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01. Introduction

Au Canada, environ une personne sur quatre, soit 7,8 millions de personnes, étaient considérées comme proches aidantes en 2018.[1] Au Québec, ce nombre s’élevait à 1,5 million en 2020.[2] Les personnes proches aidantes (PPA) prennent soin d’un proche malade, en situation de handicap ou vieillissant, de façon régulière et sans rémunération. L’aide apportée par les PPA à leurs proches inclut généralement la prise en charge de tâches domestiques (épicerie, lavage, repas), un accompagnement pour la mobilité quotidienne et du transport (sortir et se mettre au lit, marcher, transport par véhicule) et une aide pour les actes de soin personnel, comme se laver, aller aux toilettes, s’habiller et se nourrir (Schulz et Eden 2016)[3], à quoi s’ajoute la prise en charge de diverses tâches administratives et la gestion de rendez-vous médicaux. De plus en plus de personnes sont appelées à devenir proches aidantes, particulièrement au Québec où le vieillissement de la population est le plus avancé au Canada (ISQ, 2021).

En 2018, le Québec a compté 24% de femmes et 18% d’hommes proches aidants, dont la majorité (57%) était en activité professionnelle (ISQ, 2022). Cependant, la proche aidance n’est pas sans conséquence sur l’emploi de ces travailleuses et travailleurs, qui sont particulièrement à risque d’interruptions de carrière et de sous-emploi (Bainbridge and Broady, 2017). Face à cette problématique sociétale de premier ordre, le gouvernement québécois adopte en octobre 2020 la Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes. De cette loi découle en 2021 une Politique nationale pour les personnes proches aidantes, dont l’une des quatre orientations majeures établit la nécessité de développer des « environnements conciliants qui soutiennent et favorisent le maintien et l’amélioration des conditions de vie des personnes proches aidantes, notamment afin d’éviter leur précarisation financière ». En effet, en 2012 une PPA sur cinq rapportait être en détresse financière au Canada (Duncan et al., 2019). Dans le cadre de cette récente politique, un plan d’action a été mis en place, avec notamment pour but en matière d’emploi d’« identifier et expérimenter des meilleures pratiques organisationnelles pour favoriser l’embauche et le maintien en emploi de PPA dans certains secteurs d’activité économiques » (Gouvernement du Québec, 2021). L’adoption de cette nouvelle loi et politique concorde avec l’éclatement de la pandémie de Covid-19 qui a bouleversé la société canadienne en mars 2020. Le travail domestique et les responsabilités familiales se sont intensifiés durant cette période et de nombreuses femmes ont quitté le marché du travail (Power, 2020; Woodbridge et al., 2021). Les PPA en particulier ont fait face à un accroissement des difficultés liées aux soins et une détérioration de leur propre santé ainsi que celle de leur proche (Anderson et al., 2022; Beach et al., 2021). De même, de nombreuses PPA ont dû quitter le marché du travail à cause des soins durant cette période (Larson et al., 2021). En même temps, certaines recherches indiquent que le contexte pandémique aurait rendu les employeurs plus compréhensifs vis-à-vis des problématiques familiales de leurs employés (Mathieu et Tremblay, 2022 a,b, 2020; Tremblay et Mathieu, 2021, 2020).

Cet article a pour objectif d’éclaircir la question du soutien aux PPA en milieu de travail, particulièrement suivant le contexte pandémique. Il est structuré de la façon suivante : premièrement, nous proposons une revue de la littérature synthétisant les recherches portant sur les difficultés vécues par les PPA vis-à-vis de l’emploi et les mesures de soutien organisationnel leur étant dédiées en temps normal, puis en temps de pandémie. Après avoir établi notre cadre théorique, en mobilisant la théorie de la conservation des ressources (Hobfoll, 1989) puis notre cadre méthodologique, les résultats de notre étude sont présentés, avant de faire l’objet d’une discussion en lien avec le plan d’action gouvernemental pour la proche aidance au Québec (Gouvernement du Québec, 2021).

02. Synthèse de la littérature

En raison d’interruptions de travail dues à leurs responsabilités de soins, les PPA sont à risque de perdre leur emploi, affectant négativement leur santé psychologique (Bainbridge et Broady, 2017 ; Li et Lee, 2019). Des études montrent que les PPA sont globalement en moins bonne santé (Berglund et al., 2015; Pinquart et Sörensen, 2011), sont plus isolées (Cannuscio et al., 2004) et sont plus sujettes aux conflits emploi-famille (Pavalko et Henderson, 2006) que les personnes sans responsabilités de soin. Le conflit travail-famille ou emploi-famille renvoie au degré auquel la vie de famille/personnelle et la vie professionnelle des individus sont incompatibles (Grzywacz et Butler, 2008). Ces incompatibilités sont générées par des conflits de temps et/ou de tension entre les différents rôles assumés dans les sphères personnelle et professionnelle (Greenhaus et Beutell, 1985).

Les PPA tendent en effet à vivre un conflit entre leur emploi et les responsabilités de soins assumées dans la sphère personnelle, amenant des tensions sur les plans physique, émotionnel et financier (Templeman et al., 2019). Le maintien en emploi constituant bien souvent une condition essentielle à leur équilibre, autant sur le plan financier que sur les plans de l’accomplissement personnel et de la vie sociale, il est primordial pour ces personnes d’obtenir un soutien adéquat afin d’éviter une sortie involontaire ou prématurée du marché du travail.

