Résumés
Résumé
Cette recherche-création propose de stimuler les réflexions autour des travaux de l’historien du sommeil Roger Ekirch. Quelques-unes de ses hypothèses, en particulier celles portant sur les sociabilités du sommeil, sont illustrées par le truchement de représentations de chats anthropomorphes. Ces figures, prélevées au sein des cultures populaires contemporaines et du début de l’ère moderne, seront restituées sous la forme de mèmes internet dits LOLCats.
Abstract
This research-creation proposes to stimulate reflections on the work of the sleep historian Roger Ekirch. Some of his hypotheses, in particular those concerning the sociability of sleep, are illustrated by means of representations of anthropomorphic cats. These figures, taken from contemporary and early modern popular cultures, will be rendered in the form of internet memes called LOLCats.
Corps de l’article
Introduction
Le 27 janvier 2022, Derek Thompson, chroniqueur pour The Atlantic, publiait une tribune intitulée « Can Medieval Sleeping Habits Fix America’s Insomnia ?[1] ». La provocation de Thompson fait écho aux discussions déclenchées par les travaux de Roger Ekirch, professeur d’histoire à la Virginia Tech University. Ekirch défend une thèse qui peut, certes, nous sembler surprenante : avant l’avènement de l’ère industrielle, donc jusqu’à très récemment, tout indique que le sommeil était divisé en deux blocs séparés par une période d’éveil pouvant durer d’une à plusieurs heures[2]. En allant à contresens d’un bon nombre de représentations collectives actuelles, cette donnée historique contribue à semer le trouble dans les épistémologies du sommeil. La présente recherche-création propose d’examiner cette situation en communiquant, de manière créative et expérimentale, les recherches d’Ekirch. Cette démarche voit à associer savoirs académiques et populaires, concernant la culture de la nuit préindustrielle, en les restituant sous la forme de mèmes internet, soit de LOLCats. Cette démarche vise à décloisonner le sommeil des préconceptions, le réduisant à un état psychique purement individuel afin d’explorer ses multiples imaginaires et épistémologies. La première partie de cet article trace le récit de ma démarche de recherche-création, la seconde présente les créations visuelles ainsi que leur commentaire textuel.
1. La figure du chat anthropomorphe; du 15ème siècle au WorldWideWeb
Une démarche de recherche-création anime et informe ce projet. Celle-ci se nourrit de propositions énoncées par des chercheur·euse·s ayant tenté de caractériser ces méthodologies en émergence, tout en invitant à la rencontre entre différents champs disciplinaires. Pour Natalie Loveless, professeure au département d’histoire de l’art de l’Université d’Alberta, la recherche-création produit des « objets liants » (boundary objects) permettant de mettre en oeuvre, en pratique et en forme l’interdisciplinarité et la curiosité intellectuelle[3]. Cette prémisse incite à la restitution de résultats de recherches sous des formes hybrides, parfois inusitées, et toujours au seuil entre l’art et la science[4]. Dans la mesure où l’on considère que la recherche scientifique est une modalité d’accès à la connaissance, et que l’art est une modalité de communication incarnée par des pratiques de création, la recherche-création se glisse dans leurs interstices. Elle communique des connaissances à l’aide de pratiques et processus qui défient le cloisonnement disciplinaire. Louis-Claude Paquin, professeur à l’École des médias de l’UQÀM, explique que celle-ci se présente comme la médiation entre le·la chercheur·euse, un public et des savoirs hétérogènes. Elle commande un principe d’agencement entre des « éléments et des processus qui visent à communiquer et faire éprouver une expérience[5] ». À l’intersection de ces deux postulats, la recherche-création ici proposée est une médiation qui vise à raconter de manière imagée, affective et ludique des savoirs scientifiques et populaires concernant le sommeil préindustriel. Cette époque est particulièrement intéressante pour l’étude des sociabilités du sommeil, car elle précède les pratiques de la vie moderne, désormais blâmées pour ladite crise du sommeil actuelle.
At Day’s Close: A History of Nighttime, publié par Ekirch en 2006 propose un panorama de la culture de la nuit préindustrielle occidentale, en mettant l’accent sur des études de cas britanniques circonscrites entre le 16ème le 19ème siècle. Dans ce texte, Ekirch cite Beware the Cat[6], roman fantastique et satirique, écrit et publié au 16ème siècle par l’écrivain et éditeur britannique William Baldwin[7]. Ce récit peut être considéré comme un fragment de culture populaire préindustrielle en raison des thèmes mondains qu’il aborde, du ton humoristique qu’il emploie et de son style imitant la tradition orale médiévale[8]. Le texte met en scène Baldwin lui-même, profitant de la veille du sommeil biphasique pour discuter avec des personnages fictionnels. L’intérêt de ce texte consiste en sa mobilisation symbolique et humoristique du chat, figure qui permet en effet de connecter le roman de Baldwin aux cultures populaires numériques.
