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Les petites et moyennes entreprises (PME) ont des caractéristiques particulières tant sur le plan macroéconomique que microéconomique qui justifient que la responsabilité sociale des entreprises (RSE) soit adaptée à leur contexte. C’est l’une des principales observations sur laquelle s’appuie chacun des sept chapitres de cet ouvrage collectif. En effet, sur le plan macroéconomique, les PME sont importantes d’un point de vue numérique (95 % des entreprises) comme en termes de création d’emplois et de richesse. Dans ce sens, sans une intégration de la RSE dans une masse critique de PME, le développement durable risque d’être un projet difficilement réalisable. Sur le plan microéconomique, il est reconnu aux PME des modes de fonctionnement et de gestion particuliers. Par conséquent, la transposition dans la PME d’approches théoriques, de méthodes, d’outils de gestion ou même de politiques conçus à l’origine pour la grande entreprise doit se faire avec prudence. Le traitement de problématiques contemporaines telles que la RSE et le développement durable devrait donc faire sienne cette réalité des PME, afin d’apporter des réponses satisfaisantes aux préoccupations de leurs dirigeants. En ce qui concerne la RSE, ces préoccupations sont d’ordre conceptuel, stratégique et opérationnel. Cependant, il semble que jusque dans les années 2011, celles-ci ont fait l’objet de très peu de recherche. Cet ouvrage tente ainsi d’apporter sa contribution à une meilleure compréhension de la RSE et du développement durable en contexte de PME.
Le premier chapitre définit le concept de RSE et montre sa pertinence pour les PME. En général, la RSE est l’un des moyens par lesquels une entreprise peut contribuer au développement durable[1]. Il faut cependant attendre les pages 33 et suivantes de ce chapitre pour avoir des définitions de la RSE, notamment celles proposées par la norme ISO 26000 et la Commission européenne. La question que se pose l’auteure (Quairel-Lanoizelée) dans ce chapitre est de savoir dans quelle mesure le concept de RSE est applicable à la PME. La RSE l’est selon deux approches : 1) une approche éthique qui questionne les valeurs du dirigeant de PME et 2) une approche utilitariste qui voit la RSE comme un moyen pour la PME d’être économiquement performante tout en l’étant d’un point de vue environnemental et social. Ces deux approches s’appuient sur la théorie des parties prenantes. Cette théorie situe entre autres la pertinence de la RSE sur un plan stratégique. Pour mieux comprendre cette pertinence stratégique de la RSE dans la PME, il faut se reporter aux chapitres 2 et 3 de l’ouvrage.
Dans le chapitre 2, les auteurs (Courrent et Quairel-Lanoizelée) se placent du côté de la PME et de son dirigeant pour questionner la RSE. Autrement dit, dans quelle mesure les particularités fonctionnelles et de gestion de la PME favorisent-elles l’intégration de la RSE ? Il semble que certaines caractéristiques qualitatives de la PME, comme la forte centralisation autour du dirigeant, peuvent, selon sa conception personnelle de la RSE, se traduire par un engagement réactif ou proactif. En particulier, l’engagement proactif met la RSE au coeur de l’ensemble des activités de la PME et, par conséquent, constitue un enjeu stratégique pour son dirigeant.
C’est l’objet du chapitre 3 (rédigé par Berger-Douce) qui présente les enjeux stratégiques de la RSE pour la PME surtout dans sa phase de développement se caractérisant par des changements organisationnels et opérationnels. On comprendra ces enjeux en parcourant les cas de PME françaises comme Ecodas, Pocheco, Cleaning et CVP. À travers ces cas, on retiendra qu’en général la RSE comporte des enjeux stratégiques en matière d’innovation, d’internationalisation et de réalisation d’économies. Le développement de telles activités permet de créer de la valeur et d’acquérir un avantage concurrentiel tout en intégrant la RSE. Comment intégrer alors la RSE dans la démarche stratégique d’une PME ?
Le chapitre 4 répond à cette question en proposant (à travers Courrent et Quairel-Lanoizelée) des méthodes d’analyse et d’opérationnalisation de la RSE. La première méthode pour des dirigeants d’une PME consiste à poser un « diagnostic stratégique durable » en s’appuyant sur une grille d’analyse stratégique développée par Marchesnay (1993). La seconde démarche est de recourir à des référentiels (p. ex., ISO 14001, ISO 26000) ou à des instruments proposés par des consultants ou des agences de normalisation, afin d’opérationnaliser la RSE dans les activités d’une PME. Il s’agit d’activités qui touchent des fonctions essentielles de sa gestion telles que les ressources humaines, le marketing et le financement. Chacune de ces fonctions sera respectivement l’objet des chapitres 5, 6 et 7.