Malgré leur incidence sur la vie personnelle et professionnelle des PPA, les responsabilités de soins sont généralement sous-estimées par rapport aux responsabilités parentales en entreprise, et font l’objet de moins de mesures de soutien (Gouvernement du Canada, 2015 ; Koerin et al., 2008 ; Lero et al., 2012 ; Tremblay et al., 2013). En 2012, 57% des gestionnaires de grandes organisations canadiennes rapportaient que les responsabilités de soins envers un adulte ou une personne âgée constituaient une faible priorité ou n’étaient pas à l’ordre du jour de leur organisation (Lero et al., 2012). Or, les responsabilités de soin donnent lieu à des contraintes temporelles uniques pour les PPA, différentes de celles que peuvent avoir d’autres employés sans ce type d’engagement (Hillbrecht et al., 2017). En termes d’accès aux mesures de soutien, une enquête québécoise récente indique que 45% des employés parents et proches aidants avaient accès à un horaire flexible (Concilivi, 2021). Toutefois, cette enquête ne distinguait pas entre ces deux groupes, pourtant vivant des problématiques personnelles et familiales bien distinctes. Une étude de l’accès aux aménagements du temps de travail pour les PPA spécifiquement est donc de mise.

Au vu des bouleversements sociétaux du début de cette nouvelle décennie, il est permis de penser que la pandémie ait entraîné dans son sillon une plus grande prise de conscience de la réalité des PPA en entreprise. Les travaux de Tremblay et Mathieu (2020, 2021) indiquent en effet que les employeurs ont fait preuve d’un plus haut niveau d’empathie envers les employés, à tout le moins, pour ceux ayant des responsabilités parentales. Il est possible que les employeurs se soient également montrés plus compréhensifs vis-à-vis des employés proches aidants. C’est ce que nous souhaitons explorer. Par ailleurs, quelques données préliminaires semblent indiquer que, malgré un accroissement des difficultés liées aux soins durant cette période, le contexte pandémique aurait facilité la conciliation travail-famille pour certaines PPA en emploi. Par exemple, la plus grande disponibilité du travail à domicile et le ralentissement du rythme de travail leur auraient permis de « vaquer à d’autres occupations tout en travaillant » (Dagnogo, 2021, p. 73), de même qu’approfondir les liens avec les proches (Lightfoot et al., 2021). Ceci nous invite encore davantage à nous pencher sur le soutien offert aux PPA durant la pandémie dans leur milieu de travail.

03. Problématique

La pandémie semble donc avoir eu une influence sur l’emploi des PPA : on constate à la fois chez elles de plus grandes difficultés à demeurer en emploi, mais en même temps, on note a priori une plus grande empathie des employeurs à l’égard des situations personnelles des employés. Cependant, ce dernier constat n’a jamais été vérifié concernant les PPA spécifiquement, qui vivent une réalité bien différente des employés avec responsabilités parentales. Dès lors, dans quelle mesure les PPA ont-elles été soutenues dans leur milieu de travail durant la pandémie ?

04. Cadre théorique

Une façon d’aborder la question du soutien organisationnel aux PPA est à travers le prisme de la théorie de la conservation des ressources ou COR (Hobfoll, 1989, 2001, 2011). Cette théorie est fondée sur la présupposition que, durant leur existence, les individus recherchent à acquérir et à maintenir des ressources, et que le stress survient en réaction à un environnement dans lequel il existe une menace réelle ou anticipée de perte de ressources. Les ressources incluent des objets, conditions, caractéristiques personnelles et énergies. Selon Hobfoll, la santé, le bien-être, la paix, la famille, l’autopréservation, et une estime de soi positive sont universellement valorisées par les individus, bien que certains éléments puissent varier selon la culture.

Sur le plan des interactions travail-famille/famille-travail, la théorie des rôles suggère que le fait d’endosser de multiples rôles tend à mener au conflit personnel (interrôle), en ce qu’il devient de plus en plus difficile d’assumer chaque rôle à cause d’exigences conflictuelles requérant du temps et de l’énergie (Greenhaus & Beutell, 1985; Kahn et al., 1964). La COR propose que le conflit inter-rôles mène au stress, car des ressources sont perdues dans le processus consistant à jongler entre les rôles du travail et de la famille. Ces pertes potentielles ou réelles mènent en retour à un état négatif (p.ex. insatisfaction, dépression anxiété, tension physiologique). Dans ce type de situation, les individus peuvent se trouver face au besoin d’interrompre ou quitter leur travail pour remplacer ou protéger certaines ressources. Notamment, quitter un travail peut être vu comme une stratégie pour conserver des ressources risquant d’être perdues à cause du stress lié au rôle du travail. En restant à l’emploi, les ressources peuvent s’épuiser et mener au burnout (Hobfoll & Shirom, 1993). La COR souligne également l’existence d’un phénomène de spirale de pertes de ressources. En effet, la perte d’une ressource peut entraîner un processus en chaîne dans lequel les individus deviennent de plus en plus vulnérables aux séquelles du stress, débouchant sur une spirale rapide et douloureuse de perte de ressources (Hobfoll, 2001). En devenant PPA, les individus sont à risque élevé de perdre des ressources essentielles (temps, énergie, santé), et sont donc particulièrement susceptibles d’entrer dans une telle spirale et ce, d’autant plus dans le contexte pandémique. La COR met ainsi l’accent sur les épreuves traversées par les individus dans leur vie. Puisque le stress survient face à la perception d’une perte de ressources, entraînant potentiellement l’individu dans une spirale de pertes, il est important de comprendre les interventions qui permettent d’accroître la résilience des individus face au stress organisationnel et aux conflits travail-famille. Hobfoll (2011) souligne dans ce sens la nécessité de développer des écologies de ressources structurées qui soutiennent ces fins. En effet, selon le chercheur, de telles écologies ou « caravanes » de ressources sont à même de contrecarrer les effets négatifs du stress.