Beware the Cat raconte l’histoire d’une société de chats surnaturels et anthropomorphes. Considéré comme l’une des premières oeuvres de fiction en prose, ce texte s’inscrit dans la tradition des fables anthropomorphistes qui amènent les lecteur·rice·s à adopter le point de vue d’animaux pour discuter d’enjeux éthiques, moraux ou politiques[9]. La narration de Baldwin, ouvertement satirique, consiste en une série de monologues déclamés par différents protagonistes. À travers eux, Baldwin s’appuie ainsi sur des traits félins, imaginaires ou avérés, pour commenter la société catholique britannique du 16ème siècle. En l’occurrence, l’auteur aborde des scènes, quotidiennes et intimes, qui n’auraient pu être observées que par des chats. En tant que créatures nocturnes et furtives, les chats s’infiltrent par les portes, fenêtres, lucarnes et vérandas pour épier les instants les plus secrets des foyers qu’ils visitent. L’histoire, racontée par Baldwin, se déroule donc principalement la nuit et donne à voir différentes pratiques quotidiennes emblématiques des nuits préindustrielles.
Dans Beware the Cat, le personnage principal, Mr Streamer, érudit, théologien et alchimiste, raconte sa rencontre avec des chats capables de s’exprimer dans une langue aussi complexe que celles des humains. Par la concoction d’un sérum, le faisant entrer en état de xénoglossie, Mr Streamer parvient à comprendre la langue des chats. Alors que l’érudit désire d’abord étudier et analyser de loin cette société énigmatique, il se surprend éventuellement à rire avec la voix d’un chat. De ce fait, Mr Streamer, et par extension le·la lecteur·rice, outrepasse le statut d’observateur passif. Par le rire, il se trouve également émotionnellement lié à cette société inconnue. Il s’agit, en fait, d’une mobilisation stratégique de l’humour et des chats pour énoncer la possibilité de connexion, et potentiellement de coopération, entre des êtres qui ne partagent apparemment rien[10]. Or, ce procédé rhétorique se distingue par sa vive actualité et m’a permis de lier la culture populaire présentée par Baldwin et la culture populaire contemporaine. Tout se passe comme si l’identification anthropomorphique aux chats permettait de communiquer de manière ludique et affective. Ce livre de Baldwin m’a servi de premier échantillon de culture populaire. Quelques fragments de son texte ont été sélectionnés afin d’être réassemblés avec des images issues de la culture populaire actuelle, un croisement facilité par la continuité thématique que présentent les blagues historiques de chats anthropomorphes.
Depuis l’avènement d’internet, ainsi que de ses rites et cultures, plusieurs observateur·rice·s mettent en évidence le rôle déterminant qu’y jouent les représentations humoristiques de chats. En 2007, Limor Shifman, professeure de communication, soutient que, sur internet, les représentations d’animaux anthropomorphes, et en particulier des chats, fonctionnent comme des blagues universellement intelligibles. En reprenant le genre de la fable, elles fournissent aux usager·ère·s une grammaire visuelle accessible qui a très largement contribué à l’émergence d’une culture web globale, par-delà les schismes linguistiques, ethniques et politiques[11]. En études médiatiques, la professeure Jody Berland[12] souligne que les images de chats, qui n’ont cessé d’envahir les plateformes numériques, opèrent comme cultural currency. Échangées afin de pallier l’impossibilité de coprésence, elles encouragent les internautes à entretenir des échanges ludiques, ayant pour objectif premier le maintien d’un lien social affectif. Les photos de chats contribuent à rendre tolérable la rigidité des communications en ligne, tout en permettant de s’affilier affectivement avec virtuellement n’importe quel autre internaute. Un tel constat peut nous laisser supposer que sur internet, tout comme Mr Streamer est transformé lorsqu’il rit en chat, nous nous connectons aux autres en riant à travers les chats. Ceci est d’ailleurs très pertinemment reflété par le format de mèmes dits LOLCats.
Elyse White, professeure en humanités numériques, déclare que le chat est l’ultime mascotte du monde numérique[13]. Ce titre lui est très largement attribué en raison de l’exorbitante popularité d’un type de mèmes dits LOLCats. White suppose que les LOLCats sont probablement le format de mèmes le plus connu et emblématique de la culture web contemporaine. Les mèmes internet sont des artefacts numériques modifiés et reproduits par les internautes selon des logiques d’intertextualité de détournements culturels[14]. Sujets aux aléas des tendances web, ils constituent des artefacts évanescents qui disparaissent généralement aussi abruptement qu’ils sont apparus, bien que, paradoxalement, les blagues de chats sont loin d’être une tendance web transitoire[15]. Comme cultural currency, les LOLCats sont un objet culturel dont la valeur est affective et intrinsèquement liée à leur partage, ce qui contribue à définir et délimiter les identités et les communautés. En incitant les internautes à la création de contenus, et en permettant de transmettre des émotions complexes et intimes, les blagues de chats interviennent comme d’essentielles banalités. Au sein d’environnements numériques plateformisés, dataifiés, hypercontrôlés, les LOLCats suivent les traces de leurs prédécesseurs analogiques et permettent la connexion affective par le rire chat.