D’abord, le chapitre 5 s’intéresse à ce qui est le plus souvent associé à la dimension sociale de la RSE : la gestion des ressources humaines (GRH). Paradas s’interroge dans ce chapitre sur les priorités pour le dirigeant de PME en matière de GRH eu égard à la RSE. Certaines priorités s’inscrivent dans un cadre légal qui s’impose à la PME (p. ex., santé et sécurité des employés), alors que d’autres peuvent être définies par son dirigeant (p. ex., rémunérations des employés). Un outil de gestion appelé « mix GRH » (Mahé de Boislandelle, 1988) permet d’identifier quatre axes prioritaires. En particulier, l’emploi et la rémunération représentent un enjeu stratégique de RSE pour la PME en raison de certaines de ses caractéristiques (p. ex., rôle important en matière d’emploi, pratiques salariales, contraintes de ressources). Les axes portant sur la valorisation (p. ex., la formation) et la participation (p. ex., dialogue social) des ressources humaines sont encouragés par la RSE et peuvent être aussi développés dans la PME.
Ensuite, le chapitre 6 se focalise sur le marketing de la RSE. Ici aussi, le marketing mix peut être mobilisé comme un outil d’intégration de la RSE dans la PME. Les dirigeants de PME peuvent alors porter leur attention sur l’élaboration d’une politique de marketing durable dont la méthodologie consiste 1) à comprendre le consommateur responsable, 2) à proposer une offre de produits responsables (à travers l’écoconception des produits), 3) à construire une communication responsable et 4) à commercialiser des produits de manière durable. À cet effet, le lecteur intéressé par ce chapitre de Lavorata pourra trouver à travers les cas de Steelcase et Biocoop des exemples d’un marketing mix durable réussi.
Enfin, le chapitre 7 touche un aspect crucial pour la PME : le financement. Du fait de son manque de ressources financières, reconnu comme l’une de ses grandes faiblesses, la PME est dépendante des apporteurs de ressources. Ainsi, pour les apporteurs traditionnels de ressources financières comme les banques ou les sociétés d’investissement, l’engagement proactif de la PME envers la RSE ne constitue pas une garantie suffisante. En revanche, les fournisseurs et les clients (surtout les grandes entreprises), les administrations publiques (achats ou marchés publics), les investissements socialement responsables (ISR) et l’épargne salariale (comme le fait la Fédération des travailleurs du Québec ou FTQ) y sont sensibles. Ils représentent alors, selon Quairel-Lanoizelée, des leviers d’intégration de la RSE pour la PME.
En somme, à la lecture de cet ouvrage, le lecteur ou la lectrice pourra constater un agencement cohérent des sept chapitres facilitant leur lecture et l’intégration des connaissances qui y sont présentées par un public d’étudiants comme de gestionnaires. Les auteurs partent de la conceptualisation de la RSE en PME à son opérationnalisation dans des fonctions essentielles, en passant par la réflexion stratégique. On peut tout de même relever dans cet ouvrage 1) un ancrage trop marqué dans le contexte français et européen et 2) une inflexion vers une perspective positiviste de la RSE dans la PME. Dans le premier cas, un élargissement du contexte aurait permis d’avoir une meilleure représentativité de la problématique, d’autant plus que les arguments des auteurs s’appuient sur des caractéristiques communes à toute PME. Dans le second cas, une ouverture vers une perspective socioconstructionniste (voir Pasquero, 2008) aurait permis de mieux éclairer certains aspects de la RSE en contexte de PME, tels que les mécanismes sociaux et interactifs de gestion de la RSE. Cela ne diminue cependant pas la portée tant scientifique que managériale de cet ouvrage collectif, dans un contexte où peu d’études sont menées sur la RSE et le développement durable en contexte de PME.
Parties annexes
Note
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[1]
Le développement durable se définit comme « un processus de changement par lequel l’exploitation des ressources, l’orientation des investissements, des changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des hommes » (CMED, 1988, p. 10).
Bibliographie
- Commission mondiale sur l’environnement et le développement – CMED (1988), Notre avenir à tous, Montréal, Éditions du Fleuve.
- Mahé de Boislandelle, H. (1996), « L’effet du grossissement chez les dirigeants de PME : ses incidences sur le plan du management des hommes et de la GRH », Congrès international francophone sur la PME, Trois-Rivières, Canada.
- Marchesnay, M. (1993), Management stratégique, Paris, Eyrolles.
- Pasquero, J. (2008), « Entreprise, développement durable et théorie des parties prenantes : esquisse d’un arrimage socioconstructionniste », Management international, p. 27-47.