Ainsi, le présent article vise à répondre à cette question double : d’une part, dans quelle mesure les entreprises mettent-elles à disposition une écologie de ressources organisationnelles favorables aux PPA, et d’autre part, cette écologie a-t-elle changé suite à la pandémie de 2020 ? Notre question de recherche s’inscrit donc dans l’injonction ministérielle d’« identifier et expérimenter les meilleures pratiques organisationnelles pour favoriser l’embauche et le maintien en emploi de PPA dans certains secteurs d’activités économiques » (Gouvernement du Québec, 2021) dans le cadre de la Politique nationale pour les personnes proches aidantes.

05. Méthodologie

Cet article s’appuie sur un projet de recherche plus global ayant pour visée d’identifier la disponibilité, l’accessibilité et l’efficacité des initiatives de soutien aux employés proches aidants dans les organisations du Québec, notamment en temps de pandémie, du point de vue des gestionnaires. Dans le présent article, nous nous focalisons sur la disponibilité de ces mesures.

Nous avons invité les membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec à remplir un sondage en ligne entre novembre 2019 et mars 2020. Le sondage a été conçu pour identifier les politiques, pratiques et stratégies utilisées par les employeurs pour répondre aux besoins de flexibilité et de soutien de leurs employés, autrement dit, visent à faire le point sur l’offre de soutien organisationnel aux employés proches aidants. Ce sondage a été conçu et utilisé pour la première fois dans une recherche pan canadienne en 2012 (Lero et al., 2013; Tremblay et al., 2013), dont les résultats ont été rapportés plus haut. De la sorte, une comparaison avec les résultats antérieurs est possible. Le sondage a généré 122 réponses valides. Un deuxième sondage a été lancé durant la pandémie entre janvier et avril 2021, de sorte à obtenir un aperçu des tendances en matière d’accommodement des employés aidants en temps de pandémie. Certaines questions ont été adaptées, notamment : « la pandémie a-t-elle affecté l’offre de soutien aux employés proches aidants ? Si oui, comment ? ». Ce questionnaire a généré 46 réponses valides.

En outre, huit entrevues semi-directives ont été menées pour comprendre les subtilités inhérentes au processus d’accommodement des employés proches aidants, sachant que la relation d’aide est typiquement chaotique. Chaque participant a été invité à décrire le rôle de la PPA au sein de l’organisation, à décrire les responsabilités de soin de l’employé, à mentionner, le cas échéant, les interruptions du travail causées par la situation de proche aidance, et comment en tant que gestionnaire le participant a-t-il répondu à la situation, quelles étaient les répercussions potentielles sur l’équipe de travail, y a-t-il eu des conséquences imprévues ou inattendues suite à l’accommodement de l’employé, etc. Dans la mesure où la pandémie est survenue au cours du projet de recherche, nous avons ajouté à notre grille d’entrevue la question suivante : « la pandémie a-t-elle affecté la conciliation emploi-famille des employés proches aidants ? Si oui, comment ? ». D’autres questions ont été posées par l’intervieweuse pour inviter le participant à creuser davantage sur le sujet. Nous avons ainsi cherché à savoir si, du point de vue des gestionnaires participants, la pandémie a eu un effet sur les possibilités de concilier emploi et soins pour ces employés. Trois participantes se sont exprimées en détail à ce sujet.

Les gestionnaires ont été recrutés parmi les participants au sondage ayant mentionné leur intérêt à partager leur expérience vis-à-vis d’un ou plusieurs employé(es) aidant(es) au cours de leur carrière. Leur profil est précisé dans le tableau 1. Une des participantes (Pascale) gérait une entreprise dont la clientèle était constituée de PPA, en plus d’en compter dans son équipe de travail. À ce titre, cette participante constitue en quelque sorte une experte sur la gestion de la proche aidance, rendant possible une triangulation des données ajoutant à la crédibilité de nos résultats (Patton, 1999).

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Les rencontres ont eu lieu entre février 2020 et août 2021, principalement par visioconférence ou par téléphone, à l’exception d’une rencontre en février 2020 sur le lieu de travail d’une participante. Un pseudonyme a été attribué aux participants pour garantir l’anonymat. Les entretiens ont été retranscrits par l’une des auteures et analysés à l’aide du logiciel NVivo, selon une analyse de contenu, c’est-à-dire un processus de catégorisation actif par lequel les chercheurs discernent et choisissent entre de multiples possibilités de catégories leur permettant de faire sens de leurs données (Grodal, Anteby et Holm, 2021). Nous avons commencé par un « codage ouvert » (open coding) avant de générer des catégories générales englobant d’autres sous-catégories (Strauss et Corbin, 1990). À travers ce processus, certaines catégories ont été fusionnées, séparées, et abandonnées (Grodal et al., 2021). Par la suite, nous avons revu les données empiriques et théoriques présentes dans la littérature et les avons comparées avec nos données.