Cette démarche de recherche-création tire parti de cette habitude historique qu’ont les humains à faire des chats leurs coursiers émotionnels, afin de faire réfléchir aux sociabilités du sommeil préindustriel. Étant donné que les LOLCats sont identifiés par de nombreux·ses auteur·rice·s comme LE mème internet qui vient spontanément en tête lorsqu’on pense à l’humour internet, je récupère ses attributs pour nous rapprocher — autant que faire se peut — d’une expérience du sommeil préindustriel par la médiation des chats. En l’espèce, cette tactique — c’est-à-dire la remédiatisation de textes anciens à travers la forme contemporaine des LOLCats — a déjà été mise en oeuvre par le LOLCat Bible Translation Project[16]. Comme pour le présent projet, les mèmes créés conservent une fonction de « devise culturelle[17] » ayant pour rôle la transmission d’informations culturelles par le rire, l’absurde et l’association anthropomorphique aux expressions félines.
Dans Beware the Cat, le personnage principal, Mr Streamer, érudit, théologien et alchimiste, raconte sa rencontre avec des chats capables de s’exprimer dans une langue aussi complexe que celles des humains; langue que l’alchimiste parvient à décoder grâce à la concoction d’un sérum, le faisant entrer en état de xénoglossie. Alors qu’il désire d’abord étudier et analyser de loin cette société énigmatique, il se surprend éventuellement à rire avec la voix d’un chat[18]. De ce fait, Mr Streamer, et par extension le·la lecteur·rice, outrepasse le statut d’observateur passif. Par le rire, il se trouve également émotionnellement lié à cette société inconnue. Il s’agit, en fait, d’une utilisation stratégique de l’humour et des chats pour énoncer la possibilité de connexion, et potentiellement de coopération, entre des êtres qui ne partagent apparemment rien. Or, ce procédé rhétorique se distingue par sa vive actualité et m’a permis de lier la culture populaire présentée par Baldwin et la culture populaire contemporaine. Tout se passe comme si, à l’ère préindustrielle comme aujourd’hui, l’identification anthropomorphique aux chats permettait de communiquer de manière ludique et affective ; de sortir de la froide linéarité du texte pour générer des imaginaires affectifs.
2. Créer des LOLCats pour comprendre le sommeil préindustriel
Quelques thèmes généraux ont été dégagés de l’ouvrage At Day’s Close d’Ekirch. Pour rendre compte de ces thèmes dans la forme de même LOLCats, j’ai élaboré le protocole suivant (détaillé dans la suite de cette section) : j’ai cherché des descriptions concrètes de ces thèmes au sein des évènements relatés par Baldwin dans Beware the Cat[19], suivi d’extraits textuels faisant de même. Ces extraits textuels ont ensuite été retravaillés pour être juxtaposés à des photos de chats afin de créer des LOLCats. Des modifications ont été apportées au texte original de Baldwin afin de respecter les critères du format de mèmes dits LOLCats. Dans son mémoire de maîtrise, Kate Miltner avance qu’il y a six éléments stylistiques constitutifs du format LOLCat[20] :
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une typographie standard doit être respectée[21];
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le placement du texte doit se faire en haut et en bas de l’image[22];
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le sujet général du mème doit porter sur un ou des chats;
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la syntaxe doit correspondre aux normes de la langue vernaculaire LOLCat, le LOLspeak[23];
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le mème doit fonctionner sur le mode de l’humour anthropomorphique;
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le mème doit être composé en intertextualité avec d’autres mèmes ou éléments de culture populaire (voir la figure 1).
Afin de respecter ces éléments d’un LOLCat, j’ai d’abord cherché des images de référence sur des sites populaires au moment de leur apparition, en 2007[24]. Pour conserver l’esthétique singulière des LOLCats « originaux », j’ai essayé, autant que possible, de glaner des images sur les plateformes de partage les plus populaires, notamment grâce au site d’archivage web.archive.org
Concernant le sixième élément, l’intertextualité et l’intermédialité des LOLCat se donnent généralement à voir comme « multiple layers of selective knowledge[25] » permettant de renforcer les liens communautaires entre les internautes qui comprennent les références. Dans le cadre du présent projet, le critère intertextuel est mis en oeuvre par la récupération du texte de Baldwin afin d’illustrer les propos d’Ekirch. Alors que l’intertextualité se constitue généralement comme une inside joke entre les internautes, le défi de cette recherche-création est de générer, chez le·la lecteur·rice, un sentiment de proximité affective à la culture de la nuit préindustrielle étudiée par Ekirch.
