et de l’aspiration de chacun. Cette personnalisation du conseil auprès des dirigeants de microfirmes est essentielle.

Par ailleurs, cette recherche a permis de comprendre les atouts que le bricolage peut apporter aux dirigeants de microfirmes. Le bricolage dans les pratiques SI est réalisé de façon consciente ou inconsciente par les dirigeants. Il est important de les aider à en prendre conscience et de les inciter à adopter ce « mode de pensée » en tant que stratégie à part entière. En effet, le bricolage est souvent assimilé à un certain amateurisme et manque de compétences (Verjans, 2005). Or, certains de nos résultats présentent des cas d’entreprises qui recourent au bricolage (stratégique ou par nécessité), les conduisant à atteindre des résultats satisfaisants, et ce avec très peu de ressources. Ces résultats sont concordants avec les travaux de Ciborra (1996), Ferneley et Bell (2006) ainsi que Desa et Basu (2013). Ces derniers affirment que le bricolage, sous ses différentes formes, peut conduire à une meilleure intégration des compétences, une optimisation de l’utilisation des ressources et à un renouvellement stratégique.

Dans la même veine, nos résultats mettent en évidence le rôle prépondérant des dirigeants dans l’adoption des outils bricolés auprès des salariés, voire dans l’instauration d’une culture du bricolage organisationnel. En effet, l’absence d’implication des salariés peut conduire à des dysfonctionnements (que ce soit dans le cas du bricolage par nécessité ou du bricolage stratégique). Certains salariés, qui n’ont pas été impliqués dans l’implantation des SI, n’hésitent pas à manifester une vraie résistance aux changements initiés par les dirigeants, et recourent à des pratiques de contournement, voire refusent totalement d’utiliser les outils. L’absence de processus bien définis et formalisés dans les SI bricolés conduit à rendre l’assimilation et l’adoption de ces outils, par les salariés, difficiles, voire impossibles. Ce problème est également accentué par la contrainte temporelle chez les dirigeants de microfirmes qui souvent n’arrivent pas à consacrer le temps nécessaire à la formation des salariés. Il est donc essentiel que ces dirigeants accordent davantage d’attention à l’implication des salariés dans l’implantation et l’utilisation des SI.

Conclusion

Les microfirmes constituent la grande majorité des entreprises et leur poids économique justifie que l’on s’intéresse à leurs caractéristiques et leurs modes de fonctionnement. Les systèmes d’information peuvent être un levier de développement majeur, et il est important de comprendre les pratiques des dirigeants en la matière. Plusieurs travaux ont souligné la pertinence du concept de bricolage pour analyser les SI et les petites organisations. Ainsi, ce travail s’inscrit-il dans cette continuité, en visant à comprendre les pratiques de bricolage dans l’implantation et l’utilisation des SI dans les microfirmes.

Cette recherche décrit les pratiques bricolées des microfirmes en matière de systèmes d’information. Les résultats contribuent aux travaux sur le bricolage organisationnel, où l’entrepreneur-bricoleur réadapte, recombine les outils et les technologies au cas par cas (Desa et Basu, 2013). L’usage réel du SI est rarement celui pour lequel il était initialement conçu (tel que le soulignent Duymedjian et Rüling, 2010 ; Barlette, 2008). Il est modifié, intégré et personnalisé, en fonction des besoins, mais aussi des compétences du dirigeant.

D’autre part, des différences dans les modes d’implantation et d’utilisation ont été identifiées chez les dirigeants interrogés, et des liens ont été mis en évidence avec plusieurs variables, comme les aspirations personnelles, la perception des outils, les compétences SI dans l’entreprise, le souhait de croissance et les objectifs pour l’entreprise.

D’un point de vue théorique, cette recherche contribue à la connaissance des microfirmes et renforce la validité du cadre théorique du bricolage organisationnel, en montrant son applicabilité aux entreprises de très petite taille. D’un point de vue managérial, les résultats permettent de mieux comprendre l’utilisation bricolée des SI par les dirigeants de microfirmes, et insiste notamment sur la nécessité d’impliquer les collaborateurs.

Ce travail comporte toutefois un certain nombre de limites. Tout d’abord, une étude longitudinale permettrait de mieux appréhender le comportement des dirigeants, mais également des autres salariés, et de mieux comprendre l’évolution des pratiques de bricolage. Ensuite, une étude quantitative et des traitements statistiques pourraient venir consolider la généralisation des résultats. Enfin, il serait intéressant d’intégrer de nouveaux paramètres dans cette étude, tels que la performance des entreprises qui recourent systématiquement au bricolage, ou bien le type d’innovations engendrées par le bricolage dans les SI.