Nous rapportons d’abord les données quantitatives récoltées dans le cadre du questionnaire distribué à dans un premier temps avant la pandémie (n=122), puis durant la pandémie (n=46). Ensuite, nous présentons les faits saillants de notre analyse des données qualitatives récoltées dans le cadre des entrevues, mais aussi dans les réponses écrites aux questions ouvertes du sondage.

06. Résultats

6.1 Analyse descriptive des données quantitatives

Les secteurs les plus représentés sont le secteur manufacturier (16%), l’administration publique (14,5%) et les services professionnels (14%), tel qu’indiqué dans les figures 1 et 2. En ce qui concerne la taille des entreprises, le sondage de 2021 comporte une plus grande proportion de grandes et très grandes entreprises (60%) par rapport au premier sondage (34%), tandis que la proportion de petites entreprises est équivalente avec un pourcentage de 20% en 2019-2020 et 22% en 2021 (voir Figure 3).

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D’après les deux sondages, les gestionnaires québécois étaient nombreux à constater une situation de proche aidance pour au moins un de leurs employés au cours de l’année précédente, avec une légère hausse durant la pandémie (80%) par rapport au sondage mené en 2019-2020 (74%). Par ailleurs, la problématique de la proche aidance semble être une préoccupation croissante chez les employeurs : les données récoltées durant la pandémie montrent un accroissement de la priorité organisationnelle donnée aux responsabilités de soin, avec 24% des employeurs participants les considérant comme une haute priorité, contre 6% pour les données récoltées avant la pandémie. Bien qu’étant toujours jugées moins importantes que les responsabilités parentales, les responsabilités de soin sont légèrement moins susceptibles d’être une faible priorité ou de ne pas être à l’ordre du jour qu’auparavant (Figure 4).

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On note également une amélioration dans l’offre de congés pour proches aidants. L’offre de congé de compassion sans solde et à paie complète était plus élevée en 2021 qu’en 2019, avec 59% contre 40%, et 13% contre 4% respectivement. Par ailleurs, il était également plus fréquent de pouvoir s’absenter ou de mettre du temps en banque pour un futur congé d’aidant (33% vs 25%) et de réduire temporairement ses heures de travail pour prendre soin (50% vs 43%, Figure 5).

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Pour ce qui est de l’offre d’aménagements flexibles du temps et lieu de travail, nous observons une plus grande offre de télétravail occasionnel et régulier. En revanche, nous constatons une réduction des autres mesures de flexibilité horaire entre 2019 et 2021 (Figure 6).

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En ce qui concerne les prévisions d’augmentation de l’offre de soutien aux employés aidants, 27 % des gestionnaires indiquaient en 2019 que leur entreprise prévoyait d’augmenter son offre, comparé à 35 % en 2021. Il semblerait donc y avoir une plus grande volonté d’améliorer l’offre d’aménagements pour les employés proches aidants. Les participants remarquaient par ailleurs une plus grande utilisation des ressources organisationnelles par les employés, sur le plan de la flexibilité, du soutien financier, d’informations et ressources pour proches aidants; tandis que l’utilisation de congés pour aidants était un peu moins élevée en 2021 qu’en 2019 (Figure 7).

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Globalement les sondages rapportent une augmentation des demandes formulées par les aidants auprès de leur employeur, avec en 2021 48% des répondants gestionnaires indiquant une augmentation des demandes d’aménagements parmi les employés avec responsabilités de soin au cours de l’année passée, comparativement à une augmentation de 31% pour l’année 2019. Les gestionnaires perçoivent donc une augmentation des demandes en ressources organisationnelles pour concilier travail et famille, et la pandémie semble avoir accentué cette tendance, ce qui est exprimé dans les données qualitatives de notre recherche.

6.2 Analyse des données qualitatives

Pour les employeurs, la pandémie a entraîné une « grande augmentation des demandes » de ressources organisationnelles pour concilier emploi et soins, avec « beaucoup plus de demandes en regard de la contagion ». Cela a entraîné, selon certains participants au sondage, « plus d’absentéisme », des « absences plus fréquentes », et a « occasionné des congés supplémentaires », alors que nos résultats quantitatifs reflétaient plutôt une diminution de l’utilisation de congés d’aidants. Ceci suggère que les congés d’aidants sont peu utilisés, mais que les aidants préconisent l’utilisation d’autres congés personnels.