Étant donné que mon objectif n’est pas de traduire fidèlement le récit de Beware the Cat, mais bien d’en extraire des représentations des propos d’Ekirch, j’ai glané librement des passages ayant trait, de façon générale et affective, aux habitudes nocturnes préindustrielles. Afin de respecter la syntaxe LOLspeak, j’ai ensuite traduit les extraits sélectionnés à l’aide d’un générateur en ligne[26] (voir les figures 2 et 3).
Lorsque le LOLspeak me paraissait trop peu compréhensible, je me suis autorisée à y apporter des modifications. Finalement, j’ai assemblé le texte et les images sélectionnées avec l’application mobile Phonto, qui me permettait d’imiter les critères stylistiques établis par Miltner.
Pour les rendre le plus accessibles possible, les LOLCats sont accompagnés des extraits du texte original de Baldwin qui les ont inspirés. Par ailleurs, ces illustrations sont contextualisées et associées aux recherches d’Ekirch par des commentaires personnels, correspondant à des notes de lectures. Ces commentaires textuels occupent une fonction didactique et cherchent à orienter la réception du même. Comme pour les commentaires qui accompagnent généralement les mèmes sur les différents réseaux sociaux numériques, ils facilitent l’interprétation de l’association texte-image en fournissant des renseignements sur les intentions[27]. Le résultat est une série de sept mèmes LOLCats correspondant aux six éléments décrits par Ekirch et retrouvés dans Beware the Cat.
Thème 1 : Le sommeil biphasique (voir la figure 4)
Beware the Cat s’amorce par une discussion entre trois compagnons de chambre, tous employés à la cour du roi Edouard VI, en Angleterre. Mr Streamer et Mr Willot se réveillent de leur premier sommeil au moment où William Baldwin, auteur, narrateur et personnage, les rejoint. Bien que cette scène puisse sembler anodine, elle incarne de manière exemplaire l’hétérogénéité des rythmes et des pratiques implicitement permises par le sommeil biphasique. De manière très générale, le premier sommeil correspondait environ au moment de la tombée de la nuit jusqu’à à peu près minuit. Puis le second sommeil débutait quelque part au milieu de la nuit pour se rompre au lever du jour. Les lieux de sommeil, tels que les décrivent Ekirch et Baldwin, sont des espaces collectifs, où différents rythmes d’assoupissement s’entremêlent. Pendant la rupture du sommeil, les membres des foyers et camarades de chambre sortent du lit pour uriner, fumer ou rendre visite à des proches. Très souvent, on reste plutôt au lit, pour méditer, prier, avoir des rapports sexuels, raconter ses rêves, ou encore débattre sur des questions existentielles. En l’occurrence, Beware the Cat s’amorce sur une discussion animée à propos de la capacité de raisonner des animaux.
Moment de partage, mais aussi d’intimité ou de spiritualité, ces quelques heures de repos éveillé étaient modulables en fonction des conditions de vie et du contexte social. Règle générale, les personnes les plus riches ont tendance à se coucher plus tard en raison de leur accès immodéré à des sources de lumière artificielle, électriques ou non. Toutefois, Ekirch souligne, à plusieurs reprises, que se réveiller au milieu de la nuit est un trait physiologique normal. Soulignons donc que, ce qui a été perdu, ou dérobé, par la consolidation du sommeil en un bloc, ce n’est pas un type de sommeil en lui-même. C’est avant tout la diversité de sociabilités du sommeil qui était autorisée à proliférer dans les interstices de la veille.
Thème 2 : Les moments de repos (voir la figure 5)
Pour décrire les affaires courantes de la nuit, Ekirch reprend une citation du poète et dramaturge Thomas Middelton qui déclare, au 16ème siècle, que, dans la pénombre de la nuit, il n’y a « nulle occupation, sinon dormir, manger et péter[28] ». Il est vrai que pour les classes populaires, la fatigue de la journée de travail était souvent telle qu’il était fréquent de s’endormir immédiatement après être rentré chez soi, puis de se réveiller, de manger — et de digérer — au coeur de la nuit. Dans Beware the Cat, cette habitude est restituée par la figure d’un « vieil Irlandais[29] », préparant son repas dans l’obscurité puis se faisant dépouiller par un chat.
