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L’histoire du management montre que la consultation en management a été l’un des moteurs du développement de la pensée managériale. Cette histoire montre également que depuis la révolution industrielle, la consultation s’est surtout développée pour et autour des grandes entreprises. Une lecture critique de l’histoire économique confirme que non seulement la consultation, mais aussi les sciences de la gestion ont été et sont encore ancrées dans l’économie de la grande entreprise. En particulier, les théories et méthodes dans le domaine du développement organisationnel se sont développées à partir des travaux de chercheurs et de l’expérience de praticiens qui ont étudié et conseillé de grandes organisations. Cet ancrage et cette orientation vers la grande entreprise se sont d’ailleurs renforcés dans le domaine de la consultation avec les tendances à la standardisation et à la normalisation de cette profession à l’échelle internationale. Les normes professionnelles les plus sollicitées sont celles qui correspondent aux « pratiques exemplaires » des grandes firmes internationales de consultation. Si l’on confronte les réalités des PME avec les paradigmes dominants du consultant, d’où découlent sa conception de l’organisation et de son environnement et sa démarche professionnelle, on réalise qu’un écart peut ainsi le séparer de la PME.

La littérature sur la consultation puise pour une bonne part ses origines dans les travaux de Kurt Lewin et dans les concepts de la recherche-action développés par ce dernier. Par la suite, on a distingué le processus essentiellement itératif de la recherche-action du processus linéaire ou séquentiel de la consultation (engagement – diagnostic – action – désengagement). À ce niveau, l’une des différences fondamentales entre la recherche-action et la consultation est que l’une est fondée sur un cadre théorique, tandis que l’autre procède de solutions préalablement éprouvées dans des situations ou terrains similaires. Néanmoins, le consultant doit généralement s’adapter à une situation problématique inédite à partir d’une synthèse de connaissances.

Il va sans dire que l’on ne peut parler de la consultation sans parler du concept de « problème ». Mais, en fait, de quel problème s’agit-il ? Du problème tel que formulé par le consultant ? Du problème tel que perçu par l’entrepreneur ou le manager ? Ou du problème tel que défini conjointement après discussion et interaction de ces deux acteurs ? Les réponses à ces questions font l’objet de débats qui relèvent de l’épistémologie des sciences de la gestion. En effet, les trois questions ci-dessus reflètent respectivement les courants de pensée objectiviste, subjectiviste et constructiviste, se traduisant par une approche et un comportement différents du consultant à l’égard du « problème » de son client. Or, dans le nouvel ordre économique mondialisé où la tendance est à la « déconstruction » de l’organisation, il incombe aux conseillers en management de construire avec les PME des organisations capables de relever leurs nouveaux défis de gestion. Ainsi, on peut se demander si une approche de consultation de nature plus constructiviste permettrait à ces conseillers de mieux appréhender la réalité de la petite entreprise et de son environnement. Une telle approche devrait non seulement réduire l’écart entre les PME et les consultants, mais aussi permettre à ces derniers de contribuer au développement stratégique durable de ces entreprises, de développer leurs propres pratiques professionnelles et de contribuer à l’avancement des connaissances en gestion des PME, comme l’ont fait les pionniers de la consultation pour la gestion des grandes entreprises.

Chacun des six articles de ce nouveau numéro de la Revue internationale PME illustre un aspect important de la gestion des PME qui peut faire l’objet de conseils ou d’interventions de la part d’entreprises de consultation ou d’organismes de soutien. Dans un premier article, Secondo Rolfo et Serena Novero de l’Institut Ceris au CNR nous présentent les résultats d’une analyse des interventions publiques en matière d’innovation au travers de l’étude de deux cas, soit un district technologique italien et un pôle de compétitivité français. Partant d’une étude de cas exploratoire, Vinciane Servantie de l’Universidad de Los Andes étudie le « business model » d’une entreprise à internationalisation précoce afin de mieux comprendre le processus de création et d’internationalisation d’une telle entreprise. À leur tour, Vivi Koffi de l’Université de Moncton et Jean Lorrain de l’Université du Québec à Trois-Rivières utilisent une étude de cas comparative de succession d’entreprise pour comprendre comment les prédécesseurs, hommes et femmes, amènent leurs successeurs à se faire accepter par les membres de leurs entreprises. Le quatrième article est de Mathieu Cabrol de GSCM Montpellier Business School et de Véronique Favre-Bonté de l’Université de Savoie qui, partant d’une étude de six cas, visent à comprendre comment le réseau et les caractéristiques de l’entrepreneur interviennent dans l’internationalisation de jeunes entreprises. Suit un article rédigé par Jocelyne Abraham de l’IAE de Tours, Franck Brillet de l’Université de Tours, Patricia Coutelle de l’École polytechnique universitaire de Tours et Annabelle Hulin de l’Université de Tours où sont analysés les dispositifs de gestion des compétences au sein des PME, et ce, au moyen de récits de pratiques de 28 entrepreneurs de la région Centre de la France. Enfin, Olivier Lisein et Julie Degré, de HEC-École de gestion de l’Université de Liège, nous proposent une exploration empirique des pratiques d’entreprises en matière d’intrapreneuriat à travers 17 études de cas.

Je me permets de conclure cet éditorial sur une note plus personnelle pour vous annoncer que je quitte la direction de la Revue internationale PME. Après plus de sept ans à la barre, je cède en effet le poste de rédacteur en chef à ma collègue Josée St-Pierre qui saura, j’en suis certain, garder le cap sur la mission et les objectifs de la Revue. Je tiens à remercier tous les membres du Comité de rédaction et du Comité scientifique ainsi que tous les évaluateurs et tous les auteurs qui ont contribué à faire de la Revue ce qu’elle est toujours, soit le principal pôle de diffusion de la recherche francophone sur les PME et l’entrepreneuriat.

Bonne lecture et longue vie à la Revue internationale PME !