En effet, la pandémie a entraîné une complication des soins et de la situation de la personne aidée, ce qui accroît les besoins des employés en regard des responsabilités de soin et accroît le conflit soins-travail. D’après Pascale, gestionnaire rencontrée dans le cadre d’une entrevue (cf. tableau 1), le confinement obligatoire a eu pour conséquence d’éloigner les aidants des personnes dont ils prenaient soin, laissant souvent ces dernières en isolement. Ceci a entraîné un accroissement de l’inquiétude chez les proches aidants en emploi, et donc du conflit de tension psychologique entre soins et travail :

Parce qu’avant la pandémie, ils marchaient, ils parlaient, puis depuis la pandémie ils les ont retrouvés : ils marchent plus, ils parlent plus là. (…) Fait que t’sais la pandémie pour moi ça a été un moment très difficile. Puis aussi pour les aidants, parce qu’ils ont pas été en lien avec la personne [dont ils] s’occupent (…) T’sais ils ont manqué de stimulation, fait que ça a empiré la perte d’autonomie, puis empiré l’inquiétude de nos clients. (Pascale)

En réponse à ces difficultés accrues, les données qualitatives du sondage de 2021 rapportent que « plus de flexibilité et soutien ont été offerts aux employés », que « les règles sont plus souples », et que « la compagnie a offert davantage de flexibilité d’horaire et de temps durant la pandémie ». Ces résultats sont surprenants en regard des données quantitatives qui reflètent au contraire une moindre offre de flexibilité horaire que pour l’année 2019. Cela pourrait suggérer que quelques employeurs ont pris conscience des difficultés accrues vécues par les aidants au cours de cette période et y ont répondu en accroissant leur flexibilité, mais que la majorité n’a pas été en mesure d’augmenter leur offre d’aménagements. En effet, certains gestionnaires suggèrent qu’en raison des difficultés économiques associées à la pandémie, il est peu envisageable de mettre en place de nouvelles mesures sociales dans l’organisation, comme l’indique un participant au sondage :

L’hécatombe actuelle (…) rend improbables l’ajout de nouvelles mesures sociales et ça, avant plusieurs années. Les RH sont conscients de cette situation et travaillent plutôt à maintenir les acquis - ce qui est déjà très coûteux en soi du point de vue du capital de crédibilité de la fonction RH. À moins que le ROI ne soit démontré de manière comptable, aucune nouvelle mesure sociale ne verra le jour à court ou moyen terme. (Participant(e), relations de travail, secteur industriel).

Cela dit, en concordance avec les résultats du sondage, les participants étaient nombreux à mentionner une généralisation du télétravail, indiquant que « le télétravail a pris de l’ampleur et ne sera plus une mesure temporaire », et que l’on va davantage « miser sur la mise en place de projets plutôt que le temps de travail », avec « moins de surveillance sur les heures travaillées, plutôt sur les tâches accomplies ». On semble donc observer un changement dans la manière de gérer les employés, moins basée sur le contrôle du temps de travail et le télétravail se diffuse par suite de la pandémie, alors que les gestionnaires y étaient plus réticents avant la crise (Tremblay, 2020). Un conseiller en développement organisationnel dans une organisation manufacturière indique également « une plus grande ouverture et compréhension pour les employés avec des parents malades, enfants à charge, décès à l'étranger de membres de la famille », ce qui vient appuyer le constat quantitatif d’une plus grande considération des responsabilités de proche aidant comme haute priorité organisationnelle. Dans l’extrait suivant, Mélissa, propriétaire d’une firme de consultation, indique que la pandémie a « forcé » certains employeurs auparavant réfractaires au télétravail à le mettre en place, ce qu’elle perçoit comme un changement positif pour les employés proches aidants :

Alors moi je pense que le fait (…) que plusieurs entreprises aient été forcées à ce que leurs employés soient en télétravail, ça va donner un grand coup de main à la flexibilité à l’emploi au niveau de la conciliation travail-famille. (…) Alors moi j’ai espoir qu’on tire des leçons fort intéressantes dans le post-Covid par rapport aux moyens qu’on a mis en place pour faire en sorte que les entreprises perdurent, et puissent poursuivre leur activité que ce soit dans le télétravail ou autre, et que ça puisse aider ma collègue qui est proche aidante, et que ça puisse peut-être aider les autres aussi t’sais qui sont dans cette situation-là. (Mélissa)

Le contexte pandémique et les changements subséquents dans la manière d’effectuer le travail, notamment avec la généralisation soudaine du travail à domicile, ont pu constituer pour certains employeurs une occasion de prendre davantage connaissance des réalités familiales et personnelles des employés. Dans le cas suivant, une directrice d’organisme communautaire décrit une pratique de gestion mise en place dans le contexte particulier de la pandémie, afin de connaître les besoins spécifiques de chaque employée vis-à-vis de potentielles responsabilités de soins auprès d’un proche :

Puis à un moment donné quand c’était le temps de la Covid [je lui ai demandé] si elle avait des inquiétudes pour son conjoint. Moi je leur ai demandé, avant de mettre tout le monde en télétravail, je les ai rencontrées une par une pour évaluer les besoins, s’il y avait des inquiétudes, s’il y avait des gens dans leur famille qui étaient en situation d’avoir des nécessités particulières. (Myriam)

Outre le soutien fourni par l’employeur, nos résultats indiquent que la pandémie a favorisé dans certains cas un mouvement de rapprochement entre collègues pour affronter les défis occasionnés par ce contexte difficile, pour des employées aux prises avec diverses problématiques familiales incluant la proche aidance. Dans l’extrait suivant, Myriam rapporte une solidarité et une entraide accrues parmi ses employées durant la pandémie :