Néanmoins, il était aussi très fréquent, de même que recommandé, de manger avant le premier sommeil pour faciliter la digestion. De la sorte, on pouvait profiter de la nuit pour se divertir ou se rapprocher de ses partenaires de chambre. Ekirch rapporte que certains traités, médicaux ou moraux, conseillaient d’avoir des relations sexuelles après le premier sommeil plutôt qu’immédiatement après le dîner[30]. Par ailleurs, les bourgs et les villes offraient plusieurs possibilités de loisirs nocturnes en dehors du cadre domestique. Mascarades, assemblés, bordels, jeux, loteries et tavernes animaient les nuits de plusieurs communautés préindustrielles. Du reste, la consommation d’alcool avant d’aller au lit était courante. Pour les plus pauvres, il s’agissait de se prémunir de l’inhospitalité flegmatique de la fraîcheur de la nuit. Pour d’autres, la consommation d’alcool imbibe et lubrifie la vie sociale. Les dîners festifs, les discussions animées où « la bière et le vin coulent librement[31] » et les soirées dansantes sont fréquemment mentionnées par Ekirch. En contexte britannique, les ale-houses sont le lieu de rassemblement privilégié par les classes populaires. Équivalent des tavernes, fréquentées par les plus fortuné·e·s, ces lieux de jeux et de rencontre sont ouverts aux hommes et aux femmes. Ils sont d’ailleurs connus pour être des espaces d’excès et de flirt. Comme le sommeil actuel, le sommeil préindustriel, se trouve donc couramment spolié par l’appel des distractions et enivrements.
Thème 3 : Les moments où les moeurs et contraintes s’assouplissent (voir la figure 6)
Assurément, la noirceur laisse place à des pratiques illicites de tous genres. Escroqueries, commerces douteux, jeux d’argent et travail du sexe tirent profit de la pénombre pour se tenir, principalement dans les milieux urbains[32]. Les cambriolages et les vols à la tire provoquent parfois de violents affrontements et sont passibles d’exécutions. La promesse d’un gain rapide pousse les plus infortuné·e·s à se risquer à ces activités délictueuses. Pour ne pas attiser les suppositions incriminantes, les manipulations se font généralement dans le silence, dans le secret du second sommeil. Pour apaiser la crainte d’agressions ou de vols, les dormeur·euse·s font souvent précéder le premier sommeil par des rituels. Bon nombre de ceuxes-ci cherchent à se prémunir contre l’intrusion criminelle ou diabolique. Chez les classes plus aisées, on se barricade en fermant à double tour portes et volets. Aussi, lorsque les dangers de la nuit se font particulièrement sentir, les ami·e·s proches dorment dans la même pièce, parfois dans le même lit.
Thème 4 : Les travaux du soir (voir la figure 7)
Dans l’extrait du roman de Baldwin, l’auteur se moque de Mr Streamer, qui, par mégarde, laisse sa lampe allumée, comme le ferait « une bonne ménagère[33] ». La nuit et le sommeil étaient parfois envahis par le travail qui n’avait pas pu être terminé pendant la journée. Si le crépuscule pousse à se presser pour finir les occupations diurnes, les « travaux du soir » visent, pour leur part, à terminer les activités de subsistances inachevées. Ekirch note que, dans une chanson populaire du 17ème siècle, la poète Mary Collier proteste contre l’iniquité de la répartition des tâches domestiques, qu’elle décrit comme « ne connaissant jamais de fin[34] ».
Thème 5 : Les études nocturnes (voir la figure 8)
Vers la fin du Moyen-âge, grâce à l’imprimerie et aux changements sociaux provoqués par la Réforme protestante, la lecture devient un passe-temps relativement courant. Aussi, au 16ème siècle, la popularisation de lecture change radicalement le rapport au savoir et à l’autorité[35]. Pour les personnes pouvant se permettre un minimum d’éclairage artificiel, la nuit est un moment privilégié d’étude et d’immersion dans les livres. Les chambres sont souvent le lieu de dépôt de librairies personnelles, laissant le loisir de consulter les ouvrages avant, ou après, le premier sommeil.
Dans Beware the Cat, Mr Streamer est l’incarnation archétypique de cette culture d’érudition en pleine explosion. En l’occurrence, ce personnage présente ses nuits comme étant partagées entre le sommeil et la lecture, lorsqu’elles ne sont pas troublées par le vacarme des chats. Ekirch rapporte plusieurs témoignages de personnes, hommes et femmes, profitant du calme de la nuit, et de leur lit, pour empiéter sur leur temps de repos afin de consulter les livres qu’iels ont sous la main[36]. Ekirch mentionne le témoignage d’une jeune femme italienne. Au 15ème siècle, Laura Cereta compare le temps à une marchandise et prétend avoir l’impression de devenir une « voleuse de temps » lorsqu’elle s’affaire à lire et écrire plutôt qu’à dormir[37]. Cette hostilité face à l’approche marchande et productiviste du sommeil — institué comme un repos nécessaire à la productivité diurne — frappe par son anticipation de certaines attitudes contemporaines. Je pense notamment à Jacques Rancière qui, dans La nuit des prolétaires, parle des travailleur·euse·s d’usine qui « volent du temps[38] » au sommeil pour rompre l’ordre social industriel, pressant les ouvrier·ère·s à la récupération nocturne pour assurer le rendement diurne. En se refusant au repos pour créer, débattre ou flâner, les classes populaires tentent d’échapper à un cycle machinique où se succèdent des séquences de production et reproduction des forces de travail.