Puis pendant la pandémie y’a eu vraiment un réseau d’entraide qui s’est formé, plusieurs se sont appelées pour du soutien. Fait qu’on me dit qu’ils sont unis encore plus. Donc, des fois aussi, elles trouvent du soutien entre les pairs (…) Prendre le temps d’appeler une collègue, pour parler soit de leurs clientes, comment elles réussissent à sortir de… parce que pour plusieurs le confinement a été difficile à vivre. D’autres l’ont vécu mieux que d’autres, mais certaines ont trouvé ça pénible puis elles se sont tournées vers des collègues pour discuter. (Myriam)

Cette solidarité semble, sinon permise, à tout le moins renforcée par les fréquentes réunions d’équipe que Myriam organise. Dans l’extrait suivant, Myriam suggère que le soutien social entre collègues favorisé par les rencontres d’équipe crée un climat de travail favorable qui pourrait contribuer au moindre absentéisme remarqué par cette participante, malgré le contexte pandémique :

Puis la semaine dernière on a eu une réunion d’équipe, puis on a fait un tour de table sur… À chaque fois qu’on a une réunion : « Bon bien comment vous allez ce matin ? Avec quelle énergie ? » Puis y’en a une qui a mentionné : « Moi ce que j’espère, c’est qu’on va rester autant unies que pendant cette crise sanitaire-là qui nous a encore plus unies. » Je trouvais ça vraiment très beau d’entendre ça là. Y’a vraiment un esprit d’équipe qui s’est développé qui est très fort. Ça, ça avait aidé au climat de travail, c’est peut-être pour ça qu’il y a moins d’absentéisme, on sait pas ! (rires) (Myriam)

Dans d’autres cas de figure, la pandémie a au contraire entravé les occasions de rencontres entre collègues de travail, ayant entraîné des pertes sur le plan des moyens et ressources organisationnelles. À cause des craintes de contagion, Pascale n’organise plus de réunions d’équipe ou de déjeuners entre collègues, alors qu’ils constituaient auparavant d’importants moments de socialisation :

Comme là, c’est sûr qu’avant la Covid on faisait des réunions d’équipe là. Puis depuis deux ans, t’sais c’est plus difficile là. T’sais comme moi mon équipe a diminué beaucoup là, avant la Covid… les gens ont beaucoup peur de la Covid. Avant la Covid on était à peu près quarante-cinq, puis là j’ai une équipe de trente, t’sais. Là on est en train de rebâtir, puis on était trois à l’administration, là on est deux à l’administration. Parce que là mon équipe elle est réduite. Fait que les dames t’sais, on les réunissait, on faisait des déjeuners, ils jasaient beaucoup entre eux, puis … (…) ça, ça manque beaucoup. (Pascale)

Par ailleurs, bien que certaines organisations montrent une plus grande générosité dans le soutien aux responsabilités de soin de leurs employés, tel qu’évoqué plus haut, il reste que les aidants tendent à vivre des situations exigeantes et complexes parfois irréconciliables avec un emploi, dans la mesure où ils ne trouvent pas nécessairement le soutien et les ressources nécessaires dans les sphères informelles (cf. aide de la famille ou d’amis) ou formelles (cf. services publics ou privés) pour leur permettre de maintenir ces rôles simultanément. Dans l’extrait suivant, Mélissa souligne que bien que la pandémie ait amené un vent de conscientisation sociale poussant certains employeurs à une plus grande flexibilité pour les employés, la conjoncture n’en reste pas moins difficile pour les PPA dépendamment de leur contexte personnel et d’un ensemble de facteurs, notamment sur le plan financier, avec le risque de perte d’emploi :

De votre point de vue, la crise du Covid est plutôt favorable à la conciliation travail-famille des proches aidants ? – Bien ça dépend (…) Ont-ils des enfants, ont-ils un réseau, ont-ils perdu leur emploi ? Y’a la question financière là-dedans qui n’est pas à sous-estimer. (Mélissa)

Ainsi, les impacts de la pandémie sur la conciliation emploi-soins ne sont pas uniformes dépendamment du contexte d’emploi et des facteurs sociodémographiques propres à chaque individu.

07. Discussion

Nos résultats démontrent globalement une plus grande ouverture des employeurs à accommoder les employés proches aidants suite à la pandémie de 2020, signe précurseur d’une écologie de ressources (Hobfoll, 2011) favorables aux PPA en entreprise et, dans ce sens, se rapprochant des objectifs visés par le plan d’action gouvernemental pour la proche aidance (Gouvernement du Québec, 2021). Cependant, malgré une plus grande prise de conscience de ces problématiques, une augmentation de l’offre de télétravail et quelques cas isolés d’initiatives à portée sociale au sein de petites entreprises participantes, nos résultats indiquent en tendance une diminution de l’accès aux aménagements flexibles du temps de travail entre 2019 et 2021.