Thème 6 : Les sommeils troubles (voir la figure 9)
L’extrait ici illustré évoque un épisode insomniaque provoqué par un vif sentiment de frustration et de désir. Il évoque la mise en garde d’Ekirch contre l’idéalisation d’un passé idyllique, qui serait pourvu de conditions de sommeil incontestablement enviables. En fait, l’historien présume que la plupart des personnes en situation de pauvreté souffraient de fatigue chronique[39]. Bon nombre de sources font état de nombreuses perturbations et nuisances nocturnes. Parmi celles-ci, on peut notamment citer : un homme, des passants ivres, la puanteur d’un résidut de bougie, les insectes, les bruits de la ville, les chiens qui jappent, les alarmes d’incendies, ou encore, le miaulement d’un « chat qui demande qu’on lui ouvre la porte… deux fois[40] ! ». Des facteurs psychiques s’ajoutent à la liste. La dépression, l’anxiété et la détresse psychologique sont décrites dans plusieurs journaux et mémoires.
Ekirch établit la préséance des facteurs économiques sur toutes autres causes des perturbations et inégalités du sommeil. Il souligne toutefois que le sommeil était moins cantonné à la nuit que dans les sociétés euro-américaines contemporaines et les siestes étaient communes, principalement chez les classes populaires. Quoi qu’il en soit, il apparaît que l’intérêt principal des recherches d’Ekirch ne relève pas tellement de l’établissement d’un pronostique concernant la qualité du sommeil « d’avant » par rapport à celui de « maintenant ». Au-delà du sommeil, manifestement bouleversé par l’industrialisation de l’économie mondiale, il y a l’érosion de ses diverses manifestations sociales; à savoir les multiplicités de manières de vivre, dormir, veiller et rêver. La rupture, qui disjoint le sommeil préindustriel du sommeil industrialisé, serait ainsi potentiellement de l’ordre de la répression des conduites qui ne cadrent pas avec une définition standardisée — ou industrialisée — du bon repos — c’est-à-dire du repos productif.
Thème 7 : Imaginaires oniriques et les états hypnagogiques prolongés (voir la figure 10)
La nuit préindustrielle n’a évidemment pas été épargnée d’offensives visant sa rentabilisation. Ekirch rappelle que l’Église catholique a su, bien avant les smartphones, assimiler la veille et les insomnies. En étiquetant la nuit comme un moment de prière et de dévotion, l’Église a certainement effectué une opération de standardisation des nuits médiévales européennes. Néanmoins, celles-ci semblent demeurer propices à l’émergence de tous types d’imaginaires, méditations et états de conscience altérés. En fait, les superstitions nocturnes sont exacerbées par la perméabilité entre les rêves et la réalité ressentie lors de la veille entre les deux sommeils. Dans cet état hypnagogique prolongé, l’interprétation et le partage des rêves invitaient à l’(auto)analyse et au recueillement, et pouvaient inspirer les conduites diurnes.
Ekirch rapporte plusieurs incidents provoqués par l’incapacité à distinguer le rêve de la réalité et affirme que les songes nocturnes alimentent la créativité au quotidien. Dans Beware the Cat, on peut pressentir la richesse des mythes et superstitions préindustrielles. À titre d’exemple, Mr Streamer se joignant éventuellement à un débat portant sur les stratégies utilisées par les sorcières pour transférer leur esprit dans le corps d’un chat témoigne de ces préoccupations. En l’occurrence, on y apprend que les chats sont censés avoir neuf vies parce que les sorcières peuvent s’incarner dans leur corps neuf fois. De manière plus générale, on peut aussi faire mention du « fatras », ou poème du non-sens. Cette forme stylistique, populaire au Moyen-âge et disparaissant à l’aube de la Renaissance, est une technique narrative imitant la trame décousue des rêves[41]. Pour Ekirch, le sommeil individuel en un bloc entraîne une perte de littéracie des rêves et l’érosion de l’influence de l’onirique sur le réel. De ceci résulte un déclin des capacités à interpréter les émotions complexes et intimes, ainsi qu’une stérilisation de la pensée, plus rétive à fabriquer des imaginaires et autres constructions surréelles.