08. Meilleure prise en compte des responsabilités de soin

La pandémie semble avoir favorisé une meilleure prise en compte des responsabilités de soin dans les milieux de travail, à travers par exemple la mise en place de suivis plus rapprochés de la situation familiale des employés au regard des problématiques familiales particulières vécues, notamment suite à l’implantation du travail à domicile. Dans ce sens, on tend davantage vers des « environnements conciliants qui soutiennent et favorisent le maintien et l’amélioration des conditions de vie des personnes proches aidantes », tel qu’énoncé dans le plan d’action gouvernemental (Gouvernement du Québec, 2021). Près d’un quart (24%) des participants au sondage en 2021 considéraient les responsabilités de soin comme une haute priorité organisationnelle, contre 6% en 2019-2020, et 3% dans un sondage antérieur en 2012 utilisant le même questionnaire (Tremblay, Larivière et Lero, 2013). De 2019 à 2021, on note que les employeurs étaient plus enclins à prévoir augmenter leur offre d’aménagements pour les employés proches aidants, ce qui indique une plus grande écologie de ressources pour les employés aidants dans le futur (Hobfoll, 2011). Malgré tout, nos résultats quantitatifs démontrent que les responsabilités de soin demeurent une moindre priorité organisationnelle en comparaison aux responsabilités parentales (Gouvernement du Canada, 2015 ; Koerin et al., 2008 ; Lero et al., 2012 ; Tremblay et al., 2013), alors même que les proches aidants sont généralement sujets à de plus fortes tensions travail-famille que les parents (Pavlako et Henderson, 2006). Dans ce sens, nous sommes encore loin des objectifs visés par la politique de reconnaissance pour les PPA.

09. Télétravail en hausse, flexibilité horaire en déclin

Nous avons observé une augmentation de l’offre de télétravail, qui facilite la conciliation entre emploi et soins en offrant aux PPA une ressource en temps (cf. économie du temps de transport) afin d’être plus disponible auprès des personnes aidées. De même, nous avons constaté une légère propension des employeurs à accorder davantage de congés et compensations financières aux employés aidants en supplément de l’assurance-emploi (ressource financière). Cependant, nos résultats montrent pour 2021 une moindre disponibilité de mesures telles que la possibilité de refuser du temps supplémentaire, de choisir ses quarts de travail, ses moments de pause, de changer ses heures d’entrée et de sortie du travail et d’obtenir une semaine comprimée. Cette moindre disponibilité de flexibilité horaire peut être attribuée au fait que les entreprises ont manqué d’effectifs durant la pandémie et ainsi n’ont pas pu laisser aux employés restants autant de choix au niveau de leur emploi du temps, de sorte à couvrir l’ensemble des besoins organisationnels. Une autre possibilité serait que l’horaire flexible est de plus en plus considéré comme une pratique usuelle et donc moins répertorié comme mesure de conciliation travail-famille (Lorenz et al., 2021).

Le plus faible recours aux congés d’aidants observé dans nos résultats quantitatifs en 2021 pourrait être la conséquence des plus grandes possibilités de télétravail. En effet, cette dernière mesure permet de garder les proches aidants en emploi et évite les interruptions de travail en leur permettant de rester chez la personne aidée tout en continuant d’assurer le travail. De ce point de vue, le télétravail serait une ressource plus valorisée par les PPA que les congés d’aidants (Hobfoll, 1989), de sorte à éviter les interruptions de travail (Gaugler et al., 2018). Cependant, une autre explication pourrait être que les congés d’aidants sont mal adaptés aux besoins de ces travailleurs, ou alors, difficilement accessibles, et ne seraient pas considérés comme des ressources permettant d’accéder à une meilleure conciliation travail-famille. Il serait important dans de futures recherches d’investiguer précisément la perception et l’utilisation des congés d’aidants par les PPA.

Enfin, certains participants mentionnaient que la pandémie avait freiné voire arrêté le développement de mesures sociales dans certaines organisations, à cause de réductions d’effectifs et d’« hécatombes » de départs d’employés associés à la pandémie, peut-être dans des secteurs où le télétravail est plus difficile à instaurer (p.ex. secteur manufacturier). La pandémie a donc entraîné un risque accru de perte d’emploi pour les PPA qui sont déjà à haut risque d’interruption de travail par rapport aux employés sans ce type de responsabilités (Bainbridge et Broady, 2017 ; Li et Lee, 2019). Ainsi, une réflexion doit être entreprise à savoir comment une écologie de ressources (Hobfoll, 2011) pour les PPA peut être développée dans divers secteurs d’activité, dans la mesure où tous les milieux de travail sont touchés par le plan d’action pour la proche aidance au Québec.

10. Tension accrue chez les employés aidants

Les gestionnaires observent que la pandémie a aggravé l’inquiétude des PPA. Or, celles-ci sont souvent seules à assumer le rôle d’aidant principal auprès d’un parent ou d’un conjoint, ce qui diffère du cadre d’un couple où les tâches domestiques et parentales peuvent être réparties. Les PPA de leur côté sont moins susceptibles de pouvoir partager les tâches de soin avec une autre personne, les aidants dits secondaires n’étant pas toujours disponibles (Nogues et Tremblay, 2021). Nos résultats soulignent ainsi encore davantage le fait qu’être proche aidant représente une situation bien particulière et différente des employés avec d’autres problématiques familiales (Hillbrecht et al., 2017), et qu’elles sont particulièrement à risque de se trouver une situation de spirale de pertes de ressources aux conséquences douloureuses (Hobfoll, 2001), notamment débouchant sur un isolement social (Cannuscio et al., 2004) et une précarisation financière (Duncan et al., 2019; Templeman et al., 2019). Comme le mentionnait une participante, la possibilité de trouver de l’aide pour assumer les tâches de soin dépend en grande partie de leur contexte personnel et leur réseau social, indiquant que les ressources du travail seules ne sauraient suffire à permettre une meilleure conciliation travail-famille. Un relai doit également exister au niveau de la communauté et des services de santé (Nogues et Tremblay, 2017).