Conclusion
En clôture de At Day’s Close, Ekirch cite une étude récente qui a cherché à reconstituer les conditions du sommeil préindustriel[42]. Privés de lumière artificielle, les sujets finissaient par adopter un sommeil fragmenté. On observe alors que, au moment de la veille interstitielle, les taux hormonaux recensés sont similaires à ceux caractéristiques des états de conscience modifiés — la méditation, par exemple. La redécouverte de cet état méditatif, parfois collectivement vécu, est l’une des nombreuses traces qui rappellent les conséquences exorbitantes qu’a pu avoir l’imposition d’un mode de sommeil unifié et standardisé. Devant l’ampleur de ces pertes, oublis et usurpations, j’ai cherché à restituer des fragments de la nuit préindustrielle par l’entremise de l’humour des chats anthropomorphes, survivances des cultures populaires préindustrielles.
Alors que de nombreux discours contemporains crispent le sommeil dans des logiques individualistes et productivistes, l’humour et le récit apparaissent comme des stratégies pertinentes pour le décloisonner. Si le repos est trop souvent associé à des logiques technocrates, qui l’appréhendent comme un projet en développement, répondant de métriques entrepreneuriales d’évaluation et d’optimisation, il m’importait de l’aborder à travers des représentations familières, rassurantes et accessibles. Conséquemment, cet article est également une provocation méthodologique qui s’inspire des médiations opérées par des représentations anthropomorphiques de chats. L’obsession féline pour la transgression des espaces et des époques apparaît en effet comme une riche source d’inspiration : de même que le chat se glisse systématiquement dans les imaginaires, portes entrouvertes et courriels avenants, les sociabilités du sommeil préindustriel pourraient illicitement s’immiscer dans les habitudes nocturnes d’aujourd’hui.
Parties annexes
Note biographique
Albertine Thunier est candidate au doctorat et chargée de cours au Département de communication de l’Université de Montréal. Sa thèse porte sur les mèmes, sur et hors internet, depuis la perspective des jeux et attitudes ludiques qui les constituent. Sa démarche de recherche-création propose de mettre en évidence les logiques dont répondent les mèmes, présents et passés, grâce à la reconstitution et la création de médias jouables transhistorique.
Notes
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[1]
Derek Thompson, « Can Medieval Sleeping Habits Fix America’s Insomnia? », The Atlantic, « Progress », 27 janvier 2022.
-
[2]
Roger Ekirch, At Day’s Close: A History of Nighttime, Phoenix, 2006; Roger Ekirch, « Segmented Sleep in Preindustrial Societies », Sleep 39, n° 3, 1er mars 2016; Roger Ekirch, La grande transformation du sommeil : comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits, Jérome Vidal (trad.), préface de Matthew Wolf-Meyer, Paris, Éditions Amsterdam, 2021.
-
[3]
Natalie Loveless, How to Make Art at the End of the World: A Manifesto for Research-Creation, Duke University Press, 2019, p. 32.
-
[4]
Ibid.
-
[5]
Louis-Claude Paquin, « Le dispositif-média de création », présentation dans le cadre du colloque « Média sonore au-delà des frontières présenté par le GRMS » (Groupe de recherche sur la médiatisation du son), en collaboration avec Matralab, Hexagram, dans le cadre du Festival Montréal/Nouvelles Musiques, 28 février 2021.
-
[6]
Version numérisée de William Baldwin, Beware the Cat: The First English Novel, San Marino, Huntington Library, 1988, par Internet Archive, mis en ligne le 29 juin 2019.
-
[7]
Dans At Day’s Close, Ekirch cite Baldwin à deux reprises pour présenter des habitudes nocturnes préindustrielles. La première référence au texte de Baldwin démontre que certaines tâches domestiques, normalement terminées dans la journée, étaient parfois effectuées la nuit : « Domestic tasks invariably extended the day’s toil. “The good huswive’s candle never goeth out,” remarked William Baldwin in Beware the Cat (1584). » Le second renvoi à Baldwin fait directement référence au sommeil biphasique et présente les protagonistes de Beware the Cat discutant entre leur premier et leur second sommeil : « William Baldwin’s satire Beware the Cat recounts a quarrel between the protagonist, “newly come unto bed,” and two roommates who “had already slept” their “first sleep”. » Ekirch, 2006, p. 163 et p. 301.
-
[8]
Nancy A. Gutierrez, « Beware the Cat: Mimesis in a Skin of Oratory », Style 23, n° 1, 1989, p 49–69.
-
[9]
Ibid., p. 50
-
[10]
Zohar Hadromi-Allouche et Diane Apostoles-Cappadona, « Introduction: All Creatures High and Low: Seeing Fallen Animals in Religion and the Arts », Fallen Animals: Art, Religion, Literature, Zohar Hadromi-Allouche, Rachel Stenner, Brian Brock, Constantin Canavas, Diane Apostolos-Cappadona, Eric Ziolkowski, Kate Walters, Kirsty Stewart, Lena-Sofia Tiemeyer, et Penny Florence (eds.), Blue Ridge Summit, États-Unis, Lexington Books/Fortress Academic, 2017, p. ix -xxi.