Dans le milieu de travail, un renforcement du soutien entre collègues a pu être observé par certains gestionnaires durant la pandémie, et donc un gain en ressources en soutien social, particulièrement dans les petites entreprises. Par contre, d’autres ont mentionné des pertes en soutien social, la pandémie et les risques de contagion ayant freiné l’organisation de moments de socialisation au travail. Ainsi, si le confinement a pu atténuer le sentiment négatif de manquer des évènements sociaux en raison des responsabilités de soins (Dagnogo, 2021), notre recherche indique qu’il a supprimé des occasions de soutien social pour les employés proches aidants, accroissant les risques d’isolement et de dépression (Cannuscio et al., 2004). Ceci souligne à quel point l’expérience des PPA peut varier d’un milieu de travail à l’autre : dans certains cas la pandémie aura renforcé les rapports de soutien entre collègues même à distance (via téléphone et visioconférence), dans d’autres, elle aura entraîné une perte de moments d’échanges entre collègues. Ce constat montre l’importance de créer des environnements de travail propices à la solidarité entre collègues.

Par ailleurs, bien que certains participants percevaient une vague de « conscientisation sociale » vis-à-vis des problématiques de proche aidance, la pandémie a cependant entraîné la sortie du marché du travail pour de nombreuses PPA, qui ont dû quitter leur emploi pour prendre soin de leur proche, notamment faute de trouver les services nécessaires étant donné la réduction des services publics (Larson et al., 2021). Ainsi, il ne semble pas exister à l’heure actuelle de mesures suffisantes pour empêcher les PPA de tomber dans une spirale de pertes de ressources (Hobfoll, 2001). Nos données suggèrent une utilisation accrue des ressources financières par les aidants, ce qui peut être indicateur d’une plus grande détresse. Ainsi, à la lumière de la recherche existante, nos résultats suggèrent globalement un accroissement des tensions émotionnelles, financières et physiques vécues par les employés proches aidants (Templeman et al., 2019) dans le contexte pandémique, plutôt qu’une réduction du conflit travail-famille, malgré une plus grande conscientisation sociale et plus de télétravail. Il paraît crucial dans le contexte post-pandémique d’encourager des occasions d’échange entre collègues et de s’intéresser aux problématiques familiales de chacun en rencontres individuelles, s’ils souhaitent les partager, tel que l’ont fait certains gestionnaires interviewés dans notre recherche.

11.Limites

À notre connaissance, très peu de recherches se sont penchées sur les effets de la pandémie sur la conciliation travail-famille des PPA en particulier, et dans ce sens le présent article constitue donc un apport important. En revanche, une limite majeure de notre recherche est le faible nombre de répondants au sondage en ligne durant la pandémie, limitant l’interprétation des résultats. Par ailleurs, bien que trois les secteurs d’activité les plus représentés soient les mêmes d’un sondage à l’autre, les autres secteurs ne sont pas représentés dans la même proportion (cf. graphiques 1 et 2), ce qui appelle à de futures recherches comparant précisément les secteurs d’activités en termes d’offre d’aménagements, de même pour la taille des entreprises (cf. graphique 3). Dans notre recherche qualitative, seul un certain nombre de secteurs (assurances, service public, manufacturier…) est représenté et ne reflète ainsi pas la réalité dans d’autres secteurs importants (p.ex. technologie, transports, commerce de détail…). Ainsi, de nombreuses zones d’ombre demeurent quant à l’accommodement des PPA dans différents secteurs et il serait important que de futures recherchent évaluent l’offre d’aménagements de manière quantitative, mais aussi qualitative dans des secteurs différents où l’organisation et les exigences du travail sont différentes sur le plan des horaires et des présences notamment.

12. Conclusion

Plus que jamais, la pandémie a mis en lumière le rôle crucial joué par les proches pour la prise en charge des personnes en nécessité de soins et de soutien pour les activités de la vie quotidienne dans notre société, et ce, dans un contexte de saturation des services sociaux et services de santé. Nos données exploratoires indiquent que la conciliation emploi-famille des PPA s’est trouvée facilitée sur certains plans suite à la pandémie, avec une plus grande accessibilité au télétravail, une meilleure reconnaissance et donc compréhension des responsabilités de soin par les employeurs, et dans certains cas, une solidarité accrue entre collègues. Cependant, ces améliorations demeurent mineures, et les responsabilités de soins demeurent largement moins reconnues que les responsabilités parentales en entreprise. De plus, nous avons constaté une réduction de l’accès à d’autres formes d’aménagements flexibles du temps de travail, constituant une perte pour la conciliation travail-famille des PPA. Nous invitons donc les chercheurs à suivre l’évolution des écologies de ressources favorables aux PPA dans les entreprises, et de continuer à identifier les pratiques organisationnelles permettant le maintien en emploi des PPA.