-
[11]
Limor Shifman, « Humor in the Age of Digital Reproduction: Continuity and Change in Internet-Based Comic Texts », International Journal of Communication 1, n° 23, 2007, p. 202–204.
-
[12]
Jody Berland, « Cat and Mouse », Cultural Studies 22, n° 3–4, 1er mai 2008.
-
[13]
Elyse J. White, A Unified Theory of Cats on the Internet, Stanford, Stanford University Press, 2020.
-
[14]
Limor Shifman, Memes in Digital Culture, Cambridge, MIT Press, 2014, p. 14.
-
[15]
Kate M. Miltner, « “There’s No Place for Lulz on LOLCats”: The Role of Genre, Gender, and Group Identity in the Interpretation and Enjoyment of an Internet Meme », First Monday, 1er août 2014.
-
[16]
Collectif, « LOLCat Bible Translation Project », Web Archive, 12 août 2012.
-
[17]
Berland, 2008, p. 432.
-
[18]
Hadromi-Allouche, Zohar, Rachel Stenner, Brian Brock, Constantin Canavas, Diane Apostolos-Cappadona, Eric Ziolkowski, Kate Walters, Kirsty Stewart, Lena-Sofia Tiemeyer, et Penny Florence, Fallen Animals: Art, Religion, Literature, Blue Ridge Summit,: Lexington Books/Fortress Academic, 2017.
-
[19]
Baldwin, 1988.
-
[20]
Miltner détermine les 6 éléments grâce à une série d’entretiens conduits auprès d’internautes; entretiens menés par Milner, auprès de différentes communautés d’utilisatrices de LOLCats, au moment fort de leur popularité, en 2010—2011. Miltner cherchait à déterminer “In what ways do the textual and social aspects of LOLCats contribute to the appeal of LOLCats for LOLCat Users?” Kate M. Miltner, SRSLY PHENOMENAL: An Investigation Into The Appeal of LOLCATS , mémoire de maîtrise, London School of Economics and Political Science, 2011, p. 36. Les résultats de cette recherche démontrent que les LOLCats constituent des éléments essentiels de la vie des personnes qui les créent et partagent : « LOLCats’ appeal is bound up in matters—such as emotional expression and belonging—that are fundamental elements of peoples’ lives. […] it’s not so much that the content itself is especially compelling, but that it can be used to make meaning. » Ibid., p. 37.
-
[21]
L’un des entretiens de Miltner souligne : « When you see that font, you know there’s going to be something funny, it’s expected. If it’s the wrong font—yeah, it’s just, you know, 9 times out of 10 it’s not as funny », ibid., p. 28.
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[22]
Un second entretien explique: « The fact that the text is half at the top and half at the bottom is really important because it gives you a joke and a punchline », ibid.
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[23]
Miltner explique : « Lolspeak is characterized by its childlike tone and incorrect grammar. […] Lolspeak was found to be entertaining (or at the very least, interesting) to all three user groups, mostly because it was considered to be the voice of the cat in the image; as one Casual User noted, “obviously, you’d imagine that cats can’t really speak properly” (PT, 28, male). However, the fact that “the speak belongs to the cat” (GV, 30, MemeGeek, male), failed to deter either the MemeGeeks or the Cheezfrenz from using it as a slang. It is in this way that the use of Lolspeak creates the sense of “in-group-ness” that makes identification humor so appealing. » Ibid., p. 30.
Il est intéressant de noter que, comme Baldwin, les communautés de créateur·rice·s de LOLCats inventent une langue de chats leur permettant d’aborder, avec une distance ironique, différentes problématiques sérieuses ou intimes.
-
[24]
L’encyclopédie de mèmes knowyourmemes.com mentionne la plateforme I Can Has Cheezburger, le subreddit /r/lolcats et le site web LOLcat.com.
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[25]
Miltner, 2014,p. 33.
-
[26]
Learn to speak lolcat: the lolcat translator, disponible sur https://speaklolcat.com
-
[27]
Anna De Fina, « Storytelling and audience reactions in social media », Language in Society, vol. 45, nᵒ 4, 2016, p. 473–498.
-
[28]
Ekirch, 2005, p. 28.
-
[29]
Ibid., p. 13.
-
[30]
Ibid., p. 308.
-
[31]
Ibid., p. 187.
-
[32]
Ibid., p. 38.
-
[33]
Baldwin, 1988, p. 24.
-
[34]
Ekirch, 2005, p. 163.
-
[35]
Ibid.
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[36]
Ekirch, 2005, p. 206.
-
[37]
Ibid., p. 209.
-
[38]
Jacques Rancière, La nuit des prolétaires, L’espace du politique, Paris, Fayard, 1981, p. 3.
-
[39]
Ibid., p. 299.
-
[40]
Ibid., p. 288.
-
[41]
Ibid., p. 322.
-
[42]
Ekirch, 2004.